Premieres pages de Bassoles s'en va-t'en guerre - Page 1 - Bassoles s'en va t'en guerre , roman ATELIER D’ÉCRITURE SUR LA GUERRE DE 1914-1918. MISSION CENTENAIRE À LA MÉDIATHÈQUE DE LOUDUN SEPTEMBRE 2014-MARS 2015. SOUS LA DIRECTION DE NICOLE BURESI. Cette histoire est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé, toute analogie de noms, serait pure coïncidence. Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 4 Élisa Dersoir, Nicole Hamon, Réjane Marteau, Annie Raimbault, Sophia Tangui, Nicole Buresi BASSOLES S’EN VA T’EN GUERRE ROMAN Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 5 ©éd. Chèvre-feuille étoilée 2015 34080 Montpellier bureau@chevre-feuille.fr www.chevre-feuille.fr ISBN : 978-2-36795-094-5 illustration de couverture: ©Albert Herter, Le départ des poilus, août 1914 illustrations intérieures : ©Les élèves de l’atelier d’Arts plastiques de Loudun Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 6 AVERTISSEMENT Les participantes de cet ouvrage n’avaient pas l’idée, en commençant ce travail collectif d’atelier d’écriture qu’il pourrait déboucher sur un « roman », même court. Elles voulaient seulement essayer de comprendre de l’intérieur les événements tragiques de l’époque, tenter de les pénétrer de façon sensible en se projetant par l’écriture dans des personnages fictifs échangeant des lettres avec leurs proches. Bien entendu, il a d’abord fallu se documenter sérieusement pour imaginer un départ au front, un baptême du feu… Mais, petit à petit, au fil des échanges imaginaires, s’est construit un récit plus intime, comme l’écho en elles de ces événements. Le passé collectif a résonné en chacune, faisant émerger aussi des souvenirs personnels de cette époque : telle chanson, telle tradition léguée, tel récit… Ainsi, elles ont prolongé, à leur manière, le témoignage des anonymes de l’époque. Et l’atelier d’Arts plastiques a pris le relais, en donnant un visage à ces êtres devenus vivants. Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 7 Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 8 Chacun sait bien que dans leurs lettres, les poilus, quand ils n’utilisaient pas le patois, n’écrivaient pas un français soutenu ou même correct. Quand Monsieur Boulanger — mon grand-père — recueillit, après les veillées fameuses de Noël 1914 et 1919, celles des jeunes de son village qu’il avait eu à cœur d’instruire, il se fit un devoir de les conserver soigneusement, en hommage à ceux qu’il considérait comme ses enfants. Mais il ne put s’empêcher de les corriger… C’est dommage évidemment, car la langue originelle y a perdu en saveur… Cependant, lorsque, à la mort de mes parents, j’ai retrouvé ces feuillets couverts de son écriture régulière, j’ai été émue de revivre tous ces épisodes qu’il évoquait à mots couverts quand il se promenait avec moi dans les bois environnants. Je vous les livre comme je les ai trouvés, encadrés par des passages narratifs ou explicatifs qu’il a jugé utile d’insérer. Ah le souci pédagogique ! Ça ne l’a jamais quitté… Agnès Boulanger Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 9 P.S. : Les frères Guymar, Jean et Henri, étaient des fermiers, comme Lucien Tander. Maurice Pelot était violoniste, Gaston Nottet instituteur et Antoine Rainsoir boulanger. En 1914, ils sont tous devenus des poilus. Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 10 Noël 1914 Ici et là des soldats fraternisent, mais le canton de Bassoles ne le sait pas. Comme tant de cantons de France et d’ailleurs, il est déjà en deuil. Beaucoup de ses soldats sont morts en août ou en septembre, en Lorraine ou dans le Nord, ou dans la Marne. Au village, on trime sans se plaindre, on manque de pain. Mais surtout manquent ceux qui ne sont plus ou qui sont absents. Le père Xavier, lui, est revenu. Blessé, le bras gauche emporté. Mais vivant. Et déterminé. D’autres ne reverront jamais leur pays. Des jeunes, des hommes mûrs, des fils, des pères, des époux. Morts, blessés, emprisonnés… Le père Xavier écarte largement son bras droit en regardant l’église pleine et pourtant si vide. La manche gauche pend à son côté. Le Père Xavier dit au prêche : Mes chers frères, mes chères sœurs, Parce qu’il faut se battre contre les barbares, parce qu’il faut reconquérir l’Alsace et la Lorraine, les terres de France dont la France a été dépouillée, 11 Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 11 parce que nous avons un devoir sacré, prions d’abord Saint Maurice, le patron de nos soldats. Tout le monde est debout dans l’église froide. Chacun serre contre soi les lainages qu’il a trouvés, et ses enfants. Et chacun reprend à l’unisson, lisant la prière distribuée à l’entrée pour implorer force et courage : Ô Saint Maurice Tu n’as pas craint d’affronter la mort Tu as su conforter le courage de tes compagnons d’armes, Écoute aujourd’hui notre prière Toi qui es le saint patron des fantassins : Que le Christ nous fortifie ! Que le Christ nous éclaire afin que nous gardions Un cœur paisible face à la mort… Dans le silence, chacun essuie furtivement les rigoles sur les joues fatiguées. Personne n’est sûr à présent qu’il faut continuer cette guerre. Mais comment faire ? Le Père Xavier s’arrête un instant pour laisser les larmes couler. Puis, il se racle la gorge. Il reprend, en s’arrêtant plusieurs fois : 12 Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 12 Mes chers frères, Tous, même après la victoire, nous garderons la trace de ces années meurtrières. Tous nous nous souviendrons de ceux qui sont morts, nous aiderons ceux qui sont blessés. Prions pour nos soldats. Prions pour nous. Que la guerre s’achève vite ! Paix sur la terre ! J’ai une idée : cette nuit de Noël, cette veillée à laquelle ils n’ont pas droit, nous allons la dédier à nos chers absents. Nous allons lire leurs lettres tous ensemble. Là où ils sont, ils seront avec nous. Il y en avait beaucoup, de ces lettres. Les soldats en écrivaient tant qu’ils pouvaient depuis cinq mois. Chacun en a choisi quelques-unes. Il y a des lettres d’adieu, il y a des lettres d’espoir, il y a avant tout des lettres d’amour et des poèmes aussi. Chacun les a apportés, sans savoir pourquoi, comme le prêtre l’a demandé, sentant qu’on allait vivre une communion d’un genre nouveau. On est venu sur le parvis glacé. Dans la nuit constellée, on a fait un grand feu. Chacun, emmitouflé dans des couvertures, s’installe comme il peut et blottit contre son cœur les précieuses missives. 13 Bassoles corrigé 18 0815_Mise en page 1 18/08/2015 23:33 Page 13
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