LES VEILLEES DES CHAUMIERES n°3578 - Page 1 - 3578 2 Actualité À Pâques, à chacun sa tradition par Astrid Delarue Fête chrétienne majeure, Pâques est un moment où les croyants célèbrent la résurrection du Christ et aussi la fin d’une longue période de jeûne, autrefois très respectée. Festivités et plaisirs gustatifs sont alors de mise et, parmi eux, le chocolat, synonyme absolu de gourmandise. Découvert en Europe au XVIe siècle, puis démocratisé au XIXe siècle, c’est sous forme d’œufs, jadis proscrits pendant le Carême, que le chocolat est offert aux proches, par des systèmes de livraison issus de légendes pour le moins farfelues. En France, ce sont les cloches des églises qui s’en chargeraient à leur retour du Vatican, où elles ont passé la semaine sainte. En Allemagne, c’est un lapin, symbole de fertilité et pondeur d’œufs dans l’imaginaire des enfants, qui en serait missionné. Une tradition que s’est appropriée la République tchèque, en y ajoutant une petite animation pendant la semaine sainte: le saut d’obstacles de lapins! L’Autriche et la Suède se sont inspirées du mythe du lapin pondeur, mais lui préfèrent le lièvre. Au RoyaumeUni, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles livre les douceurs chocolatées. En Espagne, nul besoin de livreurs, mais plutôt d’inventivité, car il s’agit de confectionner les plus belles sculptures chocolatées en forme de château de princesse ou de bateau de pirate avant de les savourer. Le chocolat est omniprésent à Pâques, prétexte tout trouvé par les Européens, qui en sont les plus gros consommateurs au monde – deux kilos par personne et par an –, pour en abuser sans culpabiliser. Pâques, qui coïncide avec l’arrivée du printemps, est aussi symbole de renouveau, célébré au Portugal par des défilés et représentations théâtrales. Les villages parsèment leurs chemins de fleurs, par lesquels passe ensuite le prêtre de la paroisse, pour rendre visite à ses fidèles. Et pour vous, à quoi ressemblera Pâques ce dimanche 9 avril ? À un moment spirituel, fleuri… ou chocolaté? • Plus grande fête catholique avec Noël, Pâques succède aux quarante jours de Carême. L’occasion de fêtes et de gourmandises chocolatées variées, pour certaines assez insolites, à travers l’Europe. SHUTTERSTOCK SOMMAIREHEBDOMADAIRE N° 3578 – 5 AVRIL 2023 NOTRE COUVERTURE: Le dimanche de Pâques marque l’ouverture d’une chasse très particulière. Photo: Shutterstock 2 Actualité par Astrid Delarue À Pâques, à chacun sa tradition 4 Exposition par Sandrine Tournigand David Hockney, à la croisée du pop art et de l’hyperréalisme 8 L’almanachd’avril par Sabine Hébert 10 Nouvelle par Sacha Bricqueville Joyeuses Pâques 17 Lemondereligieux par Marie-Hélène Servantie La Semaine sainte à travers le monde 20 Agendamédical par Sandrine Catalan-Massé Stop aux kilos émotionnels! 22 Feuilleton par Clémentine Dubosc Oser la lune… et les étoiles 28 L’illustreinconnu par Pierre-Lou Marso Camille Pleyel, piano fortissimo 30 Nosjeuxdelasemaine par Laurence Tournay 32 Correspondances Lettres de Tchekhov à son frère 34 Ilétaitunefois… par Marie-Hélène Servantie Les parapluies de Cherbourg 36 Toutesvoslettres par Ouarda Akdache 37 Feuilleton par Mathilde Corvaia Quand on n’a que l’amour 44 Vospoésies 46 Série par Yvette Valette 7 – La relève 51 Lavoixdupoète La mer, de Chateaubriand 52 Labonnecuisine par Caroline Alice On se régale à Pâques 56 Nosamislesanimaux par Paul Lapaque Les mal-aimés du règne animal 58 Allonsaujardin par Noémie Vialard Profitons des camélias en fleur! 60 LemuséedesVeillées Ce numéro comporte un encart La Femme moderne et un chéquier + enveloppe Select Presse posés en C4. SERVICE ABONNEMENT Tél. 01-46-48-48-99 Du lundi au samedi de 8 h à 20 h Mail: formulaire sur www.serviceabomag.fr Courrier : Service abonnement Les Veillées des Chaumières 59898 LILLE Cedex 9. 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Dans nos textes de fiction, toute ressemblance avec des situations, des personnes ou des patronymes existant ou ayant existé serait purement fortuite. 4 Exposition L ’été dernier, David Hockney était invité à dialoguer avec les toiles d’Henri Matisse, à Nice. Aujourd’hui, c’est au tour du musée Granet d’Aix-en-Provence d’exposer l’artiste anglais, à travers une centaine d’œuvres prêtées par la Tate Gallery de Londres. Né en 1937 à Bradford, une ville industrielle du Yorkshire, David Hockney est issu d’une famille qu’il définira plus tard comme « ouvrière radicale ». Son père est aide-comptable. À seize ans, David Hockney entre à la Bradford School of Art, où il apprend le dessin d’après nature prôné par ses professeurs adeptes du réalisme social du mouvement Kitchen Sink. Il découvre l’expressionnisme abstrait porté par Alan Davie et Jackson Pollock. Puis il poursuit son apprentissage au sein du prestigieux Royal College of Art de Londres. Son admiration pour le poète Walt Whitman le conduit à produire une série d’œuvres évoquant son homosexualité, à une époque où elle est encore passible de prison en Angleterre. Jean Dubuffet et Francis Bacon deviennent ses modèles. Du premier, il utilise le graffiti qui lui permet de produire un art accessible. Du second, Hockney admire la facture puissante et l’originalité des personnages, lui qui considère la figure humaine comme le plus beau sujet de peinture. Sa découverte de Picasso lors d’une rétrospective organisée à la Tate Gallery en 1960 est une révélation : Hockney y retournera huit fois. L’œuvre de celui que l’on considère comme un génie achève de le persuader qu’un artiste ne saurait se limiter à un style donné ni se cantonner à une technique. Pour sa première participation à la « Young Contemporaries » à Londres, une exposition d’étudiantsenart,Hockneyprésente4 œuvresintitulées DemonstrationsofVersatility.« Jem’étaisfixécomme objectif de prouver que j’étais capable de peindre David Hockney À la croisée du pop art et de l’hyperréalisme Mes parents (1977). Huile sur toile. DAVIDHOCKNEY,PHOTO :TATE Mondialement connu pour ses piscines et doubles portraits, David Hockney bouscule les genres. En une centaine d’œuvres provenant de la Tate Gallery de Londres, une exposition au musée Granet, à Aix-en-Provence, retrace les débuts de sa carrière, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. 5 dans quatre styles différents, tout comme Picasso », décrit-il.Sontravailtapedansl’œildeJohnKasmin, qui devient son marchand. Le succès vient vite. Hockney peut désormais financer son premier voyage aux États-Unis. De ce séjour, il revient avec une série de seize gravures dont le cycle s’intitule A Rake’s Progress, dans lequel il raconte sous forme de confessions l’arrivée d’un jeune homme gay à New York. Pour cette version moderne du Grand Tour, voyage initiatique durant lequel les garçons des classes nanties arpentaient l’Europe au XVIIIe siècle, la première estampe, The Arrival, représente un personnage semi-autobiographique se dirigeant à grandes enjambées vers le célèbre ChryslerBuilding.Lasuitereflètelesimpressionsdu jeune homme sur cette grande ville, entre tournées desbars,concertsdejazzetgospel,campagnesélectorales et affiches publicitaires. Le pop art d’Andy Warholnemanquepasdel’influencer.Entémoigne la série de Hockney montrant des boîtes de thé. Le peintre d’une Californie hédoniste et solaire En 1964, Hockney s’installe à Los Angeles. Fan de films hollywoodiens des années 1930, il sait que la Californie est ensoleillée « à cause des ombres au cinéma ». Avant même son arrivée, il l’imagine sexy : son climat est en effet favorable à une culture hédoniste et athlétique, à l’instar de ces beaux jeunes hommes illustrant les magazines érotiques. Avec sa lumière et ses grands espaces libres, la Cité des anges lui inspire des toiles colorées. Hockney peint des arrosages automatiques, jardins de cactus, baies vitrées, palmiers, douches et piscines. Il expérimente cent façons de représenter la transparence et les reflets de l’eau en mouvement. La piscine devient son sujet de prédilection. Rien ne l’enchante plus que de peindre, à la Pollock, l’éclaboussure d’un plongeon. Son Bigger Splash, qui n’a pas pu faire le voyage jusqu’en France, est l’un de ses tableaux les plus célèbres. En représentant une bouée gonflable dans une piscine, Hockney s’autorise à critiquer l’art abstrait alors à la mode. Avant que ne soit votée la loi légalisant les relations homosexuelles en Angleterre, l’artiste se montre très explicite avec Homme sous la douche à Beverly Hills et sa série de gravures inspirées du poète Constantin Cavafy. Il adopte un style L’Amateur (1969). Lithographie sur papier. Trois (fin du triptyque) (1990). Lithographie sur papier. DAVIDHOCKNEY / TYLERGRAPHICSLTD DAVIDHOCKNEY,PHOTOCREDIT :RICHARDSCHMIDT 6 Exposition dépouillé pour illustrer les poèmes, tout en conférant aux scènes d’amour homosexuel un aspect solennel et romantique. À partir des années 1970, Hockney met en chantier des scènes domestiques à deux figures. Ces doubles portraits affectent un style faussement naïf et portent l’empreinte des maîtres qu’il admire : Vermeer, Balthus, Hopper… Le monde de Hockney est plat, artificiel, figé, presque glacé. Pour être le plus réaliste possible dans la représentation, il utilise la photographie, qu’il pratique assidûment. Il n’a jamais peint que son entourage : ses parents, ses chiens, ses amis et amants. À commencer par Peter Schlesinger. Le jeune étudiant en art au physique de surfeur devient son amant et sa muse. Il hanta ses tableaux de cette période californienne. Viendra ensuite Ossie Clark, un flamboyant créateur de mode qui festoyait avec Mick Jagger dans les clubs les plus prisés de Londres. Pour son célèbre tableau M. and Mrs Clark and Percy, Hockney représente le créateur au côté de Celia Birtwell, son épouse ainsi que sa plus proche collaboratrice. Expériences spatiales Au début des années 1980, Hockney remet en question ses conceptions de la réalité qui, selon lui, déconnectent le public de ses tableaux. Convaincu que la peinture doit rester au plus proche de l’expérience du regard, il consacre ses nouvelles recherches à la représentation des corps et des objets dans l’espace. De ces expériences spatiales et autres expérimentations sur ce qu’il appelle « le point focal changeant », il produit une série de lithographies très colorées. Inspirées des rouleaux de la peinture chinoise, les natures mortes et scènes d’intérieur s’émancipent des lois de la perspective. À l’occasion d’un séjour au Mexique, l’artiste se déplace à différents moments de la journée et à plusieurs endroits du jardin de son hôtel, puis synthétise les différents points de vue en une seule image. À la même époque, il termine un autre projet : un paravent aux superbes couleurs tropicales, Caribbean Tea Time, inspiré des gouaches découpées d’Henri Matisse. De retour dans le nord de l’Angleterre à la fin des années 1990, les paysages du Yorkshire de son enfance deviennent son principal centre d’intérêt. Le vaste atelier où il travaille lui permet de peindre des compositions toujours plus monumentales, et sa curiosité à l’égard des nouvelles technologies trouve un accomplissement artistique. En 2007, Hockney recourt à la photographie numérique pour réaliser Bigger Trees Near Warter, œuvre composée de 50 toiles peintes sur le motif. Mesurant 4 mètres de haut par 12 mètres de long, c’est sa plus grande toile. Hockney s’empare ensuite de l’iPad et de l’iPhone, avec lesquels il produit des dessins numériques. L’écran devient son carnet de croquis. Se reposer sur les anciens pour mieux expérimenter À 80 ans, Hockney revisite le sujet des personnagesreprésentésseulsouengroupedansunintérieur. Pour dépeindre son atelier sur les collines de Hollywood, il assemble par ordinateur plus de 3 000 clichés, démultipliant les points de vue. Saisie avec humour dans une vue plongeante, la silhouettedeHockneysembleimmergéeparmitousles tableauxdepaysagequil’entourent.Ensejouantde laperspective,cedessinphotographiquede7 mètres de long intitulé In The Studio donne l’impression d’un point focal qui se déplace en trois dimensions. Le parcours de l’exposition s’achève par un florilège d’œuvres faisant référence à ces géants de Les Joueurs de cartes en plus grand format (2015). Dessin photographique imprimé sur papier. GALERIELELONG&CO,PARIS,©DAVIDHOCKNEY 7 l’histoire de l’art qui ont sublimé la Provence : Picasso et sa vision cubiste, Van Gogh par le biais de sa Chaise de Vincent, Cézanne dont il reprend le thèmedesjoueursdecartes.Parcemontagephotographique,Hockneyfaitunedémonstrationsupplémentaire de sa théorie de la perspective inversée : la table des joueurs s’avance vers le spectateur avec un mépris de la perspective. « Hockney partage intimement avec le maître d’Aix cette compréhensionprofondedel’art,l’expérimentation,laconvention pour mieux la détourner », estime Bruno Ely, le directeur du musée Granet. Tout en s’imprégnant des anciens, l’artiste anglais, à bientôt 86 ans, n’a cessé de se renouveler, refusant de s’emprisonner dans un style. Comme pour mieux se réinventer. Sandrine TOURNIGAND Peinture de thé dans un style illusionniste (1961). Huile sur toile. Homme prenant une douche à Beverley Hills (1964). Acrylique sur toile. Dans l’atelier, décembre 2017 (2017). Dessin photographique imprimé sur 7 feuilles de papier, monté sur 7 panneaux rigides. DAVIDHOCKNEY,PHOTO :TATE DAVIDHOCKNEY,PHOTO :TATE Exposition David Hockney, collection de la Tate, au musée Granet, 13100 Aix-en-Provence. Jusqu’au 28 mai. Rens. : museegranet-aixenprovence.fr/accueil DAVIDHOCKNEY 8 L’almanach d’avril par Sabine Hébert SHUTTERSTOCK BRIDGEMANIMAGES ‘‘Il y a des pluies de printemps délicieuses où le ciel a l’air de pleurer de joie ’’Paul-Jean Toulet «I never knew the charm of Spring I never knew my heart could sing Till April in Paris.» «Je ne connaissais pas le charme du printemps Je ne savais pas que mon cœur pouvait chanter Avant de passer avril à Paris.» Composée en 1932, la chanson April in Paris est un thème écrit pour une revue musicale de Broadway. Reprise par de nombreux artistes comme Frank Sinatra, Louis Armstrong ou Ella Fitzgerald, elle évoque le printemps à Paris, une période magique où la légèreté de l’air, les tables en terrasse et les arbres en fleurs sont autant d’invitations au romantisme. Avril à Paris Un hymne éternel Avec plus de 375 millions de visites en trente ans d’existence, le parc Disneyland Paris (appelé Euro Disney Resort à sa création) est aujourd’hui la première destination touristique d’Europe. Il est l’unique fleuron de la célèbre marque en Europe. Ses grilles s’ouvrent pour la première fois le 12 avril 1992 avec une promesse, celle d’offrir aux visiteurs une balade au sein de l’univers Disney sur plus de 2000 hectares, à seulement 32 kilomètres à l’est de Paris. Si le parc a tout d’un véritable paradis pour enfants avec ses dizaines d’attractions, son château de la Belle au bois dormant et les personnages grandeur nature qui s’y promènent (Mickey Mouse et l’inséparable Minnie…), il est devenu tout aussi attractif pour les grands avec, outre de nombreux divertissements, un terrain de golf, des restaurants, des bars, des boutiques et quelques hôtels à thème pour rêver aussi Disney. Disney s’invite à Paris 9 BRIDGEMANIMAGES Le jour où Grace a dit oui Le 19 avril 1956, des millions de téléspectateurs suivent en direct les noces du prince Rainier III et de la star américaine Grace Kelly, l’actrice fétiche d’Alfred Hitchcock, qui devient ce jour-là Son Altesse Sérénissime. La principauté est en liesse et pousse un soupir de soulagement puisque l’événement lui assure également… sa survie. Car le conte de fées qui se consomme en mondovision cache une autre histoire: en 1918, une convention franco-monégasque précisait en effet que la principauté deviendrait un État sous protectorat français si le souverain disparaissait sans descendance. À la trentaine bien avancée, le prince Rainier n’avait donc d’autre choix que de se marier s’il voulait sauver Monaco. La providence lui a fait rencontrer Grace Kelly venue tourner quelques scènes du film d’Alfred Hitchcock, La Main au collet. L’amour saura épouser la raison. Aujourd’hui, c’est une évidence mais, en avril 1795, l’adoption du système métrique a représenté une révolution mondiale. Jusqu’alors, l’unité de mesure n’était pas universelle et, même si on utilisait souvent le pied, la confusion régnait puisqu’un pied avait une dimension variable selon les lieux et les corps de métier. Ainsi, il mesurait 32,48 cm à Paris, 30,48 cm à Londres, 38,03 cm à Bologne (Italie), 29,68 cm dans le sud de la Suède et 29,63 cm à Prague… Fixer une unité de mesure naturelle et invariable en fonction d’une constante s’impose et, le 7 avril 1795, la Convention adopte le mètre (du grec metron, mesure), la dix millionième partie du quart d'un méridien terrestre. Presque tous les pays européens adoptent le système métrique décimal. Mais sa mise en pratique s’accompagne de quelques réticences et, aujourd’hui encore, États-Unis, Birmanie et Liberia ne l’emploient pas officiellement. En Grande-Bretagne, qui utilise le système métrique au même titre que le reste de l’Europe, le système anglo-saxon reste couramment utilisé, notamment pour les distances, mesurées en miles et non en kilomètres. Le mètre pour tous Le 10 avril 1954, l'Assemblée nationale vote l’adoption d’un impôt indirect sur la consommation: la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Inventée par l’inspecteur des finances Maurice Lauré, cette taxe, qui vient en remplacement des anciens impôts indirects sur la consommation prélevés à chaque étape de la production, représente une petite révolution fiscale. En pratique, les entrepreneurs doivent désormais verser à l’État le montant de la taxe sur le prix des produits qu’ils ont vendus après en avoir déduit celui qu’ils ont euxmêmes payé sur leurs achats. La taxe ne pèse que sur la différence entre ventes et achats, c’est-à-dire sur la valeur ajoutée. Dans un premier temps, la nouvelle taxe ne s’applique qu’à 300000 industriels et ce n’est qu’à partir de 1968 qu’elle est généralisée à l’ensemble des commerçants, artisans et prestataires de services. Une extension qui ne manque pas de susciter la grogne et l’opposition des petits commerçants qui surnomment le nouvel impôt: Tout Va Augmenter. Aujourd’hui, la TVA est de loin la rentrée fiscale la plus copieuse de l’État français, dépassant celles de l impôt sur le revenu et sur les sociétés. Quand fleurit la TVA PHOTOSSHUTTERSTOCK(X2) 10 Nouvelle D ylan était un enfant adopté. Et il considérait la chose comme un prodige, la plus belle chose qui lui soit arrivée. Il n’avait pourtant que huit ans alors, mais toujours il se souviendrait du jour où sa nouvelle maman, Bérangère, avait fait son entrée dans le dortoir du sordide orphelinat où il dépérissait depuis trois ans. Sa blanche robe virevoltante, son lumineux visage auréolé de cheveux blonds, lui avaient fait l’effet d’une apparition céleste. Il avait aussitôt pensé à un ange, comme un de ceux qu’il avait vus dans un livre. Elle deviendrait à la seconde « Maman Bérangère » et le monsieur souriant qui l’accompagnait « Papa Renaud ». Car ses parents adoptifs ne lui avaient jamais caché qu’il avait eu d’autres parents avant eux. Il se rappelait très vaguement ses géniteurs mais préféra vite enfouir dans un coin de sa mémoire les tristes souvenirs qu’il avait d’eux. Pourtant, Bérangère et Renaud Dutilleux ne lui en dirent jamais de mal. On les avait cependant éloignés de leur fils, par mesure de justice, pour mauvais traitements sur enfant. Puis ils avaient tous deux disparu dans un tragique accident. Mais la nouvelle famille de Dylan en parlait très librement. – Pourquoi m’ont-ils abandonné ? demanda un jour Dylan, alors qu’il avait dix ans. – Sans doute n’ont-ils pas eu le choix, répondit Bérangère. Leur vie était sûrement très difficile et peut-être eux-mêmes ont-ils été maltraités quand ils étaient petits. Alors, il avait atterri dans ce triste établissement où il restait le plus souvent seul et déprimé, ayant du mal à tisser des liens avec les autres enfants. À huit ans, il parlait peu, et mal, et peinait à acquérir les gestes élémentaires, comme ceux qui servaient à manger ou à se laver. À le voir, il faisait davantage penser à un petit animal et il accusait du retard dans de nombreux domaines. Mais un déclic se produisit le soir même de son départ, quand il se vit d’abord plongé par les douces et maternelles mains de Bérangère dans un bon bain chaud, puis habillé de vêtements confortables et aux couleurs gaies, en place du survêtement gris, Joyeuses Pâques ©SHUTTERSTOCK 11 sorte d’uniforme qui le marquait à l’école, comme ses pauvres congénères, comme d’un sceau d’infamie. Son premier pyjama arborait l’effigie colorée de Snoopy et il le garderait longtemps au fond de sa commode, comme le signe du début de sa nouvelle vie enchantée. Ses progrès furent rapides et considérables, tant il avait à cœur de satisfaire ses nouveaux parents. Souvent, et cela faisait sourire leur entourage, il portait sur eux de longs regards extasiés. Et, quand Bérangère et Renaud venaient l’embrasser le soir, dans sa jolie chambre blanche qu’on lui laisserait le soin de décorer à sa guise, il restait suspendu à leur cou, jusqu’à ce qu’ils s’en détachent doucement en riant. Il aurait passé des heures le nez dans le cou délicatement parfumé de sa mère, ou sur les genoux accueillants de Renaud. O n organisa bientôt un grand dîner pour le présenter à sa nouvelle famille : grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines, et… frère et sœur. Car les Dutilleux avaient déjà deux autres enfants, issus de leur union, âgés respectivement de quinze et seize ans. Mais ils ne vivaient plus à la maison, ayant été envoyés dans un pensionnat en Suisse, où ils poursuivaient de brillantes études. Ils éprouvèrent tout d’abord, face à ce petit frère qui tombait du ciel, une vague jalousie, à voir les continuelles marques d’affection que Dylan donnait et cherchait à obtenir de leurs parents. Mais ce léger ressentiment fondit comme neige au soleil, séduits eux aussi qu’ils furent par la gentillesse et l’attitude convenable que le bambin affichait, jetant sans cesse autour de lui de discrets regards pour vérifier s’il se comportait « comme il fallait ». Il fut fort impressionné par cette assemblée, qui se montra davantage bienveillante et ravie que curieuse. La grand-mère maternelle lui fit cadeau d’une médaille de la Sainte Vierge, « comme elle l’avait fait pour tous ses autres petitsenfants », dit-elle en la lui passant autour du cou. Car les Dutilleux étaient de fervents catholiques. Quand on leur fit parfois la remarque, après l’adoption de Dylan, « qu’ils avaient bien du courage de se lancer dans l’éducation d’un nouvel enfant, si jeune en plus » (certains pensaient même « d’autant plus qu’on ne savait pas vraiment d’où il venait »), ils répondaient invariablement qu’il leur avait semblé que, la vie s’étant montrée extrêmement généreuse avec eux, ils croyaient de leur devoir d’en faire profiter autrui et d’offrir une chance à un enfant malheureux. Et ils ajoutaient avec chaleur qu’ils étaient largement payés en retour de leur bonne action : Dylan se montrait docile, gai et plein de bonne volonté pour se fondre au mieux dans son nouvel environnement, qu’il jugeait de jour en jour plus merveilleux encore que la veille. Il guettait avidement toutes leurs attitudes, tous leurs comportements, tentait de les copier, et considérait tout ce qu’ils disaient comme parole d’Évangile, c’était le cas de le dire. Inscrit au catéchisme et accompagnant chaque dimanche ses parents à la messe, il écoutait avidement les lectures, le sermon du prêtre, et il eut ainsi un jour connaissance de certains miracles accomplis par Jésus. Jusqu’à sa prodigieuse et inouïe résurrection. Du coup, cette notion parut coller « pilepoil » à ce qui lui arrivait. C’était bien ça : sa nouvelle vie était un miracle, c’était le mot juste. Miracle de se lever chaque matin dans sa chambre où montait une bonne odeur de pain grillé, miracle aussi de bavarder gaiement de tout et de rien à table, miracle encore d’accueillir gaiement, avec Maman Bérangère, Papa Renaud quand il rentrait du travail. Et dire que demain, tout cela recommencerait ! Sa future existence lui apparut comme un chemin semé de roses, comme celles qu’il cueillait dans le jardin pour les rapporter à Maman Bérangère. Et dire qu’un jour, quand il était à l’orphelinat, il avait envié le sort d’un chat trouvé mort devant la porte ! Ses parents lui enseignèrent aussi qu’il fallait se montrer généreux et bon envers les plus démunis, porter secours aux plus par Sacha Bricqueville
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