Premieres de Pages de les ailes brulees de Dalila Azzi - Page 1 - Les ailes brûlées de Dalila Azzi Illustration de couverture : © Marie-Noël Arras les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 6 Pour Tayri et Lina les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 7 les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 8 Now she lifts her pale forearms and thoroughly washes her face. Now she snaps her wings open, and floats away. I don’t know exactly what a prayer is. I do know how to pay attention, how to fall down into the grass, how to kneel down in the grass, how to be idle and blessed, how to stroll through the fields, which is what I have been doing all day. Tell me, what else should I have done? Doesn’t everything die at last, and too soon? Tell me, what is it you plan to do With your one wild and precious life? Mary Oliver (The summer day) Maintenant, elle lève ses avant-bras pâles et se lave soigneusement le visage. Maintenant, elle fait claquer ses ailes, les déploie et s’envole au loin. Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière. Je sais comment centrer mon attention, comment tomber dans l’herbe, comment m’agenouiller dans l’herbe, comment flâner et être comblée, comment errer à travers les champs, ce que j’ai fait tout au long de la journée. Dis-moi ce que j’aurais dû faire d’autre ? Est-ce que tout ne finit pas par mourir, trop prématurément ? Dis-moi ce que tu entends faire de ta vie, sauvage, précieuse et unique ? Journée d’été les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 9 les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 10 I La brume qui flotte en petites perles vaporeuses sur l’horizon, le ciel d’un gris opalin et le bleu et le vert se disputant la couleur de la mer, donnent un air intemporel au tableau qui s’offre à mes yeux. La plage déserte d’un bout à l’autre, m’accueille comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Mes pieds foulant le sable froid et mouillé ne laissent aucune empreinte. Je semble l’effleurer à peine. Ma robe en voile blanc ivoire me tombe en cascades jusqu’aux chevilles et gonfle parfois lorsque le vent daigne la taquiner. Je sens l’air frais me traverser le corps tout entier et le vent me caresser les cheveux puis me les ébouriffer. Je ferme les yeux et invite tous mes sens à se mettre en éveil. Le ballet incessant des vagues avec leur délicieuse mélodie pénètre mes oreilles, un frisson agréable me titille la peau, et puis l’odeur des algues et du sable dans mes narines et le goût du sel sur mes lèvres. L’extase ! Je m’assois un moment, les pieds dans l’eau puis laisse mon corps basculer en arrière. Un geste tellement répété ici sur cette même plage. Pourtant tout semble si différent autour de moi. Les maisons en bois sur pilotis qui baignaient dans l’eau ont disparu. Ces petites bâtisses jonchées comme des cigognes sur leurs pattes ne font plus partie du décor. Que s’est-il passé ? Les éléments se sont-ils déchaînés un les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 11 12 jour au point de les abattre toutes ou la main de l’homme est-elle passée par là ? Je reste perplexe. J’ai passé tellement de temps ici en compagnie de mon amie, mon âme sœur. Elle me manque désespérément. Je ne sais plus combien de temps je suis restée sans elle, une éternité pour moi. Quelques mois ou plusieurs années ? Je suis incapable de m’en souvenir. Je ne sais même plus l’âge que j’ai. Mes derniers souvenirs remontent à mes 20 ans. En pensant à cela, je me tâte à la recherche d’un objet qui ne me quitte jamais. Ma robe n’a pas de poches et je ne porte aucun sac. Où ai-je donc mis mon miroir ? Mon petit miroir biseauté aux rebords argentés que j’emporte partout ? Je suis triste de ne pas le retrouver. Je me relève soudainement et me mets à courir, les bras grands ouverts comme pour enlacer l’air qui me caresse le visage auréolé de bouclettes dansant au rythme de mes foulées. Je cours à en perdre haleine, le bout du nez glacé et la bouche desséchée. Je ferme les yeux et revois mon amie courir à mes côtés. Je tends la main pour m’agripper à la sienne. Je la sens au creux de la mienne, j’entends clairement nos rires se mêler au sifflement du vent dans nos oreilles. Le bruit de nos pieds courant dans l’eau comme un clappement harmonieux battant la mesure. Impalpable, je vole ! Des mouettes planent au-dessus de ma tête en lançant leurs cris éraillés. Je m’arrête un instant, attirée par leur ricanement et leur bonheur presque insolent. Je les fixe sans ciller puis captivée par leurs cris je me mets à suivre leur mouvement circulaire en tournant autour de moi comme un derviche en transe, entre danse et prière. Je m’immobilise d’un coup lorsque la musique s’arrête dans ma tête. J’ai le tournis et mon cœur bat fort. Je reste dans cet état d’ivresse les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 12 13 à regarder en alternance le ciel et la mer. Puis d’un seul coup, mon cœur encore frémissant de bonheur fait un bond dans ma poitrine lorsque je pense à l’endroit auquel je dois me rendre. Je soulève ma robe pour libérer mes jambes afin de mieux courir. Je traverse la plage d’un bout à l’autre puis j’arrive au quartier de la Salamandre situé à quelques centaines de mètres seulement, sans lancer un regard aux alentours. J’ai juste hâte de rentrer chez moi, alors je continue à courir sans me contenir un instant. Arrivée enfin sur place je découvre tristement que ma maison n’y est plus, mon petit théâtre a disparu. Le petit théâtre Fethi Osmane qui a vaillamment trôné là des années durant. Il porte le nom de l’une des plus importantes figures du théâtre algérien. Mostaganemois de naissance tout comme moi, il est né dans le quartier arabe de Tigditt, quartier pittoresque de la ville à l’instar de Ould Abderrahamen Kaki, Djilali Benabdelhalim, Abdelkader Benaïssa, Mekki Bensaïd et d’autres. Le théâtre a ouvert ses portes en 1979, justement l’année de ma naissance. Pure coïncidence ou fait prémonitoire ? Nous étions appelés à nous rencontrer et le coup de foudre a été immédiat. El Moudja - la vague en arabe - école d’art dramatique et association culturelle à la fois, est née une année plutôt, le 1er septembre 1978 exactement. La bâtisse en bois en ellemême existait antérieurement à la création du petit théâtre et l’endroit avait fonctionné comme bar durant plusieurs années. Il avait admirablement réussi sa reconversion ! Des centaines d’enfants étaient passées par là. Leurs vies avaient changé par des années d’apprentissage. Ils s’étaient forgés un caractère et une identité artistique et chacun d’entre eux, chacun d’entre nous, devrais-je dire portait son sceau les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 13 14 personnel. Les plus doués fréquentaient l’atelier de théâtre depuis des années. Tel était mon cas, plus de onze ans dans la troupe, c’était ma famille d’adoption. Et puis les murs de ce lieu mythique étaient témoins du passage de grands noms du théâtre, tels que Kelthoum, Kaki et Rouiched pour ne citer qu’eux. Quelle merveille ! Nous avions fréquenté le même lieu, foulé les mêmes planches et respiré le même air ! J’étais bénie. Mon corps frêle se raidit et mes poings se serrent si fort que je sens mes ongles se planter dans les paumes de mes mains. Comment est-il possible que cet endroit, magique pour moi, ait disparu. Aspirée par un tourbillon de souvenirs, je me revois devant le petit théâtre plusieurs années en arrière. Accompagnée par mon père qui avait durant mon enfance, cette habitude de marcher à mes côtés avec sa main posée sur mon épaule comme un geste de compassion continue. J’avais neuf ans : Mon père tape à la porte et celle-ci s’ouvre seule sans grand effort. L’intérieur est sombre et je suis incapable de distinguer quoi que ce soit. Une voix que je n’arrive pas à localiser dans l’espace s’adresse à nous : — Entrez sans frapper, ici la porte ne se ferme jamais ! En foulant le plancher, nos pieds provoquent le craquement délicieux du bois. Au fur et à mesure que nous avançons, la silhouette de l’homme assis devient plus réelle à mes yeux. La lumière qui rentre par l’immense et unique baie derrière lui, éclaire son visage. Je découvre un homme mince à la limite de la maigreur, le nez droit, les cheveux bruns et épais, les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 14 15 les yeux pétillants et le regard franc. Il nous invite à nous asseoir sur la scène du petit théâtre. Nous sommes tous les trois là, dans un silence solennel. La gêne de mon père est visible et matérialisée dans ces gestes maladroits. Il racle sa gorge, se passe la main sur le visage à plusieurs reprises et fixe un point quelconque pour éviter de croiser le regard de l’homme. Je le soupçonne incapable d’exprimer mon désir de rejoindre la troupe. — Elle peut rester dès maintenant, les autres enfants vont arriver. Mon père se lève d’un bond, libéré par cette phrase qui venait mettre fin à un grand moment de solitude. Il n’avait pas encore atteint la porte que d’autres enfants firent irruption dans un brouhaha joyeux, entre cris et éclats de rire. Je reste dans mon coin sans bouger pour me faire oublier. Je parcours du regard la scène qui se joue sous mes yeux et me surprend à sourire à mon tour. Leur bonne humeur est contagieuse, le coup de foudre est immédiat, je suis tombée amoureuse de cet endroit. Il me procure de nouvelles sensations. Un sentiment de sécurité d’abord. J’ai cette impression qui plus tard devint plus forte qu’ici rien ne peut m’atteindre. Je veux prendre part à tout cela, je veux faire partie de tout cela. Tout est plongé dans une pénombre certainement voulue. Le décor : un pot-pourri de marionnettes posées çà et là, de masques, de foulards colorés suspendus, de livres entreposés et de photos accrochées. Une beauté singulière. les ailes brûlees_Mise en page 1 03/05/2014 21:35 Page 15
Premieres de Pages de les ailes brulees de Dalila Azzi - Page 1
Premieres de Pages de les ailes brulees de Dalila Azzi - Page 2
viapresse