Lire un extrait de À découvert - H. Coben - Page 1 - Lire un extrait de À découvert, de Harlan Coben HARLAN COBEN À DÉCOUVERT Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 5 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 Titre original : Shelter Fleuve Noir, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Copyright © 2011, Harlan Coben. Tous droits réservés. © 2012, Fleuve Noir, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN : 978-2-265-09250-1 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 6 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 9 1 J’allais au lycée en ruminant mon triste sort – mon père était mort, ma mère en cure de désintox, ma copine avait disparu – quand j’ai vu la femme chauve-souris pour la première fois. J’avais entendu les rumeurs la concernant, bien sûr. On disait qu’elle vivait seule dans la maison délabrée au croisement des rues Hobart Gap et Pine. Vous voyez laquelle. Je me trouvais juste devant. La peinture jaune de la façade tombait par plaques comme le pelage d’un vieux chien. Le béton de l’allée se craquelait. Dans le jardin à l’abandon, les pissenlits mesuraient bien 1 m 20, la taille requise pour monter dans le grand huit. On racontait que la femme chauve-souris avait 100 ans et ne sortait que la nuit. Gare au gamin qui n’était pas revenu de chez un copain ou de son entraînement de base-ball avant la tombée du jour. Si vous preniez le risque de rentrer à pied dans le noir ou si vous étiez assez dingue pour couper par son jardin… la femme chauve-souris vous attrapait ! L’histoire ne disait pas ce qu’elle faisait de vous. Aucun enfant n’avait disparu dans cette ville depuis des années. Des adolescents, comme Ashley, ma 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 9 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 10 copine, oui : un jour ils étaient là, vous tenant la main, plongeant leur regard dans le vôtre à vous faire chavirer le cœur, et le lendemain… volatilisés ! Mais des enfants ? Non. Ils n’avaient rien à craindre, même de la femme chauve-souris. Je m’apprêtais malgré tout à changer de trottoir – même moi, un adolescent qui rentrait en seconde, je préférais éviter cette maison flippante – quand la porte s’est entrebâillée. Je me suis figé. Pendant un moment, il ne s’est rien passé. La porte était maintenant grande ouverte, mais il n’y avait personne. J’ai attendu. La seconde suivante, la femme chauve-souris était là. C’est vrai qu’elle aurait pu avoir 100 ans. Voire 200 ans. Je ne savais pas d’où lui venait son surnom. Elle ne ressemblait pas à une chauve-souris. Ses cheveux gris lui descendaient jusqu’à la taille, à la mode hippie, et lui dissimulaient le visage. Sa tunique blanche en lambeaux évoquait une robe de mariée dans un vieux film d’horreur ou un clip de heavy metal. Elle avait la colonne vertébrale tordue en forme de point d’interrogation. Lentement, la femme chauve-souris a levé une main si pâle qu’elle semblait presque bleutée et pointé un doigt osseux et tremblant dans ma direction. Je n’ai rien dit. Quand elle a été sûre que je la regardais, son visage ridé s’est fendu d’un sourire qui m’a fait froid dans le dos. — Mickey ? J’ignorais totalement comment elle connaissait mon nom. — Ton père n’est pas mort, a-t-elle déclaré. Ses mots m’ont causé un tel choc que j’ai fait un pas en arrière. — Il est bien vivant. 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 10 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 11 Mais alors que je la regardais disparaître dans son antre décrépite, je savais qu’elle racontait n’importe quoi. Parce que mon père était mort sous mes yeux. OK, c’était déstabilisant. Pendant un instant, j’ai attendu qu’elle ressorte. En vain. Je me suis donc approché de la maison, à la recherche d’une sonnette. Comme il n’y en avait pas, j’ai commencé à tambouriner à la porte. Je cognais si fort que le battant tremblait. Le bois, aussi râpeux que du papier de verre, m’a écorché les doigts. Des écailles de peinture tombaient comme des pellicules. Mais la femme chauve-souris n’a pas reparu. Et maintenant, quoi ? Je défonçais la porte… et ensuite ? Je me précipitais sur cette vieille dame et la sommais de justifier ses folles divagations ? Si ça se trouve, elle était déjà à l’étage. Elle se préparait peut-être pour sa journée de dingue, retirait son étrange robe blanche pour aller prendre sa douche… Mieux valait m’en aller. Je ne voulais pas rater la première sonnerie. M. Hill, mon prof principal, était un maniaque de la ponctualité. En plus, j’espérais encore qu’Ashley serait de retour aujourd’hui. Elle avait disparu sans crier gare. Peut-être réapparaîtraitelle de la même façon. J’avais rencontré Ashley trois semaines plus tôt à la journée portes ouvertes, destinée à la fois aux nouveaux qui ne connaissaient personne (comme Ashley et moi) et aux troisièmes qui faisaient leur entrée au lycée. Ceux-là étaient allés au collège et à l’école primaire ensemble : il semblait qu’on ne quittait jamais cette ville. Une journée portes ouvertes devrait servir à visiter les classes, faire le tour des locaux et rencontrer quelques camarades. Mais non, ça ne suffisait pas. 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 11 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 12 Il nous a aussi fallu participer à des exercices débiles et humiliants, visant à développer l’esprit d’équipe. Le premier s’intitulait « les bras de la confiance ». Mme Owens, une prof de sport dont le sourire semblait avoir été dessiné par un clown ivre, a commencé par nous chauffer. — Bonjour, tout le monde ! Quelques grognements en guise de réponse. Puis – je déteste les adultes qui font ça – elle s’est écriée : — Quel enthousiasme ! Je sais que vous pouvez faire mieux ! On recommence ! Bonjour, tout le monde ! Les élèves ont dit « Bonjour » un peu plus fort, non pas par enthousiasme, mais pour qu’elle s’arrête. Elle nous a divisés en groupes de six – le mien se composait de deux élèves de troisième et de trois nouveaux de première et terminale qui, comme moi, venaient d’emménager en ville. — L’un de vous va monter sur ce piédestal et aura les yeux bandés ! s’est exclamée Mme Owens. Toutes ses phrases se terminaient par des points d’exclamation. — Vous allez croiser les bras, et ensuite, vous ferez comme si le piédestal était en feu. Oh, non ! (Elle a porté les mains à ses joues, comme le gamin dans Maman, j’ai raté l’avion !) La chaleur est tellement insupportable que vous allez devoir vous laisser tomber en arrière ! Quelqu’un a levé la main. — Pourquoi on doit garder les bras croisés, si le piédestal est en feu ? Murmures d’assentiment. Mme Owens ne s’est pas départie de son sourire maquillé, mais j’ai cru voir son œil droit tressauter. — Vous avez les bras attachés ! — Ben non. 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 12 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 13 — Faites semblant ! — Mais dans ce cas, pourquoi on a besoin du bandeau ? On peut faire semblant de ne pas voir. Ou fermer les yeux. La prof luttait pour garder le contrôle de la situation. — Le piédestal est tellement chaud que vous tombez en arrière ! — En arrière ? — On ferait mieux de sauter. — C’est vrai, pourquoi on tomberait en arrière ? C’est pas logique, si le truc est brûlant. Mme Owens en avait assez. — Parce que c’est comme ça ! Vous tombez en arrière ! Le reste du groupe vous rattrapera ! Ensuite, vous inverserez les rôles jusqu’à ce que tout le monde soit passé ! Nous avons donc commencé l’exercice, sans zèle excessif. Mes camarades ont fait la grimace en me voyant : je mesure un mètre quatre-vingt-douze et pèse quatre-vingt-dix kilos. Avec nous, il y avait aussi une fille assez grosse, une élève de troisième habillée tout en noir. Je sais que je ne devrais pas la qualifier de « grosse » – ce n’est pas politiquement correct –, mais que dire d’autre sans paraître condescendant ? Forte ? Ronde ? Enrobée ? Je ne porte pas plus de jugement de valeur que si je disais petite, maigre ou osseuse. La grosse a hésité, avant de se hisser sur le piédestal. Quelqu’un a ri. Puis quelqu’un d’autre. Je ne voyais pas à quoi pouvait servir cet exercice, sinon à prouver à cette fille que la cruauté ne s’arrêtait pas à l’entrée au lycée. Comme elle ne paraissait pas prête à se laisser tomber, l’un des troisièmes a ricané. — Allez, Ema. On va te rattraper. Sa voix n’avait rien de rassurant. Ema a baissé le bandeau et s’est retournée vers nous. J’ai croisé son 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 13 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 14 regard et hoché la tête. Enfin, elle s’est laissée tomber. Nous l’avons rattrapée – certains ajoutant des grognements dramatiques –, mais elle n’avait pas l’air plus en confiance. Ensuite, on a fait une partie de paint-ball idiote durant laquelle deux élèves se sont blessés, puis on est passés à un exercice intitulé le « beurre de cacahouète empoisonné » – non, je n’invente rien. L’épreuve consistait à traverser une mare de dix mètres de beurre de cacahouète empoisonné, mais, comme l’a expliqué la prof : — Seuls deux d’entre vous à la fois peuvent mettre les chaussures antipoison ! En bref, il fallait porter les autres membres de l’équipe sur son dos. Les filles minces ont gloussé pendant qu’on les portait. Un photographe du StarLedger prenait des clichés. Le journaliste interrogeait une Mme Owens radieuse, dont les réponses fourmillaient d’expressions telles que « créer du lien », « accueillir », « faire confiance ». Je ne voyais pas trop quel genre d’article il allait pouvoir écrire, mais le journal recherchait peut-être désespérément du « vécu ». Je me suis retrouvé à l’arrière de la file avec Ema. Du mascara noir dégoulinait sur son visage, mêlé à ce qui ressemblait à des larmes silencieuses. Le photographe allait-il saisir cette image-là ? Alors que son tour approchait, j’ai vu Ema se mettre à trembler littéralement de peur. Vous vous rendez compte ? Vous êtes une fille, vous pesez dans les quatrevingt-dix kilos, c’est votre premier jour dans un nouvel établissement scolaire, on vous a forcée à mettre un short de gym et, dans le cadre d’une activité de groupe complètement craignos, vos nouveaux camarades doivent vous traîner comme un tonneau de bière sur dix mètres alors que vous 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 14 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 15 n’avez qu’une envie : vous rouler en boule et mourir. Qui peut croire que c’est une bonne idée ? Mme Owens s’est approchée de nous. — Prête, Emma ? Ema ou Emma ? Maintenant, je ne savais plus quel était son prénom. Ema/Emma n’a rien dit. — Allez, jeune fille ! Droit dans le beurre de cacahouète empoisonné ! À vous de jouer ! — Madame Owens ? ai-je demandé. Elle a reporté son attention sur moi. Le sourire était toujours en place, mais les yeux se plissaient légèrement. — Vous êtes ? — Mickey Bolitar. J’entre en seconde. Et je vais m’abstenir de faire cet exercice, si c’est possible. — Pardon ? — Eh bien, je n’ai pas très envie de me faire porter. Nouveau papillotement de l’œil droit de Mme Owens. Les autres m’ont regardé comme si j’avais un troisième bras qui me poussait au milieu du front. — Monsieur Bolitar, vous êtes nouveau ici. (Le point d’exclamation avait disparu de la voix de la prof.) J’aurais donc pensé que vous voudriez participer. — C’est obligatoire ? ai-je demandé. — Pardon ? — Est-ce qu’on est obligés de participer à cet exercice ? — Eh bien, non, ce n’est pas obli… — Alors, je vais m’en dispenser. (J’ai regardé Ema/Emma.) Tu veux bien me tenir compagnie ? Et je me suis éloigné. Dans mon dos, c’était le silence complet. Puis Mme Owens a sifflé la fin des réjouissances et annoncé la pause déjeuner. 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 15 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16 16 — Ouah, a dit Ema/Emma quand nous avons été à quelques mètres du groupe. — Quoi ? Elle m’a regardé droit dans les yeux. — T’as sauvé la grosse. T’es super fier de toi, hein ? Puis elle a secoué la tête et s’est éloignée. Je me suis retourné. Mme Owens nous observait. Elle souriait toujours, mais à son regard noir, j’ai compris que je m’étais fait une ennemie dès le premier jour. Le soleil cognait. Tant pis. Fermant les yeux, j’ai pensé à ma mère, qui allait bientôt sortir du centre de désintox. À mon père, mort et enterré. Je me suis senti très seul. La cafétéria du lycée étant fermée – la rentrée n’aurait pas lieu avant plusieurs semaines –, on avait tous dû apporter notre déjeuner. J’avais acheté un sandwich au poulet chez Wilkes, et je me suis installé sur un talus herbeux surplombant le terrain de foot. C’est alors que je l’ai remarquée. Elle n’était pas mon type, même si je n’ai pas vraiment de type. J’ai passé toute mon enfance à déménager d’un pays à l’autre – Laos, Pérou, Sierra Leone – au gré des missions de mes parents, qui travaillaient pour une association humanitaire. Je n’ai pas de frères et sœurs. Les voyages, je trouvais ça excitant et sympa étant petit, mais en grandissant, c’est devenu pesant. Je voulais qu’on se fixe quelque part. Je voulais me faire des amis, jouer dans une équipe de basket et, aussi, rencontrer des filles et faire des trucs d’ado. Des trucs pas évidents quand on arpente le Népal sac au dos. Cette fille était très mignonne, c’est vrai, dans le genre sage et BCBG. Un peu hautaine, même. Elle avait des cheveux de poupée blond clair, portait une vraie jupe, pas une mini, et des socquettes : elle 183426PHA_DECOUVERT_fm9.fm Page 16 Jeudi, 19. juillet 2012 4:06 16
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