Lire un extrait de l'Enfant de Schindler - Page 2 - Lire un extrait du livre L'Enfant de Schindler, de Leon Leyson LEON LEYSONMarilyn J. HARRAN Et ELISABETH B. LEYSON l’enfant De SCHINDLER Traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliette Lê 26624692_001-224.indd 326624692_001-224.indd 3 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 Titre original : The Boy on the Wooden Box Publié pour la première fois par Atheneum books for Young Readers, une marque de Simon & Schuster Children’s Publishing Division Carte : copyright © 2013 by Drew Willis Cahier photos Courtesy of Elisabeth B. Leyson. À l’exception de : p. 195 (haut) et p. 199 (gauche bas) : Adrienne Helitzer, courtesy of Schindler’s Legacy; p. 201 (haut) by Jeanine Hill, courtesy of Chapman University; p. 201 (bas), courtesy of Nancy Chase. All rights reserved, including the right of reproduction in whole or in part in any form. Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : mai 2014. Texte © 2013 by the Estate of Leon Leyson © 2014, éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traduction française et la présente édition. ISBN 978-2-266-24692-7 26624692_001-224.indd 426624692_001-224.indd 4 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 31 DEUX Difficile d’imaginer un monde sans avions ni voitures, un monde où les gens passaient en majorité leur vie dans la même région, s’aventuraient rarement à plus de 100 kilomètres de chez eux. Un monde sans Internet, sans même le téléphone. Pourtant, je garde de beaux souvenirs du petit univers de mon enfance, baigné par l’amour et la chaleur du cocon familial. Cette routine rendait mémorable le moindre événement. Quand je repense à cette vie, maintenant si lointaine, j’éprouve une certaine nostalgie, surtout pour mes grands-parents, mes tantes, mes oncles et mes cousins. Lorsque papa nous racontait sa vie à Cracovie, il embellissait toujours l’image de cette ville, à 600 kilomètres à peine et pourtant à des annéeslumière de Narewka. Ce devait être dur pour lui de nous laisser ainsi pendant des mois, tout 26624692_001-224.indd 3126624692_001-224.indd 31 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 32 LEON LEYSON en sachant quelle lourde charge il imposait à son épouse. Mais maman comprenait : nous devions patienter avant de le rejoindre. Enfin, au printemps de 1938, après cinq années de labeur acharné et d’économies, il nous fit venir. J’étais fou d’excitation. J’avais huit ans et j’adorais l’aventure. Je savais que la grande ville en était pleine, et la perspective de rejoindre papa me réjouissait plus que tout au monde. Il avait été si absent depuis mes trois ans ! C’est donc avec enthousiasme et sans aucune appréhension que je dis au revoir à mes grandsparents. J’allais commencer une nouvelle vie. Ma famille et mes amis seraient bien entendu encore là quand je reviendrais. Sans même un regard en arrière, j’embarquai avec maman, mes frères et ma sœur. Je n’avais encore jamais dépassé les confins de mon village, et encore moins pris le train. Tout, pendant ce voyage, m’émerveilla… Les bruits, la vitesse, le paysage qui défilait devant mes yeux… Je me sentais prêt — du moins le pensais-je — à affronter tout ce que l’avenir me réserverait. Combien d’heures dura le trajet? Il me parut très long et fascinant. Le monde semblait si vaste! Quand la nuit vint, je gardai les yeux rivés sur la fenêtre de crainte de rater quelque chose. Il était près de onze heures lorsque le train entra 26624692_001-224.indd 3226624692_001-224.indd 32 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 33 L’ENFANT DE SCHINDLER en gare de Cracovie. Papa nous attendait. Nous nous sommes précipités dans ses bras. Une fois nos bagages empilés dans la charrette, nous nous sommes serrés à côté du cocher. J’étais étonné de voir que, même à cette heure tardive, où d’habitude j’étais couché depuis longtemps, il y avait encore des tramways et des piétons dans les rues. — Nous sommes presque arrivés, nous a dit papa alors que nous passions au-dessus de la Vistule, le fleuve qui traverse la ville. Je me suis endormi au son des fers du cheval claquant sur les pavés. J’en avais assez vu pour la journée. Notre nouveau foyer se situait au 13 de la rue Przemyslowa, au sud du fleuve. L’immeuble accueillait des employés de la verrerie où travaillait papa. Notre appartement se trouvait au rez-de-chaussée. Comme à Narewka, nous n’avions que deux pièces, une chambre à coucher et une pièce de séjour, mais celles-ci étaient beaucoup plus spacieuses que notre ancienne maison. Pour moi, le plus impressionnant était l’eau courante. Avant de nous écrouler sur nos lits, papa nous a emmenés dans le couloir pour nous montrer la salle de bains, que nous partagerions avec trois autres familles. Il tira une chaîne, derrière la cuvette des toilettes et, sidéré, 26624692_001-224.indd 3326624692_001-224.indd 33 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 34 LEON LEYSON je vis l’eau s’évacuer d’abord, puis revenir. Jusqu’à présent, je pensais que la lumière électrique était la chose la plus extraordinaire au monde mais, maintenant que je n’aurais plus à sortir dans le jardin en pleine nuit, l’ampoule électrique me parut soudain moins fabuleuse. En tirant la chasse, je regardais l’eau tournoyer, émerveillé par cette invention. Le lendemain matin, David et moi sommes partis explorer les alentours. Peu à peu, nous avons poussé plus loin : dans la rue, puis le pâté de maisons, et finalement, jusqu’au fleuve où le pont Powstan´ców Slaskich reliait notre rive aux lieux touristiques de Cracovie : le quartier traditionnel juif de Kazimierz; le quartier historique de la vieille ville; le château du Wawel, le palais médiéval des souverains au temps où Cracovie était la capitale de la Pologne. Très vite, j’ai osé partir seul explorer les endroits que j’avais admirés sur les boîtes de bonbons, plus impressionnants encore en vrai. J’étais surtout attiré par les splendides parcs et monuments historiques, comme la Vieille Synagogue, qui date des années 1400, ou la basilique Sainte-Marie, une majestueuse église gothique du XIVe siècle dominant la place principale. C’était là que jouait, tous les midis, le trompettiste que j’avais entendu grâce à la radio de Tsalig. 26624692_001-224.indd 3426624692_001-224.indd 34 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 35 L’ENFANT DE SCHINDLER Chaque jour m’apportait une nouvelle aventure, je bouillais d’impatience avant chaque découverte. Il m’arrivait de poser la main sur un mur pour m’assurer que je ne rêvais pas. L’animation des rues me donnait l’impression que tout le monde avait quelque chose de très important à faire. De temps en temps, je suivais tel ou tel piéton aux pas bien plus grands que les miens, juste pour voir où il se rendait. Je m’amusais à examiner la variété des chaussures, puis à lever les yeux pour voir la tête de leur propriétaire. Je m’arrêtais devant les vitrines d’un magasin, remplies d’objets de luxe, de vêtements, de bijoux, d’articles ménagers. Je n’avais encore rien vu de pareil. Un peu comme si je me trouvais dans un décor de cinéma ou un parc d’attractions, sauf qu’à l’époque j’ignorais encore leur existence. Notre appartement se trouvait dans un quartier ouvrier, à quelques rues de l’usine où travaillait papa, rue Lipowa. Il y avait beaucoup de garçons de mon âge. Parfois, ils se moquaient de mon étonnement devant des choses qu’ils jugeaient ordinaires. Ils se plaisaient à initier à la ville le petit paysan naïf que j’étais. Mais d’autres fois, c’était moi qui leur ouvrais les yeux. Je me fis rapidement de bons amis. Un de nos jeux préférés consistait à monter dans un tram et traverser la ville gratis. Nous grimpions du côté 26624692_001-224.indd 3526624692_001-224.indd 35 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 36 LEON LEYSON opposé au contrôleur. Alors qu’il s’approchait pour poinçonner les tickets, nous sautions à terre et passions de l’autre côté. Nous recommencions durant plusieurs stations, jusqu’à ce que le contrôleur comprenne notre manège. Je ne m’en lassais jamais. Le fait que je sois juif ne semblait pas déranger mes nouveaux camarades. Ce qui comptait, c’était que je partageais leurs jeux malicieux et téméraires. Cracovie était non seulement une cité historique, mais aussi un centre culturel cosmopolite truffé de théâtres, de cafés, de boîtes de nuit, et doté d’un opéra. Le salaire modeste de papa ne permettait aucune sortie dans ces lieux. Pourtant je fis une intrusion furtive dans la vie nocturne de Cracovie en jouant les messagers entre un homme qui travaillait dans un cabaret et une de nos voisines de palier. Elle me donnait quelques pièces pour le tram, mais ce n’était pas loin et j’y allais à pied. Au cabaret, je confiais le billet doux au portier. En attendant la réponse, je jetais un coup d’œil à l’intérieur, avide de comprendre ce qui poussait les gens à passer leurs nuits dans cet endroit. Je ne voyais pas grand-chose, en revanche j’entendais une musique endiablée. Puis je rentrais à la maison et versais l’argent gagné à maman. 26624692_001-224.indd 3626624692_001-224.indd 36 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 37 L’ENFANT DE SCHINDLER Papa fut ravi d’avoir sa famille avec lui. C’est avec fierté qu’il nous présenta dans son usine. Il semblait toujours content de nous voir arriver, David et moi, à son travail. S’il était très occupé, il nous confiait une tâche, comme scier une bûche. Cela ne lui était pas utile, mais il nous félicitait une fois la tâche accomplie. Papa était spécialisé dans la fabrication de moules et d’outils, et particulièrement la confection des pièces de rechange pour les machines en panne et le façonnage des moules pour les bouteilles de verre que produisait l’entreprise. Mécanicien expert, il était très demandé par les patrons des usines des environs. Fier de son travail, à la maison il rayonnait : le roi en son château, même si ledit château n’était qu’un modeste appartement. Maman s’efforçait de répondre à toutes ses exigences; nous, les enfants, ne venions qu’en second. Pendant toutes ces années de séparation, Hershel, mon frère aîné, avait mûri sous la tutelle de papa. Il s’était calmé, avait trouvé un emploi et commençait à économiser de l’argent. Autrefois provocateur, Hershel était devenu un jeune homme responsable et serviable. Il avait une petite amie, et nous ne le voyions pas souvent. Cracovie devint peu à peu un lieu familier : nous étions bien installés et profitions de nos 26624692_001-224.indd 3726624692_001-224.indd 37 24/03/14 09:4424/03/14 09:44 38 LEON LEYSON retrouvailles. On entendait parler de la violence et des troubles en Allemagne. C’était perturbant mais, emportés par les tâches du quotidien, nous n’avions pas le luxe de nous en soucier. En septembre 1938, nous avons fêté, dans la magnifique synagogue réformée Rosh Hashana, le Nouvel An juif, et célébré Yom Kippour, le jour du Grand Pardon. Environ 60000 juifs vivaient à Cracovie, à peu près un quart de la population, et la ville comptait une centaine de synagogues. De mon point de vue d’enfant, nous étions parfaitement intégrés, alors que certains signes annonçaient une période difficile. Ma nouvelle école primaire était une immense bâtisse qui accueillait les centaines d’enfants du quartier. Un jour, j’étais en classe de CM 1, mon instituteur me fit remarquer en m’appelant Mosiek, le diminutif de Moshé. Je crus d’abord que cet homme connaissait papa, dont le prénom était Moshé, je me sentis fier qu’il soit aussi célèbre! Par la suite, en apprenant que l’instituteur ne le connaissait pas et que le surnom de Mosiek, «Petit Moïse», était une insulte visant tous les petits garçons juifs, quel que soit le prénom de leur père, je me sentis idiot d’avoir été si naïf. Néanmoins, la vie continuait, avec l’école, les jeux et les corvées, comme courir à la boulan26624692_001-224.indd 3826624692_001-224.indd 38 24/03/14 09:4424/03/14 09:44
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