BSC NEWS AVRIL 2015 - Page 1 - Avec Jana Brike, Stuart Nadler, Nicolas Poupon, Jawhar, Agathe Iracema, Rose Betty Klub.. 2 Rodrigo Garcia, le directeur du Centre National Dramatique de Montpelliersuite à ses déclarations sur le site du quotidien espagnol El Païs*, me donne l’occasion d’aborder la question épineuse de la vision de la culture en Province. Ici, en France est taxé de provincial tout ce qui se situe en dehors de Paris avec cette légère intonation désobligeante (qui m’excède). Il n’est pas question de débattre ici de la présence de la culture au sein des territoires mais plutôt de réfléchir au rapport qu’entretient « le provincial» avec la culture ( ou plus précisément du regard que portent les non-provinciaux sur la culture dans les provinces). Si l’on s’en réfère aux propos de Rodrigo Garcia qui déclare que «les gens (de Montpellier) aimaient avoir leur petit théâtre de province, leurs oeuvres classiques qui les rassuraient, même s’ils s’endormaient dans leur fauteuil (avant son arrivée) », on est en droit de se poser certaines questions. Ainsi quelle est l’analyse la plus appropriée pour des tels propos venant d’un responsable d’un Centre Dramatique National nommé par le Ministre de la Culture et largement subventionné par des fonds publics ? Doit-on y voir une suffisance ridicule, un mépris primaire ou une stigmatisation plus inquiétante pour un public qui n’est pas parisien donc pas sensible voir «beauf» ? Outre que le propos est extrêment blessant, cette analyse me semble totalement erronnée. En quoi le public montpelliérain (dont il est question ici ) serait moins averti, moins exigeant, plus rustre culturellement ou simplement plus stupide que «l’audience» parisienne ? La culture serait-elle soluble en province où vivent des peuplades qui se contentent de peu et sont insensibles à la nouveauté ? Car la condescendance est une forme sévère de stigmatisation, cher Rodrigo Garcia. La culture ne peut être l’alibi qui vous permet de vous y complaire. Ce mois, la rédaction (en partie provinciale) du BSC NEWS vous propose un numéro riche en découvertes et en nouveautés culturelles car les indigènes de province sont capables, eux aussi, de s’intéresser à ce qui fait ailleurs, chez l’autre, au-delà des ses frontières administratives voire même à l’étranger ! La culture et/ou la province ? par Nicolas Vidal nicolasvidalbscnews * ELPAIS.COM - 16.04.2015 > http://cultura.elpais.com/cultura/2015/04/16/actualidad/1429171054_974380.html 3 La vie de tous les jours par André Bouchard 4 JANA BRIKE P.6 P.6 NICOLAS POUPON STUART NADLER P.26 P.44 Arts graphiques ENTRETIEN Carnet de voyages 5 AGATHE IRACEMA P.6 P.104 Emmanuel Darley JAWHAR P.112 P.36 JAZZ FOLK Théâtre 6 D’où est née votre envie de peindre? Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé d’en faire votre métier? Honnêtement, d’aussi loin que je ne me souvienne, j’ ai toujours été le genre de personne qui pensait que la beauté sauverait le monde et je savais que je ferais plus tard quelque chose de créatif. Quand j’étais petite, j’aimais les expositions d’art, les ballets, le théâtre, lire des livres, admirer des illustrations de livres, regarder des films et surtout des dessins animés. Donc, je savais au plus profond de moi que j’allais faire quelque chose dans ce domaine moi-même. J’adorais passer d’innombrables heures à imaginer et à produire quelque chose de créatif dans le calme de ma chambre. Donc, le choix de peindre est venu naturellement. Travaillez-vous avec des modèles? Je n’ai pas dans mon entourage quelqu’un de spécial qui me servirait de « muse » et que je peindrais régulièrement. Pas vraiment. J’utilise des modèles de référence, comme certains amis qui ont des traits gracieux, ou mon fils. Mais c’est une démarche tout à fait aléatoire habituellement. En général, il y a certaines caractéristiques physiques qui m’attirent et que je recherche. Mais je ne peux pas vraiment expliquer lesquelles, la beauté est une impression personnelle et subjective, qui se ressent davantage qu’elle ne se justifie. Je me peins moi-même assez souvent. Pas sous la forme d’un autoportrait, plutôt en tant que référence « indirecte ». Jana Brike a 35 ans, est originaire de Lettonie et y réside encore aujourd’hui . Ses sources d’inspiration sont plurielles : le folklore des contes de fées, les films d’animation russes, la peinture réaliste classique, la culture pop occidentale et ses côtés mystiques, les enfants russes, les terrifiantes histoires de guerre et de déportation dont ses grands-parents ont été les témoins, l’étrange et pompeuse atmosphère des cérémonies de l’Eglise catholique, les performances des ballets de l’opéra... et toutes les douceurs et les amères réalités du quotidien. Sa principale source d’inspiration s’avère donc la vie, le sens qu’elle lui donne et ses réflexions sur l’état de l’âme humaine. Ses personnages, tous enfantins, semblent faits - comme l’indique l’une de ses séries de toiles - de lait et de sang ; leur blondeur, leur peau diaphane, le blanc de leurs yeux bleus azur en font des êtres en apparence fragiles dont les corps sont piqués de nervures rouges, de piqures, stigmates épidermiques de blessures plus profondes. Rencontre avec une jeune femme talentueuse du Nord-Est de l’Europe dont le propos est aussi poétique que passionnant. ILLUSTRATION - COUVERTURE JANA BRIKE Propos recueillis par Julie Cadilhac / photo DR 8 Quelle a été votre formation? Elleaététrèsacadémique.Depuisl’écoleprimaire, elle s’imprégnait déjà d’une orientation artistique très marquée. Et cela jusqu’à l’Académie des Arts de Lettonie, au département de la peinture. J’ai une Maîtrise en peinture. Avec quels outils, matières et supports travaillez-vous? Généralement j’utilise de la peinture à l’huile. J’aime essayer cependant de nouvelles choses. Mais j’apprécie vraiment le processus lent et en quelque sorte méditatif de la peinture à l’huile chaque jour. C’est aussi parce que c’est la technique que je maîtrise le mieux, comme un artisan. Vous dessinez des enfants à la peau diaphane, aux yeux souvent très bleus et les cheveux blonds....le visage des enfants de votre pays, la Lettonie? Oui, mes modèles ressemblent généralementàceuxquejecroiseprèsdemonstudio, «« I have a Strawberry girl character that repeats itself. We made it into a limited edition sculpture this winter in Philippines. She is a young girl, not yet a woman, who is seen as this lush ripe delicious thing, ready to be consumed by society, and nobody seems to care that she is an individual, so she is face-less. » » Peter Pan 2 woodsman 9 Daedal boy with the cold hands 10 en Lettonie. Il n’y a presque pas de mélange ethnique ici, où je vis pour des raisons historiques. Les classes sociales dépendent de la nationalité en Lettonie, pas du groupe ethnique auquel vous appartenez comme ailleurs. Comme je voyage beaucoup avec mes expositions d’art, j’ ai commencé à prendre des photos de modèles de référence d’ailleurs avec des caractéristiques différentes. Pour un projet à venir aux Philippines, cet été, j’ai peint la beauté des filles et des garçons philippins que j’ai rencontrés l’an passé. Une beauté plus sombre et plus profonde. Enfants dans les vagues, cheveux danslevent,fleursdanslescheveux, chevelure ébouriffée par le vent... Comment naissent vos images? Qu’est-ce qui les inspirent? Parfois, j’ai l’impression que je peins des enfants parce que je ne peux pas être une enfant moi-même. J’ai été élevée dans un environnement très contraignant avec des règles strictes, où il fallait se sentir coupable et honteux pour à peu près tout ce qui était considéré comme la décence de base par tous les autres gens. J’ai gardé ma nature et mon désir de vivre avec l’immédiateté d’un cœur ouvert bien caché au creux de mon sein. Je trompais l’enfant sauvage insouciante qui respirait pleinement à travers moi, je suis encore aujourd’hui en train de le faire. Je travaille en ce moment sur cette idée : le squelette de ma démarche artistique se concentrera sur ce thème. J’ai choisi de peindre des roses dans les cheveux plutôt que toute autre fleur , parce que toutes les petites filles sont des Briar-Roses - à la fois, fleur et épine. A propos de l’eau, j’ai vécu des rêves exceptionnellement vivaces d’ouragans, de tsunamis et de raz de marée toute ma vie. Je matérialise et résous ces rêves à travers mes peintures. L’eau est un symbole fort et a une signification archétypale spécifique - elle est synonyme d’émotion. Puissante, mystérieuse, parfois mortelle, accablante, incontrôlable. Et mes belles créatures « I love fantastic fairy tales not for the elements, but for the way they tell a story about life – not in a linear logical way easily understandable for the brain, but in a much more rich, versatile, multi-layered, poetical way, where nothing is as it seems. » Self Portrait As A FallingAngel 11 mélancoliques, apparemment fragiles, mais qui ont un visage serein, sont debout au milieu d’une tempête, soit qu’elles n’ont pas vraiment remarquée, soit comme des maîtres ou des enfants-dieux - dans une posture semblable à la manière dont je me suis souvent sentie dans ma vie. Je dois ajouter que je ne vois pas l’environnement comme quelque chose d’externe à mes personnages. C’est un ouragan qui prend tout son espace dans leur âme. Il ne peut pas être mortel jusqu’à ce qu’on le perçoive comme tel. On découvre aussi des queues qui donnent à vos « créatures» une certaine magie, un caractère hybride....êtes-vous amatrice de mythologie? de contes fantastiques? J’ajoute parfois certains éléments surréalistes qui donnent un aspect « irréel » à mes personnages, mais pas trop souvent. Les filles avec des queues Don Quixote 2 crowning of a young queen 12 me servent à représenter une sexualité hermaphrodite, auto-suffisante et créative et une «altérité» avec laquelle elles sont à l’aise, mais je les peins rarement ainsi. J’ai un caractère qui se répète : celui de la « Fille-Fraise ». Nous l’avons créée dans une édition limitée sous forme de sculpture cet hiver aux Philippines. C’est une jeune fille, pas encore une femme, qui est considérée comme une chose délicieuse, mûre et luxuriante, prête à être consommée par la société, et personne ne semble se soucier qu’elle est une personne physique… donc elle n’a pas de visage. Je peins aussi des filles ailées: les ailes représentant la volonté de ceux qui cherchent à atteindre des endroits inaccessibles. Parfois, les ailes sont trop fragiles pour porter ou cassées ou utilisables. J’adore les contes de fées fantastiques; non pas pour leurs éléments caractéristiques, mais pour la façon dont ils racontent une histoire à propos de la vie - pas de façon logique, linéaire et facilement compréhensible pour le cerveau, mais de façon beaucoup plus riche, polyvalente, poétique, où se superposent des couches multiples et où rien n’est comme il paraît. Vos personnages sourient peu ( sauf Beekeeper’s Bride). Ils semblent songer, rêver, ont les yeux fermés parfois et expriment une certaine gravité. Pourquoi? Je suis attirée par l’idée d’exprimer des histoires entières avec des moyens indirects et subtils, juste à travers le visage d’un personnage par exemple. Ce n’est pas une tâche facile. Les yeux, le regard sont très importants à capturer pour moi . La vue en tant que telle estunechosetrèsparticulière.Noussommes habitués à penser le processus de recherche, de vision, comme une chose objective - on se dit que la lumière entre à travers nos lentilles oculaires d’une certaine manière et qu’elle nous permet de déchiffrer en toute objectivité «ce qui est à l’extérieur, juste là ». Je suis très attirée par l’idée que cela fonctionne tout autant dans l’autre sens ou même plus: que nous voyons nos sentiments personnels et nos pensées au travers des choses extérieures. Que nous créons des mondes en regardant avec nos yeux certes mais par le prisme de nos visions intérieures. Donc, ce regard vers l’intérieur est une chose que j’essaie de capter et de reproduire. Si vous nous parliez de « After the End of Time », votre dernière série d’oeuvres? J’aime conserver un processus intuitif et ne pas tout intellectualiser . Il n’y a pas un mes« I am quite drawn to the idea that it works the other way as much or even more: that we see our personal meaning and thoughts out into things. That we create worlds by looking, through our in-sights. So this inwardly-driven gaze is one thing I try to capture. »
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