BSC NEWS JUIN 2013 - Page 1 - BSC NEWS MAGAZINE - Invité(e)s : Jacques Weber, Paolo Fresu, Jean Bellorini, Laura Littardi, Manchu, Istin, Pierre Charvet, Niuver 2 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 de NICOLAS VIDALL’édito C o m m e b e a u c o u p , j e s a i s précisément que cela me procure, mais il me faudrait longuement malaxer l'idée pour pouvoir l'exprimer au plus près de ce qu'elle est vraiment. C'est une chose à laquelle j'ai souvent pensé sans m'appesantir. Avec une certaine légèreté ou peut-être avec cette indolence à laquelle on s'en remet pour regarder les gens passer depuis la terrasse d'un café. Elle est comme un premier amour avec lequel on vit toute une vie. Il n'est pas vraiment là, mais on le retrouve chaque fois à l'embouchure de notre identité lorsqu'on y prête attention. La culture est une vieille amie avec laquelle on a beaucoup discuté. En sa compagnie, on a appris et on a ri aux larmes. On garde jalousement mille et un souvenirs. Cependant, on ne sait jamais dire précisément où on l'a rencontrée et depuis combien de temps on la fréquente. Son omniprésence au cœur de notre identité reste la seule certitude que nous ayons d'elle. Elle a mille facettes, autant de visages et d'apparences. Elle ne se fixe aucune frontière, aucune limite et aucune barrière. Elle n'a pas plus d'exigences que d'interdits. Elle se sent bien partout et garde cette propension à privilégier la confrontation d'idées. Elle aime le cinéma, la littérature, les arts, la danse, la peinture et toute une foule d'activités humaines sans aucune considération sociale, éthique, esthétique ou politique. Elle est la g a r a n t e d u l i b r e a r b i t r e , d e l'indépendance, d'une certaine idée de l'humanité ainsi que de la pensée. Sans elle, on aurait vite fait de désespérer, de dépérir et d'oublier les attraits frénétiques de la folle cavalcade dont nous sommes les parfaits comédiens : l'existence. Et nous lui avons encore donné rendezvous ce mois-ci dans ce nouveau numéro du BSC NEWS pour une série d'interviews et de découvertes pour lesquelles nous espérons que vous vous passionnerez. Car la culture est avant tout une vieille amie de passion qui a horreur de l'inanité. LA CULTURE EST COMME une vieille amie 3 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 ToutE l’actualité du Théâtre concentréE sur un seul site www.autheatrecesoir.fr 4 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 JEAN BELLORINI p.42 MANCHU p.26 JACQUES WEBER p.6 Jean-Jacques CROS p.54 ASHLEY WOOD p.36 PIERRE CHARVET P.64 5 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 PAOLO FRESU p.114 NIUVER P.126 EXPO CHAgall p.134 LAURA LITTARDI p.122 MARGAUX MOTIN p.102 MARC DELOUZE .70 6 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 THÉATRE JACQUES WEBERT Si l'on associe d'abord Jacques Weber au personnage de Cyrano de Bergerac, cadet au grand coeur et à la plume véloce, qu'il a joué plus de 300 fois et qui l'obsède encore aujourd'hui, l'acteur, réalisateur et scénariste français a aussi une histoire privilégiée avec Molière. A ses débuts, en 1970, alors qu'il a tout juste 21 ans, Marvel Cravenne l'engage pour Tartuffe et Jacques Weber le mettra lui-même en scène ensuite en 1994 et en 1995. En 1973, il met en scène Les Fourberies de Scapin et son prologue. Il interprète également Don Juan en 1987 dans une mise en scène de Francis Huster et l'incarne à nouveau au cinéma en 1998. Il met en scène Le Misanthrope en 1988 et en 1990 et joue Alceste pour la télévision en 1994. Enfin en 1991, dirigé par Jean-Luc Boutté, il joue dans l'Ecole des femmes. Depuis 2003, avec son épouse Christine Weber, ils ont conçu une lecture du Roman de Monsieur Molière de l'écrivain russe Mikhaïl Boulgakov. Connu pour mêler habilement le fantastique et le réel, cet auteur, aimant passionnément le théâtre, imagine en 1933 une biographie de Molière qui lui permet de dénoncer par procuration les rapports entre l'artiste et le pouvoir, la censure et le poids de l'étatisme. Victime du stalinisme, il voit en Molière un révolté qui lui ressemble. Jacques Weber lui prête sa voix et sa présence charismatique, le temps d'une parenthèse littéraire et théâtrale privilégiée. Nous sommes très honorés d'accueillir dans nos pages ce grand homme du théâtre français et vous laissons en compagnie d'un acteur qui ne manque pas de..panache! Texte Julie Cadilhac / crédit photo Kim Weber Quels souvenirs gardez-vous de votre première rencontre avec le texte de Boulgakov? J'étais ébloui parce que je connais très biennon pas tous les livres m a i s - b e a u c o u p d e l i v r e s concernant Molière suite à mon parcours privilégié, puisque c'est un des auteurs que j'ai le plus travaillés dans ma vie et je trouvais que la plupart des biographies que j'avais lues étaient très intéressantes sur le p l a n d e l ' a n a l y s e e t d u commentaire mais je n'en voyais jamais beaucoup d'intéressantes sur le plan littéraire. Souvent c'était de l'ordre de l'idolâtrie, écrit par certains acteurs et je n'étais pas 7 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 8 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 très touché. Boulgakov est non seulement un immense auteur, un des plus grands représentants de la littérature russe du vingtième siècle mais c'est aussi un homme de théâtre extrêmement important, un homme qui a été en combat avec l'auditoire et qui a entretenu une relation extrêmement ambigu avec Staline et c'est aussi pour cela qu'il écrira la biographie de Molière; pour contourner la censure et parler d'une façon extrêmement implicite du rapport entre l'artiste et le pouvoir. En montant ce Roman de Monsieur Molière, on fait aussi monter un peu sur scène Mickaël Boulgakov? Avez-vous travaillé en ce sens, dans l'idée d'une incarnation double en quelque sorte? Cette représentation, c'est une lecture vivante, et je l'espère par moments incarnée même si ce que je raconte c'est avant tout la vie de Molière ,avec évidemment les mots de Boulgakov, il n'est toutefois pas question pour moi d'interpréter Molière, ni d'interpréter Boulgakov. Comme toute lecture, ce qui est important c'est de faire passer un texte, de faire passer l'urgence d'un créateur, sa fièvre, ses angoisses, ses moments de dépression et de gaieté , bref tout ce qu'a su m e r v e i l l e u s e m e n t i n d i q u e r Boulgakov à l'endroit de Molière. Le canevas de cette représentation, mise en scène par votre épouse Christine Weber, se base sur le texte de Boulgakov et vous y avez inséré des digressions, c'est bien cela? Ma femme a fait l'adaptation de ce texte parce que si j'avais du le lire en entier, ça aurait fait sept ou huit heures et il y a parfois , pour agrémenter ce texte, des extraits de pièces de Molière qui s'égrènent ça et là au gré de la lecture. Ce spectacle est joué depuis 2003… y-a-t-il eu des évolutions notables a u f u r e t à m e s u r e d e s représentations? Cela change évidemment un peu selon les lieux et les endroits mais le texte reste le même. Je lis sur de très grandes feuilles qui me permettent de me promener en récitant et de vivre ça de façon extrêmement vivante…et je ne suis pas assis à une "Il y a une thématique chez Molière qui m'est chère , c'est la nécessité du désordre." 9 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 10 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 table en train de lire le nez dans mes papiers.C'est tout à fait le contraire! Vous aviez monté en 1973 un JeanBaptiste Poquelin… Tout à fait mais ça, c'était autre chose: c'était un prologue des Fourberies de Scapin qu'on avait travaillé mais qui n'avait rien à voir avec la vie de Molière. Dans votre répertoire, parmi les œuvres de M o l i è r e , c e r t a i n e s semblent avoir dominé comme Tartuffe ou Le Misanthrope, pièces dites les plus nobles et les plus complexes du répertoire de Molière…sont-ce vos préférées? J’ai joué aussi dans L'Ecole des femmes et puis le rôle d’Arnolphe, Don Juan aussi que j'ai mis en scène au cinéma et joué au théâtre. Vous savez, je n'ai pas de pièces ni même d'auteurs préférés mais Molière est en tous cas l'un des auteurs les plus importants pour moi et un de ceux que je connais le mieux car j'ai eu la chance de jouer tous ses grands rôles plus de 300 fois chacun et " on ne commence à bien jouer qu'après c i n q u a n t e représentations". Comme j'ai eu la chance de les jouer longtemps, ce sont des personnages que je connais absolument et qui me donnent de ce fait envie de les connaître encore mieux, c'est à dire encore plus loin. Plus on joue des rôles, plus ils s'ouvrent et plus le travail est sans fin…c'est ça qui est passionnant! Avez-vous joué des rôles dans des comédies de Molière plus légères? Des comédies de Molière, j'en ai peu faites. Comme personnages de Molière, j'ai joué Don Juan, Alceste, Tartuffe et Arnolphe. Je vais sans "Les plus grands subversifs ont toujours commencé dans un premier temps comme des marginaux et sont ensuite récupérés par les classes dominantes ." 11 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 59 - JUIN 2013 doute jouer plus tard ou Dandin ou Harpagon mais pour l'instant je n'en ai pas joué d'autres…mais je ne demande que ça! C'est vrai que ce sont des grands premiers rôles et moi j'ai la chance de jouer des grands premiers rôles. Qu'est-ce vous séduit en particulier dans le personnage de Molière? Son génie des situations, des caractères, son verbe? Je crois que cela ne p e u t p a s s e départager comme cela; c'est un tout. Il y a cependant une t h é m a t i q u e c h e z Molière qui m'est c h è r e , c ' e s t l a n é c e s s i t é d u désordre. C'est un h o m m e q u i , t r è s s o u v e n t , m e t e n place un personnage c e n t r a l e t q u i désordonne le monde dans lequel il s'inscrit. Tartuffe désordonne les familles, Don Juan désordonne le monde, Alceste désordonne les classes sociales privilégiées, Scapin désordonne le peuple dans lequel il vit..Il y a toujours quelque chose de cet ordre-là, quelqu'un qui est posé là et qui, dans sa façon d'agir et d'être, remet en question les schémas classiques, auxquels nous sommes habitués. C'est dans ce sens que Molière écrit un théâtre extrêmement subversif et c'est cela que j'aime beaucoup. Il y a en même temps un paradoxe chez Molière, qui est sans doute un paradoxe d'artiste, et même si à la fin de sa vie il a été "déchu", il se produisait à la cour et fréquentait la noblesse…. Oui, il participe à l'art de cour, à l'art précieux mais de tous temps cela a été comme ça (rires)…les plus grands subversifs ont commencé dans un premier temps c o m m e d e s marginaux et ont ensuite été récupérés p a r l e s c l a s s e s dominantes . Les classes dominantes o n t b e s o i n d e r é c u p é r e r l e u r s propres critiques et en même temps ils leur permettent d'exister aussi: il y a toujours cette ambiguité-là. Boulgakov en est l'un des plus grands témoins. Si vous deviez citer une anecdote, un passage de la vie de Molière que vous dîtes sur le plateau, lequel seraitce? Ce qui est formidable de la part de Boulgakov, c'est qu'il garde son style qui part de choses assez concrètes et s'en va très vite dans le fantastique. Il a l'habileté de scruter de tout petits
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