Lire un extrait de La Civilisation des abysses - J. Rollins - Page 2 - Lire un extrait de La Civilisation des abysses, de James Rollins JAMES ROLLINS LA CIVILISATION DES ABYSSES Fleuve Noir Traduit de l’anglais (États-Unis) par Leslie Boitelle Civilisation abysses.indd 5 10/07/12 08:16 Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Copyright © 2001 by James Czajkowski. © 2012, Fleuve Noir, département d’Univers Poche, pour la traduction française. ISBN 978-2-265-08970-9 Titre original : Deep Fathom Fleuve Noir, une marque d’Univers Poche, est un éditeur qui s’engage pour la préservation de son environnement et qui utilise du papier fabriqué à partir de bois provenant de forêts gérées de manière responsable. Civilisation abysses.indd 6 10/07/12 08:16 11 AVANT 8 h 14, heure du Pacifique San Francisco, Californie Le matin de l’éclipse, Doreen McCloud ressortit en vitesse du Starbucks, son journal sous le bras. Elle avait rendez-vous à l’autre bout de la ville et moins d’une heure pour rejoindre son bureau près de l’Embarcadero. Les doigts crispés sur son gobelet de café, elle se dirigea d’un pas pressé vers la bouche de métro et observa le ciel d’un air inquiet : les pâles rayons du soleil avaient du mal à percer le brouillard de la nuit. Or, la première éclipse du millénaire devait se produire vers 16 heures et il serait dommage qu’une météo capricieuse gâche le spectacle. Matraquage médiatique oblige, tout le monde s’apprêtait à célébrer l’événement. San Francisco n’allait quand même pas rater l’occasion de sortir sa traditionnelle fanfare ! Doreen secoua la tête devant tant de simagrées. La ville étant plongée dans une saleté de brouillard quasi permanent, pourquoi quelques minutes supplémentaires de pénombre suscitaient-elles l’engouement ? Il ne s’agissait même pas d’une éclipse totale ! Désabusée, elle resserra son foulard. Elle avait plus important en tête : si jamais elle décrochait le contrat avec Delta Bank, son avenir en tant qu’associée au cabinet était assuré. Revigorée par une perspective aussi réjouissante, Civilisation abysses.indd 11 10/07/12 08:16 12 elle se laissa porter de Market Street jusqu’à la station souterraine. Alors qu’elle présentait son badge au tourniquet, le train entra en gare. Elle se dépêcha de rejoindre le quai et attendit que la rame s’immobilise complètement. Tout heureuse d’arriver en avance à son rendez-vous de 10 heures, elle voulut avaler une gorgée de café, mais un violent coup de coude lui arracha le gobelet des mains et le liquide brûlant gicla devant elle. Haletante, elle se retourna vers son agresseur. Sous une couverture élimée, une vieillarde déguenillée la contemplait d’un air absent. Aussitôt, Doreen revit sa mère alitée : les relents d’urine et de médicaments, les traits relâchés, les mêmes prunelles vides. Alzheimer. D’instinct, elle se cramponna à son sac, mais l’autre femme, a priori SDF, ne représentait aucune menace immédiate. Au lieu de quémander les quelques piécettes habituelles, elle continua néanmoins de la fixer d’un drôle d’air. Doreen recula d’un pas. Malgré la colère et la peur, elle éprouvait aussi une pointe de chagrin. Les autres passagers détournèrent la tête. C’était la ville qui voulait cela. Ne jamais regarder de trop près. Elle essaya de les imiter… en vain. Peut-être était-ce le souvenir furtif de sa mère défunte ou un élan de compassion, mais elle s’entendit dire : — Je peux vous aider ? Un jeune terrier famélique se cachait sous les haillons de sa maîtresse. On pouvait même lui compter les côtes. Remarquant l’intérêt de Doreen pour son chien, la clocharde souffla d’une voix éraillée par l’âge et la misère : — Brownie est au courant… Il sait, d’accord. De peur de la contrarier, la jeune avocate hocha la tête, comme si le discours était cohérent : — J’en suis sûre. — Il me dit des choses, vous savez. Les portières du train s’ouvrirent en sifflant. Si elle ne voulait pas le rater, Doreen, gênée, avait intérêt à se dépêcher. Alors qu’elle tournait les talons, un bras flétri jaillit de la couverture usée et des doigts décharnés lui attrapèrent Civilisation abysses.indd 12 10/07/12 08:16 13 le poignet. Spontanément, elle retira sa main mais, à son grand étonnement, la vieille dame ne lâcha pas prise. — Brownie est un bon chien, insista-t‑elle d’une voix enrouée de salive. Il sait. C’est un bon chien. — Je… je dois y aller. La pauvre femme ne résista pas. Son bras redisparut entre les plis de la couverture. Sous le regard appuyé du chiot, Doreen monta dans la rame à reculons. La SDF, restée seule, se ratatina sous ses nippes et, entre deux hallucinations tourmentées, elle marmonna : — Brownie sait. Il sait qu’on va tous mourir aujourd’hui. 13 h 55, heure du Pacifique (11 h 55, heure locale) Îles Aléoutiennes, Alaska Le matin de l’éclipse, Jimmy Pomautuk gravit la pente glacée avec une prudente dextérité. Son chien Nanuq trottinait devant. Le gros malamute connaissait le chemin par cœur mais, fidèle compagnon, il aimait veiller sur son maître. Jimmy emmenait trois touristes anglais – deux hommes et une femme – à Glacial Point, sommet des îles Fox, d’où la vue était spectaculaire. Jadis, ses aïeux inuit y vénéraient déjà la grande Orque en lui édifiant des totems en bois ou en jetant des pierres sacrées du haut des falaises. C’était son arrière-grand-père qui lui avait fait découvrir l’endroit, trente ans plus tôt, quand il était encore enfant. À présent, le site figurait sur toutes les cartes touristiques et, souvent, des Zodiac d’agences de croisière déversaient leur cargaison humaine dans le bourg de Port Royson. Autre attraction phare de l’île ? Les falaises de Glacial Point. Par temps clair, les îles Aléoutiennes s’étendaient en arc de cercle à perte de vue. Pour les ancêtres de Jimmy, le splendide panorama n’avait pas de prix mais, dans le monde moderne, c’était quarante dollars par tête en basse saison et soixante aux beaux jours. Civilisation abysses.indd 13 10/07/12 08:16 14 — Putain, c’est encore loin ? grogna-t‑on derrière lui. On se les caille ici. Le guide avait prévenu ses clients qu’au sommet le froid serait beaucoup plus mordant. Ils s’étaient donc équipés de gros anoraks Eddie Bauer, de gants et de bottes, le tout flambant neuf. La fille avait même encore l’étiquette du prix accrochée dans le dos. — Juste après la prochaine colline, monsieur. Encore cinq minutes et vous pourrez vous réchauffer au refuge. L’Anglais consulta sa montre en ronchonnant. Exaspéré, Jimmy continua d’avancer. S’il n’avait pas nourri l’espoir de récolter un bon pourboire, il les aurait bien tous balancés du haut de la falaise, tel un sacrifice aux divinités marines de son peuple. Quand le groupe arriva enfin à destination, les trois touristes laissèrent échapper un halètement. En fait, le paysage produisait souvent cet effet-là sur les gens. Alors qu’il s’apprêtait à délivrer ses explications habituelles, Jimmy se rendit compte que, loin d’être impressionnés par la beauté du site, ils se dépêchaient surtout de couvrir chaque centimètre carré de leur peau exposée au vent. — Quel froid polaire ! maugréa le second type. J’espère que l’objectif de mon appareil photo ne va pas se fendre. Ça me ferait chier d’avoir marché des plombes et de ne rien avoir à montrer. Le poing serré, Jimmy s’efforça de rester aimable : — Le refuge se trouve au cœur du bosquet de pins noirs. Pourquoi n’allez-vous pas y attendre le début de l’éclipse ? — Dieu merci, souffla la fille avant de se pencher vers le premier grincheux de la bande. Dépêchons-nous, Reggie. Abandonnant leur accompagnateur en queue de peloton, les trois Anglais s’élancèrent vers le bouquet d’arbres clairsemés. Nanuq, qui préférait suivre son maître, fourra la truffe au creux de sa main pour qu’il lui gratte l’oreille. — Bon chien, marmonna le guide. Un ruban de fumée fendait le ciel azuré. Au moins, son garçon s’était acquitté de sa tâche : avant de partir admirer Civilisation abysses.indd 14 10/07/12 08:16 15 l’éclipse avec ses amis sur le continent, il avait allumé la cheminée. À la pensée de son fils unique, Jimmy céda un instant à la mélancolie. Sans trop comprendre la raison de son émotion, il secoua la tête. Il avait toujours ressenti une espèce de présence à Glacial Point. Peut-être les dieux de mes ancêtres, songea-t‑il, mi-amusé, mi-sérieux. Soudain pressé de fuir le froid, il se dirigea vers le refuge. Son regard suivit la colonne grisâtre qui s’élevait à l’est. Une éclipse. Ce que ses aînés décrivaient comme une baleine engloutissant le soleil. Plus que quelques heures à patienter. Nanuq grogna sourdement, l’œil rivé au sud. Sur les falaises dépouillées, on ne distinguait qu’un totem, œuvre factice destinée aux touristes et expédiée d’une quelconque manufacture indonésienne. Même le bois qui avait servi à sa construction ne venait pas d’Alaska. — Du calme, mon grand, le rassura Jimmy. Docile, Nanuq s’assit sur son arrière-train en tremblant. Le regard perdu sur l’océan vide, le guide sentit resurgir une vieille prière que son grand-père lui avait apprise. Il s’étonna de s’en rappeler les paroles et n’aurait su dire pourquoi il éprouva le besoin de les prononcer à cet instant précis. Si on voulait survivre en Alaska, il fallait respecter la nature, se fier à son instinct… et Jimmy ne dérogerait pas à la règle. Il eut l’impression que son grand-père se tenait auprès de lui, deux générations contemplant la mer. En pareilles circonstances, le vieil homme disait toujours : « Le vent sent la tempête. » 16 h 05, heure du Pacifique (10 h 05, heure locale) Hagatna, île de Guam Le matin de l’éclipse, Jeffrey Hessmire galopa dans les couloirs de la maison du gouverneur en maudissant sa mauvaise étoile. La première réunion du sommet avait été suspendue, le temps du brunch. Dignitaires américains et Civilisation abysses.indd 15 10/07/12 08:16 16 chinois ne reprendraient leurs pourparlers qu’après avoir assisté au spectacle astronomique du nouveau millénaire. Assistant junior, Jeffrey devait taper et photocopier les notes que le secrétaire d’État 1 avait prises le matin, puis les distribuer aux différents représentants de la délégation américaine. Conclusion : pendant que ses camarades profitaient du buffet en nouant des contacts avec les hauts membres de l’équipe présidentielle, il était condamné à jouer les dactylos. Non, mais quelle guigne ! D’ailleurs, que fichaient-ils au milieu de l’océan ? Les poules auraient des dents avant que les deux superpuissances du Pacifique ne concluent un accord nucléaire. Ni l’une ni l’autre n’étaient disposées à céder du terrain, en particulier sur deux points capitaux. Le président américain refusait de stopper l’extension du nouveau système de défense antimissile aux portes de Taïwan. Quant au Premier ministre chinois, il excluait de limiter la prolifération de ses ogives nucléaires intercontinentales. Bref, depuis une semaine, le sommet n’avait réussi qu’à exacerber les tensions. Seule lueur d’espoir ? Le premier jour, le président Bishop avait accepté un cadeau de son homologue asiatique : une grande statue en jade de cavalier chinois, réplique exacte des célèbres soldats de l’Armée en terre cuite de la cité de Xi’an. Les photographes de presse s’en étaient donné à cœur joie, mais l’ambiance prometteuse du début n’avait pas porté ses fruits. Jeffrey présenta son badge d’accès au vigile, qui hocha la tête d’un air sévère. Arrivé à son bureau, il s’effondra sur son fauteuil en cuir. Il avait beau regretter d’être cantonné aux basses besognes, il ferait quand même de son mieux. Après avoir empilé les notes manuscrites du secrétaire Elliot à côté de l’ordinateur, il se mit au travail. À mesure que ses doigts couraient sur le clavier, il sentit sa frustration s’estomper et se prit d’intérêt pour son intrusion dans les coulisses du sommet politique. Apparemment, Bishop était 1. Équivalent du ministre des Affaires étrangères aux États-Unis. (Toutes les notes sont de la traductrice.) Civilisation abysses.indd 16 10/07/12 08:16 17 prêt à fléchir sur Taïwan, mais il voulait jouer serré avec le gouvernement chinois pour obtenir, d’une, un moratoire concernant toute prolifération nucléaire future et, de deux, la participation de la Chine au régime de contrôle des technologies de missile, ce qui limiterait de facto l’exportation des connaissances sensibles. Aux yeux d’Elliot, l’objectif semblait réalisable s’ils abattaient leurs cartes au bon moment. Les Chinois n’avaient pas envie de déclencher une guerre sur Taïwan : tout le monde en aurait subi les terribles conséquences. Concentré sur ses notes, le jeune homme tressaillit en entendant quelqu’un toussoter. Derrière lui, un grand type aux tempes argentées portait négligemment sa veste de costume sur le bras : — Qu’en pensez-vous, monsieur Hessmire ? Jeffrey se releva si vite que son siège heurta la table voisine : — M… Monsieur le Président. — Détendez-vous, monsieur Hessmire. Daniel R. Bishop, président des États-Unis, jeta un œil à la transcription partielle des notes de son ministre : — Que pensez-vous des conclusions de Tom ? — Le secrétaire d’État ? M. Elliot ? — Oui, sourit-il d’un air las. Vous étudiez le droit international à Georgetown, non ? Jeffrey cligna des paupières. Il n’aurait jamais cru que Bishop le connaîtrait parmi les centaines d’assistants et de stagiaires qui trimaient dans les entrailles de la Maison Blanche. — Oui, Monsieur le Président. Je termine l’an prochain. — Major de sa promotion et spécialiste de l’Asie, à ce que j’ai entendu dire. Comment voyez-vous donc le sommet ? D’après vous, est-ce que nous pourrons pousser les Chinois à signer un accord ? La gorge sèche, Jeffrey n’arrivait pas à soutenir le regard bleu acier de Daniel Bishop, héros de guerre, homme d’État et leader du monde libre. Il marmonna une réponse entre ses dents. — Parlez plus fort, mon garçon. Je ne vais pas vous Civilisation abysses.indd 17 10/07/12 08:16 18 manger. Je veux juste connaître le fond de votre pensée. Pour quoi croyez-vous que j’ai demandé à Tom de vous confier cette tâche ? Abasourdi, Jeffrey en perdit sa langue. — Respirez, monsieur Hessmire. Obéissant, le jeune homme s’éclaircit la voix et reprit lentement en essayant d’organiser son raisonnement : — À… à mon avis, le secrétaire Elliot a bien compris que la Chine continentale visait l’absorption économique de Taïwan. Il se tut un instant, le temps de reprendre son souffle. — J’ai étudié les rétrocessions de Hong Kong et de Macao. Manifestement, les Chinois veulent voir comment intégrer l’économie libérale au sein d’une structure communiste. Ces zones de test seraient ainsi destinées à négocier la réintégration de Taïwan en démontrant qu’une telle union serait profitable à tous. — Et l’expansion de leur arsenal nucléaire ? Au fil de la discussion, Jeffrey prenait de l’assurance : — Ils nous ont volé nos technologies de pointe, mais leurs infrastructures actuelles de fabrication sont à la traîne. À plus d’un égard, la Chine reste une nation agraire, mal préparée à une prolifération nucléaire rapide. — Votre verdict ? — Les Chinois se sont rendu compte qu’une expansion comparable avait provoqué la chute de l’Union soviétique. Ils ne voudront pas commettre la même erreur. S’ils espèrent conserver leur place sur l’échiquier mondial, ils ont besoin de consolider leurs infrastructures technologiques. En matière d’armement nucléaire, ils ne peuvent pas se permettre de jouer à qui pissera le plus loin contre les États-Unis. — Jouer à qui pissera le plus loin ? Les yeux exorbités, Jeffrey vira au rouge pivoine : — Je suis désolé… — Non, j’apprécie la métaphore. Le jeune assistant se sentit stupide. Quelle ânerie venait-il Civilisation abysses.indd 18 10/07/12 08:16
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