EE 57 - Page 12 - Etoiles d'encre N° 57-58 Dites-le avec Humour En rire ? Lâcher tout ça ? Désengorger ? Évacuer ce qui obstrue ? Danser sur le volcan à gorge déployée ? Ça fait des jours que je campe à côté des toilettes, que j’avale des tonnes de flotte, de tisanes de décoctions, de liquides divers et variés, et toujours rien à l’horizon, l’espace de mon cerveau réduit à une attente, les tripes nouées sur l’impossible issue, le blocage intégral, l’overdose de tout, le ménage en stand-by, les jambes repliées, la démarche incertaine autour de la chambre, le gaz qui fuit, la cuisinière qu’on éteint, Shoah sur l’écran, ça défile, pour solde de tout compte, chiens de l’Europe venus d’ailleurs, Roms venus de l’Est, gens du voyage, pourtant d’ici, tous ces humains des quatre coins, si différents vraiment ? Et ces singeries prémonitoires, ces bruits de bottes qui se rapprochent, ces relents d’hier aujourd’hui, le large sourire Banania, la peste brune à bonnets rouges… Ça sent mauvais, vous ne trouvez pas ? Je tourne autour, allers-retours, la ritournelle revient. On n’y peut rien ? Vraiment ? Ça grince, ça coince, ça ne veut pas sortir ? Comment en rire ? T’en a qui étaient au bord du gouffre et qui ont fait un grand pas en avant… Y’en a d’autres qui tournent et se retournent, et voient tout en noir et blanc, Y’en a encore qui divaguent et veulent se faire martyrs pour que maman les reconnaisse sur les affiches, Y’en a qui sortent seuls avec leur canon scié, pour se faire peur ou faire peur, on ne sait plus vraiment... 10 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page10 Sur l’autre chaîne ils ont tous l’air joyeux pourtant, ils se congratulent avec des sourires satisfaits, ils sont entre eux, loin de cette puanteur qui envahit la ville, protégés dans leur bulle, du son et de l’odeur, bien à l’abri, bien au chaud. Ça grince, ça coince, envoyez la musique aux abrutis. Ça grince, ça coince, trois petits tours au bal des nantis. La vie se joue en rose et or, c’est le paradis. Obélix prend la tangente à l’Est, tous aux abris, rien de nouveau sous le soleil de mon pays. Ma douce France se vide, les grands hommes fuient. Quelques femmes emboîtent le pas, en nostalgie. C’est l’exil, l’exode, on se rue ailleurs, que les autres se débrouillent ! Travail, famille, patrie. Nous, on se barre disent-ils en chœur. Ça sent mauvais ici. L’argent n’a pas d’odeur, lui. Ça grince, ça coince, pirouette, cacahuète, ma maison est en carton, et je dors au coin de la rue. Vous m’avez vue ? Demain j’irai faire les poubelles du supermarché, avant qu’ils ne les aspergent de javel pour nous empêcher de nous servir. Je ferais bien attention qu’on ne m’attrape pas. Car c’est interdit vous savez de prendre la nourriture périmée. Et pourtant y a encore plein de choses bonnes à manger dans leurs poubelles. Bon d’accord de temps en temps j’ai le ventre à l’envers, et ce n’est pas facile dans cette ville de circuler le ventre à terre. Pirouette, cacahuète… Souriez vous êtes filmés ! Circulez y a rien à voir ! Vous y arrivez vous à circuler les yeux fermés ? Ou alors il faut rester chez soi, comme ça, on ne risque pas de tomber, de haut en bas. L’écran vous avale d’un coup, et hop là, il vous dégueule dessus, suivant le moment, ou l’heure du jour ou de la nuit, enfin forum 11 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page11 tout ça, en rond, en boucle, et votre humour s’enfuit. Des jeux à la pelle, sous toutes les formes, pour qu’on la boucle, pour qu’on s’écrase, pour qu’on se taise, pour qu’on pleure, qu’on rie, qu’on s’émotionne, pour qu’on la ferme, stars d’un soir à la lucarne, « on a gagné ! », des hourras aux fenêtres des immeubles, tout le monde est content, on se frotte les muscles, les nôtres, les leurs, c’est du pareil au même, du fond du canapé, c’est l’illusion qui compte, « on a gagné », et tout le reste est balayé. Ça sent mauvais, vous ne trouvez pas ? Turlututu chapeau pointu, il a mis son complet au rancart, il fait noir. Dondaine dondon, c’est le jour du potiron. Dondaine dondon, c’est la chanson du mirliton. Dondaine dondon, c’est la rengaine des nations. Mangez ma soupe, gavez-vous bien, ça fait grandir, mais ne salissez pas la nappe ce n’est pas bien ! Le vin est tiré, il faut le boire, mais ne vous pincez pas le nez, ce n’est pas gai. Allez voir plutôt du côté du placard, la place est nette. Du balai ! Il a cinq ans et toutes ses dents, mais pour combien de temps ? Vive le vent, l’hiver est lent, vive le vent, où est maman ? Ça grince, ça coince, aïe maman ! Il a cent ans, il a mille ans, vive le vent ! 12 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page12 Lettre à Salah Guemriche Marie Malaspina Dans un premier temps, j’ai rencontré votre dernier livre « Aujourd’hui Meursault est mort » présenté sur internet par des critiques littéraires. Il y était question de droit d’inventaire, de déboulonnage du mythe de l’icône Camus, de levée d’impunité et de sa responsabilité qui dédouanait moralement la France… de ces méchants éditeurs français qui refusaient d’éditer les auteurs algériens parlant de Camus… du clivage et encore du clivage. Rien pour me donner envie de lire votre livre. J’aimai cependant votre projet de poursuivre le récit de « l’étranger », au moins il m’intrigua… Le 26 octobre 2013, l’association lyonnaise « Coup de soleil » organisait un colloque avec d’éminents professeurs, c’est là que je vous rencontrais et que tout se remit à l’endroit. J’assistai à votre lecture d’« Aujourd’hui Meursault est mort » comme une enfant devant un sapin de Noël. Plus votre lecture avançait plus la gratitude m’envahissait. Les phrases éclairaient « l’icône » de sa vie débordante, de sa complexité d’homme, de ses appartenances adhésives, dans un récit théâtralisé. Dans Alger, reprenant ses trajets familiers, au milieu des personnages de ses récits et de ses écrits multiples, vous lui redonniez une vie à plusieurs facettes. Interrogeant l’homme dans ses fictions et ses actions vous nous le rendiez proche. 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page13 Remis dans notre temps avec ceux qui maintenant parlent de lui en l’instrumentalisant vous le poursuiviez dans le présent. Le temps pour un moment était aboli. Et là, il apparut que peu de personnes connaissent Camus aussi bien que vous, que vous l’aimez de passion exigeante et que pour tout dire vous m’apparaissiez soudain comme étant son fils. Le fils de l’arabe est aussi au plus intime le fils de Camus, à qui il demande d’être enfin regardé pour ce qu’il est. Voilà pourquoi il a le droit de « traquer » ses errances, ses blancs, ses points aveugles, ses angles de vue limitée, ses contradictions, le doute fondamental qui le constitue et de lui en demander raison. Vous suivre ou pas dans cette course effrénée vers une vérité n’est pas la question, votre reconstruction étayée tient la route. Seule la remarque qui vous fait dire, quand Camus disait les Algériens il désignait les Français d’Algérie, m’interroge. En Algérie, dans ma famille dans les années cinquante et dans le nord constantinois, quand mes parents disaient les Algériens ils parlaient des Arabes, nous étions des Français d’Algérie et il y avait les Italiens et les Espagnols, chacun était désignés selon son origine « de souche » comme vous diriez et vraiment très loin il y avait la métropole dont enfants nous ne savions même pas que des Algériens y travaillaient. Votre livre n’est pas édité sur papier mais téléchargeable sur internet il va connaître le succès et rencontrer ses lecteurs. Vous n’avez pas besoin de rentrer dans la bataille des « refusés ». Vous êtes ailleurs, en bonne compagnie, dans celle de Camus que votre humour, votre « algérianité » érudite et débridée aurait enchanté. Inutile de rentrer dans la théorie du complot, votre livre et votre recherche valent mieux que cela. Grenoble le 28 octobre 2013 14 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page14 Je vais le manger ce gâteau Ce gâteau que tu me fis goûter. Il est là Devant moi À la vitrine du vivre Je vais le manger Car vois-tu Écrire me fatigue « Écrire ou vivre Il faut choisir » Qu’il avait dit Le Louis. Écrire pour qui Pour quoi… « Écrire ne sert à rien » M’a dit mon voisin. PÂTISS / é / RIES Rose-Marie Naime Et parmi ces douces Pâtisseries En lignes sur l’étal Laquelle choisir ? Moi qui paresse - sachant que tout choix Sauf en amour Inhume les possibles - Moi qui toujours Ai préféré rêver Et courir à tenir, L’eau aux papilles Derrière la vitre Je la regarde la vie Ses friandises. Tendre la main 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page15 S’entendre dire : « Je voudrais celle-ci » Ah ! Oui c’est vrai Il faut payer… J’ai compté mes sous J’avais assez. Je suis restée Un temps si long Baba Devant le comptoir À mater vos mokas Vos éclairs et vos choux Vos religieuses vos financiers Que le temps chipant mon temps À ranci toutes les crèmes : La religieuse s’est affaissée Le financier s’est rassis Et l’éclair s’est enfui Me voici me voilà chocolat ! Alors Pour me payer un ailleurs Dans une vie future Je bouffe le millefeuille Et j’écris j’écris j’écris Je crie sans doute La bouche pleine Car nul n’entend ma voix… 16 humour 57 Forum CT.qxp_Mise en page 1 01/05/17 01:06 Page16 une artiste à étoiles d’encre doaa eladl Exposition en Espagne « Apaguemos el Maltrato », Torrejón de Ardoz 25 novembre 2013 au 31 janvier 2014 Espagne, novembre 2013 Masry el-Yom, mercredi 25 décembre 2013 Masry el-Yom, mercredi 18 septembre 2013 interview de doaa Eladl par Fawzia Assaad Doaa est sollicitée. L’été 2013, elle a reçu le prix de la caricature politique. C’était au salon de la caricature qui se tient à dix kilomètres de Limoges; sitôt de retour au Caire, elle part en Italie, puis en Espagne, invitée à témoigner contre la violence faite aux femmes. En novembre 2013, je suis allée au Caire pour la rencontrer. Le contact est sympathique. Elle est musulmane, je suis chrétienne. Elle est voilée, je ne le suis pas. Cela ne fait aucune différence. Nous sommes toutes deux égyptiennes. Femmes et Égyptiennes. Il n’est pas besoin de mots pour le savoir. Le journal pour lequel elle travaille est celui que je lis tous les jours, sur papier ou sur internet: Masry el-Yom. Je lis les événements à travers ses caricatures pour alléger la pression du désespoir. Le métier de journaliste est dangereux. Celui de caricaturiste encore davantage. Il donne forme au rire qui tue. On se souvient des caricatures de Mahomet et du scandale qu’elles ont soulevé, les caricatures de Doaa seraient-elles moins dangereuses? L’imaginaire des mots et des images est redoutable. Doaa le manie avec un tendre humour, un humour réformateur. Elle souhaiterait sans doute une autre réalité politique. Il faut braquer les phares de la renommée sur elle pour la protéger de la censure. Et répondre à son message.
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