Le rire d'Irene premieres pages - Page 2 - roman Le rire d'Iréne de Suzel Grondin Pilou Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 1 Les chants de nidaba collection co-dirigée par Maïssa bey et Marie-noël Arras L’enfant plume, récit, Janine Teisson, poche, 2012 Les jours blancs, Hélène Pradas-billaurd, 2012 Cher Azad, contes érotiques, Janine Teisson, 2011 La salle de bain d’Hortense, roman, Janine Teisson, 2011 Plus loin que la nuit, Cécile Oumhani, poche, 2011 De deux choses l’une, roman, Christine Détrez, 2010 Liens de sang, roman, Janine Teisson, 2010 Et la lumière en ces jardins, roman, Catherine Rossi, 2009 Des ailleurs impossibles, récit, Eugénia Patrizià solda, 2009 Rien sur ma mère, roman, Christine Détrez, 2008 Filiations dangereuses, roman, Karima berger, 2008 Ma mère toute bue, roman, Valéry Meynadier, 2007 Célébrations intimes, nouvelles, sigrid L. Crohem, 2006 Et plus, si affinités... roman, Dominique Godfard, 2004 Squatt d’encre rouge, Dominique Le boucher, 2004 Les tulipes d’Istanbul, roman, Chantal G. Haupt, 2003 Un Demi-Siècle de la Vie d'une Femme, récit, Eugénia Patrizià solda, 2002 Très de Mayo, roman, Michèle Juan i Cortada, 2002 La Hurle Blanche, roman, Dominique Le boucher, 2001 © Éditions Chèvre-feuille étoilée 34080 Montpellier bureau@chevre-feuille.fr http://www.chevre-feuille.fr/ second trimestre 2012 isbn : 978-2-914467-82-7 Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 2 LE RiRE D’iRènE Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 3 Du MêME AuTEuR LiTTÉRATuRE GÉnÉRALE Les Lianes, roman, éd. Joëlle Losfeld, 2002 illustration de couverture : © photo Olivier borson Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 4 suzel Grondin Pilou Le rire d’irène ROMAn Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 5 Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 6 Clara est partie vers un ailleurs que l’on dit meilleur. « non ! Lili, répliquerait-elle, pas avec moi, à moins que tu ne considères comme un ailleurs un trou rempli d’asticots. Quant au meilleur, ma belle, je te laisse seule juge… » Autant le dire à sa manière : Clara santenac est morte, hier, 22 mars. Elle a tout essayé pour atteindre le premier avril et l’EPO1 nous fit espérer un moment cet ultime clin d’œil. Ma garde folle a quand même réussi à défier les premiers jours du printemps et ce foisonnement indécent, les bourgeons suintant le désir d’éclore, les mimosas et leur entêtante présence. Clara détestait ces arbustes tout juste bons à orner les chars des corsos du village. Avant-hier, d’un coup de tronçonneuse, simon a décapité tous ceux de la cour. Vu comme il écrasa les petites boules jaunes, ce n’é- tait pas seulement des fleurs qu’il piétinait. J’ai quitté le salon aux rideaux tirés, les cierges dia- phanes, les condoléances précoces. Les fleurs. Je m’éloigne du cercueil en pin traité à cœur, si sobre au 1. Erythropoïètine, une substance dopante trés connue que l'on donne parfois aux malades. Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 7 milieu de tous ces artifices liés aux adieux. Clara avait toujours faim d’enfance et de mots, elle a choisi comme derniers compagnons de voyage un arbre souvenir et une expression qui lui tenaient à cœur justement. Je traverse le couloir comme un pont au-dessus de l’eau trouble, je libérerai ton esprit… like a bridge over trouble water, i will ease your mind un vieux tube des années 60 de simon and Garfunkel et une manie de notre adolescence, traduire des chansons qui par- laient d’amitié et les fredonner pour ne pas avoir à dire tout haut ce que notre pudeur interdisait. Est-ce l’épuisement des nuits incolores, comme elle les appelait parce que blanches, c’était encore trop doux, mais la chambre qu’occupait Clara lors- qu’elle posait ses valises pour quelques semaines ou quelques années, me semble étrangère, presque hos- tile. Pourtant, je croyais l’avoir apprivoisée cette pièce, pendant les quarts que nous prenions, repus d’aïoli et de mauvaise conscience, autour de ses trente cinq kilos de souffrance. Pauvres de nous ! Le club des cinq : ma mère, Monsieur santenac, simon, L-A ou moi, chacun à son tour. Clara privilégiait les tête-à-tête où regards et paroles ne peuvent se déro- ber. Pauvre de moi ! Élève studieuse qui s’appliquait à retenir des instants pour les réciter plus tard quand les gris de l’automne viendront balayer les ciels trop bleus et le vacarme de l’été, laissant le chagrin à vif. 8 Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 8 Heureusement, le reste de la maison ne ressem- ble pas à la chambre du fond. Pour Clara comme pour beaucoup d’autres, notre mas fut un refuge intemporel, accueillant, avec ses recoins aux allures de confessionnal et son immense cuisine, réserve aussi bien de crêpes, de parties de cartes que de réconfort. Mais aujourd’hui, la grande table cernée de pas feutrés et de chuchotements, semble effrayer les enfants condamnés à dissimuler leurs rires accrochés au présent. Je m’attarde sur chaque détail de la chambre. L’imposante armoire de chêne m’intimide toujours un peu, Clara, elle, n’hésitait pas à s’y cacher. J’en- tends son rire railleur « Lili ! si tu y restes juste une heure, je mange un chien ». Clara était prête à dévo- rer cet animal à tout bout de champ. Elle adorait cette phrase, petite déjà : « si la maîtresse a un amoureux, je mange un chien ». Et la chambre du fond me redevient familière Je m’assois, épuisée. Le fauteuil à bascule a gardé l’empreinte de son dos, les coussins la marque de ses bras et je me rends compte, à la place que prend mon corps d’athlète en bonne santé, combien Clara pesa peu ces derniers temps sur ses camarades de naufrage, comme elle avait surnommé tous les meubles qui l’entouraient. Je me relève brusquement, je ne supporte pas mon propre poids. Je préfère la chaise droite devant 9 Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 9 le bureau ; cette camarade de naufrage m’attend et s’im- patiente. J’étale les lettres de Todos santos sur le sous-main de cuir brun, les range par année, une vingtaine, jaunies, écornées. J’ouvre celle que j’ai trouvée hier matin, posée sur mes genoux, sans doute un moment où contrairement à elle, je m’étais assoupie. Avant de la lire, je sais déjà une chose, une où un sud-américain ordinaire baigné de lumière et de larmes va entrer par effraction dans ma vie, ajoutant son errance à celle d’autres inconnus. Concours de lettres de Todos santos, Guatemala 1974 1er prix Mère, Je suis entré dans la maison silencieuse, encausti- quée autant de cire luisante que de souvenirs. Des patins effilochés, un peu roussis – un fer trop chaud peut-être ? – montaient une garde dérisoire, pas si dérisoire car décelant au travers des fibres vos emprein- tes, votre voix impérieuse : « Fernando ! surtout met- tez les patins », dans un ultime réflexe d’obéissance, je les chaussais et patinais le long du corridor mal éclairé. Plusieurs portes, quelques-unes fermées, d’aut- res entrebâillées laissaient filtrer la lumière du dehors. Je ne savais laquelle pousser, surpris d’avoir oublié à ce point la disposition des lieux, inquiet de déranger des visiteurs attardés ou encore un chat moins ingrat 10 Le rire d'Irène_Mise en page 1 29/04/2012 22:54 Page 10
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