BSC NEWS Magazine - MAI 2010 - Numéro 25 - Page 51 - BSC NEWS MAGAZINE - MAI 2010 - Tatiana De Rosnay, Benjamin Lacombe, Valentin Musso, Zhaowing Wu, Yves Budin, Miss White and the Drunken Piano, Galerie Artludik, Zanzibar Edition, Dossier Tim Burton, Stéphane Michalon Premier contact avec un piano… Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu du piano partout dans la maison. Ma sœur aînée et mon frère en ont joué avant moi, et mon père est porté sur le piano jazz ! Quand j’étais petite, on avait une grande maison et à chaque étage, il y avait quelqu’un qui travaillait son instrument. De la rue, on avait l’impression d’être dans un conservatoire de musique ! Mon père grattait aussi un peu la guitare, ma sœur a étudié la flûte un temps, moi, le violon. En plus, je me souviens, on louait un studio à une chanteuse amateur ! Bref, pour avoir grandi dans cet environnement, la musique s’est imposée à moi comme une évidence. Et je savais qu’au moment où je commencerais à étudier, ce serait sérieux. Je n’ai jamais connu le stade du passe- temps. Comment s’est fait le choix entre le violon et le piano ? J’ai toujours préféré le piano, mais j’ai dû faire un choix, car je ne pouvais pas faire les deux. J’ai donc abandonné le violon. J’en avais discuté avec mon professeur, « Les gens qui ne sont pas musiciens associent sans doute Chopin a de la musique de grand-mère, alors que pour moi, parfois, ça s’apparenterait plus à de la musique de films d’horreur ! » confie la jeune pianiste Hélène Tysman, à l’occasion de la sortie de son premier CD chez OEHMS Classics. Primée et lauréate de nombreux concours internationaux, elle a justement remporté en 2007 le 1er Prix au Concours International Chopin, attirant l’attention de certains spécialistes, tel Vladimir Ashkenazy. « Il paraît », m’apprend-t-elle, « que Chopin avait horreur d’écrire et qu’il trouvait inutile de se répandre en explication sur ses œuvres. » Cette conversation permettra donc, je l’espère, de lui rendre justice, en utilisant les mots avant tout pour donner envie d’écouter sa musique — à travers l’éblouissante interprétation d’Hélène — et de faire voler en éclats ce cliché de compositeur à l’eau de rose qui lui colle à la peau. D’ailleurs, trêve de discours, pour vous en convaincre, cliquez plutôt : http://www.youtube.com/watch?v=wF9GsF_bC9I&feature=related Hélène Tysman, Un premier CD Chopin qui prélude du meilleur ! Propos recueillis par Maïa Brami / Photos Alain Cornu Découverte qui m’avait expliqué que mener à bien l’étude de deux instruments de façon optimale est impossible, faute de temps ! Il faut tellement d’heures de travail quotidien pour apprendre un seul instrument, alors vous imaginez deux ?! Et puis, dans le fond, j’ai peut-être aussi été endoctrinée (rires), puisque tout le monde jouait du piano à la maison. D’ailleurs, à l’époque, je pensais que c’était l’instrument roi par excellence, celui qui offrait le plus de capacités. Dire que je pensais même qu’il permettait de mieux gagner sa vie… Quelle erreur ! (rires) Quelle est votre relation physique à l’instrument ? Le piano est un instrument puissant… Du coup, justement, j’ai tendance à utiliser les « pianississimo », surtout avec Chopin. La puissance entre en jeu quand on se trouve aux côtés d’un orchestre, le son doit véhiculer alors plus de force que si l’on est seul avec son instrument. C e q u i m ’ a f r a p p é e d a n s v o t r e enregistrement, c’est à la fois la puissance qui se dégage de votre jeu et sa grande délicatesse par moments… Vous savez, je ne frappe pas sur le piano, il ne s’agit pas de force physique. Récemment, j’ai joué dans une grande salle avec orchestre, le son se projetait facilement et c’était vraiment agréable. À la fin du concert, un ami m’a confié : « Comment une fille aussi menue peut-elle avoir un son aussi énorme ? » Alors que ça n’a rien à voir. Il s’agit de réussir à laisser aller toute son énergie — comme un chanteur d’opéra — et c’est ça que j’aime. Normalement, on n’est pas censé être épuisé comme un sportif, après un concert ! Pourquoi avoir choisi Chopin pour votre premier CD ? De façon assez naturelle. C’était le compositeur de prédilection à la maison ! Je me rappelle que les compositeurs allemands — Schumann, Brahms… — n’étaient pas très appréciés, à part Bach. Ni les Russes d’ailleurs. En fait, on apprenait le piano pour jouer Chopin ! Parlons du choix des œuvres : la Sonate n°2 en Si mineur opus 35 et les 24 préludes opus 28… Ça a donné lieu à une longue discussion, car on se demandait avec le producteur si la Sonate irait bien avec les Préludes. Je voulais absolument enregistrer les Préludes, car ça fait des années que je me balade avec eux (rires). Mais c’était aussi un énorme défi, car c’est, selon moi, l’œuvre pianistique par excellence, probablement la plus exigeante avec les Variations Goldberg de Bach. De son côté, il m’avait entendue dans la Sonate, et il tenait absolument à ce qu’elle soit dans le CD. Finalement, l’association de la Sonate, très compacte, avec les 24 Préludes passe bien. Il est même intéressant de les avoir mis en parallèle, car les Préludes — œuvre de jeunesse — augurent de toute l’œuvre de Chopin et on en retrouve des échos dans l’écriture de la Sonate. Comment s’attelle-t-on à l’enregistrement d’un tel monument ? Quelles interprétations de référence aviez-vous en tête ? D’un côté, je me disais que je n’arriverais pas à les enregistrer et de l’autre, je me disais, que ces œuvres-là sont faites pour être jouées perpétuellement. Et même si on compte une cinquantaine d’enregistrements extraordinaires, ce n’est pas pour autant qu’on n’a plus le droit de les jouer ou de les enregistrer. Évidemment, j’avais très peur au moment de commencer, et j’avais plein de versions en tête, entre autres, celles de Martha Argerich, de Cortot — qui les a enregistrés très jeune —, ou la dernière version d’Ivo Pogorelich. Mais ce qui m’a rassurée d’une certaine façon, c’est que je ne trouvais aucune de ces versions convaincantes à cent pour cent. Pour la simple et bonne raison, qu’il s’agit de 24 œuvres d’art et non d’une seule. En concert, il y a toujours au moins deux préludes qui passent à l’as ! (rires) D’où l’intérêt de les enregistrer… Difficile ! Au début, surtout. J’étais stressée, je voulais tout donner. J’essayais en vain de me raisonner, de ne pas être trop exigeante avec moi-même. En plus, on a enregistré fin décembre dans une église glaciale — impossible de se servir de radiateur à cause du bruit qui aurait pu gêner dans certains passages pianissimo. J’ai joué la plupart des prises avec les mains gelées, je ne p e n s a i s p a s q u e c’était possible, il faut vraiment avoir le cœur très chaud ! (rires) Pour ne rien arranger, le piano n’arrêtait pas de grincer, les pédales, notamment. On a passé une journée à imaginer ce qu’on pourrait faire pour y remédier. En plus, c’était des journées fériées et tout était fermé. Mais quand je me suis lancée, j’ai tout oublié, il n’y avait plus que la musique ! J’ai préféré enregistrer plusieurs versions intégrales des Préludes à la suite, c’était fatigant, mais très intéressant. Ensuite, au besoin, j’en ai repris u n o u d e u x . Je t e n a i s à g a r d e r l’enchaînement entre eux, qu’on ne sente pas les prises, le silence entre. D’autant que l’enchaînement se fait par le système des tonalités et pour moi, c’est une suite de couleurs. Fonctionnez-vous à la synesthésie : associez-vous les notes à de véritables couleurs ? Y a-t-il une histoire dans votre tête quand vous jouez ou est-ce totalement abstrait ? Je n’ai pas vraiment d’histoire, mais une image plus ou moins abstraite. Ça peut partir d’une sensation et arriver à une image ou à une couleur. Des couleurs, il y a en a toujours quand j’apprends des œuvres et surtout avec Chopin, qui est le maître. Sans lui, par exemple, Debussy n’existerait pas. Parfois, j’ai besoin d’une histoire, comme, par exemple, pour la Marche funèbre de la Sonate. Mais je ne pourrais pas y mettre de mots. La musique va au-delà des mots, au plus près des sensations… Certains musiciens arrivent à mettre des mots. Ça dépend. J’ai entendu dire que le violoncelliste Boris Pergamenschikow demandait à ses élèves d’écrire un texte sur le morceau qu’ils travaillaient, de raconter une histoire. Je trouverais ça difficile, car, pour moi, ce sont plutôt des harmonies liées à certains passages, qui peuvent changer d’un jour à l’autre. La particularité d’un pianiste est de ne jamais jouer sur son piano en concert. Qu’est ce qu’un bon piano pour vous ? Celui qui me permet de faire suffisamment de couleurs différentes. Parfois, selon l’acoustique, un vieux Yamaha peut faire l’affaire. Parfois, je me délecte d’un Steinway magnifiquement bien réglé ! Mais de toute façon, un pianiste est condamné à toujours être sur de nouveaux instruments. Mieux vaut le p r e n d r e positivement : chaque nouveau piano apporte quelque chose d’inattendu et savoir profiter de ça, c’est génial. Il m’est arrivé de me retrouver à jouer sur des pianos horribles, m a i s c o m m e disait Richter : « parfois, les m e i l l e u r s concerts se font sur les pires pianos ». Du coup, on a beaucoup moins d’exigence, on essaie juste de faire ressortir les choses comme on peut et parfois, on est étonné du résultat. A contrario, un Steinway réglé au millimètre près peut être inhibant ! Où avez-vous enregistré le CD et sur quel piano ? Je me suis fiée à l’ingénieur du son, Nikos Samaltanos, qui m’a parlé d’un endroit magnifique, une église dans Paris, où il fait des enregistrements depuis vingt ans. Il m’a fait écouté quelques extraits de répétitions et j’ai trouvé le son sublime, il correspondait à ce que je cherchais, réverbéré mais pas trop. Du coup — contrairement à un enregistrement studio —, on a gardé le son naturel. Le piano sur place est un vieux Steinway au son magnifique, mais ardu à jouer. J’ai dû m’y habituer. J’avais peur de perdre plein de nuances. Heureusement, j’ai demandé à un technicien génial, Michael Barges, de venir travailler dessus. Ça a été très utile ! Je ne fais plus confiance qu’à lui ! Parfois, en tant que pianiste, mieux vaut avoir un bon technicien qu’un bon piano, car tout dépend de l’acoustique du lieu. La musique de Chopin est souvent associée à u n c e r t a i n sentimentalisme, à un Romantisme exacerbé un peu kitch, mais votre interprétation va à l ’ o p p o s é d e c e cliché… Certes, Chopin est r o m a n t i q u e , m a i s pourquoi vouloir à tout p r i x e n f a i r e u n e musique de salon, agréable ? Soit, il était élégant et raffiné, mais on oublie sa modernité. Si l’on observe ses partitions en détail, on s’aperçoit de choses audacieuses et violentes, alors qu’on ne retient de Chopin que sa fragilité et le fait qu’il ne pouvait jouer fort. Il est encore souvent admis par les vieux professeurs, qu’on ne doit jamais jouer à fond un double fortississimo chez Chopin. C’est absurde ! Chacun est en droit de donner sa propre interprétation. D’autant que Ravel, par exemple, avait une façon de jouer qui ne rendait pas justice à ses œuvres : l’un comme l’autre était avant tout des compositeurs ! Il y a une réelle modernité chez Chopin, modernité de l’écriture, des harmoniques. Je lisais encore récemment un texte de Georges Sand sur Delacroix, Chopin, et leur recherche de couleurs. Elle emploie elle-même le mot « modernité ». Certains Préludes, le numéro 14 par exemple, qui est juste porté, lourd, avec la même écriture sur une page entière, ne ressemble en rien au Chopin que certains croient connaître ! Quant à sa soi-disant légèreté, elle cache quelque chose de tragique, même dans certaines valses, on sent l’artiste en souffrance. Mais si on l’étiquette romantique à cause de ça, on oublie qu’il a ouvert la voie à l’Impressionnisme ! À quand le prochain CD ? Je l’enregistre au mois de juin, même lieu, même équipe et toujours du Chopin ! (rires) Il y aura sûrement les quatre ballades, mais chut ! rien n’est encore sûr. Propos recueillis par Maïa Brami Prochains concerts d’Hélène Tysman en France Le 21 juin à lʼAuditorium Colbert pour la Fête de la Musique www.jeunes-talents.org Le 24 juillet au Musée des Archives www.jeunes-talents.org Le 10 et le 13 août au Festival de Chaillol http://ecc.stagedechaillol.com/index.php? TYP_AFF=3&ID=4&AFF=12 Le 13 août : 2ème Concerto de Chopin Prochains concerts d’Hélène Tysman en France Site dʼHélène Tysman : www.helene-tysman.com Lien vers son CD sur le site de la maison de disques Oehms : http://www.oehmsclassics.de/ cd.php?formatid=428 Quelques vidéos de l'enregistrement sur Youtube : - http://www.youtube.com/watch? v=uEm4tFIjzRo&feature=related - http://www.youtube.com/watch? v=eeJncnmx6Tg&feature=related http://www.youtube.com/watch? v=5mjJKcSWs98&feature=related ontrairement à Michel Onfray, Sigmund Freud avait de l’humour. C’est un des aspects du père de la psychanalyse qui émerge dans le récit de celle qui fut sa patiente, la romancière et poétesse américaine Hilda Doolittle, appelée H.D en littérature, à qui il écrivit une première lettre : Je ne suis pas sûr que vous sachiez l’allemand, aussi je vous prie d’accepter mon mauvais anglais. Cela peut être pénible pour un poète. Pour l’amour de Freud que les Éditions des femmes viennent de publier avec une nouvelle traduction de Nicole Casanova réunit les lettres que le professeur (comme elle le nomme) et H.D s’échangèrent, son journal qu’elle intitule Avent qui rend compte de son analyse, et un récit : Écrit sur le mur par lequel la romancière tente de reconstruire onze ans plus tard cette même expérience. Nous sommes à Vienne en 1933. Freud a 77 ans, H.D 47. La patiente est hors norme : bisexuelle - Vous aviez deux choses à cacher, d’une part que vous étiez une fille, d’autre part que vous étiez un garçon, lui dira-t-il lors d’une séance – elle fut la maîtresse du poète Ezra Pound à 19 ans, eut une liaison avec l’ex amante de celui-ci, se maria à Richard Aldington qu’elle quitta deux ans plus tard pour une femme androgyne surnommée Bryher, donna naissance à une petite fille (Perdita) qu’un ami d’Aldington reconnaîtra. Si on ajoute à ça que Bryher, la femme de sa vie, eut une vie aussi foisonnante et libérée, on perd un peu le fil … Le transfert avec le père de la psychanalyse se révèle, lui aussi, complexe. Vive Œdipe écrit-elle à Bryher, tu m’avais dit qu’il ne parlerait pas, et il a parlé la moitié du temps(…) ce vieil Œdipe roi m’a eue… Elle appelle son analyste papa dans ses lettres mais il lui fera une remarque étonnante : Je n’aime pas être la mère dans le transfert, cela me surprend et me choque toujours un peu. Je me sens tellement masculin. S’en suivent de nombreux échanges, discussions entre médecin et patiente sur l’Antiquité, l’enfance de l’humanité selon Freud et domaine privilégié des études de H.D., l’art, la littérature (elle a rencontré D.H Lawrence dont elle dit avoir du mal à finir les romans) mêlés de réflexions sur la plongée en psychanalyse qu’elle perçoit comme une immersion dans un élément marin, le plaisir trouvé dans les réminiscences et les rêves, et des notations plus terribles sur la capitale autrichienne au moment de la montée du nazisme. Devant la tête de mort de la croix gammée marquée à la craie sur le trottoir et menant à la porte même du Professeur, je dois, en toute décence, calmer ma phobie personnelle, mon propre petit dragon-terreur-de-la-guerre, et même avec le peu de pouvoir dont je pourrais disposer, photo/ Anne-Laure Bovéron C Par Stéphanie Hochet / Livres Chronique VIVE OEDIPE lui ordonner, pour le temps présent en tout cas, de retourner dans sa caverne souterraine. Elle refuse de parler à Freud de l’actualité qui l’inquiète, des atrocités commises sur les Juifs à Berlin. L’admiration dut être réciproque. Volontiers subjectif, Freud n’hésite pas à c o m p l i m e n t e r s a patiente : Vous racontez cela joliment. Elle le dépeint avec une acuité d’écrivain, parle de son ironique sourire oblique, son air moqueur, il lui fait penser à Faust, à un vieux hibou dans un arbre, une chouette, un faucon ou à ce papillon de nuit, le sphinx tête de mort. Elle notera une formule qui revient à la bouche du Professeur : Par hasard ou intentionnellement… Elle lui montrera une photographie de Bryher : Elle ressemble à un explorateur de l’Arctique commentera-t-il. Surtout, elle lui exposera son projet d’Écrit- sur-le-mur autrement dit d’écriture par l’image, de matérialisation des formes qu’elle voit projetées sur tel ou tel support. L’analyse entre dans sa vie en partie pour développer son potentiel créateur, et non pour l’assécher contrairement aux idées reçues. Elle laisse aller les associations libres, tente de décrypter les hiéroglyphes de l’inconscient. Aujourd’hui nous avons creusé très profond, lui dit-il parfois, ou j’ai touché le pétrole. La progression d’une analyse, c’est la réussite de l’analysant et de l’analyste. A raison d’une séance par jour, la cure dure une année. H.D avait saisi l’importance de cette rencontre : nous avons de la chance, grâce à son témoignage, nous savons que Freud n’avait pas l’intention de prouver à ses détracteurs qu’ils avaient tort, le praticien préférait souligner le danger contenu dans certaines idées. On a reproché à Freud sa « misogynie » (certes, par moments) et ses concepts « négatifs » sur les homosexuels ; pourtant il expliqua à H.D. que selon sa théorie de la sexualité féminine la femme homo se montrait plus franche et honnête, mais que toutes les femmes dans leur ensemble étaient exactement pareilles, et avaient bâti leur culte sur la dissimulation (Lettre de H.D. à Bryher). Pas si simple. H.D. affirmait que sa relation à Freud représentait tout pour elle, et qu’il n’avait jamais exigé d’elle qu’une seule chose : Je vous prie, jamais – je veux dire jamais, en aucun moment, en aucune circonstance-, n’essayez jamais de me défendre, si et quand vous entendez des remarques injurieuses sur moi et mon travail […] Vous ne ferez pas de bien au détracteur en commettant la faute d’entreprendre u n e d é f e n s e l o g i q u e . Vo u s approfondirez seulement sa haine ou sa peur des préjugés. Il est à parier que ceux qui tirent à boulets rouges sur Freud n’ont pas lu ce livre, mais, ne désespérons pas, tout comme entreprendre une analyse, il n’est jamais trop tard. S.H. Achetez ce titre directement en ligne chez notre partenaire >>> a p h o t o é n i g m a t i q u e d e Rimbaud surgie d’une brocante nous interroge. À Aden où il travaillait comme commerçant d’armes, le poète avait renié son passé et ne supportait plus qu’on lui parle de son œuvre. Aujourd’hui, il est une légende autant qu’une icône. La poésie a-t-elle encore un avenir ou plutôt, comme dirait Hölderlin « à quoi bon des poètes en ces temps de misère ? » Jacques Roubaud s’inquiète de la désaffection des grands éditeurs et même des libraires ; la poésie serait condamnée pour ne couvrir qu’un faible marché. Et pourtant, contre toute attente, dans un monde matérialiste et morose, cet art que certains estiment difficile reste proche de nos émotions et suscite un regain d’intérêt, discret mais avéré. Il suffit de se rendre au marché de la poésie, mi juin, place Saint-Sulpice, pour s’en convaincre, de lire les revues qui fleurissent, de constater que même des écrivains médiatiques, comme Charles Dantzig ou Houelbecq publient leurs poèmes. Les poètes d’aujourd’hui ont bien du mérite, ils travaillent dans l’ombre avec la complicité de quelques éditeurs passionnés. Ils ne sont pas légion mais débordent d’énergie, se nomment Arfuyen (dirigé par Gérard Pfister également poète de premier plan), Lettres Vives, Zurfluh-Les Cahiers Bleus, La Feugraie, Rougerie, Seghers et même Gallimard dont la fameuse collection poésie n’est jamais en perte de vitesse. Cependant, les poètes aiment la marge – « ce qui fait tenir les pages », disait Céline. L’un d’eux, Claude-Henry du Bord, vient de faire paraître chez Zurfluh- les Cahiers Bleus, un volumineux recueil : « Eloge du vivant, Œuvres poétiques 1980-2010 », qui regroupe trente ans d’écriture et sept recueils, classés sans souci de chronologie : Le Verbe Vivre ; L’invention du corps ; De l’utilité du lest, poème ; Chants nus ; Ecarts ; Encore et toujours ; 137. (Zurfluh-Les Cahiers Bleus, 2010, 350 pages, 22 euros). Ce traducteur de littérature polonaise : une trentaine de volumes traduits et publiés en français (dont deux volumes de Jean- Paul II aux éditions du Rocher – 35 000 exemplaires vendus) est aussi auteur d ’ e s s a i s c h e z E y r o l l e s : « L e Christianisme. Histoire, courants, culture ». Ancien professeur d’histoire de la philosophie, il a publié en 2007 : « La Philosophie » (Eyrolles, 4000 ex. vendus, volume repris au Canada chez Didier). L Par Emmanuelle de Boysson / Livres Chronique Le Retour de la poésie Photo Anne-Laure Bovéron Son dernier roman, « On ne choisit pas d’aimer », est paru chez Zurfluh, dans la collection Les romans d’Auguste. Il est actuellement directeur littéraire des éditions Les Cahiers Bleus et dirige la collection « Cultures d’Europe » qui publie notamment des œuvres majeures souvent jamais ou mal traduites : Carducci, Lord Tennyson, Tirso de Molina, Norwid... Il a coécrit avec Emmanuelle de Boysson, « Ami Amie » ; « Nous les bons vivants, ras le bol des rabat-joie » (Le Rocher) et « La beauté des femmes mûres » (Alphée). Il est aussi critique à « Service littéraire » et membre du jury du Prix européen de littérature. Mais revenons à son recueil de poésie… « Eloge du vivant » (titre tiré d’un vers de Goethe) est d’abord une vaste construction dédiée à la puissance de la parole, non plus signe privée de sens, mais acte par lequel le pouvoir de désigner confère à l’homme sa dignité. « Le Verbe Vivre » proclame cet élan, cette confiance dès le long poème « Ceci » où l’auteur déclare : « Nommer le ciel – étreindre la lucidité ». Mais un poète digne de ce nom n’est pas aisément résumable à une thématique, à une manière, à un style, en lui se condense un monde qui sera d’autant plus universel que son expression sera personnelle. Il n’empêche que la langue de Claude-Henry du Bord tient à la fois de l’exaltation érotique et de la contemplation. Son univers est au fond celui de l’Eden avant le péché originel, il exalte la sensualité, le corps de la femme, les amants, les merveilles naturelles, sans jamais rien perdre de la joie de tout nommer. « L’invention du corps » ne dit rien d’autre que cette genèse où l’amour est « le plus pur dans l’acte de présence ». 12 poèmes d’un lyrisme étonnant où la jouissance est dite sans inepte pudeur, où la femme est une « presque insupportable louange ». Si vous demander à ce poète quelles sont ses influences, il vous dira qu’elles sont toujours diffuses, qu’ils aime autant Pindare que Dante, Shakespeare que Ponge. Aimer d’autres œuvres doit permettre de s’en défaire pour ne jamais les imiter ; il avoue admirer quelques poètes contemporains, ses amis Mambrino, Gérard Pfister, Claude-Henri Rocquet ; le discret Claude-Louis Combet, Mario Luzi, Antonio Ramos Rosa, Tadeusz Rozewicz qu’il a traduit du polonais, et bien d’autres. Les poètes ne sont pas jaloux, ils ont mieux à faire. Les poètes d’aujourd’hui ne manquent pas d’originalité, certains comme Salah Stétié, d’origine libanaise, ont choisi d’écrire en français pour souligner leur attachement à cette langue, d’autres sont déjà des classiques comme Yves Bonnefoy ou Andrée Chédid. Que dire des voix singulières de Didier Ayres, Bernard Vargaftig, Alain Suied, Jean-Claude Renard, Roger Munier, Marcel Moreau, Thierry Martin-Scherrer, Edouard Glissant, Jacques Goorma, Nicolas Dieterlé, Pierre Dhainaut, Michel Deguy, pour ne citer que quelques noms importants ? Puisque chacun explore à sa manière les ressources d’une poésie vivante ? Au centre de « Eloge du Vivant », un recueil jusque-là inédit : « Chants nus » reconduit le pouvoir de la parole amoureuse alors même que « De l’utilité du lest, poème » (qui précède) relatait les affres de la rupture et de la déception : « Nos mots d’amour anticipaient la joie d’être en exil… » Six de ces poèmes ont été mis en musique par Bernard de Vienne en un cycle de mélodie pour piano ; le poète aime abandonner son travail à un autre créateur afin qu’il en fasse une œuvre nouvelle, revisitée, preuve qu’elle est assez ouverte pour féconder l’esprit. Le même compositeur demanda à son ami d’écrire une œuvre « à la fois sacrée et profane », elle clôt le volume : 137 paraphrase le psaume « Sur les rives de Babylone », « le plus approprié parce qu’il relate la souffrance de l’exilé, la nostalgie du pays natal, le refus de l’esclavage, le chant pour dire que la patrie intérieure ne peut être occupée… thèmes hélas toujours actuels ». Nous allons donc de la désignation au chant de révolte, dans un même mouvement libérateur où l’expérience de la volupté permet de confirmer que les mots ne peuvent être vides de sens. « Ecarts », inédit, se donne comme une autre manière de comprendre ce qui se joue dans les marges : un glissement, une faille qui s’accroît. Le poète emploie des formules consacrées banales : « En route, Vu d’ici, Après tout », pose un blanc et répond à chaque groupe de mots posé comme une évidence, a priori dépourvue de sens profond, par un poème volontairement très simple : « En fait tu parles de la vérité/ comme d’une courtisane//et non comme l’enfant triste/qu’elle est ». Comment mieux faire sentir le pouvoir que recèle les mots les plus anodins ? Vous le comprendrez avec une émotion sans cesse renouvelée en lisant les 340 pages de ce volume qui couvre trente ans de poésie, de création, comme un relais brûlant dans la main du vivant.
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