Lire un extrait du Regne des Illuminati - Page 2 - Lire un extrait du livre Le Règne des Illuminati, de Giacometti & Ravenne ERIC GIACOMETTI et JACQUES RAVENNE LE RÈGNE DES ILLUMINATI 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 5218952PVK_MARCAS_CS4.indd 5 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 Fleuve Éditions, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2014, Fleuve Éditions, département d’Univers Poche. ISBN : 978-2-265-09370-6 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 6218952PVK_MARCAS_CS4.indd 6 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 PROLOGUE « Le simple mot de secret est inacceptable dans une société libre et ouverte. Et nous sommes en tant que peuple intrinsèquement et historiquement opposés aux sociétés secrètes, aux serments secrets, aux réunions secrètes. » John Fitzgerald Kennedy, Discours devant l’American Newspaper Publishers Association, le 27 avril 1961 Rome 3 juillet 1963 Le trente-cinquième président des États-Unis descendit lentement de la Lincoln bleu nuit garée dans la cour de l’église. Un agent de protection inspectait d’un regard hautain le bâtiment aux vieux murs ocre et lézardés, même s’il savait que ses collègues étaient déjà en place. Pour ses sorties officielles, John Fitzgerald Kennedy ne chaussait pas ses Ray-Ban Wayfarer, mais des Persol 649. Elles l’accompagnaient toujours dans ses déplacements confidentiels, amoureux ou politiques, lui procurant une illusion d’anonymat. Un air chaud, trop chaud pour lui, enveloppa son visage congestionné. Debout, sous le soleil déclinant, il redressa son dos endolori par le trajet chaotique dans les ruelles mal 11 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 11218952PVK_MARCAS_CS4.indd 11 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 pavées du Trastevere, puis consulta sa montre chronomètre à cadran d’argent. Offerte par Jackie. Il lança le compte à rebours rituel. La trotteuse fila. Un, deux, trois… Il fallait tenir debout une minute avant de marcher vers la petite église où l’attendait son rendez-vous. Une minute interminable pour que son cerveau se gorge d’un sang saturé en cortisone. Sinon, c’était le vertige, la perte de connaissance comme la semaine précédente à Berlin. Il prit le mouchoir humide que lui tendit l’un de ses hommes, s’humecta le front et fléchit légèrement les jambes. Le tissu du pantalon de tweed collait à sa peau. Les lanières du corset qui encerclait son dos craquelé s’enfoncèrent dans sa chemise. Vingt secondes. Le temps jouait toujours contre lui. Il passa machinalement sa main dans ses cheveux poisseux et épais. En face de lui, deux gigantesques cyprès étendaient leur longue silhouette au-dessus d’un banc de pierre. Il aurait bien voulu s’y reposer. Et pourquoi pas faire ensuite un détour par… Il chassa l’idée sulfureuse. Trente secondes. Le sang affluait à nouveau, il aurait tellement voulu s’allonger à l’ombre des arbres. Et oublier. Oublier ses responsabilités. Même ses conseillers ne tenaient plus le rythme. Il lança un regard au plus jeune d’entre eux, Adam, resté assis dans la voiture, plongé dans un rapport confidentiel sur une affaire de corruption visant le vice-président Johnson. Une minute. Chrono arrêté. Il inspira profondément, comme le lui avait appris son médecin. Ses grosses semelles orthopédiques crissèrent sur le fin gravier, ses vertèbres craquèrent comme une vieille écorce, son corps se mit en mouvement. Il passa devant les cyprès ; une odeur de résine, douce et fruitée, s’insinua en lui. Un parfum déjà inhalé un quart de siècle plus tôt lors d’un premier voyage à Rome. Son père l’avait emmené, loin de leurs terres du Massachusetts, pour se faire bénir par Pie XI. Il se souvenait moins du pape que de la fille de l’ambassadeur, compagne de ses nuits romaines. 12 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 12218952PVK_MARCAS_CS4.indd 12 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 Un sourire erra sur ses lèvres, le premier de la journée qui n’était pas dicté par ses obligations. Le son grave d’une cloche résonna brusquement pour le rappeler à l’ordre. Le fantôme séduisant de la jeune fille brune s’évanouit à mesure qu’il s’avançait vers l’édifice austère. Il salua les deux hommes de la sécurité postés de chaque côté de l’église et entra en retirant ses lunettes. Un léger courant d’air, plus tiède, caressa son visage. Il cligna des yeux pour s’habituer à la semi-pénombre qui régnait autour de lui. L’intérieur de l’église de style roman n’avait rien d’ostentatoire, des murs noircis par les siècles, des travées de chaises en bois fragile, un chœur presque dépouillé. Il fit un signe de croix et se dirigea vers le fond de l’édifice. Ses semelles à bout ferré martelaient le pavement avec une cadence métallique. Devant l’autel, sous un christ longiligne suspendu par une chaîne rouillée, une silhouette agenouillée était en train de se relever. Avant même que Kennedy n’arrive à son niveau, l’homme vêtu d’une soutane blanche immaculée vint à sa rencontre. Il avait la soixantaine finissante et était de taille moyenne. Son crâne dégarni flottait dans son habit, deux yeux vifs et marron rajeunissaient son visage usé, comme s’ils contemplaient une lumière invisible aux yeux des hommes. Paul VI, deux cent soixante-deuxième successeur de saint Pierre, ouvrit les bras, paumes ouvertes. L’Américain fit mine de s’incliner pour baiser l’anneau du pêcheur, mais le pape secoua la tête et lui prit les avantbras. — Allons. Nous nous sommes salués il y a trois heures, monsieur le président, dit-il dans un anglais parfait aux sonorités italiennes. Que la paix du Christ soit avec vous. — Merci, Votre Sainteté. S’il pouvait atténuer la pression sur mes vertèbres, ce serait déjà un miracle. Les deux hommes se jaugèrent en silence. Ils s’étaient rencontrés dans la matinée pour une entrevue officielle au Vatican. Le pape, fraîchement couronné quatre jours auparavant, avait prononcé un chaleureux discours de bienvenue pour le premier président catholique de l’histoire des ÉtatsUnis. Devant les caméras du monde entier. Le Vatican 13 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 13218952PVK_MARCAS_CS4.indd 13 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 vivait désormais avec son temps. Mais, d’un commun accord, les deux hommes avaient décidé de se revoir, à l’abri des regards, pour s’entretenir du véritable but de la visite de Kennedy à Rome. Le président de la première puissance mondiale semblait vaciller sur ses grosses chaussures noires. Le pape savait que l’Américain souffrait depuis sa jeunesse d’une maladie rare des glandes surrénales qui rongeait ses os, le condamnant à porter un corset en permanence. Kennedy se racla la gorge. D’un vitrail rougeoyant, un rai de lumière illumina le visage fatigué de l’Américain. — Je viens prendre conseil, loin du regard des hommes. Le nouveau chef spirituel de l’Église catholique hocha la tête. — Vraiment ? Je ne suis qu’un tout jeune pape et vous l’expérimenté président des États-Unis d’Amérique. C’est moi qui devrais demander votre avis sur la conduite des affaires de ce monde. À peine élu, je dois mener à terme le concile de Vatican II lancé par mon prédécesseur. John Fitzgerald Kennedy se redressa, le visage soucieux. — J’ai lu une note là-dessus. Moderniser un système sclérosé, briser les conservatismes, insuffler l’espoir. Je connais ça en effet dans mon pays. — Mais nous ne sommes pas là pour parler de réformes… — En effet. Pourquoi avoir choisi cette église pour cet entretien ? Le pape tendit son index en direction d’une niche sculptée au-dessus d’un large pilier qui jouxtait l’autel. À l’intérieur d’un caisson de bois clair il y avait un triangle sculpté et en son centre un œil grand ouvert. Une myriade de rayons dorés jaillissait de chaque côté du triangle. — Ah oui… L’œil de la Providence, murmura Kennedy, j’ai toujours eu l’intime conviction qu’il me guidait. Le pape croisa les mains sur sa soutane. — L’œil de Dieu est partout, mon fils, de même que celui de Moscou. Il m’a été rapporté par mes services de sécurité que le secrétaire général russe, Khrouchtchev, avait eu connaissance de mon élection avant même que la fumée blanche ne se fût échappée du conclave. L’œil de Moscou… J’aurais pu évoquer les oreilles du Kremlin. 14 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 14218952PVK_MARCAS_CS4.indd 14 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 Cette fâcheuse habitude des temps modernes à poser des micros. À moins que votre puissante CIA, qui collabore avec mes services, n’ait aussi quelques espions au sein de la curie. — Je ne le permettrai pas, jeta l’Américain avec mollesse. Il savait le nouveau pape rompu depuis plus de vingt ans aux affaires diplomatiques internationales. Aux réalités du monde. Paul VI lui lança un regard d’une ironie soigneusement calculée. — Bien sûr… Pour revenir à votre question, cette église est chère à mon cœur depuis mon ordination. Loin des intrigues et des fastes du Saint-Siège, c’est une maison de Dieu humble et dépouillée. Kennedy ne tenait pas en place, son dos le torturait à nouveau. Paul VI remarqua l’expression de douleur fugitive et indiqua la travée latérale illuminée de rayons transversaux. — Marchons. J’ai toujours aimé la lumière à cette heure de la journée. Elle apaise l’âme. Ils passèrent devant un tableau de bois doré, fixé à côté d’un confessionnal. Sur la toile assombrie, un jeune homme presque nu, à la chair blanche et aux cheveux noirs, était attaché à un poteau. Son corps frêle transpercé de flèches acérées, des gouttes écarlates s’écoulaient des blessures. Kennedy sortit un petit flacon blanc de sa veste et prit un cachet gris, sous le regard compatissant du pape. — Est-ce vrai que l’on vous a prodigué l’extrêmeonction ? demanda Paul VI avec douceur. — Oui, Saint-Père. La maladie d’Addison1 , ma croix personnelle. Par trois fois j’ai vu la mort en face. Kennedy marqua une pause, ses yeux se firent absents quelques secondes, puis il reprit : — L’avantage, c’est que je ne la crains plus. Il s’arrêta et fit face à Paul VI qu’il dominait d’une tête. — Je suis désolé de ne pouvoir rester plus longtemps. Je dois m’envoler pour Washington ce soir, lança Kennedy d’une voix presque impatiente. Voulez-vous commencer ? 1. Authentique. 15 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 15218952PVK_MARCAS_CS4.indd 15 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 Le chef du Vatican ne se formalisa pas du ton impératif de l’Américain. L’élection au trône de saint Pierre ne lui avait pas tourné la tête, comme à certains de ses prédécesseurs. Il chuchota d’une voix douce : — Bien. Vous connaissez certainement l’un de vos compatriotes, le père Avery Dulles. Il enseigne la théologie à l’université jésuite de Woodstock dans le Maryland. Un esprit des plus brillants, comme souvent on en trouve dans cet ordre. Un courant d’air humide passa à nouveau sur leurs visages. — Je vois très bien, dit Kennedy sur un ton neutre. C’est le cousin de l’ex-directeur de la CIA, Allan Dulles, qui m’a entraîné dans le désastre cubain de la baie des Cochons il y a deux ans. Je l’ai limogé. J’espère que le jésuite est plus sensé que son cousin espion. Paul VI afficha un air soucieux. — Le père Avery gravite dans des cercles d’influence fort utiles au Vatican, du côté de votre parti démocrate comme de celui des républicains. En outre, nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Il m’a téléphoné avant notre rencontre pour me révéler des informations inquiétantes. Je me dois de les porter à votre connaissance. Kennedy se massait le cou en grimaçant. La seule mention du nom des Dulles réveillait ses douleurs cervicales. Paul VI sortit un chapelet de billes de bois noircies qu’il égrena entre ses doigts. — Écoutez-moi attentivement, il se passe en ce moment des événements très graves et qui vous concernent. Il y a un mois, le père Dulles a reçu en confession un homme d’affaires de premier plan de la côte Ouest. Un républicain qui a financé la campagne de votre adversaire Richard Nixon et qui ne vous porte pas dans son cœur. Kennedy ne broncha pas. — Je me suis fait tellement d’ennemis en conduisant ma politique de réformes… — En récompense de son appui, cet homme d’affaires a été admis dans une société secrète conservatrice qui se réunit non loin de San Francisco. 16 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 16218952PVK_MARCAS_CS4.indd 16 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 — Je vois à quel groupe occulte vous faites allusion. J’ai lu une note là-dessus à mon arrivée à la Maison Blanche. Ils ont des rites étranges, en effet. Je n’ai jamais aimé les sociétés secrètes, j’ai d’ailleurs mis l’Amérique en garde contre elles. Et alors ? — Notre homme en a été horrifié, c’est un bon chrétien et il ne pouvait pas garder ça pour lui. Il a assisté à une cérémonie païenne, blasphématoire, où l’on a brûlé un cadavre. En invoquant votre nom et votre fonction ! Ce n’est pas tout… Le pape parla à voix basse pendant une bonne dizaine de minutes. Il s’interrompait de temps à autre pour jauger la réaction de son interlocuteur, puis reprenait sur un ton plus lent, en accentuant chaque mot, pour les graver dans l’esprit de Kennedy. Un silence s’installa, puis le président américain prit la parole à son tour. La voix était grave et monocorde. Une expression d’incrédulité se peignit sur les traits marqués de Paul VI. Kennedy termina à son tour, comme s’il était au bord de l’épuisement. Le pape ne vit qu’un voile bleu et opaque dans les yeux de l’Américain. — Je suis horrifié, mon fils. Horrifié. Le regard de Kennedy s’arrêta sur le saint Sébastien martyr. — Il y a des hommes qui subissent leur destin, d’autres qui le choisissent. J’assume le mien, quitte à m’exposer aux flèches de mes ennemis. J’irai jusqu’au bout de mes engagements. — Vous vous trompez, mon fils, Dieu décide et lui seul, s’exclama Paul VI. L’écho de sa voix cogna contre les murs de l’église. — Et si mon choix était celui de Dieu ? répliqua Kennedy sur un ton de défi. — Vous vous égarez ! — Je dois partir, conclut le jeune président en plongeant son regard dans celui de son aîné. Je vous remercie infiniment pour votre sollicitude et vos conseils. Au revoir, Très Saint-Père. 17 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 17218952PVK_MARCAS_CS4.indd 17 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08 Le pape n’insista pas et remarqua dans le regard de l’Américain une lueur étrange. Et cette lueur le glaça. — Je prierai pour vous et votre famille, murmura Paul VI. Il regarda Kennedy s’éloigner d’une démarche lourde et maladroite le long de la travée centrale. Le soleil n’éclairait plus les vitraux, la maison de Dieu s’obscurcissait. Le plus puissant des rois de la terre s’enfonçait dans les ténèbres, le dos courbé comme s’il entamait son chemin de croix. Paul VI se signa pour conjurer le sort, mais il en mesurait la portée dérisoire. Il leva les yeux vers l’œil enchâssé dans le triangle de pierre et frissonna. L’œil de la Providence lui renvoya un regard aveugle. Pour la première fois de sa vie, il sentit sa foi vaciller. Quatre mois et demi plus tard, le président John Fitzgerald Kennedy était assassiné à Dallas le 22 novembre 1963. Un suspect, Lee Harvey Oswald, fut appréhendé le jour même de l’assassinat alors qu’il s’enfuyait d’un bâtiment voisin dans lequel la police a retrouvé un fusil à lunette. Il fut tué le lendemain par Jack Ruby, tenancier d’une boîte de nuit. Une commission d’enquête présidée par le juge de la Cour suprême des États-Unis, Earl Warren, a rendu son rapport l’année suivante. Les conclusions ont balayé la théorie du complot. Lee Harvey Oswald a été reconnu comme unique coupable. En 1979, sous la pression de l’opinion publique, le dossier Kennedy a été rouvert par une commission de la Chambre des représentants. Les conclusions du rapport Warren ont été infirmées et la thèse du complot validée. En raison de la popularité du président, et à cause des multiples zones d’ombre, l’assassinat du président Kennedy a fait naître, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, un profond sentiment de défiance de la population envers les institutions et une montée en puissance des théories conspirationnistes. 218952PVK_MARCAS_CS4.indd 18218952PVK_MARCAS_CS4.indd 18 12/05/2014 18:52:0812/05/2014 18:52:08
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