DELIT DE REVE - Page 10 - Pour Croire à un nouveau monde ou les citoyens seront respectés 10 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. L’état d’esprit général de la population changeait lui aussi et une certaine sociabilité s’instaurait créant un début évident de cohésion sociale. Personne ne regrettait d’avoir assisté au meeting du jeudi soir. L’ordre du jour de cette réunion qui nous permettait la concertation était clair et explicite : il proposait tout bonnement de préparer un grand, un très grand rassemblement dans la capitale. Nos représentants, nos dirigeants n’étaient-ils pas tous dans cette ville ? Il fut demandé à toute personne de bonne volonté et désireuse de participer à cette organisation de se faire connaître. Il était primordial de propager ce message. Cette réunion n’avait guère mobilisé plus de mille personnes, c’était vraiment très peu, mais cette démobilisation sociale n’était-elle pas logique ? Malgré cela, notre détermination après cette soirée fut sans appel et Luc, Pierre et moi allions naturellement faire nos débuts d’organisateurs. Nous étions tous les trois issus du même village et notre première démarche fut d’élaborer une réunion. Cette première expérience fut sans fausse modestie un succès car toute la population se déplaça. La salle de la mairie prévue à cet effet se révéla trop petite. L’installation de hautparleurs extérieurs permit de satisfaire l’assemblée. Notre principale proposition sur la prévision de cette grande manifestation recueillit un avis favorable. Le contact était établi. Cette concertation populaire fut identique dans toutes les régions : pas de teneur politique, syndicale ou autre, pas de parti pris pour un secteur d’activité. Nous irions à Paris demander aux personnes en place, grâce à notre vote de confiance, quel avenir nous pouvions envisager. Nous exigions et souhaitions des réponses concrètes et précises pour une fois. Le contexte économique en ce temps n’évoluait toujours pas, la régression tant de fois citée continuait inexorablement. Seul le fonctionnement pratique du pays était maintenu. La perturbation qu’aurait pu provoquer la démission de nos gestionnaires communaux n’était pas du tout visible puisqu’il s’agissait d’un phénomène encore récent. L’entretien des communes avait été préservé par les fonctionnaires en poste. Administrativement, rien n’avait changé, cela avait d’ailleurs été voulu par les élus lors de l’interruption de leur mandat. La vie continuait ou plutôt on continuait la vie. L’existence de deux classes sociales qui régissaient maintenant notre principe de société était devenu flagrant : ceux qui étaient dans le besoin et manquaient de moyens constants et ceux qui étaient communément appelés « les riches ». 11 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Les premiers représentaient une majorité grandissante tandis que les seconds composaient une minorité aux pouvoirs et aux moyens croissants. Cet état de fait engendrait une différence de comportement tout aussi navrante. L’état, la justice, les banquiers, les grands patrons, cette nouvelle classe de dirigeants née de la crise qui avait créé cette « Cité des Gouvernants » perpétuaient un climat d’insensibilité totale face à la crise ambiante. Les chiffres, non vérifiés, stipulaient qu’environ sept cent mille personnes vivaient dans ce mini état, délimité facilement par cette ceinture que formait le boulevard périphérique. La ville de Paris n’était pas réellement fermée, le tourisme avait été préservé, un peu trop réglementé mais néanmoins existant. Loin de l’idée mène de décentralisation, nous étions en pleine recentralisation : la police et l’armée créèrent leurs propres quartiers à l’intérieur comme à l’extérieur de la capitale, encerclant et protégeant discrètement cette « nouvelle » ville. Le ministre de l’intérieur nous précisa qu’il ne fallait voir aucun calcul dans ce regroupement, mais tout simplement une évolution logique de notre société pour une meilleure harmonisation du travail du gouvernement, aidé dans cette charge par les principaux acteurs économiques de notre pays. Cette promiscuité des pouvoirs fut en soi une bonne idée, on eut la réelle impression qu’un tel rassemblement d’idéologies ne pouvait qu’aboutir au redressement si souvent promis. Les nombreuses chaînes régionales appartenant au secteur privé, facilitèrent énormément l’organisation de ce rassemblement. Leur statut de PME, avec les difficultés d’entreprise propre à cette période, nous permit d’avoir leur soutien. Les relations avec les autres régions se faisaient donc par réunions télévisées, l’interconnexion était une technique très fiable. La faible participation du meeting Bordelais appartenait au passé mais elle avait tout de même permis de déclencher cette mobilisation quasi générale des citoyens. Sans sollicitation particulière, nos réunions régulières, deux à trois par semaine, provoquèrent un élan de solidarité, pour être plus juste, de sociabilité à travers tout le territoire. L’uniformité de classe sociale que nous formions y contribua aussi à sa manière, la cohésion sociale, impensable il y a seulement cinq ans, prenait maintenant forme. Nous étions impuissants face à la courbe ascendante du chômage, mais notre nouvelle solidarité permettait à cette catégorie d’exclus de survivre et d’espérer. Le repeuplement des campagnes y fut pour beaucoup, ce prodige ne venait absolument pas d’un choix politique mais plutôt d’une nécessité élémentaire de survie. La désertion des villes incita des groupes de personnes à former des communautés qui squattèrent des villages à l’abandon. Il n’y avait aucune idée de secte derrière ce nouveau paysage social. 12 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Ces gens n’avaient qu’un seul but, acquérir cette autonomie alimentaire que seule la terre pouvait leur procurer. Les autorités ne perturbèrent pas cette réquisition immobilière. Au contraire, le gouvernement apporta sa contribution en offrant gratuitement le service de l’eau et de l’électricité et incita ce genre d’idées, par des aides de matériel de construction et de vivres. La date du vingt septembre fut décidée pour ce premier et innovant grand déplacement, la dernière réunion que l’on organisa trois jours avant le départ dans notre commune permit la mise au point de tous les préparatifs nécessaires. Toutes les mesures pratiques avaient été débattues et suffisamment expliquées lors des émissions régionales de ces derniers jours mais, ce soir, de nombreuses questions préoccupaient l’assistance. Comment éviterons-nous l’encombrement que poseront tous nos véhicules en arrivant à destination ? - Pour ceux qui n’ont jamais été à Paris, je vous précise que le départ de la manifestation se passera sur le boulevard extérieur. Nous allons donc improviser des parkings sur les accès, l’infrastructure routière à ces endroits le permettra aisément. Ces fins d’autoroute sont très larges, nous nous garerons de chaque côté sur plusieurs files, mais il est vrai qu’il faudra marcher quelque peu. - Les autres régions, notamment celles que nous traverserons en montant vers Paris, ont chacune un itinéraire et un accès différent pour éviter un engorgement possible, attendez-vous tout de même à quelques embouteillages, précisa un organisateur de notre commune. - Comment retrouverons-nous les autres groupes régionaux ? - Tout simplement sur le périf, puisqu’ils font comme nous. Toutes les autoroutes de tous les coins de France aboutissent à cette boucle. Grâce aux horaires fixés nous pénétrerons dans la ville par toutes les portes au même moment jusqu’à notre lieu de rendez-vous et de rassemblement qui sera la place du Champ de Mars. - Les forces de l’ordre ne risquentelles pas d’empêcher ce regroupement en plein centre ? - Ca fait partie des éventualités, on espère que notre message aura été assez clair. C’est une grande réunion pacifique avant tout, il n’y a rien de vindicatif dans notre déplacement nous n’allons pas nous faire entendre, mais écouter. Je ne sais pas si nos réponses rassurèrent tout le monde mais il était trop tard pour changer quoi que ce soit. 13 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Après bien d’autres précisions, on se quitta en se souhaitant bonne chance et en se donnant rendez-vous le dix-neuf septembre à dix-huit heures, près du parc des expositions de Bordeaux. Point de ralliement de la région Aquitaine, pour tous ceux qui désiraient participer à cette mobilisation. Nous avions tout le week-end devant nous avant le grand jour. Dimanche étant le jour de l’ouverture de la chasse, Pierre et moi allions pouvoir nous distraire, Luc ne nous accompagnerait pas, parce que d’une part, il n’était pas chasseur et que d’autre part, il allait passer huit jours avec Christine à Marseille chez son fils. J’aimais ce rendez-vous annuel, ce n’était pas qu’une histoire de chasse mais une histoire d’amitié entre copains, animés par la même passion. L’équipe n’avait pas changé et je ne me rappelle pas depuis combien d’années nous étions ensemble, nous ne nous retrouvions pas seulement pour l’ouverture, mais pour toutes les autres chasses traditionnelles, que ce soit pour la saison de la palombe, pour des battues au sanglier ou au chevreuil, ou, celle que je préférais entre toutes, la chasse aux canards à l’affût qui se pratiquait plus tard dans l’hiver. C’était pour nous, une forme de loisir qui se perpétuait de génération en génération, les tentatives écologiques de l'union Européenne pour nous enlever ou réduire ce privilège naturel avaient été vaines. * 14 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. CHAPITRE III La manif. 15 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Après cette journée de plaisir le lundi arriva et nous étions prêt à l'heure convenue. Les organisateurs de tous les départements d’Aquitaine avaient préféré arriver avant les participants, rassemblant ainsi tous les bus que les entreprises avaient mis gracieusement à notre disposition. Nous espérions réunir entre quarante et cinquante mille personnes. Sans aucune difficulté, le millier de véhicules nécessaire à ce transport quelque peu insolite était présent bien avant l’heure du départ. Si par cas, nous devions être plus nombreux nous avions en réserve d’autres autocars, mobilisables très rapidement. Le soutien de ces entreprises était total, subvenant même à la fourniture du carburant, peu onéreux depuis la mise sur le marché par l’industrie chimique du combustible vert, simple dérivé de produits agricoles. L’électricité motrice était encore réservée aux voitures particulières. L’opération actuelle représentait un coût élevé et les patrons de ces PME le justifiaient comme un investissement pour l’avenir. Dés dix-sept heures, les premiers volontaires arrivèrent. A vingt heures, il fallut se rendre à l’évidence ; nous n’étions que trente mille à prendre part à ce premier grand rassemblement. Après le premier instant de déception, nous avions fini par convenir que ce n’était pas si désappointant. Si vingt régions mobilisaient autant de monde, cela représenterait six cent à sept cent mille personnes. Il ne s’agissait pas exactement du premier grand rassemblement. Paris avait été très souvent et depuis bien des années, le témoin de manifestations aussi importantes. La différence résidait dans l’esprit de cette mobilisation, dans la motivation uniformisée de tous ces gens présents. Précédemment, il n’y avait aucune cohésion entre les secteurs d’activité et leurs revendications. Aujourd’hui, nous gardions le mène état d’esprit que lors de nos concertations : aucune connotation syndicale, politique ou autre, mais une union de citoyens qui allait chercher des réponses. Des siècles d’États dirigeants n’allaient pas disparaître soudainement, le pouvoir existait. Il était logique et naturel de le consulter. Aucune autre solution ne nous aurait permis un tel impact. Les dix heures de route se passèrent sans encombre, les trois premières dans la bonne humeur car un des deux chauffeurs de bus, micro en main, semblait détenir un répertoire inépuisable de blagues. Ensuite on eut droit à un journal télévisé, suivi d’un film, mais la fatigue eut raison des trois quarts des passagers. Le chauffeur nous réveilla à la hauteur du dernier péage, à environ cinquante kilomètres de Paris. 16 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Cet idiot n’avait rien trouvé de mieux pour nous réveiller, que de mettre la musique à fond. On entendait la Marseillaise, satisfait de sa plaisanterie il nous dit en chantonnant ; - Bonjour tout le monde, préparez-vous ! Le champ de bataille approche, le jour de gloire est arrivé mais le café n’est pas prêt. Et il éclata de rire. Sa bonne humeur était communicative car tout le monde se mit à rire. Les thermos se mirent à circuler, Le trajet s’était bien passé mais maintenant les premiers bouchons commençaient. Nous étions à la croisée d’autres régions qui empruntaient une portion de notre itinéraire mais prenaient des sorties différentes, cette dizaine de kilomètres communs provoquait de forts ralentissements. Sur chaque pont enjambant la dernière portion d’autoroute, on aperçut de nombreux véhicules de police. Ils n’avaient qu’une mission d’information sur l’importance de nos convois car aucun contrôle ne fut opéré jusqu’à notre destination, il est vrai que ce déplacement n’avait rien de secret puisque depuis plusieurs jours déjà nous faisions les gros titres des journaux et des chaînes de télévision privées. Seules les chaînes du secteur public occultaient cet événement et en faisaient état sans plus d’explication. La censure avait lieu de cité. Le parking se constitua comme dans nos prévisions mais l’ordre du départ ne fut pas respecté. A Bordeaux, la place était immense alors qu’ici la largeur de cet axe routier était réduite. L’embarquement avait duré plus de trois heures tandis qu’ici tout le monde quitta les bus en même temps, cela provoqua une cohue. Heureusement nous avions constitué trois groupes d’organisateurs, disposés judicieusement au début, au milieu et à la fin du convoi. Grâce à nos micros amplificateurs portables, deux heures suffirent à réorganiser cette marche, La tête du cortège parvint au périphérique en une heure, notre groupe se partagea systématiquement en deux, le premier remontant vers la gauche, le second vers la droite. Les autres représentations régionales faisant de même, la surface de cette voie de circulation spécifique aux grandes villes fut occupée peu avant midi. Le départ pour le centreville était prévu pour quatorze heures, donc toutes les portes d’accès seraient franchies dans un bel ensemble. Ces deux heures de battement furent mises à profit pour se reposer et se restaurer. Certains avaient emporté de la nourriture comme pour tenir un siège de huit jours, ceux qui étaient moins pourvus en bénéficièrent, la solidarité maintes fois prouvée ces derniers mois trouvait sa place ici. - Je vais étouffer, nous dit Luc, en enlevant sa chemise. Le manque d’air, le soleil de plomb et la foule massive contribuaient à une sensation d’étouffement. 17 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. - Ca ne va pas durer, c’est orageux, ça ne n’étonnerait pas qu’il pleuve avant ce soir, dit Axel. - Qu’il pleuve sur le retour, ça n’est égal je préfère avoir trop chaud, leur dis-je. Je n’ai pas envie de me tremper ! Des mouvements d’une autre teneur soutenaient notre action : commerces, administrations, tous les secteurs d’activité professionnelle étaient au point mort pour cette journée. Quatorze heures, le message de départ vers le centre-ville circulait d’ampli en ampli. Notre groupe progressait par la Porte d’Italie, l’itinéraire était simple direction Place d’Italie, ensuite l’Avenue des Gobelins, pour rejoindre le boulevard de Port Royal, puis le boulevard Montparnasse, ensuite celui des Invalides qui était très proche de notre point de ralliement du Champ de Mars. La chaleur était toujours aussi accablante mais un petit vent s’était levé, dynamisant tous les marcheurs. Les forces de l’ordre devaient être discrètes car nous avions dépassé la place d’Italie et nous ne les avions pas encore aperçues. A peine engagés dans l’avenue des Gobelins, des petits groupes de vingt, trente membres maximums surgirent de nulle part, ces individus masqués et armés de barre de fer prirent position à l’avant de notre défilé, fait quelque peu étrange, nous étions certains de ne pas avoir emmené ces personnages troublants. Nous avions entendu parler de ces bandes de casseurs car elles existaient du temps des autres manifestations. Il était impensable qu’elles soient là aujourd’hui. Le comportement des individus surgit précédemment étaient bizarres : ils cassaient vitrines, kiosques, cabines téléphoniques et incendiaient les véhicules qui se trouvaient sur leur chemin. Ce bruyant et violent tapage attira dans notre rue les forces de l’ordre. Ce vandalisme prémédité avait un but évident de provocation et d’affrontement. Les gardes mobiles, boucliers de protection en avant convergeaient rapidement dans notre direction. Ceci eut pour effet de stopper notre marche. Par contre, les voyous, nullement intimidés, progressaient à leur rencontre commençant à jeter tous les projectiles à portée de leurs mains. On voyait très nettement ce mur d’uniformes bleus progresser au pas de charge. Seul le groupe de casseurs nous séparait d’eux. La riposte ne se fit pas attendre et fut précédée par les premières grenades lacrymogènes. La panique, la peur, s’emparèrent des premiers rangs de notre cortège et nous dictèrent le repli sans plus attendre. Repli périlleux car l’étroitesse des rues et l’importance numérique des manifestants empêchaient un recul rapide. Des heurts devaient se produire dans d’autres rues car on entendait des tirs, des cris. Nos micros ne couvraient plus ce vacarme, l’appel au calme que nous lancions ne servait à rien. 18 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Les policiers étaient sur nous, ils nous avaient rattrapés sans aucune difficulté, aucun obstacle n’avait gêné leur course. Leurs masques les protégeaient des gaz. On essayait de s’échapper, d’échapper à cette violence à laquelle nous n’avions absolument pas pensé. Les premières lignes de notre défilé furent passées à tabac, de nombreuses personnes arrêtées sans ménagement. Les blessés étaient allongés à même le sol, ceux qui tentaient de leur porter secours étaient touchés à leur tour ou également arrêtés. Pierre courrait à côté de moi et me demanda ; - As-tu vu Luc ? - Non, il y a cinq minutes, il était derrière moi avec Axel. - Je ne les vois plus, me dit-il. Nous étions maintenant sur le parvis de la place d’Italie, seul l’accès de l’avenue du même nom était libre, les rues adjacentes étaient barrées par les forces de l’ordre canalisant ainsi notre repli. Quelques manifestants se bagarraient avec des CRS aux abords de ces barrages. Nous nous retrouvions, Pierre et moi, mêlés à cette échauffourée bien malgré nous, j’avais vu la matraque se lever devant moi et j’eus juste le temps de me pencher sur le côté, évitant de peu un coup sur le crâne. Je ne n’étais pas suffisamment écarté et le dessus de mon épaule gauche absorba le coup. Le choc fut tel que je tombais à genoux. Ma vue se brouilla instantanément. Je ne pouvais pas rester là ! Mes efforts pour me relever restaient vains, la douleur me paralysait. Toutefois, je parvins à apercevoir ce bras armé qui se releva au-dessus de moi mais avant la répétition de ce geste brutal, je me sentis happé tandis que le policier bousculé tombait. - Ne restons pas là, dit Pierre, en me relevant par mon bras valide. Je n’avais même pas la force de parler ni de lui répondre. Mon bras gauche pendait inerte et la course augmentait la douleur. Chaque pas devenait une souffrance supplémentaire. Je me sentais à nouveau défaillir et mes jambes se dérobaient. Pierre s’en aperçut, car je devais être un boulet pour lui. - On va s’arrêter un peu, me dit-il. Les flics sont loin maintenant. Délicatement il m’assit en m’appuyant contre un mur, - ça va aller ? 19 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. - Tu n’as pas un peu d’eau ? - Non, c’est Axel qui a gardé les bouteilles, un des gars de notre bus qui nous avait aperçus s’arrêta et nous demanda ; - Vous voulez un coup de main ? Et il me tendit sa gourde. - Oui, tu vas m’aider à soutenir Claude. » Pierre se baissa, mit mon bras droit autour de ces épaules et me releva. Mon épaule et mon bras gauche étaient encore trop douloureux pour que je puisse prendre appui sur le collègue et Pierre dû me soutenir seul. Tout le monde s’était replié sur le périphérique. Trois heures à peine s’étaient écoulées depuis que nous l’avions quitté, les heurts avaient cessé, les gardes mobiles nous avaient repoussés sans ménagement, ni grandes difficultés et avaient pris position à l’entrée de toutes les portes, de toutes les rues, fermant ainsi définitivement l’accès de la ville. Par micros amplificateurs interposés ils nous intimaient leurs ordres : Vous êtes priés de ne pas rester là ! Veuillez rejoindre vos véhicules. Inlassablement ce message se répétait, faisant le tour de cet axe circulaire. La soudaineté de leur réaction démesurément violente à notre encontre avait enlevé de notre esprit tout sentiment de réflexion cohérente et sans plus attendre nous obéîmes aux ordres. Cette foule partit rejoindre en silence les parkings respectifs, une file de cars de CRS était garée près du nôtre pour être certains que nous repartirions d’où nous venions, Pierre m’aida à m’installer, je luttais pour ne pas m’évanouir. La distance que nous venions de parcourir pour arriver à notre bus m’avait épuisé, chaque pas relançait la douleur. Tous les copains étaient revenus, personne ne manquait à l’appel. Il ne devait pas en être de même dans tous les véhicules. Par chance, nous avions deux médecins avec nous. Les blessures, les hématomes étaient nombreux, mais rien de grave. Luc n’aida à retirer ma chemise car l’un des docteurs voulait m’examiner. - Je crois que tu n’as rien de cassé, dit-il. Mais il faudra, par précaution, passer une radio à ton retour. Tu prendras ces cachets : deux maintenant, et un chaque fois que tu sentiras revenir la douleur. » Inutile de détailler davantage cette journée, seul le bilan est important. Nous repartions chez nous avec des blessures, certes morales et physiques mais légères. Par contre, nous l’apprendrons plus tard, d’autres y avaient perdu la vie.
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