BSC NEWS fevrier 2012 - Page 2 - Invité(e)s : Ana Bagayan, Donald Ray Pollock, Claude Buchvald, Lady Linn, Rebecca Dautremer, Ben Kingsley, Michel Hazanavicius, Art Spiegelman, Anne Bourrel, François Cérésa, Stéphanie des Horts, 2 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 Couverture:AnaBagayan de NICOLAS VIDAL l n’y a pas de concession à faire lorsqu’il s’agit de culture. Le talent doit être la seule valeur sur laquelle nous devons nous appuyer bien fermement. À l’heure des sondages, des enquêtes d’opinions et des déclarations officielles, notre cap ne change pas, notre volonté se renforce, notre ligne éditoriale se raffermit et s’épanouit au contact des belles découvertes que nous faisons tous les jours et que nous vous proposons chaque mois. Dans ce numéro, elles sont nombreuses, passionnantes et diverses. Ainsi je vous invite à vous plonger dans l’univers littéraire passionnant et singulier de Ronald Day Pollock, qui nous fait le plaisir de nous accorder sa première interview en France. Il est la nouvelle voix de la littérature américaine qui mérite d’être entendue tant son écriture est révélatrice d’une époque. Déambulez dans les nombreuses pages consacrées à la bande dessinée avec des ouvrages comme Maus, Vertige, Pablo, À l’ombre du convoi, Zaya ou encore le Bus que nous avons décidé de vous présenter suite au Festival International de la bande dessinée d’Angoulême qui s’est tenu fin janvier. Car la bande dessinée tient aujourd’hui plus que jamais une vraie place dans la culture que nous défendons dans nos pages. La talentueuse Rebecca Dautremer a répondu ce mois-ci aux questions de Julie Cadilhac à l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage ainsi qu’Ana Bagayan qui nous fait l’honneur de la couverture. Nous vous recommandons également de découvrir Lady Linn & The Magnificent Seven, la nouvelle icône de la Soul qui nous a magnétisée avec sa voix suave et ses accords d’un autre temps. Plongez dans les coulisses du Festival Internation du film de Santa Barbara en Californie où nous avons rencontré pour vous entre autres Ben Kingsley, Michel Hazanavicius, le réalisateur du film The Artist afin de vous faire vivre cet événement de l’intérieur. Enfin, nous avons sélectionné pour vous une généreuse corbeille de livres que vous pourrez déguster selon vos affinités et vos envies. Du roman à l’essai, du livre jeunesse à un album illustré, nous continuons de candidater à ce rôle que nous aimons, celui de présenter, de faire émerger et de promouvoir le talent sans considération des fluctuations capricieuses de l’indice de la célébrité. Voilà une profession de foi des plus enthousiastes pour ce nouveau numéro du BSC NEWS MAGAZINE avec laquelle nous proposons de divertir votre curiosité en respectant scrupuleusement nos engagements de découvertes. Une culture du talent de NICOLAS VIDALL’édito sans concession I 3 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 Suivez l’actualité culturelle gratuitement et en direct sur votre IPhone Téléchargez-la ICI I 4 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 Sommaire Illustration Benjamin Lacombe Expo Angoulême Rebecca Dautremer Art Spiegelman Donald Ray Pollock SoulExclusivité Lady Linn 5 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 Sommaire Illustration Livre Anne Bourrel Ana Bagayan François Cérésa Livre Claude Buchwald Théâtre Cinéma Festival du Film de Santa Barbara 6 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 7 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 L’écrivain américain Donald Ray Pollock a un parcours singulier tout autant que l’est son premier roman pour lequel il ne serait pas raisonnable de ne pas reconnaître sa force, sa talent et sa justesse. Une rencontre exclusive avec un auteur qui s’inscrit dans la prestigieuse lignée des écrivains américains qui comptent. DONALD RAY POLLOCK Une autre idée de l’Amérique Propos recueillis par Nicolas Vidal / Photo DR interview exclusive L’écriture de Donald Ray Pollock va bien au-delà du simple roman américain. Elle diffuse l’une des essences de notre humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus glauque et de plus existentiel. Pollock a percuté le fait d’écrire à l’âge de la maturité après avoir longtemps travaillé dans une usine à papier. Cette naissance tardive n’a été que l’accomplissement de son génie et de l’incroyable délicatesse à saisir l’Homme. «Le Diable tout le temps» est une formidable histoire de la Rédemption à travers une galerie de personnages à la fois loufoques, cruels, attachants et violents. Servie par une brillante construction, Donald Ray Pollock traque l’insanité humaine au plus profond de l’Ohio. Entre l’observation, le talent et la précision de son style, il a suivi la quête du Diable dans laquelle il s’est plongé corps et âme pour nous livrer ce roman. Le Diable tout le temps sonne déjà comme une oeuvre importante de la littérature américaine, portée par une nouvelle voix à la fois puissante, sociale et sans concessions. Nous nous réjouissons ainsi de recevoir en exclusivité Donald Ray Pollock dans une longue interview où l’auteur nous explique la passionnante genèse de ce livre. «Le Diable tout le Temps» paraîtra le 1er mars en librairie. Et pour soulager votre impatience, nous vous proposons en avant-première et en partenariat avec son éditeur les bonnes feuilles du roman afin que vous puissiez prendre la mesure de l’immense écrivain qu’est Donald Ray Pollock. 8 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 En lisant votre biographie, on a l'impression que l'écriture est le résultat d'une existence singulière et riche de par ses expériences. Est-ce le cas ? Oui, on peut dire que j’ai vraiment été influencé par les expériences de ma vie personnelle. J’ai arrêté le lycée en cours de route, j’ai travaillé pendant plus de trente ans dans une usine et je n’ai jamais vécu à plus de 20 kilomètres de l’endroit où je suis né et où j’ai grandi, Knockemstiff, dans le sud de l’Ohio. Cet endroit fait vraiment partie de moi. J’ai toujours été un grand lecteur, l’un de mes livres préférés est M a d a m e B o v a r y d e G u s t a v e Flaubert, et m ê m e à l’usine j’avais ce fantasme qu’un jour je pourrais consacrer ma vie à la littérature. Quand je me suis mis en tête d’apprendre à écrire, j’ai surtout commencé par imiter des écrivains que j’admirais : John Cheever, Richard Yates, André Dubus, Flannery O’Connor, Ernest Hemingway, parmi d’autres. J’ai tapé à la machine certaines de leurs nouvelles pour éprouver la façon dont il les construisait, pour ressentir leur écriture, mot à mot, pour me familiariser avec leur langue. Cet exercice a été très formateur. Et puis je me suis mis à écrire, mais sans vraiment m’inspirer de ce que je connaissais moi, ce qui fait que j’ai écrit sur les états d’âme d’un catholique de Nouvelle-Angleterre, comme le faisait André Dubus, ou sur un cadre ayant une liaison adultère avec une de ses voisines, dans une banlieue chic, comme pouvaient le faire Cheever ou Yates. Mais ces nouvelles étaient franchement ratées, s i m p l e m e n t p a rc e q u e j e n e connaissais rien sur ces gens et sur ces endroits. Et puis un jour, j’ai écrit cette nouvelle, Bactine, au sujet de deux losers dans un snack-bar et soudain, c’est comme si quelqu’un avait allumé la lumière. Ça m’embêtait presque de l’admettre, mais je connaissais ces t y p e s - l à mieux que quiconque et je me suis d i t q u e c ’ é t a i t c e q u e j e devais faire e n t a n t qu’écrivain : me consacrer à des situations et à des gens qui m’étaient familiers. Cela ne veut pas dire que je conseille aux autres écrivains de faire la même chose, la littérature serait franchement rasoir si l’on écrivait que sur ce que l’on connait. Peut-être n’ai- je tout simplement pas l’imagination nécessaire, mais je pense qu’il faut surtout qu’un écrivain aille vers ce qui l’intéresse vraiment. Vous avez intégré l'université à un âge peu commun pour un étudiant. Cela a-t-il était le déclic pour écrire un recueil de nouvelles puis ce roman ? J’ai commencé à aller régulièrement à l’université vers l’âge de 35 ans, Ronald Day Pollock interview exclusive « Voilà ce que je devais faire en tant qu’écrivain : me consacrer à des situations et à des gens qui m’étaient familiers » 9 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 quelques heures par semaine, tout simplement parce que j’avais arrêté de boire et qu’il me fallait remplir tout ce temps que je passais habituellement dans les bars. Jusque-là je n’avais pas vraiment fait grand-chose de ma vie mais cinq ans plus tard, j’avais en poche un diplôme de lettres, à cause de mon amour des livres et peut-être de mon manque d’aptitude pour tout le reste. Je n’avais pas encore pris de cours d’écriture dans un atelier, mais pendant ces années-là j’ai découvert de nombreux auteurs avec lesquels je n’étais pas familier. Même après mon diplôme, j’ai continué de travailler à l’usine. C’est vers l’âge de 45 ans que j’ai eu une sorte de crise existentielle, et que j’ai décidé d’apprendre à écrire. J’avais déjà passé 28 ans à l’usine et j’avais envie de faire autre chose du reste de ma vie. C’est à ce moment là que je suis entré à l’Ohio State University pour obtenir un MFA (Master of Fine Arts). Et bien que je ne pense qu’il faille avoir un MFA pour devenir un écrivain, ces trois années d’études m’ont permis de côtoyer des gens passionnés par la littérature et l’écriture, ce que je n’avais connu auparavant. Votre roman commence et s’achève à Knockemstiff, Ohio. En quoi ce lieu, Ronald Day Pollock interview exclusive 10 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 ce paysage font-ils partie de vous, en t a n t q u ’ é c r i v a i n e t e n t a n t qu’homme ? Je vis dans l’Ohio, à Chillicothe, à environ 20 kilomètres de Knockemstiff, et j’ai pour ainsi dire passé toute ma vie dans le même comté. Parce que je n’ai jamais quitté cet endroit je pense qu’il est devenu partie intégrante de ce que je suis, de qui je suis, et par extension je crois qu’il fera partie de tout ce que j’écrirai jamais. Je ne s u i s p a s vraiment un g r a n d voyageur, et s’il m ’ a r r ive d e partir, je suis toujours heureux de rentrer à la maison. C’est presque difficile pour moi de me sentir bien ailleurs que là. La question des lieux est importante pour moi. Comme je l’ai déjà dit, je ne connais que cette région, mais je la connais par cœur. Pour la plus grande part, le sud de l’Ohio est la Virginie- Occidentale sont peu peuplés par rapport au reste des Etats-Unis. Il y a des endroits sauvages et magnifiques, des collines, des forêts, et il y a des endroits horribles. Mais comme quelqu’un l’a justement dit « rien n’arrive nulle part » et un lieu peut définitivement être considéré comme un personnage à part entière. Qu'est-ce qui a inspiré ce formidable roman sur la rédemption ? Autrement dit quelle est la part de fiction et d'autofiction dans ce livre ? Je ne suis pas certain de savoir ce qui a inspiré ce roman. Quand j’ai commencé à l’écrire, je n’avais en tête que Carl et Sandy Henderson, le couple de serial-killers, et puis rapidement Arvin Russell est né dans m o n i m a g i n a t i o n c o m m e u n contrepoids aux deux premiers. J’avais une vague idée de la manière dont je voulais conclure le livre et de ce qu’il me fallait faire pour ces trois p e r s o n n a g e s p u i s s e n t s e rencontrer. La seule chose qui ait été influencé par des événements réels, c’est le tronc à prières. Quand j’étais enfant, il y avait ce vieil homme qui habitait non loin de chez nous et qui se baladait dans les bois le soir venu pour prier. Parfois, si le vent soufflait dans la bonne direction, on pouvait même l’entendre. Il n’était pas particulièrement dérangé, c’était juste un homme très pieux. Est-ce que certains personnages sont- ils inspirés d'individus que vous avez rencontrés dans l'Ohio ou ailleurs ? Je pense que tous mes personnages sont nés de mon imagination, mais je suis le premier à reconnaitre que j’ai pu être influencé par mille choses : des films, des livres, des articles, des faits Ronald Day Pollock interview exclusive « À vrai dire je n’avais pas de plan. Je n’avais jamais écrit de roman auparavant et je ne savais pas vraiment où j’allais » 11 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 44 - FÉVRIER 2012 divers, des gens que j’ai pu croisés dans ma vie. C’est assez facile pour moi de ressentir de la sympathie pour des gens qui sont un peu déglingués. Non pas que je sois un saint moi-même, j’ai eu pas mal de soucis avec l’alcool et la drogue quand j’étais jeune, et je sais qu’il est vraiment facile de foutre sa vie en l’air. U n m a u v a i s t o u r n a n t , u n e mauvaise soirée, une erreur fatale et tout est terminé. Parfois il suffit juste d e n a î t r e a u mauvais endroit et d’être élevé de la mauvaise façon. Ça, ce sont des choses q u e j e p e u x v r a i m e n t comprendre. En ce qui concerne le pasteur Teagardin, son nom vient d’un avis de décès que j’ai lu dans un journal, et le nom du restaurant où travaille Sandy Henderson, le Wooden Spoon, est celui d’un café du coin qui a fermé il y a quelques années. Ce roman est magistralement construit et la trame ne s'essouffle jamais. Avez-vous, avant d'écrire, posé les jalons de votre histoire en réfléchissant à la place et à l'épaisseur de chaque personnage ou avez-vous au contraire suivi un fil directeur que la fiction vous inspirait ? À vrai dire je n’avais pas de plan. Je n’avais jamais écrit de roman auparavant et je ne savais pas vraiment où j’allais. A un moment donné, je me suis retrouvé avec plusieurs intrigues parallèles et cela m’a pris assez longtemps avant de trouver comment les coordonner sans plonger le lecteur dans une confusion certaine. J’avais une idée précise de ce que je voulais, mais il m’a fallu un certain temps avant q u e j e décide de la construction fi n a l e d u r o m a n , découpé en sept parties. La plupart d e s personnages, à l’exception d ’ A r v i n Russell et de Carl et Sandy Henderson, sont nés au fur et à mesure de l’écriture du livre. Je pourrais presque dire que je les ai découverts en écrivant. La plupart d’entre eux ont tellement de défauts que la difficulté principale que j’ai rencontrée, c’était de trouver le moyen de les présenter d’une façon telle que le lecteur ne puisse s’empêcher de ressentir pour eux de la sympathie ou quelque chose du genre. La fiction se déroule à une période charnière de l'histoire des USA entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre du Vietnam. Avez-vous souhaité incarner une certaine idée de l'Amérique au travers des personnages ( on pense notamment à Arvin qui, Ronald Day Pollock interview exclusive « La plupart de mes personnages ont tellement de défauts que la difficulté principale que j’ai rencontrée a été de trouver le moyen de les présenter d’une façon telle que le lecteur ne puisse s’empêcher de ressentir pour eux de la sympathie »
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