BSC NEWS NOVEMBRE 2014 - Page 69 - monstrueux et un étonnant éventail d’insultes ne pas le connaître, tantôt elle l’affolait en d’ardentes retrouvailles, le consumait aux volcaniques embrasements de ses embrassements puis le glaçait à la douche de ses départs subreptices ». C’est vrai, ces nouvelles constituent des départs de quelque chose, jamais des aboutissements. La dernière phrase de chacune ouvre un texte au lieu de le refermer, et indique une voie à suivre, afin de libérer l’imaginaire du lecteur. Qu’importe le sentiment d’inachevé, pourvu que les séquences ne soient jamais inabouties. Très belles preuves littéraires données et couronnées ici. BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !69 Les bienheureux de Patrick Froissart — Editions Ipaginations - 100 pages Un matin, Tel Aviv est en émoi. Une jeune femme a été violée dans un quartier sans histoire de la ville. A u c u n i n d i c e , a u c u n suspect, aucun témoin...ou du moins qui veuille se manifester. C'est alors que le père de la victime qui fait des rondes autour de l'appartement de sa fille depuis son agression désigne un coupable idéal: un jeune homme qui traîne avec un air louche dans la rue et s ' e n f u i t q u a n d o n l'interpelle. Ziv Névo est donc arrêté et, comme il semble avoir quelque chose à cacher, les machines policières et juridiques s'arrangent pour faire le r e s t e e t l e f a i r e écrouer....seulement, c'est sans compter sur les doutes du vieil inspecteur Elie BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !70 Viol au cœur de Tel Aviv Par Julie Cadilhac ROMAN Nahoum, l'opportunisme terrifiant du journaliste Amit Guiladi, les remords de Sarah Glazer, le code du mafieux Simon Faro ou encore la faute commise par David Méchoulam... Tel Aviv Suspects est un polar bien ficelé, imaginé par un spécialiste du barreau et du thriller en Israël. Impossible d'être déçu. C'est efficace et énergique! " - Tu m'écoutes? l'interroge son avocat. Je te dis que ce rendez-vous avec le parquet peut signifier qu'ils ont de sérieuses difficultés dans cette affaire et que nous sommes revenus dans le match. Pendant tout ce temps, Ziv s'était bien gardé de souffler ne serait-ce qu'un mot sur ce qui s'était réellement passé au cours de cette nuit-là, conscient que son acte représentait un crime non moins grave qu'un viol. Sauf que Simon et sa milice ne lui pardonneraient jamais : il savait qu'il payait déjà et qu'il paierait un lourd prix pour son silence, et qu'une des raisons pour lesquelles Elie Nahoum le soupçonnait était qu'il n'avait pas d'explication cohérente à sa présence dans cette rue, cette nuit-là." BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !71 Publicité BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !72 Jean-René Lemoine Théâtre Propos recueillis par Julie Cadilhac / Dessins: Arnaud Taeron Dramaturge, directeur de troupe et metteur en scène de théâtre, Jean-René Lemoine est originaire d'Haïti et vit à Paris depuis 1989. En 2012, sa pièce Erzuli Dahomey, déesse de l'amour, après avoir reçu le prix SACD de dramaturgie de langue française, est entrée au répertoire de la Comédie Française. Dans Médée, poème enragé, sa dernière création, il prête son corps et sa voix à cette grande figure mythologique en donnant à entendre un texte, aussi inspiré que poétique, dont il est l'auteur. Laissons parler l'artiste dont le propos passionnant ne pourra que vous charmer... Quelles ont été vos sources d'inspiration pour l'écriture de votre Médée: Euripide, Corneille, Anouilh? ...ou uniquement le mythe grec? La source principale d’inspiration a été la Médée d’Euripide. J’ai toujours été fasciné par la force brute des tragédies grecques. Elles ne portent pas de jugement sur les personnages. Elles disent les actes, les éclairent, font la lumière sur les passions et les tourments des êtres, les prennent profondément en pitié sans pour autant les dédouaner. La Médée d’Euripide est une plongée éblouissante, aveuglante dans la genèse d’un crime. Cette Médée-là est à la fois assassin et victime. Elle suit comme une guerrière son chemin de souffrance et d’horreur. Elle échappe aux poursuites au châtiment. Après avoir perpétré son crime, elle s’envole - tout simplement - sur un char. Mais elle n’a plus rien, elle s’est en quelque sorte décapitée ellemême, c’est cela qui est tragique, bouleversant. J’ajouterai que d’autres Médée ont en quelque sorte “contaminé” mon projet. Médée-Matériau de Heiner Müller, spectacle mis en scène par Vassiliev avec Valérie Dréville, m’a profondément marqué. J’ai longtemps cru qu’il me serait impossible d’aborder ce mythe tant les images de la comédienne étaient collées à la rétine de mon souvenir. Et puis un jour on se libère, on est prêt, et ce qui inhibait devient une inspiration. Enfin, je ne peux pas oublier la Médée de Pasolini avec Maria Callas. La confrontation des mondes (le monde archaïque face à une société “occidentale”) était le postulat du cinéaste. Cette Médée-là traverse, lointainement sans doute, mon travail. " Dans toute promesse, il y a déjà sa trahison": s'intéresser à Médée, c'est d'abord vouloir mettre sur scène un amour furieux, poussé jusque dans ses excès malgré lui? Oui, Médée c’est (entre autres) le compterendu implacable d’une pathologie amoureuse. Tout n’est que violence dès le début de la relation entre Médée et Jason. Ils sont chacun l’instrument de l’autre. Lui BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !73 le sait concrètement, elle le sait intimement et aveuglément. D’emblée elle l’aime dans la fureur et dans la fièvre. Il représente la fuite, l’oubli, il est la fiction qu’elle se crée; et une fois qu’ils se sont enfuis, il représente pour elle le fantasme d’intégration. Sans doute sait-elle profondément dès le début que tout cela n’est qu’un simulacre, un leurre. Mais elle choisit de ne pas voir, elle choisit l'enivrante folie du sursis. Votre texte reprend de façon chronologique l'histoire de la magicienne : sur scène, vous incarnez donc une Médée au moment où elle retourne au pays natal auprès de son père mourant? Une Médée qui raconte son histoire mais qui a déjà dans la voix le désespoir des êtres brisés? Oui, pour moi l’histoire commence au moment du retour. Elle dit au public, à l’assemblée réunie pour l’écouter, qu’elle est en quelque sorte morte et déroule comme un flash-back toute l’histoire de sa vie. Le moment initial du spectacle est celui du dessillement, du retour au tragique (tragique dans le sens de l’acceptation, de la compréhension des choses). Médée réalise que la vraie confrontation est celle avec le père. Père qu’elle a voulu tuer en étant “ravie” par Jason. Mais Jason n’était sans doute qu’un substitut de ce père. Médée est donc ramenée au rivage par la mer, sans vie. Elle est tout à la fois morte et rescapée, elle choisit de continuer le chemin de la connaissance, elle veut désormais la clarté, quel que soit le prix à payer. BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !74 « Médée choisit l'enivrante folie du sursis. » Si vous nous disiez en quelques mots comment vous imaginez cette figure mythologique? La mythologie permet de parler du présent, de raconter la monde. Le poétique permet de dire l’indicible, sans être dans le réalisme documentaire. J’imagine cette figure mythologique comme faisant partie de chacun de nous. Elle dit ce qui nous habite. Elle nous dit la fragilité de l’humain. Ce qui me frappe aussi, c’est que Médée est, à ma connaissance, une des rares figures féminines de la tragédie antique qui ne soient pas dans l’attente du héros. Médée n’attend pas. Elle n’est pas réduite en esclavage comme les Troyennes. Elle agit. Elle part. Elle tue. C’est elle le héros. Pourquoi avoir voulu l'incarner sur scène? Quelle a été la genèse de ce projet? Dès l’écriture, j’ai pensé Médée poème enragé comme un autoportrait. Autoportrait ne voulant pas dire autobiographie. Il s’agissait de revêtir les habits de la magicienne et de faire de continuels allers-retours entre le mythe et l’intime. C’est ce qu’autorise le mythe selon moi : aller très loin dans l’introspection tout en restant dans la fiction. Je trouvais intéressant aussi de travailler sur le trouble. Cette part masculine du personnage de Médée se prêtait bien selon moi à une interprétation par un homme. Cela dit je serais heureux si d’autres (hommes ou femmes) choisissaient un jour de rejouer cette pièce. Quand on découvre les titres de vos publications, on y décèle des thèmes récurrents: l'amour, la femme et même les figures mythologiques puisque vous avez écrit une " Iphigénie" en 2012. On a du mal à penser qu'il s'agit du fruit du hasard...Quelle est votre explication? BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !75 « J’imagine cette figure mythologique comme faisant partie de chacun de nous. Elle dit ce qui nous habite. Elle nous dit la fragilité de l’humain » « Ce qui me frappe aussi, c’est que Médée est, à ma connaissance, une des rares figures féminines de la tragédie antique qui ne soient pas dans l’attente du héros. Médée n’attend pas. Elle n’est pas réduite en esclavage comme les Troyennes. Elle agit. Elle part. Elle tue. C’est elle le héros » En effet, les figures féminines hantent mes pièces. Je ne peux pas expliquer pourquoi. Elles exercent tout simplement sur moi une fascination. Et puis il n’y en a pas tant que cela dans le répertoire contemporain. Très souvent ce sont les hommes qui sont protagonistes. L’amour, ou plutôt le manque d’amour est un thème récurrent, oui. Comment on se construit au-delà de la passion, dans la solitude du manque? Le bonheur n’est hélas pas un thème pour la littérature. Il y a littérature quand il y a blessure, quand on recoud perpétuellement les plaies avec les phrases. C’est ça pour moi la mythologie, c’est arriver (ou tenter) à parler à la fois du monde et de l’intime, en s’éloignant du réalisme, du document. Notre monde a (terriblement) besoin de trouver une forme pour être raconté. Trouver les mots pour dire le tourment dans lequel nous sommes, c’est déjà un acte de résistance. MÉDÉE, POEME ENRAGÉ Ecriture et conception Jean-René Lemoine Collaboration à la mise en scène Damien Manivel Création musicale et sonore Romain Kronenberg Avec Jean-René Lemoine et Romain Kronenberg Production MC93 Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis, Pio & Co. Au Théâtre Sortie Ouest - Domaine départemental d’art et de culture de Bayssan Les 20, 21 et 22 novembre 2014 Au Théâtre Gérard Philippe - Saint-Denis Du 27 mars au 3 avril 2015 BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !76 On a souvent réduit l’œuvre d’Hervé Guibert à sa seule trilogie du sida dans laquelle le narrateur se fait l’observateur de lui-même et des conséquences sur son corps de la lente progression du virus. Si l’auteur de A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie est incontestablement un écrivain du « je », il faut remarquer que ce « je » se joue souvent de lui-même et de ses lecteurs, se dit et se dérobe, s’affirme et se cache, disparaît parfois aussi. Le genre littéraire est toujours chez lui l’objet d’un questionnement ou d’une remise en cause. Ici, Genon fait le point, sans pour autant tout citer. Les œuvres sélectionnées sur lesquelles s’appuient et se développent avec soin son analyse en disent déjà pourtant pas mal sur la trempe de l’écrivain et de son espace littéraire, mais ne devrait pas t-on dire, espaces au pluriel. Dans ce livre, Arnaud Genon étudie en quoi l’exploration des limites des genres établis et l’impertinence de Guibert à leur égard devient un moyen de déstabiliser la représentation classique du moi et d’interroger le sujet et son identité. On découvre et redécouvre l’œuvre d’Hervé Guibert à l’aune de ses romans, de son Journal, de ses auto-fictions. Au travers de tous les genres qu’il pratique autant qu’il les transgresse, on comprend que Guibert en possède toutes les lois, ce qui explique l’œuvre vertigineuse qu’il a laissée. BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !77 ESSAI Etudes inachevées – esquisses synthétiques Par Laurence Biava De la fiction à part entière, on retiendra l’écriture de romans sans l’usage du « je », , des références qui inscrivent le texte dans la tradition du roman d’aventure, ou comme un espace réservé au burlesque ou à l’univers enfantin De Guibert, on a lu aussi des romans picaresques, et des romans baroques et le tout à la fois. . En ce qui concerne le Journal qui était pour lui « sa colonne vertébrale », on retiendra que c’était le lieu où il écrivait tout, disait tout. Quand le journal était intime, il dévoilait une éthique et une esthétique du dévoilement de soi. Arnaud Genon se demande, à juste titre, si le Journal n’était pas un simple procédé romanesque, et dans ces conditions, s’il n’est qu’une apparence du vécu, où débute t-il, où finit –il ? L’ a u t o f i c t i o n p o u r G u i b e r t é t a i t l’aboutissement de la logique littéraire. Un forme d’autobiographie pervertie. Un fantasme perçu comme écho du réel. Guibert a fait de sa vie un roman pour se sauver de la maladie, et la travestir. Son corps est devenu instrument de jouissance, laboratoire du plaisir, et observatoire d’une déchéance prématurée. Arnaud Genon a réalisé un travail extraordinaire, sensible, érudit, et plein d’acuité, portant essentiellement sur la question du genre dans l’œuvre d’Hervé Guibert. Avec beaucoup d’humilité devant son travail accompli qu’il estime incomplet, il nous demande implicitement de retenir que l’œuvre de Guibert s’est affirmée dans sa volonté de se jouer des genres littéraires, qu’elle a contourné des formes, qu’elle a exploré les œuvres du passé, comme une constante tentative de dire le moi alors que l’identité se transforme, se cache et se réinvente sans cesse. Très bel essai. BSC NEWS MAGAZINE - Novembre 2014 - N°74 !78 Roman, journal, auto fiction : Hervé Guibert en ses genres d’Arnaud Genon — Mon petit éditeur - 14,95 euros
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