Premieres pages de A la memoire d un ange - Page 1 - roman de Michèle Juan I Cortada sur la spoliation des biens juifs Illustration de couverture : © Gustav Klimt, Portrait d'Adele Bloch-Bauer I, 1907 Nouvelle Galerie, New York Tableau aryanisé en 1938 et attribué par jugement à sa nièce, Maria Altmann en 2006 A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 6 Aux enfants du monde A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 7 A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 8 9 Janvier 1984 Augustin est entré comme une rafale dans la salle à manger où Rosine et Louise mettent le couvert. – On passe à table, dit Louise. – J’ai une faim. Je mange vite. J’ai un exposé à faire avec Baptiste et Antonin. Il faut le rendre au mois de mai. Première réunion cette après-midi chez Antonin. Son grand-père était notaire pendant la guerre. Il sait plein de trucs. Il va nous aider. – Tu déballes tout en vrac, on ne comprend rien à ce que tu racontes, lui dit Louise. – Tu ne me laisses pas parler. – Quel est le sujet de cet exposé ? – Les Juifs à Marseille pendant la guerre. La spoliation. L’aryanisation. Ferdinand est entré. – Pas facile, dit-il. On vous apprend ça ! En première ? Des mots terribles. Le professeur vous a préparés à ce sujet ? Évidemment, se reprend-il, en regardant Louise qui acquiesce. – Ta grand-mère était lingère à La Rouvière pendant la guerre. Une maison aux Accates qui recueillaient des enfants juifs. Elle pourrait t’en parler. – Bien sûr dit Louise. C’était avant le Vallon de l’Amandier, je crois. Rosine fixe son assiette. – Ça ne va pas grand-mère ? A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 9 10 – Mais oui. Tiens, je m’en souviens, la Gestapo, près d’ici, rue Paradis, au 426, elle s’occupait des résistants. Ton grandpère y est passé. Ma sœur et mon frère aussi. Ferdinand hoche la tête : – Au 425. – Mon exposé est sur l’aryanisation des biens juifs. Pas des résistants. – Des Juifs ont été aussi des résistants, dit Louise. Rosine : – Au village, on était au courant de rien. On savait rien. Les gens disparaissaient sans qu’on sache où ils allaient. À Allau, y en avait pas des Juifs. Elle éparpille dans son assiette des miettes de pain et écrase avec acharnement des pommes de terre déjà en purée. – Mais grand-mère, aryanisation, spoliation, ça ne te dit rien ? – Jamais entendu. – Pardon grand-mère, je ne voulais pas te contrarier. Tu fais comme si je t’avais blessée. – Aryanisation était à l’époque un néologisme, dit Louise. As-tu vérifié ce que veulent dire ces mots dans le dictionnaire, Augustin ? Aryanisation, spoliation. – Je n’ai pas trouvé aryanisation. Mais le prof nous a expliqué. Spoliation. Une volerie. C’est comme si on vous confisquait la fromagerie, le mas du Vallon de l’Amandier, notre immeuble et le poste de professeur d’espagnol de maman. L’État français de Vichy donnait les biens des juifs à ceux qui n’étaient pas juifs. Les Aryens. – Les Aryens ! soupire Ferdinand. – Aryen : type de «race» blanche selon les Allemands, envoie Augustin. Ferdinand hausse les épaules. – Race pure, supérieure, noble, déclame Augustin, c’est écrit dans le Larousse. A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 10 11 – Un truc de nazis, dit Ferdinand. – Une doctrine diabolique mise à exécution, dit Louise. Un silence. – Pourquoi avoir choisi ce sujet ? demande Louise, – On vous l’a imposé ? Vous ne pouvez pas décider seuls de ce que vous voulez faire ? s’exclame Rosine, il n’y avait pas d’autre sujet ? – Le professeur a proposé 4 sujets : La vie culturelle à Marseille pendant l’occupation. La peste à Marseille en 1720. Est-il légitime en certaines circonstances de désobéir à la loi ? Et le nôtre. – Mais enfin pourquoi avoir choisi ce sujet ? s’acharne Rosine. Le vôtre ! Le vôtre ! Changez avec un autre groupe. – Pourquoi grand-mère ? Je t’explique. Parce que, le grandpère d’Antonin était notaire pendant la guerre, je vous l’ai dit déjà, et que, l’arrière-grand-père de Baptiste était un grand résistant. Il est mort maintenant. – Et pourquoi toi ? dit Ferdinand. – Parce qu’Antonin est mon copain et que Baptiste habite en face de chez nous, ce sera facile pour se voir et travailler. – Baptiste comment ? demande Louise. – Baptiste Maillol. Son père a un cabinet d’avocat à Aix, mais ils ont déménagé à la rentrée dans leur maison de Marseille. – En face de chez nous ? Au 6 ? Personne ne dit plus rien. Augustin : – Je file chez Antonin Fenouillet. Vous paraissez surpris. On dirait que c’est la première fois que je vous parle d’Antonin. On est amis depuis la troisième. C’est Baptiste Maillol ? A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 11 C’est le sujet ? Les camps ne sont plus un sujet tabou. Les rescapés en parlent. Les journaux, la télé. – Un sujet… – Un sujet comme un autre, dit Augustin. A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 12 13 Maître Firmin Fenouillet, notaire, grand-père d’Antonin, les attend à son étude du Cours Pierre Puget. C’est à lui que les garçons vont poser leurs questions cette après-midi. Ils ont chacun leur questionnaire. Ils vont prendre un maximum de notes, pêle-mêle, y réfléchir, les fouiller, avant de les ordonner. I. Qui est juif ? Qui est aryen ? II. Loi sur l’aryanisation des biens juifs. III. Maître Fenouillet a-t-il connu des Juifs dont les biens ont été aryanisés, spoliés ? IV. A-t-il rédigé des actes notariés dans des cas d’aryanisation, de spoliation, de ventes fictives ? V. Que sont devenus ces biens ? Les Juifs les ont-ils récupérés ? Firmin Fenouillet accueille les enfants dans son bureau qui communique avec celui de son fils, le père d’Antonin, et successeur. Antonin claironne : – Augustin Lahuche, élève de première. Baptiste Maillol, élève de première. Baptiste, c’est le petit-fils de ton ami Marius Maillol. – Tu ressembles à ton père et à ton grand-père. Ils vont bien ? – Ils vont bien. Merci. Mon grand-père voulait vous voir, monsieur. À propos de cet exposé justement. – Je m’en doutais. Je l’appellerai. Antonin m’a parlé du sujet A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 13 14 de votre travail. Vous êtes venus me voir pour savoir quoi ? Dites, mais parlez l’un après l’autre. À toi Augustin. – Je n’ai pas trouvé aryanisation dans le dictionnaire ! On voudrait savoir précisément ce que ça veut dire. – Aryanisation ? dit Firmin, c’est l’expropriation des Juifs d’Allemagne, d’Autriche, pendant la période du nazisme. Puis l’expropriation des Juifs de toute l’Europe occupée. Occupée par les nazis. C’est se réapproprier les biens des Juifs. Aryaniser, c’était aussi exclure les Juifs de la vie économique, culturelle, scientifique et administrative. Les exclure de l’armée. Je résume, dit Antonin, notez : – Exclusion, expropriation, extermination. – Extermination n’est pas notre sujet, dit Baptiste. – Mais bien sûr, insiste Antonin, extermination pour ne pas rendre aux Juifs leurs biens. – C’est logique, acquiesce Augustin. Mais ce n’est pas la seule raison de cette solution finale décidée par Hitler au bord du lac Wannsee le 20 janvier 1942. J’ai lu le procès-verbal rédigé par Émane. Exterminer les Juifs pour qu’ils ne se reproduisent pas. Les affamer, les mitrailler, les tuer au Zyklon B. Firmin les regarde, étonné par leur rapidité à aborder le sujet. – Aryen, vous avez cherché ? – Gens de race blanche, pure, noble, dit Augustin. Firmin les observe, attend. Ils réagissent – Ces prétendus Aryens, dit le dictionnaire. – La race juive n’existe pas. Pourtant les nazis et le gouvernement de Vichy définissent les Juifs comme une «race». – Pas plus que la race aryenne. Il n’y a pas de races. – Une invention. Firmin sourit. – Ne parlez pas tous ensemble, dit-il. Je n’entends rien à ce que vous dites. À toi Baptiste. A la mémoire d'un ange revu 10 09_Mise en page 1 12/09/2014 18:47 Page 14
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