Premieres pages de Les cles de la rue Charlot cote Lune - Page 2 - Les clés de la rue Charlot côté Lune Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 6 Colique de mélancolie Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 7 La nuit, j’erre, solitaire, dans la ville Coupoles, réverbères, lampadaires, vitrines dorées, Tintement des tramways, Hurlement douloureux des moteurs, Le regard insistant et pénible de quelqu’un, Je crie : Qui rachètera les taches ensanglantées des offenses ? Mais les cages innombrables des hauts immeubles Enchaînés dans un granit inerte Gardent le silence et mes lèvres restent serrées. Et alentour, dans chaque regard, la folie crie. Je suis abandonné… Seul et abandonné… D’abord il vaudrait mieux, je pense, ne pas naître ; Mais, une fois né, mieux vaudrait mourir au plus vite. Marseille, 1920, Jacques sirkis, mon grand-père-né Yankel sirkis - (Poème écrit à son arrivée en france ; texte retrouvé à Londres en 2004 et traduit du russe en 2005). Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 8 Les possibles sont dans la rue et la pluie les arrose. Le printemps est revenu et ses douces averses mouillent gentiment les têtes. Les possibles sont tout au fond de moi. Ils sont tellement ardents, tellement inexprimés qu’ils désespèrent de voir le jour. Les possibles me secouent. Le tissu d’un transat est doucement levé par la brise océane et le goéland couine, balayant de sa plume la marée qui descend. Il fait si doux ce soir... Les murs sont à leur place à Berlin comme ailleurs et les pleurs d’un enfant remontent de la rue. L’humidité latente imbibe les trottoirs et mon cœur vagabond se love au coin de moi. Il fait si doux ce soir... Je ne sais où je vais... Le train m’attend en quai à la gare du Nord, pour m’emporter au Nord, du côté de Berlin. Les murs sont à leur place à Berlin comme ailleurs, et les hommes ont construit leur petit territoire. Moi je cherche le mien, ne sais pas où il est, je cherche mes repères et je vais les marquer en pissant comme un chien aux quatre coins d’Europe. Je vais chercher le Nord et cerner les images qui hantent ma mémoire de leur étrangeté, qui heurtent mes questions de leur curiosité. J’ai perdu mes repaires, mes envies délavées, mes désirs si légers. Et je vais sur les rails comme un Petit Poucet égrainer mes espoirs, Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 9 dans la touffeur des trains, dans la moiteur des gares et dans la trépidance Ma mémoire paresseuse va se ressouvenir que je suis de la vie. Cette nuit au fond de ma poche, vais mettre ma boussole à moi. Je veux partir très loin pour revenir plus neuve, lavée des cauchemars qui m’ont dégoulinée Des deux côtés du mur, je veux cogner ma tête et imprégner ma peau de leur dissymétrie. Le convexe du temps, le concave du sol, et la ligne éperdue qu’on a au creux des reins. Je cherche une couleur pour napper la présence que dégage un désir - invisibilité - Je cherche une parole qui suivra la musique qui tourmente ma vie de ses gammes rebelles. Les notes sont si folles dans leur plasticité qu’elles picorent mon front dans un mélange amer, et leur ronde vertige et triture mes tempes, si ce n’était que tempes, elles triturent mon vide ! Et je vais à tâtons, aimantée par l’appel d’un grand vide inconnu tituber un chemin que je n’ai jamais pris... Et je vais à tâtons, folle d’un espoir serein au pays de Kafka, au pays de Musil et au pays du froid. Et je vais à tâtons, pleine et certaine de mon absurdité, aimantée par l’appel de mon désir d’aller, au risque de me perdre, au très loin de chez moi... J’ai besoin d’arpenter beaucoup de kilomètres dans la fièvre des trains, le chapelet des gares, 10 Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 10 et de faire un circuit large, ouvert et secret, qui me ramènera là d’où je suis partie. Les pleins et les déliés seront les voies ferrées qui bercent mes paupières, et les larmes versées comme un long fil de sel traceront une toile d’Ariane européenne. Et les canaux creusés des artères capitales engloutiront la nostalgie dans leur estomac de béton. Sur le goudron usé, les rêves peuvent se faire la belle ! Je vais à la gare du Nord, ce soir, épancher dans le grand buvard des voyages la porosité d’une angoisse qui déborde. Je vais à la gare du Nord, très tard, éponger dans le grand mouchoir des départs une passion suintante, toute immaturité. Abolir par la fuite de la vitesse, au carreau du wagon, l’enfer des questions insolubles. Je réinvestis le possible et les interdits des planètes qui sont venus dedans mon cœur alimenter dans la rancœur tous les rendez-vous avortés. Je les balance en confettis, en allégeant mon baluchon d’un paquet de merde rancie qui a trop ravagé, déjà... Les fenêtres ouvertes au vent du large dégageront ce soir...la puanteur. Je vais changer d’air...et dans le vent du Nord... retrouver ma direction. Paris, rue Charlot, le 1er avril 1989, 20h. 11 Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 11 Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 12 À Pélou Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 13 Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 14 il fait nuit, il fait chaud, j’aime la vie quand elle me brûle. J’aime la pluie et le tonnerre. il était une fois une petite fille, Louve, mais il était une autre fois avant, une autre petite fille, nic, nicole. Cette petite fille était rouge et bleue. Cette petite fille était rire et larme. Cette petite fille était vent et embrun. Cette petite fille c’était moi. Cette petite fille a grandi, vieilli, mais elle est quand même, toujours, quelque part, la petite fille rouge et bleue. un jour, il y a eu un grand orage, un grand feu au milieu de la forêt. Je voudrais dire la douleur qu’il faut pour vivre le quotidien, le banal, le tous les jours, la larme à sécher et la vaisselle à faire, quand quelque part, ailleurs, très loin, tout proche, il y a l’orage, il y a l’amour, mais qu’on ne peut pas y aller. un jour, alain, tu m’as dit qu’il faudrait écrire tout ça, pour nous.Mais ça fait plus de sept ans, et n’est-il pas trop tard ? Maintenant, les braises sont éteintes, il ne reste que les cendres, grises, soyeuses, fines comme le souvenir. 15 Les cles de la rue Charlot coté lune_Mise en page 1 18/07/2012 15:33 Page 15
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