EE 57 - Page 7 - Etoiles d'encre N° 57-58 Dites-le avec Humour Quand j’y pense, il aurait mérité un nom plus noble ! Aristote, Freud ou Platon ! Pourquoi pas ! Quand il me regardait, j’avais l’impression qu’il était en pleine réflexion métaphysique. oud’AnitaFernandezàproposd’Héraclès : [elledisait] tu vois mon Hercule, tu es un héros et si on enlève le H du héros il devient Éros, l’amour… Elle disait que si je n’avais pas de sentiments c’est qu’on m’avait mis un H devant le cœur. Mais franchement l’orthographe et moi ça fait deux. Etcecidansletextetrèspolitiqued’AldonaJanuszewski Ça sent mauvais, vous ne trouvez pas ? Je tourne autour, allersretours, la ritournelle revient. On n’y peut rien ? Vraiment ? Ça grince, ça coince, ça ne veut pas sortir ? Comment en rire ? Ah !L’humour....iladecesallures ! Behja Traversac humour 5 57 edito avec logo.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:02 Page5 Billet d’humeur : Vendredi 7 février 2014, je sors de l’ambiance chaleureuse du Maghrebdeslivres,placedel’hôteldeville,etmedirigeversle métro.BoulevarddeRivoli,cœurdeParis…desmatelasdisposésçà et là sur le trottoir, et dessus de jeunes femmes.Choquée, je m’approchepourparleràl’uned’ellesetj’aperçoisavecstupeurla têted’unjolipoupond’environ3mois! Nousvivonsunedrôled’époquedécidément,uneépoqueoùl’écart se creuse de plus en plus entre les riches et les pauvres, où les discourslesplusrégressifsfleurissent,oùlesfemmessontencoreet toujoursviolentées,oùleshommesetlesfemmesdespaysopprimés serévoltentquitteàmourirparmilliers… Uneépoque,cependantoùinternetnousapermisjusteentapant surunécran« femmescaricaturistes »detrouverau-delàdesmers DoaaEladlquimaniel’humourcommepersonnedansuneÉgypte qui ne cesse de se battre contre toutes les oppressions. Et cette femmequineconnaissaitriend’Étoiles d’encre apudécouvrirla revuesurlenetetacceptercetterencontre! L’humourfranchitlesfrontièresetleseffacelorsquel’onvoitdans unmêmerecueilledessindu8 mars2013deDoaaEladl:« Une femme fauteuil » et le texte de Mahia Alonso dont l’héroïne est « Unefemmechaussure ». Tantquel’humourexiste,jemedisquerienn’estperdu! Marie-Noël Arras 57 edito avec logo.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:02 Page6 rum f0 © Hermine Laurent-Saïn, Dernières nouvelles (burin, 1989) 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page7 Doris et Madiba Nic Sirkis Deux grandes personnes aimées, d’Afrique australe, disparues l’une après l’autre… Une grande femme, prix Nobel de Littérature… Un grand homme, prix Nobel de la Paix… Deux êtres humains et solitaires qui se sont battus toute leur vie pour l’Afrique, pour l’égalité arc-en-ciel, pour la paix, et pour libérer les enfants de la violence. Deux géants d’humanité qui à eux Deux additionnent 189 ans de lutte. Lui né le 18 juillet 1918, elle le 22 avril 1919, quelques mois après… Elle morte le 17 novembre 2013, lui le 4 décembre 2013, 17 jours après… Doris Lessing et Nelson Mandela, aux biographies en miroir… Un homme et une femme dont l’empreinte et la force sont ancrées dans nos mémoires. 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page8 Ça grince, ça coince, ça a du mal à sortir, ça se constipe, ça fait des nœuds dans tous les sens, c’est noir, c’est lourd, c’est dur. Réduite à ses tripes, coincée dans les toilettes depuis des jours, les boyaux à l’envers, réduite à sa plus simple expression, une vie de chiottes… La rage qui ne sort pas, la nausée qui envahit. Garder la tête haute, survivre à tout ce qui engloutit, surnager dans ce cloaque nauséabond qui se faufile à l’intérieur. Les fils du vent Aldona Januszewski ©HermineLaurentSaïn,Labora(burin,1190) 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page9 En rire ? Lâcher tout ça ? Désengorger ? Évacuer ce qui obstrue ? Danser sur le volcan à gorge déployée ? Ça fait des jours que je campe à côté des toilettes, que j’avale des tonnes de flotte, de tisanes de décoctions, de liquides divers et variés, et toujours rien à l’horizon, l’espace de mon cerveau réduit à une attente, les tripes nouées sur l’impossible issue, le blocage intégral, l’overdose de tout, le ménage en stand-by, les jambes repliées, la démarche incertaine autour de la chambre, le gaz qui fuit, la cuisinière qu’on éteint, Shoah sur l’écran, ça défile, pour solde de tout compte, chiens de l’Europe venus d’ailleurs, Roms venus de l’Est, gens du voyage, pourtant d’ici, tous ces humains des quatre coins, si différents vraiment ? Et ces singeries prémonitoires, ces bruits de bottes qui se rapprochent, ces relents d’hier aujourd’hui, le large sourire Banania, la peste brune à bonnets rouges… Ça sent mauvais, vous ne trouvez pas ? Je tourne autour, allers-retours, la ritournelle revient. On n’y peut rien ? Vraiment ? Ça grince, ça coince, ça ne veut pas sortir ? Comment en rire ? T’en a qui étaient au bord du gouffre et qui ont fait un grand pas en avant… Y’en a d’autres qui tournent et se retournent, et voient tout en noir et blanc, Y’en a encore qui divaguent et veulent se faire martyrs pour que maman les reconnaisse sur les affiches, Y’en a qui sortent seuls avec leur canon scié, pour se faire peur ou faire peur, on ne sait plus vraiment... 10 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page10 Sur l’autre chaîne ils ont tous l’air joyeux pourtant, ils se congratulent avec des sourires satisfaits, ils sont entre eux, loin de cette puanteur qui envahit la ville, protégés dans leur bulle, du son et de l’odeur, bien à l’abri, bien au chaud. Ça grince, ça coince, envoyez la musique aux abrutis. Ça grince, ça coince, trois petits tours au bal des nantis. La vie se joue en rose et or, c’est le paradis. Obélix prend la tangente à l’Est, tous aux abris, rien de nouveau sous le soleil de mon pays. Ma douce France se vide, les grands hommes fuient. Quelques femmes emboîtent le pas, en nostalgie. C’est l’exil, l’exode, on se rue ailleurs, que les autres se débrouillent ! Travail, famille, patrie. Nous, on se barre disent-ils en chœur. Ça sent mauvais ici. L’argent n’a pas d’odeur, lui. Ça grince, ça coince, pirouette, cacahuète, ma maison est en carton, et je dors au coin de la rue. Vous m’avez vue ? Demain j’irai faire les poubelles du supermarché, avant qu’ils ne les aspergent de javel pour nous empêcher de nous servir. Je ferais bien attention qu’on ne m’attrape pas. Car c’est interdit vous savez de prendre la nourriture périmée. Et pourtant y a encore plein de choses bonnes à manger dans leurs poubelles. Bon d’accord de temps en temps j’ai le ventre à l’envers, et ce n’est pas facile dans cette ville de circuler le ventre à terre. Pirouette, cacahuète… Souriez vous êtes filmés ! Circulez y a rien à voir ! Vous y arrivez vous à circuler les yeux fermés ? Ou alors il faut rester chez soi, comme ça, on ne risque pas de tomber, de haut en bas. L’écran vous avale d’un coup, et hop là, il vous dégueule dessus, suivant le moment, ou l’heure du jour ou de la nuit, enfin forum 11 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page11 tout ça, en rond, en boucle, et votre humour s’enfuit. Des jeux à la pelle, sous toutes les formes, pour qu’on la boucle, pour qu’on s’écrase, pour qu’on se taise, pour qu’on pleure, qu’on rie, qu’on s’émotionne, pour qu’on la ferme, stars d’un soir à la lucarne, « on a gagné ! », des hourras aux fenêtres des immeubles, tout le monde est content, on se frotte les muscles, les nôtres, les leurs, c’est du pareil au même, du fond du canapé, c’est l’illusion qui compte, « on a gagné », et tout le reste est balayé. Ça sent mauvais, vous ne trouvez pas ? Turlututu chapeau pointu, il a mis son complet au rancart, il fait noir. Dondaine dondon, c’est le jour du potiron. Dondaine dondon, c’est la chanson du mirliton. Dondaine dondon, c’est la rengaine des nations. Mangez ma soupe, gavez-vous bien, ça fait grandir, mais ne salissez pas la nappe ce n’est pas bien ! Le vin est tiré, il faut le boire, mais ne vous pincez pas le nez, ce n’est pas gai. Allez voir plutôt du côté du placard, la place est nette. Du balai ! Il a cinq ans et toutes ses dents, mais pour combien de temps ? Vive le vent, l’hiver est lent, vive le vent, où est maman ? Ça grince, ça coince, aïe maman ! Il a cent ans, il a mille ans, vive le vent ! 12 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page12 Lettre à Salah Guemriche Marie Malaspina Dans un premier temps, j’ai rencontré votre dernier livre « Aujourd’hui Meursault est mort » présenté sur internet par des critiques littéraires. Il y était question de droit d’inventaire, de déboulonnage du mythe de l’icône Camus, de levée d’impunité et de sa responsabilité qui dédouanait moralement la France… de ces méchants éditeurs français qui refusaient d’éditer les auteurs algériens parlant de Camus… du clivage et encore du clivage. Rien pour me donner envie de lire votre livre. J’aimai cependant votre projet de poursuivre le récit de « l’étranger », au moins il m’intrigua… Le 26 octobre 2013, l’association lyonnaise « Coup de soleil » organisait un colloque avec d’éminents professeurs, c’est là que je vous rencontrais et que tout se remit à l’endroit. J’assistai à votre lecture d’« Aujourd’hui Meursault est mort » comme une enfant devant un sapin de Noël. Plus votre lecture avançait plus la gratitude m’envahissait. Les phrases éclairaient « l’icône » de sa vie débordante, de sa complexité d’homme, de ses appartenances adhésives, dans un récit théâtralisé. Dans Alger, reprenant ses trajets familiers, au milieu des personnages de ses récits et de ses écrits multiples, vous lui redonniez une vie à plusieurs facettes. Interrogeant l’homme dans ses fictions et ses actions vous nous le rendiez proche. 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page13 Remis dans notre temps avec ceux qui maintenant parlent de lui en l’instrumentalisant vous le poursuiviez dans le présent. Le temps pour un moment était aboli. Et là, il apparut que peu de personnes connaissent Camus aussi bien que vous, que vous l’aimez de passion exigeante et que pour tout dire vous m’apparaissiez soudain comme étant son fils. Le fils de l’arabe est aussi au plus intime le fils de Camus, à qui il demande d’être enfin regardé pour ce qu’il est. Voilà pourquoi il a le droit de « traquer » ses errances, ses blancs, ses points aveugles, ses angles de vue limitée, ses contradictions, le doute fondamental qui le constitue et de lui en demander raison. Vous suivre ou pas dans cette course effrénée vers une vérité n’est pas la question, votre reconstruction étayée tient la route. Seule la remarque qui vous fait dire, quand Camus disait les Algériens il désignait les Français d’Algérie, m’interroge. En Algérie, dans ma famille dans les années cinquante et dans le nord constantinois, quand mes parents disaient les Algériens ils parlaient des Arabes, nous étions des Français d’Algérie et il y avait les Italiens et les Espagnols, chacun était désignés selon son origine « de souche » comme vous diriez et vraiment très loin il y avait la métropole dont enfants nous ne savions même pas que des Algériens y travaillaient. Votre livre n’est pas édité sur papier mais téléchargeable sur internet il va connaître le succès et rencontrer ses lecteurs. Vous n’avez pas besoin de rentrer dans la bataille des « refusés ». Vous êtes ailleurs, en bonne compagnie, dans celle de Camus que votre humour, votre « algérianité » érudite et débridée aurait enchanté. Inutile de rentrer dans la théorie du complot, votre livre et votre recherche valent mieux que cela. Grenoble le 28 octobre 2013 14 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page14
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