Premieres pages de Cher Azad de Janine Teisson - Page 1 - Premières pages de Cher Azad de Janine Teisson Illustration de couverture : ©Valérie Dumas, 2011 C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 6 Gentil lecteur, pourquoi s’interroger plus avant sur le titre du modeste ouvrage que tu as entre les mains ? Bien sûr tu trouveras au fil de ces pages deux ou trois détails, pas plus, qui te feront soupçonner une ressemblance entre la petite histoire qu’il offre à ta curiosité et quelque illustre et merveilleuse œuvre orientale ; mais ne te méprends pas : si le prénom de notre héros présente un semblant d’homonymie avec celui d’une princesse fameuse, si sa langue est aussi agile que celle de cette dame, la personne pour laquelle il la fait aller si bon train au moment où commence mon histoire est une sultane et non le sultan moustachu dont la cruauté fit naître l’œuvre célèbre. Regarde notre cher Azad : dans la chambre aux mosaïques bleues, sur le grand lit à baldaquin, à genoux entre les cuisses de la souveraine, il soulève ses fesses à deux mains et sous sa bouche, Lalla Yasmina se pâme et se meurt dans un grand nuage froissé de soie rose, le visage caché dans le flot sombre de ses cheveux. Oui, Azad a la langue et les doigts agiles, et le corps mince et ambré dans la lueur des lampes à huile. Lorsque la 7 C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 7 sultane a poussé un cri plus fort que les autres et arqué les reins, il attend un instant, la joue contre son ventre, puis, comme le musicien reprend sa phrase après la syncope et en varie le motif, il poursuit sa caresse. Pourquoi porte-t-il un bandeau de cuir sur les yeux ? Question judicieuse dont la réponse est déjà une histoire. Il faut que tu saches, lecteur curieux, qu’Azad est un poète musicien. Lassé d’une vie aux bonheurs trop prévisibles, il a quitté depuis des mois la ville lointaine où il était célèbre. En quête d’aventures, il a traversé le désert pour atteindre l’étrange royaume de Yasmina, perle verte posée sur l’or infini des dunes, dans sa sertissure de montagnes noires. Azad en savait les habitants plus férus de musique que nul autre peuple. Dès le premier jour, à l’auberge, les clients lui ont demandé de jouer quelques airs et le lendemain, tout le quartier était là qui voulait goûter sa musique. Les gros écrasaient les maigres, les grands bousculaient les petits, les enfants se faufilaient jusque sous les tables basses et les plus malins avaient envahi la cuisine où la tête de quelques-uns sortait, huileuse ou blanche de farine, de jarres énormes. Au premier accord, la foule ne fut plus qu’un bloc de silence. C’était tout comme si une mer, à l’instant grondante, avait reflué sans retour. Le temps, aussi, semblait avoir arrêté sa course pour tous ces gens qui avaient oublié affaires, travail, marmaille, pour s’emplir des mélodies d’Azad. Brisant ce recueillement extasié, les gardes du palais ont surgi. La femme qui 8 C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 8 9 massait la nuque du musicien pendant la pause, en appuyant ses seins durs contre son épaule, n’a eu que le temps de chuchoter : « Les hommes de la garde... c’est vers toi qu’ils viennent ! ». Elle lui a effleuré le petit doigt tandis que des colosses le rudoyaient, le soulevaient presque de terre, lui serraient un bandeau sur les yeux, pourquoi donc, grand Allah ? Et le poussaient dehors, un sabre sous la gorge. Les trois jours suivants, dans la touffeur du hammam, Azad, le bandeau toujours sur les yeux, a été frotté à l’éponge rêche et baigné par deux femmes silencieuses, épilé de la tête aux pieds et jusqu’entre les fesses, plongé enfin dans une eau fraîche puis reniflé au naturel par une vieille indiscrète. Après lui avoir fourré son nez partout, elle s’est décidée à l’enduire d’une essence suffocante qui, à présent sublimée, l’enivre à chaque mouvement. Son séjour aurait été paradisiaque si l’impitoyable chef de la garde ne l’avait forcé, lame sur les reins, à boire ces liquides âcres qui ne sont pas des poisons, non, mais font tambouriner son sang à ses tempes, dans ses yeux, ses oreilles, son sexe, à lui faire mal, à lui causer vertiges et nausées, et le clouent au sol plus sûrement que des chaînes. Au plus fort de leur effet son sang bout, son sexe irradie comme épée au feu. La femme la plus brûlante, en l’accueillant en elle, le rafraîchirait. Le quatrième jour, la quatrième nuit plutôt, la nuit où commence notre histoire, Azad a été emmené, corde au cou, mains liées derrière le dos, vêtu C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 9 10 d’un sarouel de soie arachnéenne, toujours masqué, encore sous l’effet des potions amères, le long de frais couloirs. Puis son tortionnaire, suant de haine, l’a jeté sans ménagement dans une chambre. Et là, lecteur avisé, tu imagines qui l’attendait ! La sultane a pris son temps pour l’observer. Elle l’a tâté partout sous la soie. Elle semblait apprécier ses fesses de mangeur de sable, rondes derrière, creuses aux côtés. Elle a dit : « Bien ! Mahmoud a parfaitement compris ma remarque. » Ces derniers mois, chacun des hommes ramenés par son grand eunuque, montrait plus de ressemblances avec lui. Plus massif que le précédent, plus brun, plus noueux, les joues plus bleues au matin. Elle avait fini par craindre de se trouver une nuit au lit avec le jumeau de Mahmoud. Comme elle a bien fait de rappeler à l’ordre le chef de sa garde eunuque ! Comme elle s’en réjouit ! De la nuque aux chevilles, Azad n’est que finesse. Oreilles minuscules, entre plat, reins d’acrobate. Il n’a rien dit pendant que la sultane l’inspectait. Il respirait son parfum de musc, sucré de circée blanche, et cherchait à évaluer sa taille tandis qu’elle se tenait debout devant lui, son souffle chatouillant la peau épilée de sa poitrine. Elle a même posé ses lèvres sur son sexe à travers la soie. Il s’est appuyé contre le mur froid. Ils haletaient tous deux. Puis elle s’est écartée et a dit, dure : –– Homme ! Écoute-moi bien. Je vais délier tes mains, mais si tu risques un geste brusque ou si tu fais mine de C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 10 11 retirer le bandeau que tu as sur les yeux, celui qui t’as capturé et conduit ici, qui attend derrière cette porte, t’éventrera avec son sabre avant de t’égorger. As-tu compris ? Qui ne comprendrait pas ? Azad a gardé le silence un peu plus longtemps qu’il n’aurait fallu, par jeu, parce qu’il savait qu’elle regardait sa bouche aux lèvres pleines, retroussées aux commissures dans un sourire. Il lui a répondu enfin, dans la langue rocailleuse de son pays. Il a entendu son hoquet de surprise. Il a ri. –– J’ai tout compris Princesse. Déliez-moi les mains sans crainte. Je n’ai pas l’intention de donner à votre charmant garde du corps la joie d’utiliser prématurément son instrument de travail. Mais qu’a-t-il dit dans sa langue ? Avant de libérer ses mains elle a tiré sur la ceinture de son sarouel qui a glissé le long de ses jambes avec un bruit de plume. Après avoir posé ses pieds sur la soie, que pouvait-il faire d’autre que laisser son sexe violin au large gland poli la saluer sans se lasser ? Il n’a pas vu la sultane se passer la langue sur les lèvres. Dommage. Il ne sait pas qu’elle s’émerveille de son teint uniforme de miel. Elle a tellement détesté ces hommes de basse extraction, couleur de poterie bien cuite en haut et d’un gris de cadavre à partir de la taille. Ceux-là elle les aurait bien fait couper en deux suivant la ligne par Mahmoud, mais son sabre n’aurait pas suffi à la tâche. Seul son sexe est plus foncé et elle ne lui en tient pas rigueur. La petite clé de bronze a tourné dans la serrure. C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 11 12 Il a esquissé un mouvement des doigts puis a laissé glisser la chaîne le long de sa paume. Bien. Elle n’a pas eu à lui dire : « lâche ça ou le chef de ma garde t’étrangle avec ! » Du pied elle a envoyé la chaînette à l’autre coin de la chambre. Quand il a eu les mains libres, Azad s’est massé les poignets. Puis il s’est caressé les joues, les épaules, la nuque, le torse, le sexe, avec une telle ferveur que la sultane s’est demandé s’il n’avait pas oublié sa présence. En attendant qu’il ait fini de se retrouver, elle a observé ses mains. «Allah est miséricordieux s’est-elle dit, elles ne sont pas aussi maigres que ses pieds ! » Elle a admiré ses longs doigts qui n’ont cependant pas la finesse repoussante de ceux des danseurs qui s’habillent en femmes, attachent leur sexe entre leurs jambes pour parfaire l’illusion et ondulent de façon si suggestive que les nègres géants qui les protègent sont régulièrement réduits en bouillie par les spectateurs aveuglés de désir, et les danseurs efféminés, ou du moins ce qu’il en reste, emportés Allah sait où. Il n’a pas non plus leurs ongles trop longs, rouillés de henné. Les siens sont bombés, courts, légèrement bleutés vers la lunule, comme elle les aime. –– Puis-je faire quelque chose pour vous princesse ? Elle a sursauté. Elle s’était habituée à son silence. Il a joint les mains sur sa poitrine à la façon des Hindous. Émue, elle a effleuré son sexe qui opinait derechef, l’a pris dans sa main et a entraîné Azad à sa suite vers le grand lit dans lequel commence notre histoire. Ce lit, intelligent C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 12 13 lecteur, mais pour d’autres raisons que celles que tu as en tête, mérite qu’on s’y arrête. Cet énorme vaisseau d’amour à baldaquin de tapisserie et rideaux de mousseline a été offert à Lalla Yasmina par le Bey de Tawfiq, qui voulait lui voir épouser son fils, un nigaud de dix ans son cadet. Averti Allah sait comment de son goût pour les fêtes lascives, il n’avait pas hésité à faire exécuter pour elle une réplique de son propre lit, lequel, sa succession assurée, accueillait plus de petits marchands de figues de barbarie que de grasses beautés du harem. Ce meuble monumental, en bois de santal, orné de fresques érotiques à la mode italienne, est tapissé à l’intérieur de cent cinquante miroirs grands comme une main, censés renvoyer en autant de points de vue différents les ébats de la sultane et du dadais. En pièces détachées, à dos de chameau, escorté par deux ouvriers florentins à moitié desséchés, il arriva à travers les déserts jusqu’aux portes du palais. La sultane accepta le lit et refusa le bécasseau. Sous son ciel où des femmes grasses volettent entre les miroirs et chevauchent de sombres hommes aux pieds fourchus, la sultane apprécie le délicieux savoir-faire du nouvel arrivant. Sur ses draps roses, (« Ne mets pas de rose, tu parais plus noire qu’une crotte de chèvre ! » lui répète la vieille Awara. Tant pis, elle aime tellement le rose ! Et puis, qui la voit ?) la plupart des visiteurs secrets de sa chambre se soumettent à ses caprices érotiques, étanchent sa soif de luxure ou du moins s’y emploient, flattent vainement son espoir d’être mère et finissent par éveiller en elle une haine C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 13 14 qui les dépasse. Paralysés par la peur au premier abord, quand ils comprennent pourquoi ils sont là, il ne se passe pas longtemps avant qu’ils ne se rengorgent et vantent leur vigueur et leur anatomie. Alors, pour se donner l’ardeur de supporter leurs assauts de boucs et leurs discours de bordel, ne reste à Lalla Yasmina que la perspective de les abandonner bientôt à Mahmoud qui, suivant son humeur ou les ordres de sa maîtresse, les écorchera lentement ou découpera en fines rondelles chacun de leurs membres, en commençant bien sûr par celui dont ils sont si fiers. Rares sont ceux qui restent modestes et pleins de questionnements. Ceux-là peuvent choisir entre une mort indolore et une vie de serviteur muet au palais. Tous ceux qui se trouvèrent devant ce choix, ont préféré abandonner leur langue à Mahmoud et n’ont eu, par la suite, qu’à s’en féliciter. Oui tu l’as compris, impatient lecteur, notre ardente sultane a pour habitude d’accueillir chaque soir un homme nouveau qu’elle fait périr au petit matin. Pourquoi ? Mais pour des raisons semblables à celles du sultan Schahriar ma foi ! Un seul être vous trompe et vous dépeuplez tout, c’est la dure loi de l’amour. Mais revenons à nos héros. Avant d’en arriver à la ferveur des agenouillements, avant que ne monte la plainte de Yasmina, Azad a exploré la sultane de la pointe des cheveux à celle des pieds et a eu fort à faire pour l’empêcher de mener les choses au train d’enfer qui est habituellement le sien. Il a du la forcer à goûter ses caresses comme on contraint une pouliche à C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 14 accepter la selle, et elle a ralenti l’allure. Elle l’a même baisé longuement et léché partout où il a été épilé quand il lui a dit qu’il éprouvait un plaisir des plus vifs à sentir sa peau nue. Ses lèvres, sa petite langue alerte.. quel vertige ! Mais il ne l’a pas laissée s’attarder. Yasmina fait épiler tous ses hommes. Certains, honteux d’avoir été traités en femmes, ou rendus oublieux par la surprise et le plaisir, éludent ce détail au cours d’une nuit somme toute assez brève. D’autres, tout ragaillardis de n’avoir affaire qu’à une femme, et qui plus est accueillante, après l’avoir saillie une première fois, se répandent en reproches au sujet de cette atteinte à la toison qui ornait si fièrement leur virilité. Ceux-là, elle les fait scalper par Mahmoud pour commencer. Azad est le premier de ses captifs à goûter la volupté d’avoir la peau lisse. À sentir ses mains si attentives à parcourir son visage et tout son corps, elle a eu peur qu’il ne soit un de ces masseurs de hammam aux prévenances vénales, quasi thérapeutiques. Il l’a détrompée. Elle en a soupiré de contentement. Il lui a demandé de s’asseoir dans le lit, a pris ses cheveux à pleines mains, les a soupesés, palpés comme une étoffe précieuse. « Dieu t’a distinguée quand il t’a donné tes cheveux. Pour le reste, il t’a traitée comme la fille du premier ânier venu », lui a souvent dit la vieille Awara. Il y plonge son visage, les enlace, les respire à grandes goulées puis les étale au dessus d’elle tandis qu’elle se recouche, afin qu’elle puisse bouger à son aise sans les tirer. Elle croyait que seules Zia et Amila pouvaient avoir de ces égards. 15 C_a_finalise MN_Mise en page 1 07/09/2011 04:56 Page 15
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