ART PRESS n°533 - Page 1 - 533 JUIN 2025 Mensuel bilingue paraissant le 25 de chaque mois Is published monthly 8, rue François-Villon, 75015 Paris Tél (33) 1 53 68 65 65 (de 9h30 à 13h) www.artpress.com * e-mail: initiale du prénom.nom@artpress.fr Comité de direction: Catherine Francblin, Guy Georges Daniel Gervis, Jacques Henric, Jean-Pierre de Kerraoul Catherine Millet, Myriam Salomon SARL artpress: Siège social 1, rue Robert Bichet 59440 Avesnes-sur-Helpe Gérant-directeur de la publication: J.-P. de Kerraoul jean-pierre.dekerraoul@sogemedia.fr Directrice de la rédaction: Catherine Millet* Rédacteur en chef adjoint: Étienne Hatt* Coordinatrice éditoriale et digital manager: Aurélie Cavanna* Assistante de direction: Mariia Rybalchenko* Conseiller: Myriam Salomon Système graphique: Roger Tallon (†2011) Maquette/système graphique: Magdalena Recordon, Frédéric Rey Traduction: Sauf mention contraire, Léon Marmor avec l’assistance de DeepL Collaborations: C.Catsaros, C.Le Gac (architecture) J.Henric, Ph.Forest (littérature), J.Aumont F.Lauterjung, J.-J.Manzanera, D.Païni (cinéma) A.Bureaud, D.Moulon (nouvelles techs), J.Bécourt J.Caux, M.Donnadieu, L.Goumarre, C.Kihm F.Macherez, L.Perez Correspondances: Bordeaux: D.Arnaudet Marseille: R. Mathieu, Rennes: J.-M.Huitorel Barcelone: A.Le Génissel, Berlin: T.de Ruyter Bruxelles: B.Marcelis, Hong Kong: C.Ha Thuc New York: E.Heartney, F.Joseph-Lowery, R.Storr Publicité/Advertising: Selene Loaiza /publicite@artpress.fr (33) 1 53 68 65 82 Agenda: Christel Brunet* Diffusion/Partenariats: Camille Chatelain* (33) 1 53 68 65 78 Abonnements/Subscriptions orders: (33) 3 27 61 30 82 (Alice Langella) serviceabonnements@artpress.fr France métropolitaine 79€/Autres pays 95€ Impression: Rotimpres (Espagne) Origine papier: Couché demi-mat 90gr UPM star Silk pâte mécanique: Finlande Contact distribution: Cauris Media (01 40 47 65 91) Dépôt légal du 2e trimestre 2025 CPPAP 0429K84708 ISSN 0245-5676 (imprimé) - ISSN 2777-2306 (en ligne) RCS Valenciennes 318 025 715 Couv.: François Rouan. Son pied - La route III (détail). 1986. Huile sur toile. 205 x 185 cm. (Coll. part.; © atelier Laversine ; Court. galerie Daniel Templon) © ADAGP, Paris, 2025, pour les œuvres de ses membres 533 ÉDITO 5 Le baiser de sang The Kiss of Blood Jacques Henric INTRODUCING 6 Anthony Plasse Annabelle Gugnon CHRONIQUES / COLUMNS 11 Catalogue David Hockney Colin Lemoine 15 Pop, rock et cinéma Pop, Rock and Cinema Fabrice Lauterjung 19 Œuvre-clé Key Work Thierry de Cordier, ... d’un misanthrope, 1988-1991 Anne Bertrand ACTUALITÉS / SPOTLIGHTS 22 Fondation Louis Roederer, un mécénat sur mesure A Tailor-Made Sponsorship Aurélie Cavanna 26 L’envers des œuvres Behind Artworks Thibaut de Ruyter DOSSIERS 30 GRANDE INTERVIEW Les voyages continus de Tatiana Trouvé The Continuous Journeys of Tatiana Trouvé Interview par Mariia Rybalchenko 40 François Rouan, le mystère de l’empreinte The Mystery of the Imprint Romain Mathieu 48 Perspectives océaniques Oceanic Perspectives Caroline Ha Thuc MONDE DE L’ART / ART WORLD 56 De quoi le curating est-il le nom? What Is Curating the Name Of? Interview de Julie Bawin par Madeleine Filippi 63 EXPOSITIONS / REVIEWS Amy Sillman Radical Software Typologien Hans Op de Beeck S’habiller en artiste Ferruel & Guédon Superbemarché Julien Guinand Paris noir Berserk & Pyrrhia Frank Bowling Elsa Sahal Studio Conversations 82 AGENDA 85 LIVRES Joe Bousquet redivivus Georges Navel, de main et de plume Arno Schmidt, éclats de rire dans le chaos Aharon Appelfeld, errances ferroviaires Guillaume Basquin, toutes les histoires Jean-Christophe Bailly, l’élargissement de la ville Pierre Alferi, en mouvements suspendus Frédéric Pajak, mise en miroir 96 Comptes rendus 98 LE FEUILLETON DE JACQUES HENRIC Jean Rolin À VENIR, ARTPRESS N°534, ÉTÉ 2025 Interview Robert Longo Rick Owens Bice Curiger et Sigmar Polke L’IA au Jeu de Paume Les 50 ans de la galerie Catherine Issert Radu Jude au FIDMarseille Le festival d’Aix-en-Provence... PLUS, SUR ARTPRESS.COM À découvrir sur notre site, nos «actus en série», échos au numéro, Flashbacks en archives, Chefs-d’œuvre du moment, Points de vue, reviews spectacle vivant et expositions... 5 «Eh bien! la guerre», répond la marquise de Merteuil au vicomte de Valmont. Cette guerre n’est pas celle dont il va être question dans cet édito, il s’agira ici de vraies guerres, avec de vrais morts, des millions. Un livre vient de paraître, qui nous remet en mémoire un des épisodes les plus tragiques de notre histoire, la Première Guerre mondiale. Son titre: D’une mort l’autre. Mourir! (1897-1918); son auteur: Paul Giro. Il s’agit d’une nouvelle biographie du poète et romancier Joe Bousquet, biographie en trois volumes, les deux autres paraîtront en 2026 et 2027 . Un entretien avec Paul Giro ouvre notre cahier livres. Un bref rappel: le 27 mai 1918, un jeune homme de 21 ans est gravement blessé lors d’une des dernières batailles de la guerre. Le souslieutenant Bousquet en sort paralysé à vie et impuissant. Cloîtré dans sa chambre, à Carcassonne, la compagnie amoureuse de très jeunes femmes, l’opium pour vaincre la douleur, le soutien des grands intellectuels et artistes de son temps (Gide, Valéry, Paulhan, Max Ernst, Éluard, Aragon…) l’aideront à écrire une des grandes œuvres littéraires de notre temps. La guerre que vécut Joe Bousquet, Marcel Cohen nous en restitue par ailleurs l’horreur dans un court livre paru en 2013, intitulé À des années lumière. Les chiffres parlent: la bataille de Verdun en 1916, 360000 morts français, 335000 morts allemands; l’année suivante, au Chemin des Dames, lors de l’offensive Nivelle, 300000 morts en 25 jours. Marcel Cohen a relevé cette expression des rescapés: «Nous marchions sur du bleu», à savoir sur les cadavres de leurs camarades vêtus d’uniformes bleu horizon. Joe Bousquet ne fut pas la seule victime du carnage, 560 écrivains français furent tués entre 1914 et 1918. Jean Rolin, dans son récent livre, Tous passaient sans effroi (voir ma chronique), relève le nombre des aviateurs américains et anglais morts dans la guerre contre l’Allemagne nazie: 26000. Ce sont là les chiffres des militaires tués. Mais, ceux qui, lors du second conflit mondial, ont payé le plus lourd tribut, ce sont les civils, des millions de morts, au point qu’un commentateur a pu dire, avec un brin d’humour noir, qu’il était préférable pour survivre d’être militaire que civil. Idem dans les guerres d’aujourd’hui. Autre auteur présent dans ce numéro, Arno Schmidt. Les thèmes aussi de sa trilogie les Enfants de Nobodaddy: les guerres, chaos et catastrophes, avant, pendant, après. Depuis que les hommes se font la guerre, il y a ceux qui les déclarent, hommes d’État de toute obédience, et ceux qui les font. Une récente image vue du monde entier a frappé les esprits. Lors des funérailles du Pape, dans un vaste espace vide à l’intérieur de la basilique SaintPierre, deux hommes sont assis sur une chaise, face à face, comme dans une mauvaise mise en scène de théâtre moderniste, un grand bonhomme mou, Trump, un petit râblé, Zelensky. Que se disent-ils? «Eh bien! la guerre»? À ce propos, pourquoi les médias, presse et télévision, nous montrent-ils indéfiniment les têtes des décideurs de guerres et jamais les corps et le sang des soldats qui y meurent ou en sortent amputés, paralysés, aveugles? Les Américains l’avaient fait; cette décision fut une de celles qui hâtèrent la fin de la guerre du Vietnam. Le 27 mai 1918 au soir, Joe Bousquet, dont un éclat de shrapnel a percé les poumons et touché la colonne vertébrale, reçoit de son capitaine – le terrible tueur d’Allemands Louis Houdart, dit aussi frère Houdart, puisqu’il est jésuite – le baiser de sang. Jacques Henric, le 28 avril 2025 ÉDITO ——— “Well then—war, ” replies the Marquise de Merteuil to the Vicomte de Valmont. But this isn’t the kind of war we’ll be discussing in this editorial. Here, we’re talking about real wars. With real deaths. Millions of them. A new book has just been published (reviewed in this issue) that reminds us of one of the most tragic chapters in our history: the First World War. Its title: D’une mort l’autre. Mourir! (1897–1918); its author: Paul Giro. It is the first volume of a new biography of the poet and novelist Joe Bousquet, with the other two to be published in 2026 and 2027 . An interview with Paul Giro opens our books section. A brief reminder: on May 27th, 1918, a 21-year-old young man was gravely wounded in one of the war’s final battles. Second Lieutenant Bousquet emerged paralysed for life—and impotent. Confined to his room in Carcassonne, he would find solace in the company of young women, in opium to dull the pain, and in the support of the great writers and artists of his time—Gide,Valéry, Paulhan, Max Ernst, Éluard, Aragon… All this helped him to produce one of the major literary works of the twentieth century. The war that Joe Bousquet experienced is also evoked in stark terms by Marcel Cohen in his short 2013 book entitled À des années lumière.The numbers speak for themselves: at the Battle of Verdun in 1916, there were 360,000 French and 335,000 German deaths.The following year, during the Nivelle Offensive at Chemin des Dames: 300,000 deaths in just 25 days. Cohen recounts a chilling phrase used by survivors: “We walked on blue, ” referring to the bodies of fallen comrades in their horizon-blue uniforms. Bousquet was far from the only victim of the carnage: 560 French writers were killed between 1914 and 1918. Jean Rolin, in his recent book Tous passaient sans effroi (see my review), notes the number of American and British airmen who died fighting Nazi Germany: 26,000.These are the military death tolls. But in the Second World War, it was civilians who paid the highest price— millions of them. One commentator, with a hint of dark humour, observed that, in order to survive, it was better to be a soldier than a civilian. And so it remains today. Also featured in this issue of artpress: Arno Schmidt, and the themes of his Nobodaddy’s Children trilogy—wars, chaos, and catastrophe, before, during, and after. For as long as men have waged war, there have been those who declare them—heads of state of every persuasion—and those who actually fight them. A recent image, seen around the world, left a deep impression: during the Pope’s funeral, in a vast empty space inside St Peter’s Basilica, two men sit on chairs, face to face, like in a badly staged modernist play. A tall flaccid figure, Trump. A short, stocky one, Zelensky. What did they say to each other? “Well then—war”? And that raises a question: why do the media—press and television alike—continually show us the faces of war’s decision-makers, but never the bodies, the blood, of the soldiers who die in these conflicts, or emerge from them amputated, paralysed, blinded? The Americans did it once; and it was one of the key decisions that helped bring the Vietnam War to an end. On the evening of May 27th, 1918, Joe Bousquet, struck in the lungs and spine by shrapnel, receives from his captain—Louis Houdart, the infamous German-killer, also known as Brother Houdart, as he was a Jesuit—the kiss of blood. Le baiser de sang The Kiss of Blood INTRODUCING 6 artpress 533 ANTHONY PLASSE Annabelle Gugnon À la croisée du dessin, de la photographie et de la peinture, Anthony Plasse déploie des toiles nées d’une «partition de gestes». Son travail sur la lumière est actuellement visible dans deux expositions collectives: Chevaliers errantes à la galerie Zlotowski, à Paris, jusqu’au 28 juin 2025, et Sillages au Frac Auvergne, à Clermont-Ferrand, jusqu’au 31 août 2025. ■ De traces en pliages, de flashs en collages, Anthony Plasse cherche à habiter le degré zéro de la matière. Là où la toile est une surface d’accueil et d’enregistrement de signes apparus en dehors de la volonté de l’artiste: «C’est la perte de contrôle qui m’intéresse. Il faut que ça me dépasse. Je cherche à ce que la toile s’émancipe de ma présence, qu’elle devienne autonome (1).» Pour permettre cet accueil de l’inconnu, il a inventé un processus singulier: il enduit, au pistolet à peinture, une toile brute de gélatine argentique photosensible et l’impressionne par flashs de lumière, dans l’obscurité, selon des protocoles liés à des lieux et à des gestes, inspirés par des détails architecturaux et des affects corporels: «Je cherche à être dans l’étymologie de la lumière, dans l’origine, avant les mots, avant toute verbalisation.» Par la suite, comme en photographie, il utilise un révélateur pour faire apparaître des traces qui, souvent, le surprennent. Ses œuvres sont toutes «Sans titre» car elles sont, pour lui, la manifestation d’un seul et même organisme qui se développe au fil de chaque lieu d’exposition: «Pour moi, c’est toujours la même toile, le même corps qui évolue. J’essaie de la garder en vie, organique, qu’elle s’adapte d’un espace à l’autre, qu’elle en révèle des aspérités, des choses latentes.» Sa pratique se situe au carrefour du dessin, de la photographie et de la peinture. Le dessin est la prémisse d’un protocole qui s’apparente à un repérage sensible d’un lieu ou d’une situation. Puis, selon une «partition de gestes» appris en plein jour, il reproduit ces gestes à l’aveugle dans le noir, en flashant la toile non tendue pour faire apparaître des signes qui, pour lui, appartiennent au domaine de la peinture. Au début de sa pratique, il tendait ensuite les toiles sur châssis. Peu à peu, la toile s’est affranchie de ces tensions pour être pliée, dépliée, repliée en diverses configurations, mais aussi posée au sol, accrochée au plafond ou en libre suspension sur un mur. L ’aventure artistique d’Anthony Plasse a commencé à l’école des Beaux-Arts de ClermontFerrand pour se poursuivre aux Beaux-Arts de Lyon, puis en résidence à Reykjavik en Islande, avant une installation à Paris. Récemment, il a été en résidence à Kyoto au Japon avant de revenir à Paris pour une exposition à la galerie Zlotowski jusqu’en juin 2025, puis une autre au Frac Auvergne, d’avril à août, après quoi il retrouvera Kyoto cet hiver pour une exposition collective où il sera le seul artiste non japonais. Signe d’une rencontre intense avec une culture qu’il a saluée par une unique œuvre magistrale, suspendue au plafond de la galerie kyotoïte Misaki. La paroi fluide, composée de toiles collées par des papiers washi, séparait la galerie en deux espaces facilement franchissables par une simple ouverture latérale. L ’œuvre était empreinte d’une culture où les séparations et cloisons spatiales sont fluides. «Au Japon, témoigne Anthony Plasse, on passe d’un monde à l’autre. Par exemple, le cimetière n’est pas à l’écart de la ville, une rue passante peut le traverser. Dans les maisons traditionnelles, les cloisons sont mouvantes et translucides, faites de papier washi… Il y a une continuité et une possibilité d’aller-retour entre les mondes.» LIEU-NUIT Cette toile suspendue développe des affinités avec l’art pariétal, par ses inscriptions sur un matériau brut réalisées dans un «lieu-nuit», comme le paléoanthropologue André LeroiGourhan nommait les grottes ornées (2). Ainsi en est-il aussi de l’ample intervention in situ réalisée par l’artiste en 2024 à la Chapelle Jeanne d’Arc, requalifiée en centre d’art contemporain, à Thouars, dans les DeuxSèvres. Il y a un écho avec l’originaire, une recherche des vibrations d’un lieu ou d’une situation à partir des résonances sensibles qu’ils donnent à percevoir et, pour la Chapelle Jeanne d’Arc, à partir de la course quotidienne du soleil qui donne vie à l’architecture… Anthony Plasse est patiemment entré en relation avec l’imposante chapelle néo-gothique, en a déterminé par dessins des configurations comme pour la révéler à elle-même et, dans l’obscurité totale de la crypte, en a manifesté des signes picturaux sur toiles, par flashs. C’est aussi dans cette chapelle, inspiré par les découpages lumineux des vitraux, que l’artiste a commencé à assembler des fragments de toiles. Auparavant, en 2023, la distribution des grandes salles de la Galerie Édouard Manet, à Gennevilliers, lui avait permis, à l’occasion d’un solo show, d’abandonner les châssis pour plier les toiles, les suspendre librement, les poser au sol et inviter les visiteurs à la déambulation parmi les œuvres. À présent, une nouvelle étape s’annonce pour l’artiste: «Au fur et à mesure des rencontres de lieux, j’ai développé un langage singulier qui De gauche à droite from left: États de faits. Exposition, La Serre, Saint-Étienne, 2021. (Coll. part. et MAMC+ Saint-Étienne; Ph. Nobuyoshi Takagi). Toit. 2018. Gélatine argentique sur toile. 273 x 185 cm. Vue de l’exposition Toit, Poush, Aubervilliers, 2025. (Coll. part.; Ph. Joaquin Muñoz). (Pour tous les visuels all pictures: Court. l’artiste) INTRODUCING 9 artpress 533 lateral opening. The work was imbued with a culture where spatial separations and partitions are fluid. “In Japan, ” says Anthony Plasse, “you move from one world to another. For example, the cemetery is not away from the city; a busy street can run through it. In traditional houses, partitions are movable and translucent, made of washi paper… There is continuity and the possibility of back-and-forth between worlds. ” NIGHT PLACE This suspended canvas develops affinities with parietal art, with inscriptions on raw material made in a “night place, ” as the palaeoanthropologist André Leroi-Gourhan referred to the decorated caves. Similarly, there was a significant in situ intervention by the artist in 2024 at the Jeanne d’Arc Chapel, requalified as a contemporary art centre in Thouars, Deux-Sèvres.There is an echo with the origin, a search for the vibrations of a place or situation based on the sensitive resonances they give off, and, for the Jeanne d’Arc Chapel, it came from the daily movement of the sun that gives life to the architecture. Anthony Plasse patiently engaged with the imposing neo-Gothic chapel, determining configurations through drawings as if to reveal it to itself, and in the total darkness of the crypt, he manifested pictorial signs on canvases through flashes of light. It was also in this chapel, inspired by the luminous cuttings of stained glass windows, that the artist began to assemble fragments of canvases. Previously, in 2023, the layout of the large rooms of the Édouard Manet Gallery in Gennevilliers had allowed him, during a solo show, to abandon frames in favour of folding the canvases, suspending them freely, laying them on the floor, and inviting visitors to wander among the works. A new stage now awaits the artist: “As I encounter different places, I have developed a singular language that belongs to me. I evolve it. I now have a repertoire of gestures and forms that allows me to emancipate myself from the architectural vocabulary of exhibition spaces. The place is no longer the origin of the motif present on the canvas, even though it remains decisive for the form in which it will be exhibited. ” This was evident when his works were presented during the Poush open days in Aubervilliers. Each work represented a fragment of an artistic moment, and the ensemble seemed to tell the epic tale of a quest that began in Iceland in 2016 with a meeting with an astrophysicist researching gamma-ray bursts (GRBs). These are invisible rays created by the death of certain large stars.These rays allow us to trace the light back to know past events when the star was still alive. The art of Anthony Plasse is to welcome the dimension of the universe in light of the body. n 1 All quotes from the artist were collected by the author on March 25th, 2025 at Poush, Aubervilliers. 2 André Leroi-Gourhan, L ’Art pariétal. Langage de la préhistoire, Jérôme Millon, 1992. Annabelle Gugnon is an art critic and psychoanalyst. Anthony Plasse Né en born in 1987 à in Clermont-Ferrand Vit et travaille à lives and works in Paris et and Aubervilliers Formation Education: 2015 DNSEP École nationale supérieure des Beaux-Arts, Lyon 2013 DNAP École supérieure d’art de Clermont Métropole, Clermont-Ferrand Résidences Residencies: 2024-25 Metropolitan Fukujusou, Kyoto 2019-20 Cité internationnale des arts, Paris 2018 Artistes en Résidence, Porto 2016 SÍM Residency, Reykjavík Expositions personnelles Solo shows: 2025 Toit, Poush, Aubervilliers; Réparer, galerie Misaki, Kyoto 2024 Le Pli, Centre d’art contemporain La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars 2023 De papier, Centre d’art contemporain Galerie Édouard Manet, Gennevilliers 2021 États de faits, La Serre, Saint-Étienne Expositions collectives Group shows: 2025 Sillages, Frac Auvergne, Clermont-Ferrand; Chevaliers errantes, galerie Zlotowski, Paris 2024 Les Lois de l’imaginaire, Frac Auvergne, Musée d’art et d’archéologie, Aurillac 2023 La Dialectique de l’ombre, galerie Bigaignon, Paris 2022 Camera, La BF15, Lyon; Le Promontoire du songe, Frac Auvergne, Clermont-Ferrand; Qui montent de la terre, galerie Marcelle Alix, Paris; MAMC+, Saint-Étienne 2020 Jeune Création, Fondation Fiminco, Romainville INTRODUCING 8 artpress 533 m’appartient. Je le fais évoluer. J’ai maintenant un répertoire de gestes et de formes qui me permet de m’émanciper du vocabulaire architectural des lieux d’exposition. Le lieu n’est plus à l’origine du motif présent sur la toile même s’il reste déterminant pour la forme dans laquelle elle sera exposée. » C’est d’ailleurs ce qu’on a pu constater lors de la présentation de ses œuvres à l’occasion des portes ouvertes de Poush, à Aubervilliers. Où chaque œuvre représentait le fragment d’un moment artistique, et l’ensemble semblait écrire le récit épique d’une quête qui a commencé en Islande, en 2016, avec la rencontre d’un astrophysicien, chercheur des sursautsgamma (GRB). Ce sont des rayons invisibles créés par la mort de certaines grandes étoiles. Ces rayons permettent de remonter le cours de la lumière pour connaître les événements passés, au moment où l’étoile était en vie. L ’art d’Anthony Plasse est d’accueillir la dimension de l’univers à l’aune du corps. ■ 1Toutes les citations de l’artiste ont été recueillies par l’auteure le 25 mars 2025 à Poush, Aubervilliers. 2 André Leroi-Gourhan, l’Art pariétal. Langage de la préhistoire, Jérôme Millon, 1992. Annabelle Gugnon est critique d’art et psychanalyste. ——— At the crossroads of drawing, photography, and painting,Anthony Plasse creates canvases born from a “score of gestures.” His work on light is currently visible in two group exhibitions: Chevaliers errantes at the Zlotowski Gallery in Paris, until 28th June 2025, and Sillages at the Frac Auvergne in ClermontFerrand, until 31st August, 2025. From traces to folds, from flashes to collages, Anthony Plasse seeks to inhabit the zero degree of matter. Here, the canvas is a surface that welcomes and records signs that have appeared beyond the artist’s intention: “It’s the loss of control that interests me. It has to overwhelm me. I try to let the canvas emancipate itself from my presence, to become autonomous. ”To allow this reception of the unknown, he invented a singular process: he sprays a raw canvas with lightsensitive photographic gelatine using a spray gun and impresses it with flashes of light, in darkness, according to protocols tied to specific places and gestures, inspired by architectural details and bodily affects: “I aim to be in the etymology of light, at its origin, before words, before any verbalisation. ” Later, like in photography, he uses a developer to reveal traces that often surprise him. His works are all “Untitled” because, for him, they are the manifestation of a single organism that develops with each exhibition space: “For me, it’s always the same canvas, the same body evolving. I try to keep it alive, organic, so it adapts from one space to another, revealing rough edges, latent things. ” His practice lies at the crossroads of drawing, photography, and painting. Drawing is the premise of a protocol that resembles a sensitive mapping of a place or situation. Then, according to “a score of gestures” learned in the daylight, he blindly reproduces these gestures in the dark, flashing the unstretched canvas to reveal signs that, for him, belong to the realm of painting. Early in his practice, he would then stretch the canvases onto frames. Gradually, the canvas freed itself from these tensions, being folded, unfolded, and refolded into various configurations, as well as being placed on the floor, hung from the ceiling, or suspended freely on a wall. Anthony Plasse’s artistic journey began at the École des Beaux-Arts in ClermontFerrand and continued at the Beaux-Arts in Lyon, followed by a residency in Reykjavik, Iceland, before settling in Paris. Recently, he was in residence in Kyoto, Japan, before returning to Paris for an exhibition at the Zlotowski Gallery until June 2025, followed by another at the Frac Auvergne from April to August. After that, he will return to Kyoto this winter for a group exhibition where he will be the only non-Japanese artist.This marks an intense encounter with a culture he honoured with a unique masterwork, suspended from the ceiling of the Kyoto gallery Misaki.The fluid wall, composed of canvases glued with washi paper, divided the gallery into two spaces easily crossed by a simple De gauche à droite from left: Sans-titre 22 - pliage 1. 2023. Gélatine argentique sur toile, liant acrylique. 73 x 273 cm (pliée), 185 x 273 cm (dépliée). Le Pli. Exposition, centre d’art contemporain la Chapelle Jeanne d’Arc,Thouars, 2024 artpress 533 11 intervielllw COLUMN PHOTOGRAPHIE étienne hatt CATALOGUE colin lemoine DAVID HOCKNEY UN PAYSAGE A LANDSCAPE David Hockney Sous la direction de Norman Rosenthal Thames & Hudson/Fondation Louis Vuitton, 328 p., 49,90 euros ■ Profusion et amplitude. La fondation Louis Vuitton, on le sait, on l’a écrit, œuvre dans le superlatif. C’est sa puissance. Mieux, son pouvoir. Cette ambition est dangereuse : elle implique de l’exigence, interdit la négligence, suscite de l’espoir dont on sait qu’il est vite déçu. Ce n’est jamais simple d’être à la hauteur de son objet, que l’on soit fort ou faible, qu’il soit grand ou petit. Consacrée à David Hockney, l’un des plus grands artistes vivants, l’exposition de la fondation parisienne (1) est ambitieuse et, assurément, superlative – quelque 400 œuvres sont présentées dans un parcours étourdissant. Partant, que disent les pages loin des cimaises, les mots loin des peintures? TECHNOLOGIE L ’objet, d’abord. Relié, cet ouvrage intimidant se distingue par son format à l’italienne, plus large que haut (26,5 x 31 cm) et son épaisseur séSous la direction de Norman Rosenthal, fin connaisseur de l’artiste, auquel il a consacré plusieurs expositions à la Royal Academy, la publication étudie sérieusement une œuvre dont la popularité et la joyeuseté revendiquées encourent toujours le risque de la frivolité, voire de l’indolence. Rien de tout cela ici. Succédant à un petit verbatim de David Hockney, que l’on retiendra pour sa seule épigraphe programmatique («C’est le maintenant qui est éternel»), à une note d’intention de Bernard Arnault et à une préface sensible de Suzanne Pagé, les dix contributions, parfois trop brèves, examinent la subtilité d’un artiste qui, de Bradford aux collines de Hollywood, du nouveau à l’ancien monde, aura été gouverné par « une préoccupation fondamentale pour le “réel” et une théâtralité omniprésente et changeante », tel que le signale James Cahill. Limpide, l’essai de François Michaud explore le tropisme français chez Hockney, qui goûta les œuvres de Poussin, Watteau et Matisse, fréquenta les «nouveaux réalistes» et les musées, développa une pulsion scopique qui l’érige en scrutateur infini, et obsédé. D’un Michaud l’autre, le texte de Philippe-Alain est, à cet égard, tout aussi remarquable: auscultant son usage du fax ou de l’iPhone, l’auteur démontre combien l’artiste s’inscrit dans une histoire phénoménologique de la ressemblance, mais d’une ressemblance «intransitive» portant sur le «comment» et non sur le «quoi». Par-delà le sujet, l’œuvre d’Hockney, si elle est assurément une «revendication du plaisir», pour paraphraser le titre de l’essai de Simon Schama, travaille incessamment la question de la représentation, laquelle consiste à présenter à nouveau ce que le visible imprime sur la rétine ainsi que dans le cœur. Par conséquent, le catalogue fouille parfaitement une expérience du regard, qui relève de la sensibilité – affective – et de la sensibilisation – photographique. ÉDUCATION Si Hockney fut (surtout ?) un remarquable portraitiste – le texte de Donatien Grau dévoile ainsi le modus operandi des séances, tout comme le fit James Lord devant Alberto Giacometti –, il est avant tout un grand rieuse (3 cm), à la mesure des 328 pages soyeuses, imprimées en Italie. Ce pavé de 2,4 kilogrammes, édité parThames & Hudson, affiche d’emblée la couleur: la première de couverture accueille une reproduction ensoleillée d’AppleTree (2019), frappée du nom de l’artiste en lettres lustrées, tandis que la quatrième abrite une œuvre récente (Play within a Play within a Play with a Cigarette, 2024-25), délicate mise en abîme exprimant la passion d’Hockney pour la peinture et, car ce n’est pas la même chose, l’image. Le dos vert fluorescent, repris sur les pages de garde, rend justice à la ferveur chromatique d’un artiste qui aura exploré, et explore encore, de nombreuses ressources techniques et technologiques, répertoriées en fin d’ouvrage dans un glossaire rigoureux – polaroïds composites, peintures à l’iPad, dessins à l’ordinateur et installations immersives. Du reste, sur un joli papier blond, les annexes sont toutes remarquables, qu’il s’agisse de la chronologie roborative, de la bibliographie sélective, de la liste des prêteurs, de la biographie des contributeurs ou de l’index final. artpress 533 CHRONIQUE 12 peintre de paysages, ce qu’établissent sans faille les essais d’Anne Lyles et Éric Darragon, consacrés aux tropismes respectivement anglais et normand. Paysage, tel est le mot. En soignant les nuances, en reproduisant impeccablement les œuvres, en évitant les facilités et les truismes, en interrogeant l’éducation d’un œil si vif, ce catalogue donne à voir l’étendue d’un paysage psychique. En feuilleter les pages permet de déplier un regard et de déployer un geste, d’approcher le mouvement mélodique d’une œuvre faite de leitmotivs et de variations, de dissonances volontaires. C’est peu dire donc, que ce format à l’italienne, dit aussi format paysage, achève de rendre cet ouvrage respectueux de son sujet, et à la hauteur de son objet. Les choses passent, le livre reste. David Hockney l’exprima à sa manière: «Do remember they can’t cancel the spring.» n 1 David Hockney 25, 9 avril-31 août 2025, commissariat Norman Rosenthal et François Michaud. ——— Profusion and amplitude.The Louis Vuitton Foundation, as we know and have written, works in the superlative. That’s its ability. Better still, its power. This ambition is dangerous: it implies requirement, prohibits negligence, and raises hopes that are quickly dashed. It’s never easy to live up to your object, whether you’re strong or weak, big or small. Dedicated to David Hockney, one of the greatest living artists, the exhibition at the parisian fondation (1) is ambitious and certainly superlative—some 400 works are presented in a dizzying display. So what do the pages say away from of the book in a rigorous glossary—composite Polaroids, iPad paintings, computer drawings and immersive installations. All the appendices, on pretty blond paper, are remarkable, whether you’re looking for an invigorating chronology, a selective bibliography, a list of lenders, biographies of contributors or a final index. RAISING AWARENESS Edited by Norman Rosenthal, a fine connoisseur of the artist, to whom he has devoted several exhibitions at the Royal Academy, this publication takes a serious look at a body of work whose claimed popularity and joyfulness always run the risk of being frivolous or even indolent. Nothing of the sort here. Following a short verbatim by David Hockney, which will be remembered only for its programmatic epigraph (“It is the now that is eternal”), a note of intent by Bernard Arnault and a sensitive preface by Suzanne Pagé, the ten contributions—some of them too brief—examine the subtlety of an artist who, from Bradford to the hills of Hollywood, from the new world to the old, was governed by “a fundamental preoccupation with the ‘real’ and an omnipresent and changing theatricality, ” as James Cahill points out. François Michaud’s crystal-clear essay explores Hockney’s French tropism: he savoured the works of Poussin, Watteau and Matisse, frequented the “New Realists” and museums, and developed a scopic impulse that made him an infinite and obsessive scrutiniser. From a Michaud to another, PhilippeAlain’s text is just as remarkable in this respect: examining the artist’s use of fax machines and iPhones, the author demonstrating the extent to which he is part of a phenomenological history of resemblance, but an “intransitive” resemblance concerned with the “how” and not the “what. ” Beyond the subject, Hockney’s work, while certainly a “claim to pleasure, ” to paraphrase the title of Simon Schama’s essay, is constantly working on the question of representation, which consists in re-presenting what the visible imprints on the retina and in the heart. As a result, the catalogue delves perfectly into the experience of looking, which is a matter of sensitivity—emotional—and awareness—photographic. EDUCATION If Hockney was (above all?) a remarkable portraitist—Donatien Grau’s text reveals the modus operandi of the sessions, as James Lord did with Alberto Giacometti—he was above all a great painter of landscapes, as the essays by Anne Lyles and Éric Darragon, devoted to the English and Norman tropisms respectively, make clear. Landscape is the word. With its attention to nuance, its impeccable reproduction of the works, its avoidance of facile truisms and its keen eye for education, this catalogue reveals the breadth of a psychic landscape. Flipping through the pages allows us to unfold our gaze and gesture, to approach the melodic movement of a work made up of leitmotifs and variations, of deliberate dissonances. It is therefore an understatement to say that this Italian format, also known as landscape format, perfectly completes the work, making it both respectful of its subject and worthy of its purpose.Things pass, the book remains. David Hockney expressed it in his own way: “Do remember they can’t cancel the spring. ”n 1 David Hockney 25, April 9th—August 31st, 2025, curated by Norman Rosenthal and François Michaud. the picture rails, the words away from the paintings? The object, first of all. Bound, this intimidating book stands out for its Italian-style format, wider than it is tall (26.5 x 31 cm) and its serious thickness (3 cm), commensurate with the 328 silky pages printed in Italy. Published byThames & Hudson, this 2.4-kilogram book sets the tone from the outset: the front cover features a sunny reproduction of AppleTree (2019), stamped with the artist’s name in glossy lettering, while the fourth cover houses a recent work (Play within a Play within a Play with a Cigarette, 2024-25), a delicate mise en abyme expressing Hockney’s passion for painting and, because it’s not the same thing, images. The fluorescent green spine, repeated on the endpapers, does justice to the chromatic fervour of an artist who has explored, and continues to explore, numerous technical and technological resources, listed at the end 15 intervielllw COLUMN artpress 533 n «C’était une véritable histoire de détective autour d’un cylindre sonore brisé et perdu qu’on a finalement retrouvé dans le laboratoire de [Thomas] Edison à Menlo Park. Tout a commencé lorsque Patrick Loughney, responsable du département Film et Télévision à la Library of Congress, a eu l’intuition que ce cylindre repéré pour la première fois sous une référence erronée dans un inventaire des années 1960 pouvait être la bande-son d’un kinétoscope de 17 secondes réalisé par Edison en 1894. Ce film montre [William Kennedy Laurie] Dickson jouant du violon devant un gigantesque pavillon d’enregistrement et l’image montre nettement qu’ils étaient en train d’enregistrer le son tout en filmant la scène (1).» Cette anecdote, contée par le célèbre monteur Walter Murch (qui synchronisera, 106 ans après leur enregistrement, la bande-son du cylindre de cire avec les 17 secondes du film), atteste que l’histoire des images en mouvement, dès son commencement, fut espérée sonore. Pour des raisons avant tout techniques, il faudra attendre trois décennies pour que l’union ait lieu et que le cinéma devienne officiellement «parlant». Il est à noter que ce ne furent pas des paroles, mais une musique («L ’air du mousse» dans l’opéra léger les Cloches de Corneville de Robert Planquette écrit en 1877) exécutée concomitamment à la prise de vue que le binôme d’inventeurs qu’étaient Edison et Dickson prit soin de fixer à destination de leur kinétophone, ce qui fit dire à Walter Murch, non sans malice, que «le cinéma a commencé sous la forme de vidéo clip!» Dans les faits, la musique au cinéma aura d’abord été d’accompagnement, jouée par un ou plusieurs musiciens dans la salle pendant la projection des films. Aussi pourrait-on dire qu’il s’agissait, déjà, de ciné-concerts. FILMS DE CONCERT Mais qu’en est-il lorsque les musiciens se retrouvent, non pas à côté, mais à l’écran ? Puisque l’actualité cinématographique de cette année 2025 y invite, ce sera vers le rock’n’roll et, par extension, la pop music, qu’écoute et regard seront, cette fois-ci du moins, dirigés. Et plus précisément, vers ce moment clef, musical et cinématographique, révélateur d’espoirs et de désenchantement – qui parfois semble nous tendre un miroir –, qu’ont été la fin des années 1960 et le début des années 1970, quand apparaissent des films venant documenter une révolution culturelle portée par une jeunesse dont les excentricités, quoique n’ayant pas été du goût de tous, ont immédiatement démontré un fort potentiel cinégénique. Les documentaires réalisés par Donn Alan Pennebaker Don’t Look Back (1967), accompagnant Bob Dylan en tournée, et Monterey Pop (1968), sur ce festival californien rendu célèbre par la performance torride de Jimi Hendrix, ainsi que ceux de Peter Whitehead, qui filma les jubilatoires délires psychédéliques et revendications politiques du Swinging London dans Tonite Let’s All Make Love in London (1967), témoignent d’une société en pleine mutation – émancipatrice, effervescente et créatrice – dont la musique s’est faite écho des grandeurs et décadences. Ainsi, quand Michael Wadleigh immortalisait le concert de Woodstock, en 1969 (le film sort l’année suivante), il glorifiait une décennie musicale et quelques-uns des derniers soubresauts du mouvement hippie. Quatre mois plus tard, le 6 décembre, cette joyeuse parenthèse semblait se refermer et l’insouciance se fracasser sur le festival d’Altamont lors d’un concert gratuit organisé par les Rolling Stones dont le bilan fut catastrophique: d’innombrables bagarres et quatre morts, dont Meredith Hunter qui, après avoir brandi une arme à feu, fut poignardé par un des Hell’s Angels chargés de la sécurité. De cette tragédie, le magnifique Gimme Shelter (1970) d’Albert et David Maysles et Charlotte Zwerin fait le récit, enchâssant extraits de la tournée américaine des Stones, préparatif du concert d’Altamont (sans en omettre l’opportunisme publicitaire) et visionnage des rushes du film par les membres du groupe, pour aboutir, dans un final paroxystique, au concert lui-même et son désastre. 1969 est aussi l’année où les Beatles se séparent. Les 60 heures de rushes tournés sous la direction de Michael Lindsay-Hogg (2) constituèrent le matériau duquel Peter Jackson su extraire les presque 8 heures de son The Beatles: Get Back (2021), sublime aperçu d’un patient processus créatif ayant abouti à l’album Let It Be (1970) et au surprenant ultime concert tenu le 30 janvier 1969, sur le toit du studio de Savile Row. CONCERTS EN SALLE Clap de fin d’une époque: place aux seventies. En 1973, D.A. Pennebaker, encore, filme l’adieu de David Bowie à son personnage Ziggy Stardust et à son groupe (Ziggy Stardust and the Spiders from Mars). Un an auparavant, Adrian Maben suivait les POP, ROCK ET AND CINÉMA CINÉMA fabrice lauterjung De haut en bas from top: Albert & David Maysles, Charlotte Zwerin. Gimme Shelter.1970. 91 min. Peter Jackson.The Beatles: Get Back. 2021. 7 h 47 min artpress 533 CHRONIQUE 16 Pink Floyd dans les ruines de Pompéi pour un concert sans public destiné aux seules caméras du réalisateur. Vestige et solitude comme mélancolique métaphore des défuntes années 1960? Ce Live at Pompeii (1972), ressuscité le 24 avril dernier en version restaurée (complétée de la parfaite panoplie qui réjouira les fans: DVD, Blu-ray, CD et double disque vinyle), paraît confirmer une tendance: celle de concerts filmés et projetés au cinéma (en Imax) tendant à générer un engouement commerciale comparable à celui permis par les performances live. En réalité, l’idée n’est pas neuve: Robert Stigwood, producteur des films d’opérarock Jesus Christ Superstar (Norman Jewison, 1973) et Tommy (Ken Russell, 1975), avait très tôt perçu que musique populaire et cinéma sont les deux principales machines à fabriquer des stars drainant un vaste public désireux de spectacles: «Pendant longtemps j’ai observé ces longues files d’attente aux portes des concerts de rock en me demandant pourquoi on ne pourrait pas attirer la même audience dans les salles de cinéma (3).» La dimension fétichiste et, désormais, nostalgique de l’entreprise apparaît évidente: en atteste le récent Becoming Led Zeppelin (2025) de Bernard MacMahon, film d’archives et d’entretiens retraçant les débuts et l’envol du groupe britannique, préquel aux mythiques concerts du Madison Square Garden de 1973, qui aboutirent au film The Song Remains the Same (Peter Clifton et Joe Massot, 1976). Puis, à l’approche des années 1980, alors que le Zeppelin perdait de l’altitude, vint le punk et celui qui aura le mieux su en garder l’éphémère passage: Lech Kowalski. À suivre…n 1 Michael Ondaatje, Conversations avec Walter Murch, Ramsay, 2009. 2 De ses rushes, Michael Lindsay-Hogg tira un film intitulé Let It Be (1969). 3 Cité par Michel Chion, la Musique au cinéma, Fayard, 2019. — — — “It was a real detective story revolving around a broken and lost sound cylinder that was eventually found in [Thomas] Edison’s laboratory in Menlo Park. It all began when Patrick Loughney, head of the Film andTelevision Department at the Library of Congress, had the intuition that this cylinder, first spotted under the wrong reference in a 1960s inventory, could be the soundtrack to a 17-second kinetoscope made by Edison in 1894.The film shows [William Kennedy Laurie] Dickson playing the violin in front of a gigantic recording pavilion, and the image clearly shows that they were recording the sound while filming the scene (1). ” This anecdote, recounted by the famous editor Walter Murch (who, 106 years after their recording, would synchronise the soundtrack of the wax cylinder with the 17 seconds of film), attests to the fact that the history of moving images, from the outset, was hoped to be a history of sound. For technical reasons above all, it would be three decades before the union took place and cinema officially became “talking. ” It should be noted that it was not words, but music (“L’air du Mousse” in the light opera The Bells of Corneville by Robert Planquette, written in 1877) performed at the same time as the shot that the two inventors, Edison and Dickson, took care to fix for their kinetophone, which ledWalter Murch to say, not without malice, that “cinema began in the form of video clips!” In reality, music in cinema was first and foremost an accompaniment, played by one or more musicians in the movie theater during film screenings. So it could be said that these were already film-concerts. CONCERT FILMS But what happens when the musicians are on the screen, not next to it? Since the cinematic news of 2025 invites it, this time, our eyes and ears will be turned towards rock’n’roll and, by extension, pop music. And more precisely, towards that key musical and cinematographic moment, revealing hopes and disenchantment—which sometimes seems to hold up a mirror to us—that was the late 1960s and early 1970s, when films appeared documenting a cultural revolution driven by a playfulness whose eccentricities, though not to everyone’s taste, immediately demonstrated strong cinematic potential. Donn Alan Pennebaker’s documentaries Don’t Look Back (1967), accompanying Bob Dylan on tour, and Monterey Pop (1968), about the Cornish festival made famous by Jimi Hendrix’s torrid performance, as well as those by Peter Whitehead, who filmed the jubilant psychedelic delirium and political demands of Swinging London in Tonite Let’s All Make Love in London (1967), bear witness to a society in the throes of change— emancipatory, effervescent and creative—whose music was an echo of its greatness and decadence. So when Michael Wadleigh immortalised the Woodstock concert in 1969 (the film was released the following year), he was glorifying a musical decade and some of the last stirrings of the hippy movement. Four months later, on December 6th, this joyous interlude seemed to be coming to an end and the carefree spirit was shattered at the Altamont festival during a free concert organised by the Rolling Stones, the outcome of which was catastrophic: countless brawls and four deaths, including Meredith Hunter who, after brandishing a firearm, was stabbed by one of the Hell’s Angels in charge of security. Albert and David Maysles and Charlotte Zwerin’s magnificent Gimme Shelter (1970) tells the story of this tragedy, interweaving extracts from the Stones’ American tour, preparations for the Altamont concert (not forgetting the advertising opportunism) and viewing of the film rushes by the band members, culminating, in a paroxysmal finale, in the concert itself and its disaster. 1969 was also the year the Beatles split up. The 60 hours of rushes shot under the direction of Michael Lindsay-Hogg (2) provided the material from which Peter Jackson was able to extract the almost 8 hours of his The Beatles: Get Back (2021), a sublime overview of a patient creative process leading up to the album Let It Be (1970) and the surprising final concert held on January 30th, 1969, on the roof of the Savile Row studio. INDOOR CONCERTS The end of an era: time for the seventies. In 1973, D.A. Pennebaker again filmed David Bowie’s farewell to his character Ziggy Stardust and his band (Ziggy Stardust and the Spiders from Mars). A year earlier, Adrian Maben had followed Pink Floyd to the ruins of Pompeii for a concert with no audience, just the director’s cameras. Vestige and solitude as a melancholy metaphor for the defunct 1960s?This Live at Pompeii (1972), resurrected on April 24th in a restored version (complete with the perfect panoply to delight fans: DVD, Blu-ray, CD and double vinyl disc), seems to confirm a trend: that of concerts filmed and projected at the cinema (in Imax) tending to generate a commercial craze comparable to that generated by live performances. In fact, the idea is not new: Robert Stigwood, producer of the rock opera films Jesus Christ Superstar (Norman Jewison, 1973) and Tommy (Ken Russell, 1975), recognised early on that popular music and cinema are the two main machines for producing stars who attract vast audiences eager to see shows: “For a long time I watched those long queues at the doors of rock concerts and wondered why we couldn’t attract the same audience in cinemas (3). ”The fetishistic, and now nostalgic, dimension of the enterprise is obvious: witness Bernard MacMahon’s re-centred Becoming Led Zeppelin (2025), a film of archives and interviews tracing the beginnings and rise of the British band, a prequel to the legendary Madison Square Garden concerts of 1973, which led to the film The Song Remains the Same (Peter Clifton and Joe Massot, 1976). Then, as the 1980s approached and Zeppelin lost altitude, came punk and the man who best preserved its fleeting passage: Lech Kowalski.To be continued....n 1 Michael Ondaatje, Conversations with Walter Murch, Ramsay, 2009. 2 From his rushes, Michael Lindsay-Hogg made a film entitled Let It Be (1969). 3 Quoted by Michel Chion, La Musique au cinéma, Fayard, 2019. Thomas Edison. The Dickson Experimental Sound Film.1894.17 sec artpress 533 19 intervielllw COLUMN ŒUVRE-CLÉ anne bertrand THIERRY DE CORDIER OU RIEN OR NOTHING ■ Un matin, faisant ma tournée d’inspection des salles du musée, j’ai vu soudain un corps à terre. Il n’y avait rien, dans l’espace réduit, blanc, que lui et moi. J’ai appelé à l’aide, nous l’avons pris dans nos bras et, précautionneusement, remis sur pied. … d’un misanthrope (1988-1991) de Thierry De Cordier n’a pas vraiment d’équivalent. L ’artiste (né en 1954 à Ronse en Belgique, il vit et travaille à Ostende) a créé quelques figures à taille humaine, parmi bien d’autres œuvres, depuis le milieu des années 1980 – peintures, dessins, sculptures, performances, installations, espaces ou architectures (et textes) –, toutes ayant leur part d’obscurité. Du 3 avril au 29 septembre 2025, la fondation Prada de Milan montre, comme une apothéose, Nada, dix très grands formats noirs réalisés de 1999 à 2005, auxquels s’ajoute, plus imposant encore, le Gran Nada (20072012), à contempler depuis un banc. À l’origine, l’intention de Thierry De Cordier était «d’effacer l’image du Christ sur la croix». Mais un jour il lit, dans la biographie de saint Jean de la Croix : «Aucune emphase, rien qu’une rigueur absolue. L ’annihilation de soi pour connaître la seule réalité vraie.» Et comprend alors que ses toiles peuvent «[commencer] d’évoluer vers la plus haute expression de la peinture: le sublime». PAYSAGE, MAISON En 2002, l’excellente monographie Fugues (1982-2002) des éditions Ludion, combinant entretiens menés par XavierTricot, analyses de Bernard Dewulf et textes de l’artiste, retraçait son parcours. De 1982 à 1986, Thierry De Cordier vit à Ostende, où il regarde la mer depuis une fenêtre avant de pouvoir Thierry De Cordier. … d’un misanthrope. 1988-1991. Bure noire, caoutchouc, fer, astrakan, métal, plâtre, suie, bois, urine, bile black dross, rubber, iron, plaster, metal, astrakhan, soot, wood, urine, bile. Haut. 200 cm, diam. 83 cm. (Carré d’Art-Musée d’art contemporain de Nîmes; Ph. David Huguenin/Carré d’Art-Musée d’ Art contemporain de Nîmes; ©Thierry De Cordier) artpress 533 CHRONIQUE 20 peindre des monochromes presque blancs, qu’il détruit avant son départ. Il est déjà cet insociable pétri de doutes, philosophe bientôt poète, d’un pessimisme définitif, au-delà de ses contradictions – il se révèlera férocement drôle. « […] pour moi : “L ’homme est nécessairement un manque. ” Quelque chose lui fait défaut. […] Dans ce sens, je vois la religion comme un remplissage. Une farce… comme la farce de la dinde.» En avril 1983, il fugue, loin de ses femme et enfants. «J’ai mal à la tête. Je veux m’en aller, loin des hommes. Loin d’ici. Vivre dans les montagnes. En haut des montagnes, au bord d’une mer calme. […] Je veux être un oiseau.» Revenu après quelques jours, il entreprend Passe-montagne (1983-85), grand capuchon où se cacher. Invité, en 1988, à participer à une exposition collective en plusieurs lieux, il choisit le village médiéval de Puycelsi et propose de « fabriquer un corps à l’aspect humain, qui aurait la faculté virtuelle d’attraper la souffrance ambiante (tel un aspirateur), de la faire disparaître, pour n’en conserver – en somme – que l’image même ». Il installe l’Attrape-souffrances, la veille du vernissage, sur la place de l’église, mais pendant la nuit l’œuvre est arrachée et jetée pardessus les remparts. N’en reste, à part le traumatisme, qu’une partie du dos, d’où la série des Dos noirs. Cette année-là,Thierry De Cordier se retire avec les siens à Schorisse, dans la campagne flamande. Sa maison à la façade aveugle ne ressemble «à rien d’autre qu’une vieille cuisine humide». Il y travaille chaque jour, concrètement et conceptuellement, dans le but de parvenir à un grand œuvre. Ses paysages «dérivent tous d’un seul et même paysage réel». Dans les terres comme au bord de la mer, il tend vers l’abstraction, blanche, noire, grise, augmentée parfois d’écriture manuscrite sur les bords. Ce pourrait être pauvre, c’est somptueux – affaire de perception ou, dit Dewulf, de «sensualité». ÉCRITURE L’artiste entend « aménager [son] jardin de telle sorte [qu’il] n’éprouve plus le besoin de le quitter». Du jardin naît la Jardinière (1989), «meuble à penser, petite pièce d’écrivain ou tout simplement refuge de jardinier», aujourd’hui au Musée national d’art moderne à Paris; puis l’Après-paysage, qui deviendra Pneumatique (1992-97). Il y installe encore une inénarrable écritoire, trop instable pour y écrire; ses Écrits de cuisine paraîtront en 1995. En 1997, année où il représente la Belgique à la biennale de Venise, il part pour la France, et s’installe en Auvergne. Plus tard, il revient à Ostende. Deux fois par ans, il séjourne dans la Sierra Nevada: «Pour le dire simplement, à la mer je peins la mer, à la montagne la montagne. Cependant, il arrive qu’à la mer je peigne la montagne et qu’à la montagne je peigne la mer.» Ses vagues sont des sommets mouvants. Dans une auto-interview (1), il dit peindre des paysages, «parce que le paysage continue de me sembler offrir des possibilités inexplorées pour un peintre». Ses textes font partie de son œuvre plastique, sous forme de tableaux écrits à la graphie ronde, de pages, de livres. Ce qui lui importe le plus? «Le détachement. Ne dépendre de rien ni de personne.» Il a des fulgurances. «Qu’est-ce d’autre qu’écrire, si ce n’est embellir ce qui fait mal en nous?» En 2007 , est inaugurée la Chapelle du Rien, conçue pour le centre psychiatrique Saint-Norbert de Duffel, en Belgique. Soit un parallélépipède noir à l’intérieur blanc, une ouverture latérale invitant à entrer, le toit s’arrêtant pour que pénètrent les éléments. «Je voulais construire une chapelle vide. […] Je n’avais pas la moindre idée de la façon dont les gens [y réagiraient], mais je suspectais vaguement qu’ils y verraient davantage que ce vide. Malgré son absence de contenu et de signification, cette non-chapelle tolère le contenu et la signification qu’on choisit de lui attribuer.» Ascète et bon vivant, admirateur des peintres de paysage chinois, des présocratiques et deThomas Bernhard, Thierry De Cordier aspire au silence. Il est tel qu’en son œuvre. n 1 Thierry De Cordier, I Am Hardly Useful, Xavier Hufkens, 2025, 44 p. La galerie publie également ce printemps NADA, Painter’s Notes, 100 p. ——— One morning, as I was doing my rounds of the museum halls, I suddenly saw a body on the floor.There was nothing in the small, white space but him and me. I called for help, we picked him up and carefully put him back on his feet. Thierry De Cordier’s ... d’un misanthrope (1988-1991) has no real equivalent. The artist (born in 1954 in Ronse, Belgium, lives and works in Ostend) has created a number of human-sized figures, among many other works, since the mid-1980s— paintings, drawings, sculptures, performances, installations, spaces or architecture (and texts)—all with their share of darkness. From April 3rd to September 29th, 2025, the Prada Foundation in Milan will be showing Nada, ten very large-scale black works produced between 1999 and 2005, plus the even more imposing Gran Nada (2007-2012), which can be viewed from a bench.Thierry De Cordier’s original intention was “to erase the image of Christ on the cross. ” But one day he read, in the biography of Saint John of the Cross: “No emphasis, only absolute rigor.The annihilation of oneself to know the only true reality. ”And so he realised that his canvases could “[begin] to evolve towards the highest expression of painting: the sublime. ” LANDSCAPE, HOUSE In 2002, the excellent monograph Fugues (1982-2002) published by Ludion, combining interviews by XavierTricot, analyses by Bernard Dewulf and texts by the artist, retraced his career. From 1982 to 1986,Thierry De Cordier lived in Ostend, where he watched the sea from a window before being able to paint almost white monochromes, which he destroyed before leaving. He was already an unsociable man, full of doubts, a philosopher soon to be a poet, with a definitive pessimism that went beyond his contradictions—he would turn out to be ferociously funny. “[...] For me, ‘Man is necessarily lacking. He lacks something. [...] In this sense, I see religion as a filler. A farce... like the stuffing of a turkey. ” In April 1983, he ran away from his wife and children. “I have a headache. I want to get away, away from men. Away from here. Live in the mountains. High up in the mountains, by a calm sea. [...] I want to be a bird. ” Returning after a few days, he began Passe-montagne (1983-85), a large bonnet in which to hide. Invited in 1988 to take part in a group exhibition in several locations, he chose the medieval village of Puycelsi and proposed to “make a body with a human appearance, which would have the virtual ability to catch the suffering around it (like a hoover), to make it disappear, to preserve—in short—only the very image of it. ”The day before the opening, he installed L’Attrape-souffrances in the church square, but during the night the work was torn down and thrown over the ramparts. All that remained, apart from the trauma, was part of the back, hence the Dos noirs series. That year,Thierry De Cordier retired with his family to Schorisse, in the Flemish countryside. His house, with its blind façade, looked like “nothing more than a damp old kitchen. ” He works there every day, concretely and conceptually, with the aim of achieving a great work. His landscapes“all derive from one and the same real landscape. ” Inland and by the sea, he tends towards abstraction, in white, black and grey, sometimes with handwriting around the edges. It could be poor, but it’s sumptuous—a matter of perception or, as Dewulf puts it, “sensuality. ” The artist intends to “arrange [his] garden in such a way that [he] no longer feels the need to leave it. ” The garden gave rise to Jardinière (1989), “a piece of furniture for thinking, a writer’s little room or simply a gardener’s refuge, ” now in the Musée national d’art moderne in Paris; then L’Après-paysage, which became Pneumatique (1992-97). He also installed a hilarious writing table, too unstable to write on; his Écrits de cuisine was published in 1995. WRITING In 1997, the year he represented Belgium at theVenice Biennale, he left for France and settled in Auvergne. He later returned to Ostend.Twice a year, he spends time in the Sierra Nevada: “Simply put, by the sea I paint the sea, and in the mountains, I paint mountains. However, it happens that by the sea I paint mountains and that in the mountains I paint the sea. ” His waves are moving summits. In a self-interview (1), he says he paints landscapes “because landscapes still seemed to offer unexplored possibilities for a painter. ” His texts are part of his plastic work, in the form of paintings written in round script, pages and books.What is most important to him? “Detachment. Not depending on anything or anyone. ” He has flashes of inspiration. “What else is there to write, if not to embellish what ails us?” In 2007, the Chapelle du Rien was inaugurated, designed for the Saint-Norbert psychiatric centre in Duffel, Belgium. It’s a black parallelepiped with a white interior, a side opening inviting you in, the roof stopping to let the elements in. “I wanted to build an empty chapel. […] I had no idea how people would react to [it], but I vaguely suspected they would see more in it than just emptiness. Despite the absence of content and meaning, this non-chapel tolerates whatever content and meaning one chooses to give it. ” An ascetic and bon vivant, an admirer of Chinese landscape painters, the pre-Socratics and Thomas Bernhard, Thierry De Cordier aspires to silence. He is as he is in his work.n 1 Thierry De Cordier, I Am Hardly Useful, Xavier Hufkens, 2025, 44 p.This spring the gallery is also publishing NADA, Painter’s Notes, 100 p.
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