Plus tard, je serai instituteur - Page 1 - L'épopée d'un instituteur Freinet à Waterloo Interview réalisée par Éducation Populaire Juin 2012 Instituteur Freinet au Chenois à Waterloo (de 1971 à 2006 ) Louis Mertens Chez moi, à Lillois… «Mais les brav’s gens n’aiment pas que L’on suive une autre route qu’eux…» Georges Brassens («La mauvaise réputation») 5 Rencontre(s)… Fin d’année, je reçois une invitation d’Éducation populaire pour une interview «d’anciens» de la Pédagogie Freinet. Au local du mouvement, je suis accueilli par Françoise, Claudine et «deux vieux compagnons de route», Henry et Jean. Marie, ma compagne, m’accompagne… Me retrouvant en pays de connaissance, je ne fus pas avare de confidences… Plus de 2 heures d’entretien ! Pour retranscrire ce long moment, je fus désigné «volontaire» pour être le copiste de service… J’ai donc «collé» au plus près de l’interview, gardant ses «cheminements»… Piqué au jeu, j’ai même fouillé dans mes archives pour ajouter quelques documents comme cette photo de l’école Freinet à Vence, lieu de ma deuxième naissance… Louis Mertens 6 Henry -‐ Comment es-‐tu devenu instit Freinet ? Comment je suis devenu instit Freinet… ou plutôt devrai-‐je dire d’abord, instit «tout court»… J’avais en 1re et 2e année primaire, un instit formidable qui utilisait l’imprimerie et pratiquait la correspondance scolaire. C’était très emballant d’apprendre de cette manière. Cet instituteur avait aussi une qualité extraordinaire… c’était mon père ! À 5 ans, je m’échappais de l’école maternelle, traversant la place du village en courant pour aller le retrouver dans sa classe. Dans le film «La gloire de mon père» de Marcel Pagnol, je retrouve une séquence similaire à celle que j’ai vécue. Mon père terminait d’écrire une phrase au tableau «Le lapin vole» quand déboulant dans sa classe, j’ai crié «Ce n’est pas vrai ! ». Il s’est retourné et m’a dit «Mais qu’est-‐ce que tu fais encore là, toi ! » avant de s’étonner : «Mais tu sais lire !». À force de baigner tous les jours à la maison dans les «préparations» de mon père qui recopiait les textes de la classe sur de petits cartons pour chacun de ses élèves, de les découper en «bandelettes», de les assembler, j’avais appris tout seul à en déchiffrer quelques-‐uns… Après mon premier jour de classe «chez les grands», j’ai dit à maman : «Plus tard, je serai instituteur comme papa ! ». Récemment en «vidant» la maison familiale après le décès de maman, j’ai retrouvé «Les échos du Flageot» journal que nous imprimions avec mon père et qu’il a repris ensuite avec toutes les classes de l’école quand il est devenu directeur. J’ai aussi retrouvé des petits carnets dans lesquels nous notions nos expériences, nos découvertes, nos sorties… Nous n’utilisions aucun manuel scolaire… Je me souviens encore d’une visite chez le maréchal-‐ferrant… D’y penser, cette forte odeur âcre me monte encore au nez… J’en avais parlé avec mes élèves peu de temps avant mon départ «à la pension»… Ils s’imaginaient que j’avais vécu au moyen âge ! Mais gamin, dans mon patelin, les marchands ambulants circulant avec leurs chevaux, c’était courant ! Vincart, le marchand de charbon servait ainsi ses clients sauf les jours d’enterrement où il conduisait son corbillard ! En voilà un qui restait toujours dans le noir, quoi… 8 Bulbes achetés avec la caisse de la coopérative… 9 Instituteur Freinet, c’est à l’École normale de Mons que c’est arrivé ! Là, c’était une pépinière de «freinétistes» avec à leur tête, Jean Auverdin bien sûr ! Tous les instituteurs nous parlaient de Célestin et l’école avait des contacts réguliers avec l’école Freinet de Vence. Chaque année, quelques normaliens se rendaient d’ailleurs sur place… En parlant de l’École normale, une anecdote… En dernière année, nous étions plus d’une centaine d’élèves répartis en trois classes. Nous étions si nombreux qu’il était impossible que nous puissions tous assister aux célèbres «leçons modèles»… Nous fonctionnions par petits groupes et avons attendu un bon bout de temps avant que notre directeur ne trouve un prof de pédagogie pour créer une 4e classe dont je faisais partie. Notre perle rare était bardée de diplômes mais n’avait encore jamais enseigné. Monsieur Trine, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’occupait également du Conservatoire de musique de Mons. Pour l’accueillir dignement, j’avais dessiné sur la porte d’entrée du local une portée avec un «la»… Il avait trouvé cette attention très sympa. Moi, j’avais plutôt imaginé un jeu de mots plus osé… (La-‐ Trine….latrines…). Je me demande si je n’avais déjà pas un esprit un peu frondeur… Henry -‐ Peux-‐tu encore apporter d’autres précisions sur cette « pépinière de freinétistes ? À l’École normale, j’ai pris un peu de tout chez tout le monde ! Chez Jean Auverdin, la correspondance et la méthode naturelle de lecture. Chez Pierre Coran, alias Eugène Delaisse, la poésie. Chez Constantin Ravet, c’était la classe coopérative. C’est cette socialisation qui m’avait séduit chez Freinet : les projets élaborés en commun, les «lois» discutées au conseil, l’apprentissage de la démocratie, cet autre rapport au savoir et au pouvoir... Dans cette classe de 6e, tout était organisé, et c’est cette structure qui permettait une plus grande liberté. Ces outils, cette organisation impeccable m’ont servi directement quand j’ai été désigné instituteur en 5e année au Chenois… J’étais tellement enthousiasmé par cette manière de travailler que le samedi matin, je me levais à 5 heures pour prendre le bus et puis le train -‐ parce que le week-‐end, ils se faisaient rares… comme quoi les transports en commun n’ont pas beaucoup changé ! -‐ pour me rendre dans ces classes et y aider les instits… Les Normaliens avaient congé le samedi mais pas les classes primaires ! C’est Jean Auverdin aussi qui m’a très vite invité à rejoindre le groupe Hainaut du Mouvement Freinet belge et m’a proposé de participer aux réunions organisées même parfois avec le groupe Nord(français). C’est donc pétri de cette pédagogie que j’ai débarqué au Chenois en 1971. Petite école de quartier avec ses grands marronniers dans la cour qui me rappelaient l’école de mon enfance. J’ai directement commencé la correspondance scolaire avec Michelle Janssen de Clair-‐Vivre (elle y deviendra directrice plus tard). Premier voyage-‐échange, premiers journaux, premières recherches, installation du conseil, des ateliers, le jardin surtout avec nos lapins, nos poules, nos «cultures» et nos fleurs… Vous allez me dire le paradis… Enfin presque… La première image de mon arrivée devant la grille de l’école, c’est un grand panneau publicitaire «L’École du Chenois : les meilleurs résultats de la région à l’examen 10 cantonal ! » Ouille, ça commençait bien ! La directrice m’a convoqué la veille -‐ j’ai commencé un 1er octobre -‐ pour «faire connaissance». Me voyant débarquer en jeans et pull, elle m’a attrapé par le bras et m’a dit «Demain, costume et cravate, n’est-‐ce pas monsieur. Vous n’êtes pas un ouvrier communal ! »… Après la publication de mon premier journal «La Ruche», elle est venue me trouver et m’a félicité «Une petite remarque, si vous le permettez : vos textes sont très pauvres. Je vais venir vous aider pour les enrichir… ». Profitant d’une sortie en commun aux carrières de Soignies avec la classe de 6e de mon ami Mario, elle me demande de lui confier les textes de mes élèves. Le lendemain, toute souriante, elle me dit : «Installez-‐vous au fond de la classe, je vais vous montrer comment il faut faire… ». Résultat final : un texte impeccable… «Votre avis, monsieur Mertens ? ». «Magnifique, Madame la Directrice. Moi-‐même, j’ai appris plein de nouvelles choses. J’ai même utilisé le dictionnaire pour comprendre certains termes scientifiques ! Mais, du texte de départ de l’enfant où il décrit ses impressions, ce qu’il a vu, ressenti… le bruit, les machines impressionnantes, tout cela n’existe plus et a fait place à un documentaire «géologique». J’avais entouré les mots qui restaient du texte initial : quelques «articles» (comme on disait «à l’époque») et l’un ou l’autre mot… Bref, il n’en restait plus rien. Toute la richesse du récit était partie… Je crois, que là, elle a bien compris nos divergences mais elle a toujours «accompagné» mon travail avec bienveillance même quand je lui ai dit que «toilette de texte» qu’elle me demandait de noter dans mon journal de classe, ne me convenait pas beaucoup parce que pour moi, un texte n’est pas «sale»… 11 C’est en participant au premier stage de Vence en juillet 1973 que j’ai pris pleinement confiance en moi, en mon travail… J’y ai rencontré Anne et Henry Landroit, Jean Dumont, Lucienne Balesse, Madeleine Porquet et bien d’autres… J’y ai même retrouvé Jacques Duez, un copain d’École Normale, qui se fera connaître ensuite pour ses «reportages» et ses débats filmés dans le cadre de ses cours de morale laïque diffusés sur la R.T.B.F. et Arte. Françoise -‐ …Et Marie ? Non, je crois que c’était l’année suivante… Marie -‐ Non, c’était encore plus tard, en 1977, il me semble… J’y ai trouvé les conseils, de nouvelles pistes pour améliorer mon organisation de classe, de nouveaux outils… J’y ai surtout trouvé une écoute, une valorisation de mes premières réalisations, des encouragements à explorer d’autres «techniques». Ce stage coopératif -‐ autogéré -‐ où les «Anciens» partageaient en toute simplicité leurs cheminements, leurs «échecs», me sera bien bénéfique pour la rentrée suivante… 12 L’école Freinet de Vence … 13 Lucienne Gérard Jean Henry Marie… et Cécile… Marie-‐ Thérèse Marianne
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