GUERRES ET HISTOIRE n°85 - Page 1 - 85 CLÔTURE DES CANDIDATURES LE 30 JUIN Pour participer, envoyez à la rédaction un article original, jamais publié, traitant de l’actualité scientifique, de 7000 signes. Le travail présenté doit se référer au minimum à une étude scientifique tous domaines confondus (de la paléoanthropologie à la physique des particules) et publiée l’année en cours (voir modalités précises dans notre règlement). • Par mail à prix.journaliste.SV@reworldmedia.com • Par courrier à Science&Vie - Prix du jeune journaliste scientifique, 40 avenue Aristide Briand, CS 10024, 92227 Bagneux Cedex Règlement ici PARTICIPEZ DÈS À PRÉSENT À NOTRE CONCOURS Le Prix du jeune journaliste scientifique Science&Vie est ouvert à tout candidat suivant actuellement une formation scientifique et/ou en communication/ médiation/journalismescientifique,oubienjustifiantd’uneactivitéprofessionnelle de journaliste scientifique de moins d’un an. À GAGNER Un prix de 1000 € L’accompagnement du lauréat par la rédaction pendant une année La publication de votre article dans notre magazine La participation au comité scientifique Science&Vie & Guerres&Histoire No 85 • 3 ACTUALITÉS 4 Entretien Zeller, Challe, Jouhaud et Salan avant le quarteron 6 Actualités de l’histoire militaire 10 La vigie Le Renard du désert et le Chien sanglant dans les Alpes 12 Résonances Nations soi-disant moyennes, tout n’est pas perdu! LES HOMMES 34 Le soldat oublié Oskar Niedermayer, le«Lawrence»allemand 38 Le témoin Un Français en Corée: «Notre guerre, c’était les tranchées, comme en 14-18» 46 Les combattants Les pontonniers de Napoléon effacent les fleuves PORTFOLIO 52 Flameng: comment peindre une guerre industrielle OPÉRATIONS 62 Guerres et campagnes Charles VIII à Naples: les ambitions éphémères qui ouvrent les guerres d’Italie 70 Rapport de bataille Mont Graupius: Rome écrase les Calédoniens sans les soumettre BOULONS ET BOUTONS 76 Duel d’armes Kirishimacontre Washington:duelde générationsàGuadalcanal 82 Artefact SiègedeParis(1870-1871): souvenirdesouffrance CE QU’ON EN PENSE 84 Vos questions, nos réponses 88 Livres 93 Quiz 94 BD 96 Musées et expos 98 Wargames SOMMAIRE G&H NO 85 46 70 82 DOSSIER LÉGION/MARINES: DEUX LÉGENDES FACE À FACE 16 Un récit canonique édifiant 22 Deux siècles de fresque héroïque 28 Des légendes construites en toute conscience 32 «La Légion est la patrie du légionnaire, tandis que la patrie du Marine reste les USA» 82 Recevez Guerres&Histoire chez vous: le bulletin d’abonnement se trouve p. 61. Abonnement par téléphone au 0146484788ou par Internet sur www.kiosquemag.com. Cenumérocomportesurtoutoupartiedesadiffusion:EncartREDERSLIRIADEDEGAULLEposésurla4e decouverture.Tout-en-unmulti-titresmulti-éditeursADDposéenC4. Crédits couverture: GETTY IMAGES (X2) – ECPAD – AKG – BRIDGEMAN IMAGES Crédits sommaire: BRIDGEMAN IMAGES (X2) – GETTY IMAGES – AKG/SEAN O’BROGAIN – RMN 4 • Guerres&Histoire No 85 G&H: Les origines sociales, les expériences et les carrières des quatre officiers sont très différentes. Il me semble qu’ils ont pourtant en commun une même compréhension des événements entre 1940 et 1942. BernardZeller:Ilsjugenttouslesquatre que l’armistice du 22 juin 1940 était inévitableetnerejoignentpasdeGaulle, qui leur est inconnu. Ils n’entendent pas les appels de Londres parce qu’ils se battent: Jouhaud commande un groupe aérien d’observation, Zeller retraite avec la 7e armée, Salan avec les débris de son bataillon de Sénégalais, Challe organise la défense d’Agen. Les quatre ne reprennent la lutte active contre l’Allemagne (Zeller et Salan) ou n’entrent en résistance (Challe et Jouhaud) qu’après le débarquement en Afrique du Nord et l’invasion de la zone libre. Ce sont quatre militaires très classiques, qui suivent leurs chefs, mais ont toujours aspiré à reprendre le combat contre l’occupant. Ce sont des hommes de droite? Le seul qui, sociologiquement, appartient à la droite catholique est André Zeller.JouhaudetChallesontpeut-être àrattacheraucentregauche.Salan,fils d’un militant syndicaliste et frère d’un communiste déporté, passe longtemps – on l’a oublié – pour un homme de gauche!En1946,lorsdesnégociations avec Hô Chi Minh, il est sur la ligne de Sainteny et non sur celle de Thierry d’Argenlieu. Ce qui lui fait une réputation de libéral qui plaît à la gauche. D’ailleurs,s’illuiavaitdéplu,iln’aurait obtenulecommandementenchefnien Indochine ni en Algérie. Lafindel’Indochinefrançaiselesa-telle marqués de la même manière? Tous sont catastrophés par la chute de Diên Biên Phu, bien sûr. La perte de l’Indochine touche personnellement Salan, qui y a passé 30 ans et y a commandé en chef, et Jouhaud qui y commande l’aviation vers la fin et organise l’évacuation des catholiques vietnamiens du Tonkin. Cela n’est pas sans conséquences sur leur attitude vis-àvis de l’Algérie. Zeller, par exemple, dit publiquement que l’on n’y revivra pas un scénario indochinois, d’autant plus qu’avec la découverte du pétrole, la France et peut-être l’Europe occidentale y trouveront les moyens de leur indépendance énergétique. Pour Jouhaud, pied-noir d’Oranie, la question ne se pose même pas. Salan, qui découvre ce pays, s’y attache dès son arrivée,ennovembre1956.Challe,qui alatêteplusstratégique,plaidepourun repli des moyens français sur l’Algérie et le Sahara, indispensables selon lui à la lutte contre le bloc soviétique. Quelles sont leurs positions sur le retour du général de Gaulle? D’abord,rappelonsl’actiondécisivede Salan, commandant en chef qui, après le soulèvement algérois du 13 mai 1958, appelle au retour du général de Gaulle pour résoudre la crise de la IVe République, faute d’autre solution disponible. Jouhaud et Challe sont d’accord avec lui. Zeller, en revanche, qui estleseulànepasêtreimpliquédansle 13 mai (il est alors placé en deuxième section), est très réticent: il n’a pas apprécié la façon dont de Gaulle a tout plaqué en 1946. Quand intervient la rupture avec lui? Dès les mois qui suivent le retour de de Gaulle en juin 1958, les rapports s’aigrissent entre Salan et lui, leurs lettres en témoignent. Zeller, alors revenu au service actif comme chef d’état-major de l’armée de Terre, voit ses doutes se confirmerquanddeGaulleluijetteque l’armée n’est rien d’autre qu’un instrument aux ordres du pouvoir politique. En revanche, Challe, chargé de gagner surleterrain, restepluslongtempspersuadéquedeGaulleestfavorableàune Algérie plus ou moins française, d’autant plus qu’il reçoit tous les moyens demandés. S’il est ébranlé par le discoursannonçantleréférendumd’autodétermination, le 16 septembre 1959, il est rassuré par Michel Debré, Premier ministre, qui lui garantit qu’on se bat toujours pour l’Algérie française. Il n’est d’ailleurs pas hostile à l’autodétermination si elle a lieu à échéance de cinq ou dix ans. Mais pour Zeller, Jouhaud et Salan, il est clair que de Gaulle a mis avec ce discours l’Algérie sur les rails de l’indépendance. Lequel des quatre est à l’initiative du complot? Zeller est le plus déterminé, mais, pour tous, c’est avec la semaine des Barricades que s’opère un grand virage. Salan et Jouhaud quittent l’armée, Challe s’oppose pour la première fois à de Gaulle sur l’emploi de la force pour réduire l’émeute. Le chef de l’État ne lui pardonne pas: Challe est remercié le 13 avril 1960 et nommé dans les instances de l’OTAN. Zeller cherche, le premier, à catalyser le rapprochement d’opposants à la politique algérienne du Général. Sans grands résultats, à vrai dire. Après le discours du 4 novembre qui évoque une « République algérienne », les rumeurs de complots se multiplient, qu’ils viennent des civils (Bidault, Soustelle) ou des colonels (Argoud, Broizat, etc.). Salan, interdit de séjour en Algérie, passe en Espagne. En décembre 1960, les émeutes pro-FLN dans les villes algériennes achèvent de convaincre Salan, Zeller et Jouhaud qu’il faut passer à l’action illégale pour empêcher le pire: la remise des clés de l’Algérie au FLN. Jouhaud se met à recenser les chefs d’unités stationnées en Algérie susceptibles de participer à Pourquoi quatre officiers français, qui exerçaient quelques mois auparavant les plus hautes responsabilités, ont-ils basculé dans la révolte, provoquant un événement hors norme dans l’histoire de la France républicaine? Pour le comprendre, Bernard Zeller les a suivis à la trace durant toute leur carrière. INTERVIEW RÉALISÉE PAR JEAN LOPEZ ZELLER, CHALLE, JOUHAUD ET SALAN AVANT LE QUARTERON Fin 1960, les émeutes pro-FLN achèvent de convaincre Salan, Zeller et Jouhaud qu’il faut passer à l’action illégale pour empêcher le pire. ACTUALITÉS ENTRETIEN Né en 1946, polytechnicien, BERNARD ZELLER a fait carrière dans les industries de la défense et de l’espace. Il est l’auteur ou le co-auteur de plusieurs ouvrages historiques, notamment d’un «Qui suis-je?» consacré à Salan (avec Jean-Paul Angelelli, 2016). SIPA Guerres&Histoire No 85 • 5 Le général André Zeller semble avoir acquiescé assez tôt à la solution proposéeparBastien-Thiry. Il a rencontré plusieurs fois l’ingénieur del’AirJeanBastien-Thiryqui,dès1960, ne voit qu’une solution pour détourner lecoursdesévénementsenAlgérie:l’élimination physique du chef de l’État. Il estvraisemblablementd’accordaveclui. Salan et Challe, en revanche, excluront ce type d’actions. Quelquesjoursavantlesévénements, Challe aurait déclaré que «la CIA est d’accord avec le putsch». Qu’en est-il? C’est le général Jean-Louis Nicot, numéro deux de l’armée de l’Air, qui s’entend dire cela par Challe lors d’une rencontre mi-avril. «La CIA est au courant et elle est d’accord, elle nous apportera son aide sur le plan logistique. J’ai eu le contact avec Allen Dulles par Stehlin.» Paul Stehlin, chef d’état-major de l’armée de l’Air, a noué de nombreux contacts à Washington, via l’OTAN. Je n’en sais pas plus, et si j’en parle dans mon livre, c’est pour inciter les historiens à se pencher sur la question. Mais enfin, les États-Unis ont été ulcérés que de Gaulle retire la flotte de Méditerranée du commandement atlantique en mars 1959, et en matière d’anticommunisme, Challe semble plus fiable. Les putschistes ont-ils une vision pour après? Pour les quatre, «l’Algérie de papa» est morteetenterrée.Challeesttrèshostile au grand colonat et bien décidé à sortir la population algérienne de sa misère. Ensuite, ils ont bien conscience d’avoir peudechancesderéussir(10%,estime Zeller).Jouhaudestfavorableàunetrès large autonomie de l’Algérie, mais sous souveraineté française. Salan aurait, semble-t-il, accepté une indépendance à terme, mais en «association» avec la France.ZellerestpourunefusionorganiqueaveclaFrance,celle-ciétantrégionalisée,maisàsesyeuxl’essentielestde garderleSaharaetsesressources.Challe désire une décolonisation par promotion et non par abandon. Il voit l’Algérie du futur arrimée à la France dans un cadre fédéraliste, la France elle-même étant intégrée dans une Europe fédérale. En préalable, tous veulent empêcherlesmassacres que provoquera l’arrivée du FLN à Alger. Lequel des quatre comprend le premier que le putsch est un échec? Challe.Iljettel’épongeauboutdequatre jours,le26avril,dèsqu’ilestcertainque deuxdescorpsd’arméeneserallientpas à lui, notamment le général Henri Gouraud à Constantine, sur lequel il comptait. Zeller est abasourdi, pense sérieusementàlasolutiondeJouhaudetSalan d’impliquer la population, mais il ne les suit pas dans la clandestinité et l’OAS. Il se rend le 6 mai. Les deux derniers membres du quarteron seront arrêtés à Alger le 25 mars et le 20 avril 1962. un putsch – sans toutefois employer ce mot, qui vient de de Gaulle. Challe se laisse convaincre fin mars 1961, c’està-dire très tard, d’entrer dans l’affaire, après que la presse a révélé l’existence de pourparlers entre le GPRA et des émissaires français. Il forme avec Zeller – tous deux habitent le même immeuble parisien – le duo catalyseur de la révolte, celui que recherchaient les colonels Argoud, Broizat, Gardes, Godard et Lacheroy. Qu’est-cequilesdifférenciedansleur vision du putsch? La question de son chef. Massu, qui aurait rallié les suffrages, se dérobe. Salan se voit dans ce rôle, mais tous les officiers sondés préfèrent Challe. Par ailleurs, Challe s’oppose à Salan et Jouhaud, qui veulent que les piedsnoirs participent massivement. Pas question,rétorqueChalle,échaudépar les Barricades: ce doit être une affaire exclusivement militaire ! Dans une lettre à Salan du 29 mars, il ajoute: «Il ne faut pas qu’une goutte de sang soit versée.» Dans la répartition des rôles, Challe s’occupera de l’armée, Zeller de l’administration, des finances et de la logistique, Jouhaud des relations avec la population. Rien pour Salan, car jusqu’au dernier moment, sa participation reste incertaine, étant donné qu’il est en Espagne. UN QUARTERON DE GÉNÉRAUX AVANT LA RETRAITE, Bernard Zeller, Perrin, 432 p., 24 € Maîtrisant une documentation immense et bénéficiant des archives familiales, Bernard Zeller suit pas à pas, depuis leur entrée dans l’armée, l’artilleur André Zeller, son père, le marsouin Raoul Salan et les aviateurs Edmond Jouhaud et Maurice Challe. Une quête qui traverse les différents traumatismes de cette armée: la déroute de 1940, la scission entre giraudistes et gaullistes, le drame indochinois puis la «boîte à chagrins» algérienne. Tout s’achève à une heure du matin, le 22 avril 1961, avec la prise de contrôle par l’armée de l’Algérie et du Sahara et, le soir même, le célèbre discours du général de Gaulle: «Un quarteron de généraux en retraite…» Zeller démolit nombre de mythes: ce n’est, comme le dit Challe au commandant Denoix de Saint Marc, «ni un coup d’État fasciste ni une revanche raciste». Curieux putsch en vérité, qui fait une seule victime — un sous-officier tué par méprise à l’émetteur de Radio Alger — et dont les promoteurs pensent avoir très peu de chances de réussir. Bref, une révolte du désespoir par fidélité à la parole donnée, dont Zeller souligne tout ce qu’elle doit aux erreurs commises par de Gaulle, à ses faux-fuyants et ses arrièrepensées. Un livre à méditer en ces temps de tension entre la France et l’Algérie. JL Le 25 avril 1961, à Alger, 72 heures après le début du putsch, le quarteron à vingt étoiles pose au complet. De gauche à droite: Edmond Jouhaud (le seul piednoir), Raoul Salan, Maurice Challe et André Zeller. 6 • Guerres&Histoire No 85 RALF HIRSCHBERGER/AFP – FLORE GIRAUD/INRAP – PHOTO12 Les derniers chasseurs-cueilleurs qui vivaient en Anatolie il y a plus de 9000 ansconnaissaientlecuivreetcommençaientàletravailleràhautetempérature, affirme une étude de l’université turque de Kocaeli. Cela repousserait de 4000 ans l’émergence de la métallurgie. La rénovation d’un stade de foot à Vienne (Autriche) a révélé une fosse contenant au moins 129 squelettes, probablement ceuxdeguerriersgermainsvictimesauIer siècled’uncombatcontrelesRomains. Unetrouvaillerarissime,carlescadavresétaientenprincipeincinérés.Lenomdu pharaon guerrier Ramsès III (reg. 1184-1153 av. J.-C.) a été identifié près d’une anciennesourceàWadiRum,à40kmàl’estdugolfed’Aqaba.Lecartoucheest la première trace d’une expédition militaire égyptienne retrouvée en Jordanie. EN BREF LA CHASSE AU «WOKISME» ÉVISCÈRE LES ARCHIVES MILITAIRES AMÉRICAINES Après avoir reçu en mars l’ordre d’expurger les archives de tout élément associé aux efforts en faveur de la diversité, l’égalité et l’inclusion, le Pentagone a établi une liste référençant une centaine de milliers de documents à effacer, mentionnant essentiellement des femmes et des représentants des «minorités». Étaient ainsi listées des pages présentant Jeannie Leavitt (première femme pilote de chasse de l’USAF), Jackie Robinson (champion de baseball afro-américain et ex-lieutenant des blindés jugé et acquitté en 1944 pour avoir refusé de s’asseoir à l’arrière d’un bus) et Ira Hayes (Marine amérindien qui a hissé la bannière étoilée sur le mont Suribachi, à Iwo Jima). Parmi les 26000 images destinées à la poubelle figuraient également des photos du B-29 Enola Gay (qui a largué la Bombe sur Hiroshima) ou de biologistes de l’Army travaillant à une étude sur le genre… des poissons. Une partie des documents ont réapparu à la suite du scandale, mais pas tous. LADATE ILYA100ANS… Le 21 juillet 1925, 115 des 166 soldats du capitaine Normand sont massacrés dans une embuscade à al-Kafr, près de Soueïda, dans le sud-ouest de la Syrie sous mandat français. Ainsi démarre la grande révolte syrienne, paroxysme de la rébellion qui oppose depuis 1919 les nationalistes arabes à une armée brutale et peu soucieuse des subtils équilibres locaux. Le mouvement prend l’allure d’une guerre ouverte sous la direction d’un chef druze dynamique et charismatique, Sultan el-Atrache (1891-1982). Les Français commencent par subir de lourdes pertes, et Damas se soulève le 18 octobre. Le général Gamelin, futur vaincu de 1940, fait alors pilonner la capitale par l’artillerie. Grâce à l’aviation et un contingent de 40000 hommes, les Français écrasent la rébellion en 1927 et forcent el-Atrache à fuir en Jordanie, au prix d’environ 4000 soldats et 10000 civils tués. ACTUALITÉS CES SOMPTUEUSES ÉPÉES GAULOISES ONT ÉTÉ RETROUVÉES PRÈS DE VICHY L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a annoncé le 15 avril la découverte de deux rarissimes épées dans la nécropole celtique des Ancises (Creuzier-le-Neuf, Allier), au carrefour de l’antique territoire des Arvernes, des Éduens et des Bituriges. Datées du IVe siècle, les lames de fer n’ont pas résisté à l’oxydation. Mais les poignées à antennes et les fourreaux en alliage cuivreux sont préservés, révélant de superbes décors en volutes et ocelles, ainsi que des cabochons ornés de svastikas et incrustés de pâte de verre. Berlin a refusé à Moscou et Minsk la commémoration du 8 mai 1945 Le gouvernement allemand a annoncé le 17 avril sa décision de ne pas inviter les ambassadeurs de Russie et de Biélorussie au Bundestag pour commémorer les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La décision était justifiée par la crainte que les envoyés puissent «exploiter les événements et établissent un lien inapproprié avec la guerre d’agression contre l’Ukraine». Kiev avait dénoncé la présence de l’ambassadeur russe, Sergueï Netchaïev, lors d’une cérémonie (ci-dessus) tenue le 16 avril à Seelow, théâtre de féroces combats en 1945. OHAZAR POUR G&H des cabochons ornés de svastikas et incrustés de pâte de verre. CES SOMPTUEUSES ÉPÉES GAULOISES ONT ÉTÉ RETROUVÉES PRÈS DE VICHY L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a annoncé le 15 avril la découverte de deux rarissimes épées dans la nécropole celtique des Ancises (Creuzier-le-Neuf, Allier), au carrefour de l’antique territoire des Arvernes, des Éduens et des Bituriges. siècle, les lames de fer n’ont pas résisté à l’oxydation. Mais les poignées à antennes et les fourreaux en alliage cuivreux sont préservés, révélant de superbes décors en volutes et ocelles, ainsi que des cabochons ornés de svastikas et incrustés de pâte de verre. préservés, révélant de superbes décors en volutes et ocelles, ainsi que des cabochons ornés de svastikas et incrustés de pâte de verre. Guerres&Histoire No 85 • 7 À Anvers, des archéologues ont redécouvert un tunnel destiné à réguler le flux de la rivière Schijn, qui allait se jeter dans l’Escaut à travers le Noordkasteel, ce fort monumental construit en 1862. Détruit pour agrandir le port, il a sombré dans l’oubli. Une fosse contenant une centaine de chevaux a été retrouvée à Bad Cannstatt, près de Stuttgart. Ils appartenaient à une unité de cavalerie romaine qui stationnait là entre 100 et 150. Les animaux ont été parfois inhumés avec des objets montrant l’attachement de leurs maîtres. L’Inrap a remis le 28 avril son rapport final sur les fouilles du camp harki de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Réalisée à la demande des familles, l’opération visait à retrouver les tombes creuséesentre1962et1965—vides,selonlesarchéologues.LeTankMuseumde Napoléona-t-ilmentiendésavouant l’arrestationdupapePieVII? Textes: Pierre Grumberg U n courrier de Napoléon daté du 23 juillet 1809 (ci-dessus) a été adjugé le 27 avril dernier à plus de 26000 euros, soit près de deux fois l’estimation de la maison Osenat, organisatrice de la vente. Cette belle performance est justifiée par l’importance de l’événement évoqué dans le document : de Vienne, l’empereur y déplore l’arrestation de Pie VII. «C’est sans mes ordres et contre mon gré qu’on a fait sortir le pape de Rome; c’est encore sans mes ordres et contre mon gré qu’on le fait entrer en France», écrit Napoléon à Cambacérès, pilier du régime à Paris. Pour Jean-Christophe Chataignier, directeur du département Empire chez Osenat, la missive témoigne de la duplicité de Napoléon, qui feindrait en réalité «de désapprouver l’arrestation du pape qu’il avait lui-même commanditée». L’expert souligne en particulier une rature qui apparaît dans le document et qui change le «contre mes ordres» en «sans mes ordres», «ce qui lui permettait de désavouer un acte sans reconnaître d’insubordination à son pouvoir, et de désavouer cet acte sans être tenu nécessairement de réagir». Le courrier était inconnu, mais il n’apporte rien qu’on ne savait déjà. «Napoléon emploie les mêmes termes dans une lettre du 25 juillet à Murat et qualifie l’arrestation de “grande folie” dans un courrier du 18 à Fouché, chef de lapolice»,remarqueainsiJean-MarcTicchi,historienauCentred’étudesensciencessocialesdu religieux (CéSor-EHESS) et auteur d’une biographie remarquée de Pie VII*. En revanche, rien ne prouve que Napoléon ait commandité l’enlèvement du Saint-Père. En juin 1809, les Français occupent Rome depuis deux ans et veulent forcer Pie VII à renoncer à son pouvoir temporel. La résistance du pape est passive, mais le gouverneur général Miollis craint que sa suite ne fomente une insurrection, alors que toutes les troupes sont mobilisées face à l’armée autrichienne, victorieuseàEsslingenmai.«Enréaction,Napoléon ordonne à Miollis, le 17 juin, de “faire partir promptementpourlaFrance”lecardinalPacca, en quelque sorte le Premier ministre du Vaticanquipassepourl’âmedelasédition,explique Jean-Marc Ticchi. Après avoir recommandé de ne pas prêter attention à Pie, l’empereur précise le 19 juin qu’il faut l’arrêter “s’il prêche la révolte”, ce qui n’est pas le cas. Mais si une directiveverbaleestpossible,Napoléonnesigne aucun ordre d’arrestation.» «En fait, estime l’historien, une initiative des officiers sur place ne peut être exclue. Le généraldegendarmerieRadet,dépêchéàRome pour maintenir l’ordre, expliquera le 13 juillet à Clarke, ministre de la Guerre, qu’il avait lui-même demandé à Miollis d’arrêter Pie VII, pour “sauver l’Italie”.» Le gouverneur général aurait verbalement obtempéré, et le pape aurait justifié la décision française en refusant d’abandonner son bras droit. Si la confession deRadetpourraitserviràcouvrirsonmaître,la suite semble confirmer l’absence de vraie préméditation: le pape est envoyé à Florence, puis Grenoble, puis Savone… «Manifestement, on ne sait trop quoi faire de lui, note Jean-Marc Ticchi. Pie est bien plus gênant captif que lorsqu’il était à la tête du Vatican, même si son pouvoir réel était une fiction.» Et Napoléon est sans doute sincère quand il regrette l’action de ses subordonnés. ■ *PieVII,lepapevainqueurdeNapoléon?,Jean-MarcTicchi,Perrin,2022. 8 • Guerres&Histoire No 85 ACTUALITÉS Bovington (Dorset, Angleterre) organise une loterie dont les gagnants ont droit à une virée en char Tiger. Prochaine session le 20 septembre. Un grand bravo à la familleBeaudé,deMontferrat,enIsère,quiaoffertl’hélicedeSPADXIIIretrouvée dans son grenier au musée ouvert en l’honneur d’un natif de la ville: Célestin Adolphe Pégoud, le premier as français, tué le 31 août 1915. Des archéologues italiens ont annoncé le 25 mars la redécouverte de fragments de murs et de la porte nord de l’ancienne métropole grecque de Sélinonte, en Sicile. C’est par cette issue que les Carthaginois ont pénétré dans la ville en -409. Gabriel Attal a annoncé le 6 mai qu’il avait déposé une proposition de loi en vue d’attribuer à Alfred Dreyfus (1859-1935) les deux étoiles de général de brigade. L’officier Lefameuxcasque deSuttonHooauraitété fabriquéauDanemark EN BREF BRITISH MUSEUM – DR – JONATHAN NACKSTRAND/AFP – DR LES CELTES SAVAIENT GUÉRIR DE GRAVES BLESSURES DE GUERRE Les Grecs n’étaient apparemment pas les seuls à pratiquer l’art complexe de la chirurgie militaire, suggère une étude dirigée par l’ostéologue allemand Michael Francken (Bureau d’État pour la préservation des monuments, Constance). Le squelette d’un guerrier celte âgé de 30 à 50 ans et enterré entre 530 et 520 av. J.-C. sur le site fortifié de Heuneburg (État de BadeWurtemberg) a révélé un impact de flèche dans l’ischion gauche, un os profond du pelvis. L’examen montre que le fer a été extrait soigneusement, sans doute à l’aide d’instruments spécialisés. Puis la blessure a été traitée de façon appropriée. La convalescence de plusieurs semaines laisse penser que le guerrier appartenait à une élite sociale dispensée de travaux physiques. 31% des Français sont fiers du rôle de leur pays pendant la Seconde Guerre mondiale Un sondage* international du cabinet britannique YouGov réalisé en avril montre que 31% des Français sont plutôt fiers du rôle joué par le pays pendant le conflit, quand 14% ont plutôt honte et 45% ne sont ni fiers ni honteux. La fierté culmine outre-Manche avec 66% (et 1% de honte), devant les ÉtatsUnis (61% et 3%). De façon intéressante (ou inquiétante?), 7% des Italiens et 3% des Allemands se disent «plutôt fiers» contre 41% et 50% de «plutôt honteux» – ce qui laisse respectivement 42% et 40% de «ni fiers ni honteux» dans les pays berceaux du fascisme et du nazisme. À noter que 47% de nos voisins d’outre-Rhin estiment que leur pays a été «trop conscient» de son passé nazi. Quant à la question de savoir si une nouvelle guerre mondiale peut éclater d’ici cinq à dix ans, 55% des Français en sont plus ou moins convaincus, contre 45% des Américains et 42% des Britanniques et des Allemands. * Voir leur site internet : https://yougov.co.uk/, en entrant « VE Day 80 » dans la barre de recherche. U ne matrice d’estampage retrouvée par un amateur de détection de métaux sur l’île danoise de Tasinge révèle des similitudes frappantes avec le guerrier monté emblématique du casque de Sutton Hoo. Pour Peter Pentz, l’expert du Muséum national du Danemark qui a examiné la trouvaille, cela signifie que le casque, clou du British Museum daté du début du VIIe siècle, aurait été fabriqué dans l’archipel de Fionie du Sud et non en Suède comme on le pensait. Cette découverte permettrait selon le chercheur de changer la vision de l’Europe du Nord à l’époque: si le propriétaire du casque retrouvé en Angleterre était un prince comme le suggère la richesse de l’ornementation, alors le Danemark était plus puissant et rayonnant qu’on ne le croyait. ■ qu’on ne le croyait. ■ Guerres&Histoire No 85 • 9 alsacien a quitté l’armée en 1918 avec le grade de lieutenant-colonel. Le Conseil suprême des Antiquités égyptiennes a annoncé, fin mars, la découverte à Tell Roud Iskander (près d’Ismaïlia) de la tombe d’un officier supérieur de Ramsès III. Celaconfirmel’importancedusitedansladéfensedel’ÉgypteauNouvelEmpire. Des traces de crocs laissées sur des ossements retrouvés dans un cimetière romain à York (Angleterre) prouvent que les combats opposant fauves et gladiateurs étaient une réalité, affirme une étude dirigée par Tim Thompson (Maynooth University, Irlande). L’armée grecque investit 25 milliards d’euros dans un nouveau Bouclier d’Achille. On ignore si Héphaïstos a répondu à l’appel d’offres, mais on sait que ce dôme de protection aérienne est tourné vers Troie. Textes: Pierre Grumberg LE SAUVETAGE DU «VASA» A (RE)DÉMARRÉ Les travaux ont commencé début avril au musée de Stockholm, où le Vasa était menacé de s’écrouler sous son propre poids à cause d’un support mal conçu (cf. « G&H » nº 77). Un nouveau berceau plus respectueux des masses va être mis en place pour un montant estimé à 17,7 millions d’euros. Le chantier doit être bouclé en 2028, juste à temps pour commémorer les 400 ans du naufrage: mal conçu, le vaisseau de 64 canons avait sombré en 1628 à sa première sortie du port. Il a été renfloué en 1961 pour devenir une des principales attractions de la capitale suédoise. LECHIFFRE 150MILLIONS DEFRANCS-OR Soit plus de 51 milliards d’euros en équivalent de pouvoir d’achat — le «prix sur la liberté d’une jeune nation», victime «de la force injuste de l’Histoire ». Ces mots d’Emmanuel Macron marquent une étape importante: 200 ans après les faits, c’est la première fois que la France reconnaît à demi-mots avoir spolié la république d’Haïti. Le 17 avril 1825, Charles X a réclamé la somme au gouvernement de Port-au-Prince afin de «dédommager les anciens colons» privés de leurs esclaves et chassés de leurs plantations après l’indépendance proclamée en 1804. Accepté sous la menace, le paiement (réduit à 90 millions en 1838, mais augmenté d’intérêts exorbitants) s’est échelonné jusqu’en 1953, au détriment du développement local. Haïti est aujourd’hui le seul État d’Amérique à figurer sur la liste des pays les moins avancés (PMA), avec 70% de la population sous le seuil de pauvreté. Les sécheresses auraient sonné le glas de la Bretagne romaine La Bretagne romaine aurait été fatalement déstabilisée par une crise climatique, suggère une étude coordonnée à l’université de Cambridge par le géographe Charles Norman. En analysant les cercles de croissance des arbres, les chercheurs ont relevé trois sécheresses estivales catastrophiques entre 364 et 366 qui ont ruiné les récoltes dans l’actuelle Angleterre. Pictes, Scots et Saxons, venus respectivement d’Écosse, d’Irlande et d’Allemagne, auraient tiré profit des troubles sociaux et des famines pour bousculer les légions et piller le pays. Si l’ordre a été rétabli après deux années de rudes efforts par l’empereur d’Occident Valentinien Ier , Rome n’a jamais repris le dessus et abandonné définitivement la Bretagne vers l’an 410. OHAZAR POUR G&H Ledécomptedespénissurlatapisserie deBayeuxfaitpolémique On les remarque rarement, mais il y a pourtant 93 phallus sur la fameuse tapisserie de Bayeux – dont 88 appartiennent à des chevaux et le reste à des hommes. C’est ce qu’affirmait le recensement réalisé en 2019 par le professeur George Garnett, de l’université d’Oxford, jusqu’à ce qu’un autre médiéviste le contredise. L’historien britannique Christopher Monk a en effet annoncé en avril avoir identifié un 94e membre sous la tunique d’un personnage brodé dans la marge inférieure (ci-dessous à droite). «Je ne doute pas une seconde que l’appendice décrive les organes génitaux mâles, explique le chercheur. Les détails anatomiques sont étonnamment exacts.» Ce que dément son collègue, pour qui le prétendu phallus n’est que l’extrémité d’un fourreau. En attendant que la science tranche, on s’interroge toujours sur la présence de ces attributs, liés à des codes culturels et moraux médiévaux effacés de nos mémoires. D ans la revue d’histoire militaire de la Bundeswehr1 , l’historien allemand Peter Lieb se livre à un petit exercice biographique centré sur la bataille de Karfreit (connue, côté allié, sous les noms de douzième bataille de l’Isonzo ou encore bataille de Caporetto), qui s’est déroulée à la fin d’octobre 1917 sur le front italien. Karfreit/Caporetto est une immense défaite de l’Italie, qui manque de provoquer sa sortie de guerre et qui lui coûte 330000 pertes définitives ainsi que 400000 déserteurs. Parallèles biographiques Or, il se trouve qu’au sein de la 12e division (14e armée austro-allemande, sous von Below), combattent côte à côte deux lieutenants appelés à lacélébrité:ErwinRommel(lieutenant d’active) et Ferdinand Schörner (lieutenant de réserve). Ces deux hommes personnifient le double souvenir de la Wehrmachtlaisséauxgénérationsallemandes d’après-guerre, et à la Bundeswehr en particulier: Rommel serait l’homme de la Wehrmacht «propre» et de la résistance à Hitler (il a trempé dans le complot du 20 juillet 1944 et y a laissé la vie); Schörner symboliserait la Wehrmacht «criminelle», celle qui a sacrifié la jeunesse allemande par centaines de milliers à la fin du conflit, dans l’obéissance aveugle au Führer. Au-delàdel’aspectmémoriel,cequ’ont vécu les deux jeunes officiers dans les 1 « “Wüstenfuchs” und “Bluthund” in den Alpen. Erwin Rommel und Ferdinand Schörner in der Schlacht von Karfreit 1917 », Peter Lieb, Militaergeschichtliche Zeitschrift, vol. 77, nº 1, 2018, p. 78-107. Alpes a pu les influencer par la suite et peutexpliqueren outreleursstylestactiques très différents. Les parallèles biographiques entre Rommel, né en 1891, et Schörner, venu au monde l’année suivante, sont nombreux.Tousdeuxsontissusdusud de l’Allemagne (Rommel est souabe, Schörner bavarois) et d’un milieu de petite classe moyenne. Ils ont servi ensemble dans les jeunes troupes de montagne et aucun des deux n’a été diplômé d’état-major: de ce fait, ils sont des «outsiders» dans l’institution militaire, ce qui est encore plus vrai pour Schörner, simple sergent de réserve en 1914. Ils ont servi durant la Grande Guerre à la tête d’une section puis d’une ou plusieurs compagnies, ils ont été blessés plusieurs fois et ont reçu la décoration la plus élevée, Pour le Mérite, décernée 687 fois – onze fois seulement à des officiers de leur rang. Jumeaux, mais rivaux Cet énorme capital symbolique les aide tous deux à se distinguer des officiers qui ont passé la guerre dans les états-majors, à fasciner les jeunes aspirants et à décrocher des postes d’enseignants en tactique d’infanterie dans l’entre-deux-guerres. Durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont des parcours météoritiques, l’un dans les troupes blindées et motorisées, l’autre dans les troupes de montagne, et ils finissent feld-maréchaux. Tous deux sont les enfants chéris d’Hitler – qui se reconnaît dans ces Frontkämpfer, ces combattants du front –, Rommel dans la première partie du conflit, Schörner dans la seconde. L’un et l’autre sont en rivalitéetnepeuventsesentir,deuxtraits qui remontent à la bataille de Karfreit. Schörner a passé toute la Grande Guerre en première ligne et, chose rarissime, dans la même unité: la 12e compagnie du IIIe bataillon du LeibRegiment (garde du corps) du roi de Bavière. Rommel, quant à lui, sert dans le 124e régiment d’infanterie «König Wilhelm I», également désigné comme 6e régiment wurtembergeois. Lorsque l’Italie déclare la guerre àl’Autriche-Hongriele23mai1915,le Reichsedécideàformeruncorpsalpin, qui n’est guère qu’une division renforcée. Le Leib-Regiment y est incorporé. Rommel rejoint pour sa part le bataillon de skieurs wurtembergeois. Tous deux apprennent la guerre de montagne contre les Serbes en 1915, puis contrelesRoumainsen1916-1917.Les deux hommes se rencontrent d’ailleurs prèsdusommetdumontMaguraOdobesti, qui inaugure la cordiale détestation entre leurs deux unités puisque chacune revendique d’avoir enlevé le site aux Roumains. Deux futurs maréchaux de la Wehrmacht, encore lieutenants, réussissent un incroyable exploit en 1917 durant la bataille de Karfreit/Caporetto. Ils font preuve de deux styles offensifs personnels très différents qui préfigurent ceux dont ils témoigneront une génération plus tard. LE RENARD DU DÉSERT ET LE CHIEN SANGLANT DANS LES ALPES ACTUALITÉS LA VIGIE DR Les deux hommes se rencontrent sur le mont Magura Odobesti, qui inaugure la cordiale détestation entre leurs deux unités, revendiquant chacune d’avoir enlevé le site aux Roumains. PAR JEAN LOPEZ 10 • Guerres&Histoire No 85 Guerres&Histoire No 85 • 11 vonBelowdébouleraensuitesurUdine puis Venise avec sa 14e armée. Mais le chef du Leib-Regiment s’arrange pour que son IIIe bataillon reçoive «l’honneur» de mener la danse, reléguant les Wurtembergeois à un rôle de soutien. L’attaque démarre le 24 octobre 1917 à deux heures du matin par un terrible bombardement aux gaz. D’abord placé en seconde ligne, Schörner traverse la vallée de l’Isonzo où les Italiens n’ont offert aucune résistance, puis sa compagnie passe en tête du bataillon. Profitant du brouillard, il lance ses hommes droit vers la cote 1114. Rommel est à sa droite, mais loin derrière et coincé par des nids de résistance italiens. Il décide alors, sans en référer à quiconque, de contourner l’obstacle et de gagner les pentes du massif de Hlevnik, qui prolonge vers l’est celui de Kolovrat. Ce faisant, il entre dans le secteur réservé aux Bavarois. À 17 heures, Schörner se retrouve coincé sur les pentes qui mènent à la cote 1114. Sans soutien à droite (Rommel a filé on ne sait où) ni à gauche, ses hommes épuisés par le crapahut avec 30 kilos sur le dos, il a face à lui 800 mètres de pente exposée aux tirs. La plupart des officiers auraient attendu le lendemain et un soutien de l’artillerie. Mais Schörner décide de profiter du crépuscule et calcule que le lendemain, les Italiens auront acheminé des renforts. Il choisit donc d’attaquer frontalement, en silence, sans tirs de mitrailleuses, sans sacs à dos. Trente minutes plus tard, il est sur la cote 1114 et n’a pas essuyé une seule perte. Il a triomphé – c’est ce qui lui vaudra Pour le Mérite – en mariant coup d’œil et estimation correcte des possibilités de l’adversaire… ainsiqu’enrisquantunmassacredeses hommes. Sa compagnie se retranche au sommet et ne joue plus de rôle dans la suite de la bataille. En revanche, Rommel continue de marcher à l’aube du 25 octobre alors mêmequesoncommandantderégiment lui a interdit d’avancer vers l’ouest, croyant réserver ainsi de futurs lauriers auxBavarois.Fouettédanssonorgueilet dévoré d’ambition, le Souabe profite de l’absence de liaisons avec sa hiérarchie, tout en se conformant au nouveau comportement d’attaque des troupes d’assaut (infiltration, contournement, libre choix des moyens pour remplir la mission). Il décide de ne pas aider le Leib-Regiment ou la 12e division à progresser, mais de chevaucher seul en évitant les points tenus par les Italiens. Il parvient de la sorte à couper d’importantes forces de leurs arrières – semant la panique – et à s’emparer du mont Matajur (1641 mètres). Le chaos et la fureur Au prix de six tués et 30 blessés, les 900 hommes de Rommel obtiennent la percée décisive que la 14e armée va aussitôt exploiter. L’exploit lui vaudra Pour le Mérite, mais aussi une hostilité redoublée du Leib-Regiment. Dans l’après-guerre,BavaroisetSouabess’attribueront toutes les victoires et refuseront de reconnaître celles des autres. Il n’empêche: la poignée de compagnies commandéesparSchörneretRommela capturé 10000 hommes et 100 canons. Rommel a découvert ce qui fera sa marque, plus tard, à la tête de la 7e Panzerdivision en France ou de l’Afrika Korps : reconnaissance soigneuse, attaque immédiate des points faibles découverts, exploitation profonde opéréesanssouciexcessifpourl’intendance oupoursahiérarchie,quiignoreoùilest etcequ’ilfait.«Rommeladoreagirdans le désarroi et la confusion de la mêlée. Il comprend instinctivement comment utiliser le chaos de la guerre», commente Peter Lieb. Quant à Schörner, il a également trouvé son style: quand le débordement n’est pas possible, il n’hésite pas devant l’assaut frontal, court et brutal, du fort au fort, en utilisant son ascendant sur ses hommes. Hyperactif,dotéd’unevolontédefer,ilnerecule devant rien pour atteindre son objectif. Cette volonté inflexible se transformera en fanatisme politique au contact de l’idéologie nationale-socialiste. ■ Se livrant à une analyse de la compagnie où sert Schörner, Peter Lieb découvrequ’elleaconstammentsubiles perteslesplusélevéesdesonrégiment.Il hasarde donc une hypothèse: Schörner a-t-il déjà acquis ce profil particulier de fonceur dur comme l’acier, peu sensible aux pertes, qui lui vaudra durant la SecondeGuerremondialelesurnomde «chiensanglant»?L’historienrelèveque ses supérieurs ne lui demandent jamais de comptes, car il atteint toujours son objectif. En Roumanie, la compagnie Rommel essuie également de lourdes pertes, mais elle est citée pour avoir, à un contre trois, capturé par surprise un villageavecsagarnisonde360hommes. La surprise: voilà l’une des marques du futur «renard du désert». Actes fondateurs En octobre 1917, le bataillon wurtembergeois est intégré au corps alpin et envoyé en Italie soutenir les AustroHongroisquipréparentlabataillequ’ils espèrent décisive. Immédiatement, Rommeletseshommessesententrejetés par les Bavarois. Or, c’est au corps alpin que le général von Below a confié la mission la plus difficile de la bataille à venir: les Gebirgsjäger (chasseurs des montagnes) vont devoir emporter les défenses italiennes dans la vallée de l’Isonzo, conquérir la cote 1114 dans le massif du Kolovrat et se hisser sur le mont Matajur, son point culminant. Ces hauteurs en sa possession, Ces portraits pris en 1917 juste après leurs exploits révèlent l’étonnante ressemblance physique entre Rommel (à gauche) et Schörner — même moustache sous un regard acéré, même physique de loup efflanqué… Et au cou le collier de l’ordre Pour le Mérite. 1 «“Wüstenfuchs” und “Bluthund” in den Alpen. Erwin Rommel und Ferdinand Schörner in der Schlacht von Karfreit 1917», Peter Lieb, Militaergeschichtliche Zeitschrift, vol. 77, nº 1, 2018, p. 78-107.
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