DELIT DE REVE - Page 12 - Pour Croire à un nouveau monde ou les citoyens seront respectés 12 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Ces gens n’avaient qu’un seul but, acquérir cette autonomie alimentaire que seule la terre pouvait leur procurer. Les autorités ne perturbèrent pas cette réquisition immobilière. Au contraire, le gouvernement apporta sa contribution en offrant gratuitement le service de l’eau et de l’électricité et incita ce genre d’idées, par des aides de matériel de construction et de vivres. La date du vingt septembre fut décidée pour ce premier et innovant grand déplacement, la dernière réunion que l’on organisa trois jours avant le départ dans notre commune permit la mise au point de tous les préparatifs nécessaires. Toutes les mesures pratiques avaient été débattues et suffisamment expliquées lors des émissions régionales de ces derniers jours mais, ce soir, de nombreuses questions préoccupaient l’assistance. Comment éviterons-nous l’encombrement que poseront tous nos véhicules en arrivant à destination ? - Pour ceux qui n’ont jamais été à Paris, je vous précise que le départ de la manifestation se passera sur le boulevard extérieur. Nous allons donc improviser des parkings sur les accès, l’infrastructure routière à ces endroits le permettra aisément. Ces fins d’autoroute sont très larges, nous nous garerons de chaque côté sur plusieurs files, mais il est vrai qu’il faudra marcher quelque peu. - Les autres régions, notamment celles que nous traverserons en montant vers Paris, ont chacune un itinéraire et un accès différent pour éviter un engorgement possible, attendez-vous tout de même à quelques embouteillages, précisa un organisateur de notre commune. - Comment retrouverons-nous les autres groupes régionaux ? - Tout simplement sur le périf, puisqu’ils font comme nous. Toutes les autoroutes de tous les coins de France aboutissent à cette boucle. Grâce aux horaires fixés nous pénétrerons dans la ville par toutes les portes au même moment jusqu’à notre lieu de rendez-vous et de rassemblement qui sera la place du Champ de Mars. - Les forces de l’ordre ne risquentelles pas d’empêcher ce regroupement en plein centre ? - Ca fait partie des éventualités, on espère que notre message aura été assez clair. C’est une grande réunion pacifique avant tout, il n’y a rien de vindicatif dans notre déplacement nous n’allons pas nous faire entendre, mais écouter. Je ne sais pas si nos réponses rassurèrent tout le monde mais il était trop tard pour changer quoi que ce soit. 13 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Après bien d’autres précisions, on se quitta en se souhaitant bonne chance et en se donnant rendez-vous le dix-neuf septembre à dix-huit heures, près du parc des expositions de Bordeaux. Point de ralliement de la région Aquitaine, pour tous ceux qui désiraient participer à cette mobilisation. Nous avions tout le week-end devant nous avant le grand jour. Dimanche étant le jour de l’ouverture de la chasse, Pierre et moi allions pouvoir nous distraire, Luc ne nous accompagnerait pas, parce que d’une part, il n’était pas chasseur et que d’autre part, il allait passer huit jours avec Christine à Marseille chez son fils. J’aimais ce rendez-vous annuel, ce n’était pas qu’une histoire de chasse mais une histoire d’amitié entre copains, animés par la même passion. L’équipe n’avait pas changé et je ne me rappelle pas depuis combien d’années nous étions ensemble, nous ne nous retrouvions pas seulement pour l’ouverture, mais pour toutes les autres chasses traditionnelles, que ce soit pour la saison de la palombe, pour des battues au sanglier ou au chevreuil, ou, celle que je préférais entre toutes, la chasse aux canards à l’affût qui se pratiquait plus tard dans l’hiver. C’était pour nous, une forme de loisir qui se perpétuait de génération en génération, les tentatives écologiques de l'union Européenne pour nous enlever ou réduire ce privilège naturel avaient été vaines. * 14 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. CHAPITRE III La manif. 15 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Après cette journée de plaisir le lundi arriva et nous étions prêt à l'heure convenue. Les organisateurs de tous les départements d’Aquitaine avaient préféré arriver avant les participants, rassemblant ainsi tous les bus que les entreprises avaient mis gracieusement à notre disposition. Nous espérions réunir entre quarante et cinquante mille personnes. Sans aucune difficulté, le millier de véhicules nécessaire à ce transport quelque peu insolite était présent bien avant l’heure du départ. Si par cas, nous devions être plus nombreux nous avions en réserve d’autres autocars, mobilisables très rapidement. Le soutien de ces entreprises était total, subvenant même à la fourniture du carburant, peu onéreux depuis la mise sur le marché par l’industrie chimique du combustible vert, simple dérivé de produits agricoles. L’électricité motrice était encore réservée aux voitures particulières. L’opération actuelle représentait un coût élevé et les patrons de ces PME le justifiaient comme un investissement pour l’avenir. Dés dix-sept heures, les premiers volontaires arrivèrent. A vingt heures, il fallut se rendre à l’évidence ; nous n’étions que trente mille à prendre part à ce premier grand rassemblement. Après le premier instant de déception, nous avions fini par convenir que ce n’était pas si désappointant. Si vingt régions mobilisaient autant de monde, cela représenterait six cent à sept cent mille personnes. Il ne s’agissait pas exactement du premier grand rassemblement. Paris avait été très souvent et depuis bien des années, le témoin de manifestations aussi importantes. La différence résidait dans l’esprit de cette mobilisation, dans la motivation uniformisée de tous ces gens présents. Précédemment, il n’y avait aucune cohésion entre les secteurs d’activité et leurs revendications. Aujourd’hui, nous gardions le mène état d’esprit que lors de nos concertations : aucune connotation syndicale, politique ou autre, mais une union de citoyens qui allait chercher des réponses. Des siècles d’États dirigeants n’allaient pas disparaître soudainement, le pouvoir existait. Il était logique et naturel de le consulter. Aucune autre solution ne nous aurait permis un tel impact. Les dix heures de route se passèrent sans encombre, les trois premières dans la bonne humeur car un des deux chauffeurs de bus, micro en main, semblait détenir un répertoire inépuisable de blagues. Ensuite on eut droit à un journal télévisé, suivi d’un film, mais la fatigue eut raison des trois quarts des passagers. Le chauffeur nous réveilla à la hauteur du dernier péage, à environ cinquante kilomètres de Paris. 16 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Cet idiot n’avait rien trouvé de mieux pour nous réveiller, que de mettre la musique à fond. On entendait la Marseillaise, satisfait de sa plaisanterie il nous dit en chantonnant ; - Bonjour tout le monde, préparez-vous ! Le champ de bataille approche, le jour de gloire est arrivé mais le café n’est pas prêt. Et il éclata de rire. Sa bonne humeur était communicative car tout le monde se mit à rire. Les thermos se mirent à circuler, Le trajet s’était bien passé mais maintenant les premiers bouchons commençaient. Nous étions à la croisée d’autres régions qui empruntaient une portion de notre itinéraire mais prenaient des sorties différentes, cette dizaine de kilomètres communs provoquait de forts ralentissements. Sur chaque pont enjambant la dernière portion d’autoroute, on aperçut de nombreux véhicules de police. Ils n’avaient qu’une mission d’information sur l’importance de nos convois car aucun contrôle ne fut opéré jusqu’à notre destination, il est vrai que ce déplacement n’avait rien de secret puisque depuis plusieurs jours déjà nous faisions les gros titres des journaux et des chaînes de télévision privées. Seules les chaînes du secteur public occultaient cet événement et en faisaient état sans plus d’explication. La censure avait lieu de cité. Le parking se constitua comme dans nos prévisions mais l’ordre du départ ne fut pas respecté. A Bordeaux, la place était immense alors qu’ici la largeur de cet axe routier était réduite. L’embarquement avait duré plus de trois heures tandis qu’ici tout le monde quitta les bus en même temps, cela provoqua une cohue. Heureusement nous avions constitué trois groupes d’organisateurs, disposés judicieusement au début, au milieu et à la fin du convoi. Grâce à nos micros amplificateurs portables, deux heures suffirent à réorganiser cette marche, La tête du cortège parvint au périphérique en une heure, notre groupe se partagea systématiquement en deux, le premier remontant vers la gauche, le second vers la droite. Les autres représentations régionales faisant de même, la surface de cette voie de circulation spécifique aux grandes villes fut occupée peu avant midi. Le départ pour le centreville était prévu pour quatorze heures, donc toutes les portes d’accès seraient franchies dans un bel ensemble. Ces deux heures de battement furent mises à profit pour se reposer et se restaurer. Certains avaient emporté de la nourriture comme pour tenir un siège de huit jours, ceux qui étaient moins pourvus en bénéficièrent, la solidarité maintes fois prouvée ces derniers mois trouvait sa place ici. - Je vais étouffer, nous dit Luc, en enlevant sa chemise. Le manque d’air, le soleil de plomb et la foule massive contribuaient à une sensation d’étouffement. 17 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. - Ca ne va pas durer, c’est orageux, ça ne n’étonnerait pas qu’il pleuve avant ce soir, dit Axel. - Qu’il pleuve sur le retour, ça n’est égal je préfère avoir trop chaud, leur dis-je. Je n’ai pas envie de me tremper ! Des mouvements d’une autre teneur soutenaient notre action : commerces, administrations, tous les secteurs d’activité professionnelle étaient au point mort pour cette journée. Quatorze heures, le message de départ vers le centre-ville circulait d’ampli en ampli. Notre groupe progressait par la Porte d’Italie, l’itinéraire était simple direction Place d’Italie, ensuite l’Avenue des Gobelins, pour rejoindre le boulevard de Port Royal, puis le boulevard Montparnasse, ensuite celui des Invalides qui était très proche de notre point de ralliement du Champ de Mars. La chaleur était toujours aussi accablante mais un petit vent s’était levé, dynamisant tous les marcheurs. Les forces de l’ordre devaient être discrètes car nous avions dépassé la place d’Italie et nous ne les avions pas encore aperçues. A peine engagés dans l’avenue des Gobelins, des petits groupes de vingt, trente membres maximums surgirent de nulle part, ces individus masqués et armés de barre de fer prirent position à l’avant de notre défilé, fait quelque peu étrange, nous étions certains de ne pas avoir emmené ces personnages troublants. Nous avions entendu parler de ces bandes de casseurs car elles existaient du temps des autres manifestations. Il était impensable qu’elles soient là aujourd’hui. Le comportement des individus surgit précédemment étaient bizarres : ils cassaient vitrines, kiosques, cabines téléphoniques et incendiaient les véhicules qui se trouvaient sur leur chemin. Ce bruyant et violent tapage attira dans notre rue les forces de l’ordre. Ce vandalisme prémédité avait un but évident de provocation et d’affrontement. Les gardes mobiles, boucliers de protection en avant convergeaient rapidement dans notre direction. Ceci eut pour effet de stopper notre marche. Par contre, les voyous, nullement intimidés, progressaient à leur rencontre commençant à jeter tous les projectiles à portée de leurs mains. On voyait très nettement ce mur d’uniformes bleus progresser au pas de charge. Seul le groupe de casseurs nous séparait d’eux. La riposte ne se fit pas attendre et fut précédée par les premières grenades lacrymogènes. La panique, la peur, s’emparèrent des premiers rangs de notre cortège et nous dictèrent le repli sans plus attendre. Repli périlleux car l’étroitesse des rues et l’importance numérique des manifestants empêchaient un recul rapide. Des heurts devaient se produire dans d’autres rues car on entendait des tirs, des cris. Nos micros ne couvraient plus ce vacarme, l’appel au calme que nous lancions ne servait à rien. 18 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Les policiers étaient sur nous, ils nous avaient rattrapés sans aucune difficulté, aucun obstacle n’avait gêné leur course. Leurs masques les protégeaient des gaz. On essayait de s’échapper, d’échapper à cette violence à laquelle nous n’avions absolument pas pensé. Les premières lignes de notre défilé furent passées à tabac, de nombreuses personnes arrêtées sans ménagement. Les blessés étaient allongés à même le sol, ceux qui tentaient de leur porter secours étaient touchés à leur tour ou également arrêtés. Pierre courrait à côté de moi et me demanda ; - As-tu vu Luc ? - Non, il y a cinq minutes, il était derrière moi avec Axel. - Je ne les vois plus, me dit-il. Nous étions maintenant sur le parvis de la place d’Italie, seul l’accès de l’avenue du même nom était libre, les rues adjacentes étaient barrées par les forces de l’ordre canalisant ainsi notre repli. Quelques manifestants se bagarraient avec des CRS aux abords de ces barrages. Nous nous retrouvions, Pierre et moi, mêlés à cette échauffourée bien malgré nous, j’avais vu la matraque se lever devant moi et j’eus juste le temps de me pencher sur le côté, évitant de peu un coup sur le crâne. Je ne n’étais pas suffisamment écarté et le dessus de mon épaule gauche absorba le coup. Le choc fut tel que je tombais à genoux. Ma vue se brouilla instantanément. Je ne pouvais pas rester là ! Mes efforts pour me relever restaient vains, la douleur me paralysait. Toutefois, je parvins à apercevoir ce bras armé qui se releva au-dessus de moi mais avant la répétition de ce geste brutal, je me sentis happé tandis que le policier bousculé tombait. - Ne restons pas là, dit Pierre, en me relevant par mon bras valide. Je n’avais même pas la force de parler ni de lui répondre. Mon bras gauche pendait inerte et la course augmentait la douleur. Chaque pas devenait une souffrance supplémentaire. Je me sentais à nouveau défaillir et mes jambes se dérobaient. Pierre s’en aperçut, car je devais être un boulet pour lui. - On va s’arrêter un peu, me dit-il. Les flics sont loin maintenant. Délicatement il m’assit en m’appuyant contre un mur, - ça va aller ? 19 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. - Tu n’as pas un peu d’eau ? - Non, c’est Axel qui a gardé les bouteilles, un des gars de notre bus qui nous avait aperçus s’arrêta et nous demanda ; - Vous voulez un coup de main ? Et il me tendit sa gourde. - Oui, tu vas m’aider à soutenir Claude. » Pierre se baissa, mit mon bras droit autour de ces épaules et me releva. Mon épaule et mon bras gauche étaient encore trop douloureux pour que je puisse prendre appui sur le collègue et Pierre dû me soutenir seul. Tout le monde s’était replié sur le périphérique. Trois heures à peine s’étaient écoulées depuis que nous l’avions quitté, les heurts avaient cessé, les gardes mobiles nous avaient repoussés sans ménagement, ni grandes difficultés et avaient pris position à l’entrée de toutes les portes, de toutes les rues, fermant ainsi définitivement l’accès de la ville. Par micros amplificateurs interposés ils nous intimaient leurs ordres : Vous êtes priés de ne pas rester là ! Veuillez rejoindre vos véhicules. Inlassablement ce message se répétait, faisant le tour de cet axe circulaire. La soudaineté de leur réaction démesurément violente à notre encontre avait enlevé de notre esprit tout sentiment de réflexion cohérente et sans plus attendre nous obéîmes aux ordres. Cette foule partit rejoindre en silence les parkings respectifs, une file de cars de CRS était garée près du nôtre pour être certains que nous repartirions d’où nous venions, Pierre m’aida à m’installer, je luttais pour ne pas m’évanouir. La distance que nous venions de parcourir pour arriver à notre bus m’avait épuisé, chaque pas relançait la douleur. Tous les copains étaient revenus, personne ne manquait à l’appel. Il ne devait pas en être de même dans tous les véhicules. Par chance, nous avions deux médecins avec nous. Les blessures, les hématomes étaient nombreux, mais rien de grave. Luc n’aida à retirer ma chemise car l’un des docteurs voulait m’examiner. - Je crois que tu n’as rien de cassé, dit-il. Mais il faudra, par précaution, passer une radio à ton retour. Tu prendras ces cachets : deux maintenant, et un chaque fois que tu sentiras revenir la douleur. » Inutile de détailler davantage cette journée, seul le bilan est important. Nous repartions chez nous avec des blessures, certes morales et physiques mais légères. Par contre, nous l’apprendrons plus tard, d’autres y avaient perdu la vie. 20 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Deux heures passèrent avant que notre convoi prenne le chemin du retour ; nous avions volontairement attendu pour être certains que personne ne serait oublié. Les prévisions météorologiques d’Axel s’avérèrent exactes. Le tonnerre ainsi qu’une forte averse saluèrent notre départ. Les éléments naturels étaient eux aussi contre nous. La seule satisfaction de cette journée résidait dans le fait qu’aucune femme ne nous accompagnait. Cette décision prise d’un commun accord était dictée par l’importante mission de soutien qu’elles s’étaient fixées, et non, par un réflexe de misogynie. Peut-être s’agissait-il tout simplement d’un pressentiment féminin. Elles avaient eu l’idée de préparer une pétition à l’échelon national dans chaque ville, dans chaque village. Elles devaient récolter la signature de l’ensemble des familles composant les communes, cette pétition appelée « Manifeste de soutien du 20 septembre 2003 » serait ensuite expédiée par courrier recommandé à la Présidence de la République. Lorsque 1 'on connaît le nombre de communes dans notre pays, on imagine facilement la gêne que subira le Palais de l’Élysée pour réceptionner la totalité de ces missives. Cette initiative féminine associée à notre déplacement devait, nous le pensions, provoquer la mise en place d’une politique de concertation état/citoyen. L’ambiance et l’état d’esprit lors de notre retour étaient à l’opposé de ceux du voyage aller : personne ne parlait, les commentaires restaient intérieurs. Nous les formulerions plus tard, beaucoup plus tard car nous étions pour l’instant perdus dans nos propres pensées. L’immense amertume laissée par cette journée au fond de notre coeur nous conforta dans l’idée que l’avenir deviendrait encore plus précaire. Luc faisait bouger ma jambe : - Réveille-toi, me dit-il. Il va y avoir le journal télévisé. Malgré moi, je sursautais. J’avais dû m’endormir après avoir pris mes cachets. Ils devaient être efficaces car je ne ressentais plus de douleur. - Est-ce qu’il y a longtemps que je dors ? - Je ne sais pas, répondit Pierre. Je crois que nous avons tous sommeillé un peu. La tension nerveuse de ces dernières heures avait dû y contribuer. Pour une fois, nous faisions la une des chaînes publiques, le journal d’informations débuta par un reportage ou il n’était question que d’affrontements. 21 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Les images se succédaient de heurt en heurt, d’actes de vandalisme en actes de vandalisme, de violence en violence, comme si cette journée ne se résumait qu’à cela. Pas de commentaire de la part du journaliste sur la motivation de toutes ces personnes venues de la France entière, pas plus sur le sujet des différentes actions menées à travers l’hexagone. L’énoncé du bilan de ce jour particulièrement exceptionnel fut catastrophique, les premiers chiffres faisaient état de soixante-trois morts et d’au moins deux cent blessés dont certains dans un état grave du côté des manifestants, En ce qui concerne les forces de l’ordre, on dénombrait quatre morts et une centaine de blessés, certains dans un état critique. Pour les quatre tués, le présentateur parla de meurtres car leurs blessures avaient été provoquées par balles. - Une enquête est ouverte pour déterminer les causes exactes de ce drame qui vient une fois de plus frapper des policiers dans l’exercice de leurs fonctions, précisa un officier interviewé. La nature de leurs blessures ne laisse aucun doute sur les circonstances de leur mort. » Le reportage cessa pour laisser place au studio de l’information, le journaliste présent nous annonça la venue du Ministre de l’intérieur. Le discours de ce représentant de l’état dura plus de vingt minutes, mais le résumé de son exposé suffira à décrire le sens de ses propos et à retenir notre attention. Il ressortait de ce discours que le gouvernement ne céderait à aucune pression, et surtout pas au chantage de la violence dont nous avions fait preuve par notre comportement cet après-midi. Le chef d’état, ainsi que tous les représentants nous faisaient part de leur totale réprobation quant à nos agissements, Il était inadmissible et impensable de vouloir déstabiliser le pouvoir en place. Celui-ci, ayant selon lui, l’importante charge du redressement de notre pays. Il rendit un vibrant hommage aux policiers « assassinés » dans l’exercice de leurs fonctions et il adressa de sincères condoléances aux familles des victimes. Dorénavant, continua-t-il, toutes les manifestations, tous les rassemblements seraient interdits aux abords de la capitale ainsi que dans les villes de plus de dix mille habitants. Pas un mot, pas un seul mot, à l’attention des manifestants qui avaient perdu leur vie, ni de tous ceux atteints physiquement. La cacophonie des sirènes d’ambulance que nous avions perçue lorsque nous étions sur le périphérique, nous avait quelque peu rassuré sur le sort des blessés. Néanmoins, nous attendions des précisions. La seule assurance que le Ministre nous apporta concernait le sort des nombreuses personnes arrêtées. Nous pouvions être persuadés qu’elles seraient jugées en toute équité dans le cadre de la procédure des flagrants délits.
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