Lire un extrait du Septième Templier d'Eric Giacometti et Jacques Ravenne - Page 1 - Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2011, Fleuve Noir, département d’Univers Poche. ISBN 978-2-265-08852-8 À Aurélie, ma femme, de Las Vegas à l’éternité… Eric 9 « De notre ordre, vous ne voyez que l’écorce qui est au-dehors. » Statuts de l’ordre du Temple Blason du 30e degré maçonnique de chevalier Kadosh 11 PROLOGUE Près de Paris, 17 février 1307 Un souffle chaud s’échappait des naseaux des chevaux. À mi-flanc de la colline, deux cavaliers, enveloppés dans de longues pelisses, observaient les bâtiments de l’abbaye de Vauvert. Ceinturé par une haute muraille, ponctuée de tours, le couvent des char treux avait tout d’une forteresse. On ne voyait âme qui vive dans les champs et les chemins. Seul le cri rauque d’un chevreuil troublait le silence hivernal. Au loin, le brouillard montait de la Seine et ensevelissait la campagne. — Ces chartreux sont plus discrets que des morts, lança Foulques de Rigui. Son compagnon, un sergent d’armes, opina du bonnet sentencieusement. — Peut-être ont-ils des raisons… Foulques ne répondit pas. Par expérience, il savait se rendre transparent. Surtout quand sa curiosité était en éveil. Le sergent répondit : — Je n’ai pas comme vous, messire, combattu en Orient, cette terre de tous les miracles. Mais j’ai vu et entendu des choses. 12 Le chemin surplombait d’anciens vignobles. Des ceps tordus et noirs achevaient de pourrir au milieu d’herbes gelées. Un pied de vigne se dressait seul comme un moignon abattu par la foudre. Le sergent pressa le pas de son cheval avant de reprendre. — Ce n’est pas pour rien qu’on a installé les moines dans ce lieu maudit. Mais, même eux ont peur. Ils venaient de passer la colline. Devant eux s’éten dait une lande, envahie de taillis qui se perdaient déjà dans la brume. Rigui jeta un œil sur la terre que fou laient les chevaux. Une terre noire, aérée, parfaite pour la culture. — Cette lande fait partie du domaine des moines ? — Oui, mais ils ne la cultivent pas. — Je suppose qu’ils ont leurs raisons… De l’ongle du pouce, le sergent tailla un signe de croix sur ses lèvres gercées. — Ne vous moquez pas, Seigneur ! Ici les pierres ont des oreilles et les arbres des yeux. Ils rapportent tout au Malin. Malgré le froid qui figeait son visage, Foulques faillit éclater de rire. Depuis qu’il était entré au service de l’ordre du Temple, il avait entendu des milliers de fois de telles histoires où la superstition l’emportait toujours sur la raison. Lui avait suivi à Paris les cours du fameux Thomas d’Aquin, dont l’Église, disait-on, allait faire un saint. À cette époque, il n’était qu’un adolescent, mais il avait appris que l’exercice de l’intel ligence se devait d’être la mesure de toutes les choses, visibles et invisibles. Le sergent rapprocha son cheval et baissa la voix. — Dans les temps anciens, il y avait ici un château que le roi aimait à fréquenter, car les terres étaient giboyeuses. On y chassait le sanglier à l’épieu et on y forçait le cerf à la meute. Un vrai lieu de plaisir. Mais le roi avait commis un oubli. Dans ce château, il n’y 13 avait pas de chapelle, pas de lieu consacré où célébrer la sainte messe. Tout en continuant son récit, le sergent d’armes sortit d’une poche une croix attachée à un lacet de cuir et l’enroula autour de son poignet. — Et un jour le diable, qui rôde par le monde pour remplir sa hotte des âmes des pécheurs, advint ici à Vauvert. Ils venaient de s’engager dans un sentier étroit qui serpentait entre des chênes aux longues ramures. Entre les racines qui crevaient le sol surgissaient des restes de murs de brique délavée. — Le Malin, une nuit, où les gardiens faisaient ripaille, pénétra entre les murs du château et s’en empara aussitôt. Dès le lendemain, valets, écuyers et gens d’armes fuyaient les lieux. Une odeur pestilentielle s’échappait du logis, des hurlements de damnés mon taient des caves et une horde de chauves-souris avait pris possession des combles. Un vol de palombes s’effilocha dans le ciel dans un bruit de velours froissé. Foulques leva les yeux. Un faucon venait de surgir qui piqua droit sur un oiseau paniqué. Un instant, les ailes déployées formèrent une croix noire avant de tomber en chute libre. Un bruit de branche cassée retentit entre les arbres. Les deux cava liers s’immobilisèrent, l’oreille aux aguets. Foulques sentait la peur de son compagnon monter comme un venin sournois. — C’est un signe du démon, murmura le sergent, Seigneur Jésus Christ, protège-nous du Mal ! Rigui se tourna vers son voisin. La brume rampait au sol comme un serpent. Déjà on ne voyait plus les sabots des chevaux. — Allons, un valeureux soldat du Temple comme toi, tu t’effrayes pour un simple oiseau mort ? Si tu me racontais plutôt la fin de ton histoire ? 14 Le sergent rougit et donna un coup d’éperon à son cheval. — Longtemps le château resta à l’abandon. Tout autour les hameaux se vidèrent. Le domaine se couvrit de bois et de taillis. Même les bûcherons évitaient les lieux. Bien sûr, quelques téméraires s’aventurèrent à Vauvert. Certains s’y rendirent même de nuit. On les retrouva, au petit matin, errant dans la campagne, les cheveux blanchis… (Le sergent baissa la voix.) … et tous, fous à lier. Brusquement le soleil passa sous les arbres. Une ombre froide tomba d’un coup. Une brise se leva qui fit murmurer les ramures des arbres. Par réflexe, Foulques porta la main le long de sa cuisse. La dague était là, sous le pli de la fourrure. Prête à jaillir. — C’est le roi Saint Louis qui a décidé les chartreux à venir ici pour y construire une abbaye, confia le sergent. — Alors les chants des moines et l’eau bénite ont dû faire fuir le démon. Le sergent se signa à nouveau. — Il n’a pas fui loin, seigneur. Devant eux s’ouvrait une clairière, parsemée de trous sombres qui se perdaient dans le sol. Une torche brûlait au pied d’un chêne. La monture de Rigui s’arrêta net. — Messire, on m’a commandé de vous amener ici… (La voix du soldat se fit murmure.) … et de vous y lais ser. Bonne chance. Je vais prier pour vous. Hypnotisé par la flamme de la torche qui se tordait au vent, Foulques ne répondit pas. Quand enfin il se retourna, le sergent avait disparu dans le brouillard. Foulques descendit de son cheval et fit mouvoir son corps courbaturé par des heures de chevauchée. Sept jours plus tôt, le Grand Visiteur de France l’avait fait venir dans la salle des chartes, au donjon du Temple, à Paris. L’échange avait été bref. Il devait se tenir prêt à partir séance tenante quand l’Ordre lui 15 enverrait un sergent. La destination lui serait inconnue, mais il ne devait se dérober sous aucun prétexte, même malade comme un chien atteint de la male mort. Le visage du Grand Visiteur était resté impassible, mais ses paroles l’avaient frappé par leur dureté. Tu vas renaître ou mourir dans le Temple. Dieu en sera seul juge. Tu peux encore reculer et profiter des bienfaits de la vie ordinaire des chevaliers. Une fois là-bas, impossible de reculer, Foulques, entends bien mon avertissement. Foulques n’avait pas hésité une seule seconde. Il attendait l’invitation depuis de nombreuses années. Il avait baissé le genou à terre, face au Grand Visiteur et courbé la tête. Une main ferme s’était posée sur son épaule. Dieu est témoin que je t’aurai averti. Que cela soit. Le souffle du vent parcourut les taillis. Le chevalier attacha le cheval à un tronc, serra la corde ferme ment et s’avança en direction de la torche. Malgré la pénombre naissante, on distinguait des vestiges d’habi tation : des murs envahis de lierre, des amas de tuiles, des colonnes brisées. Un champ de ruines. Au pied de la torche s’ouvrait un trou circulaire qui s’enfonçait dans le sol. Une odeur de terre humide, lourde et entêtante, se mêlait au brouillard. Foulques saisit le flambeau et balaya le sol. Un escalier se perdait dans le boyau. Rigui fit glisser la dague hors de son fourreau et s’enfonça dans l’obscurité. Arrivé à la dernière marche, le chevalier aperçut une lumière qui brillait par intermittence comme un feu follet dans un cimetière. Il s’avança sous une voûte humide d’où perlaient des gouttes glacées. La lueur apparaissait et disparaissait, tantôt proche, tantôt lointaine. Il avait l’impression que les murs se rappro chaient. Le sol crissait sous ses pas comme de l’herbe gelée. Bientôt, sa respiration se fit plus précipitée. Le tunnel se resserrait. Il dut avancer de profil, le dos 16 contre le mur, les pieds en équerre. La lumière, elle, se rapprochait. Subitement, elle devint aveuglante. Foulques poussa un cri de douleur et porta la main à son front. La voûte venait brusquement de s’abaisser. Il tomba au sol. Devant lui, les murs se rejoignaient. Il était prisonnier. Paniqué, il projeta sa dague en avant. La lumière recula, révélant un goulot étroit. Le cœur battant à tout rompre, il se glissa dans le boyau. Les yeux fermés, pour les protéger, il rampa en s’aidant des pierres en saillie pour progresser. Son front saignait et l’air glacé lui brûlait les poumons. La lumière avait repris son va-et-vient. Brusquement ses mains battirent dans le vide. D’un coup de reins, il se cambra et jaillit du boyau. Il ouvrit les yeux. Devant lui un homme à la barbe grisonnante tenait une lanterne. Foulques, qui était tombé sur le sol, recula. Aux pieds de l’inconnu gisaient un sablier ren versé et une faux brisée. — Que demandes-tu ? La voix résonna entre les murs du parvis. Rigui tenta de se relever, mais il glissa sur un coquillage fossile incrusté sur une dalle. — Ici le temps est renversé. Foulques balaya la pièce du regard. Aucune issue. — Ici la mort est le commencement. La voix semblait tomber de la voûte. Une fois encore, elle interrogea : — Que cherches-tu ? — La Vérité, murmura Rigui, presque malgré lui. — En es-tu digne ? — Je ne sais. Un grincement s’ouvrit sur la gauche. Ébahi, Foulques vit le mur pivoter, en dessous d’une statue de saint Denis, et s’ouvrir. D’un bond, il se releva. Une ombre venait de surgir, une épée à double tranchant à la main. 17 — Quel est ton nom ? — Rigui, Foulques de Rigui. — Depuis quand fais-tu partie du Temple visible ? — Trente-trois ans. — Alors tu as l’âge. L’ombre s’écarta. — Lève-toi et marche ! Foulques suivit l’ombre et pénétra dans une immense salle. Il n’en crut pas ses yeux. C’était une église. Une église souterraine. La nef s’arc-boutait sur des piliers qui se perdaient dans l’obs curité. Au bout, hissée sur un autel de pierre, la croix rouge sang du Temple brillait, illuminée par une forêt de cierges. Entre chaque colonne, assise sur un banc de bois, se tenait une silhouette, ensevelie dans une cape noire. Au pied de l’autel, tête nue, Foulques reconnut le Grand Visiteur de l’Ordre. Comme il avançait, le gardien du seuil lui posa une main ferme sur l’épaule et l’obligea à contourner une dalle de pierre. Bientôt, il fut devant l’autel. Trois marches le séparaient du Grand Visiteur. — Que demandes-tu ? La voix venait de surgir dans son dos. La même que sur le parvis. — La Vérité. Une cagoule s’abattit sur son visage tandis qu’une main gantée ouvrit sa chemise. — Tu n’es qu’un aveugle et tu ne le sais pas. La pointe effilée d’une lame se planta dans sa chair juste au-dessus de son cœur. — Tu es mort et tu l’ignores. Foulques sentit le sang perler sur sa poitrine. Une main habile dénouait sa chausse gauche. Puis un liquide froid coula sur son pied nu. Foulques le recon nut à l’odeur. De l’eau-de-vie. — Que cherches-tu ? Rigui n’eut pas le temps de répondre. Un hurlement
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