Une Breve Histoire des Indigenes du Bresil - Page 6 - la vie et les coutumes des indigènes du Brésil, leur destinée, leur histoire; le contact entre indigènes et colonisateurs 1 Une brève histoire des indigènes du Brésil "La Terre est localisée dans la région centrale du cosmos, fermement fixée en son centre, équidistante à toutes les autres parties du ciel. [...] Elle est divisée en trois parties, l’une se nomme Asie, la seconde Europe, et la troisième Afrique. [...] En plus de ces trois parties du monde, il en existe une quatrième, de l’autre côté de l’océan, qui nous est inconnue”. (1) Isidore de Séville; Etymologiae; (600 ap. J.-C). Introduction Il n’est pas aisé, en particulier pour un européen, de tracer le destin des peuples indigènes du Brésil. Les diverses monographies produites par les scientifiques spécialisés dans les domaines de l’ethnologie et de l’anthropologie sont souvent d’un abord ardu. Quant aux textes de vulgarisation, s'ils peuvent s'avérer utiles et intéressants, ils sont parfois douteux ou tendancieux, n'indiquent souvent pas leurs sources, et comportent de temps à autre de grossières erreurs d’appréciation. Il est donc nécessaire de procéder à des recoupements de plusieurs textes sur chaque sujet pour arriver finalement à composer un paragraphe qui soit à la fois juste, cohérent, fiable, et intéressant. D'autre part, la plupart des travaux scientifiques que l'on trouve sur le web sur les peuples indigènes du Brésil, et sur lesquels je me suis appuié, sont rédigés en portugais. Le travail que je présente ici n'a, bien évidemment, aucune prétention académique; il est simplement le fruit de mon intérêt pour les peuples autochtones du Brésil; il est aussi une traduction, adaptée et quelque peu améliorée, d'un premier texte que j'avais écrit en 2016 en langue portugaise et que je destinais à mes amis brésiliens. Par où commencer? Dès la rédaction de la première version je me suis posé cette question : par où commencer lorsque l'on désire décrire la société indigène du Brésil? Pouvait-on parler des natifs du Brésil uniquement à partir du premier contact ? Ou ne serait-il pas nécessaire aussi de parler des peuples qui occupaient ces territoires avant l'arrivée de Colomb et de Cabral? Et si oui, d'où venaient donc ces habitants, vu que ce continent paraissait une "ile"? Comment étaient-ils arrivés ici? C'est ainsi que, tentant de répondre à toutes ces questions, j'ai commencé ma rédaction en décrivant la migration asiatique vers le Nouveau Monde qui a eu lieu plusieurs milliers d'années avant notre ère (Partie I). J'étais bien loin de mon sujet véritable. Ensuite est venue une autre question: pouvait-on parler de la conquête et de la colonisation portugaise au Brésil sans mentionner les autres colonisations du Nouveau Monde, et particulièrement les colonisations espagnole et anglaise? Je choisi de répondre non1, et c'est ainsi 1 J'avais un doute, et puis finalement je me suis décidé à relater aussi ces deux autres colonisations ainsi que les peuples amérindiens dominés par ces colonisateurs. Leurs destins avaient de nombreux points communs avec les indigènes du Brésil, qui peuvent être résumés en quelques mots: chasse au "sauvage", massacres, spoliation et vol des terres ancestrales, mises en esclavage, destruction de leurs cultures et de leurs structures sociales, déportations, bannissements, promesses et traités jamais tenus, transmission de maladies inconnues; et plus tard : humiliation, marginalisation, mises sous tutelle, justice discriminatoire. 2 que je me suis mis à discourir sur la formation de l'Amérique espagnole et des futurs Etats-Unis d'Amérique (Partie II), sans avoir encore écrit une ligne sur les indigènes du Brésil! À nouveau, je me trouvais bien éloigné de mon objectif. Mais ce n'était pas tout, car une autre question s'est mise en travers de mon projet: Pourquoi les portugais? Oui, pourquoi eux et pas les italiens, les français, les grecs, les turcs, ces derniers justement en pleine phase expansionniste? Pourquoi pas les anglais, les hollandais, les danois, les suédois, tous peuples de grande vocation maritime, et intrépides navigateurs aussi? Par conséquent, il m'est apparu normal de parler des portugais de cette époque des Grandes Découvertes, et de leurs rivaux espagnols. Et pour mieux situer ces deux royaumes, il me fallait encore décrire brièvement l'Europe de ce XVème siècle. C'est donc ainsi que je me suis retrouvé à parler d'astrolabe, de voiles triangulaires, de Simonetta Vespucci, de l'imprimerie de Gutenberg, du traité de Saragosse (Partie III); et je n'avais toujours pas dit un mot sur les peuples autochtones du Brésil. Ce n'est donc qu'à la page 65 que j'ai commencé à écrire sur les premiers habitants du Brésil, au travers de la fameuse lettre de Pero Vaz de Caminha à son roi (Partie IV). Ce long préambule n'était pas prévu dans mon plan de rédaction, mais cela s'est réalisé naturellement, pratiquement sans le vouloir; cependant, j'espère que nous pouvons tous nous accorder sur le point qu'un peu d'Histoire ne peut faire de mal à personne. Fillette Ianomâmi (i) Comment aborder le sujet? Pour décrire la société indigène du Brésil, ses rites et ses coutumes, ses croyances, sa cosmogonie et ses nombreux autres aspects, il existe de nombreuses études, thèses de doctorat ou de maitrise, rapports de recherches effectuées sur le terrain et autres monographies, toutes de haute qualité et du plus grand intérêt. Tous ces travaux de chercheurs sont d'une lecture captivante, et disponibles sur internet, les plus nombreux étant rédigés en portugais. Par contre, pour décrire "l'histoire", au cours des siècles, des relations entre les peuples indigènes et la société blanche, il n'existe plus grand-chose de sérieux qui soit détaillé, prouvé, analysé; il n'y a presque plus de travaux académiques de qualité, fiables et approfondis, que ce soit en portugais ou dans d'autres langues. Le sujet se transforme en "chose politique", encore plus délicate à être abordée par un nonbrésilien. Les paragraphes ci-dessous sont un bref résumé qui décrit comment je suis allé à la rencontre des tribus indigènes du Brésil, au travers de la littérature scientifique. Quand les premiers colonisateurs portugais accostèrent sur les rivages du Brésil, ils se trouvèrent en présence d'individus qui ne possédaient rien, n'accumulaient aucun bien matériel, n'avaient rien à vendre et ne désiraient rien acheter; "Ils n'ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de 3 coton, car ils n'en ont aucun besoin; et il n'y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d'épouses qu'il leur plaît [...]. Ils n'ont ni temple ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus? Ils vivent selon la nature" (Americo Vespucci; Mundus Novus, 1503, Florence) (2). De fait, la culture matérielle de ces hommes et femmes demi-nus paraissait inexistante. Mais ces mêmes colonisateurs n'ont jamais su voir, ni n'ont jamais voulu admettre, au long de cinq siècles de domination, que ces indigènes possédaient une riche culture spirituelle, une cosmogonie et une mythologie complexe, chaque tribu possédant les siennes propres 2. Au contraire de ce que pensaient les missionnaires des premiers siècles, les indigènes étaient persuadés de posséder une âme. Certaines tribus avaient élaboré une croyance eschatologique ou créationniste, qui parlait d'une fin des temps, ou d'un déluge, ou encore d'un feu purificateur à venir, ainsi que d'un "paradis". S'il est vrai que les tribus indigènes du Brésil n'avaient pas, dans la plupart des cas, "ni roi ni gouverneur", il est vrai aussi que pratiquement chaque tribu possédait un pajé, un chamane; c'était ce personnage-là qui était l'homme primordial de la tribu ou du groupe. Le chamane était, et est encore aujourd'hui pour de nombreuses tribus, un prêtre et un thérapeute, lui seul capable de maintenir une relation, une véritable communication, avec les "esprits"; ce chamane est présent dans presque toutes les sociétés amérindiennes, comme il l'est encore aujourd'hui dans certaines communautés reculées de Sibérie (d'où le nom est originaire: Шаман), ainsi que dans certaines régions du Tibet. Le chamane possède la capacité d'aller et venir entre deux mondes parallèles, le monde des vivants d'une part, et les mondes célestes, subaquatiques, souterrains, de l'autre. Pour les membres de ces tribus ou groupes amérindiens, le dialogue que pouvait établir le pajé ou chamane avec le monde des esprits (esprits de la forêt, des animaux, des plantes, âmes des morts) était essentiel. Pour accéder aux pouvoirs surnaturels, le chamane devait passer par une longue et pénible (parfois douloureuse) période d'initiation (David Kopenawa & Bruce Albert; "La Chute du Ciel; Paroles d'un chamane Ianomâmi"; Ed. Plon, coll. Terre Humaine Pocket, 1005 pages, 2010), suivie de longues périodes de continence et de prohibitions diverses, notamment alimentaires. Les missionnaires portugais ne s'y trompèrent pas et ne mirent pas long à identifier "l'ennemi": comment ces chamanes pouvaient-ils "voir", alors même que les prêtres, les moines, et jusqu'au Pape ne pouvaient que "croire"? (si nous faisons abstraction des nombreuse et réelles visions qui ont échelonné l'histoire de la Chrétienté). La société indigène n'était pas seulement gouvernée par le chamane, mais aussi par des règles, des tabous, des préceptes et de nombreux rituels qui rythmaient la vie du groupe. C'est cela que j'ai tenté de décrire dans mon travail, utilisant au mieux que possible les nombreuses et enrichissantes publications académiques (principalement en langue portugaise) auxquelles je pouvais accéder via internet, mais aussi en lisant et relisant les divers livres que je possédais sur ce sujet (Partie V). Les peuples amérindiens ne possédaient ni livres ni bibliothèques; ils avaient cependant accumulé tous les savoirs nécessaires à leur survie, et leur connaissance de la nature était immense; ils surent la préserver durant des millénaires, et continuèrent à s'en servir de manière équilibrée jusqu'aux temps actuels. Jamais au cours de ces milliers d'année ne leur a manqué aucun bison, aucun poisson, aucun œuf de tortue, aucun capybara ou arbre à pain pour 2 Sur le thème de l'altérité (terme provenant du bas-latin signifiant différence) voir Tzvetan Todorov, "La conquête de l'Amérique-la question de l'Autre"; Ed. Seuil, coll. Points Essais, 339 pages, 1991. Ce livre s'appuie principalement sur la conquête espagnole des Caraïbes et du Mexique au cours du XVIème siècle. Cependant, le thème de l'altérité et universel, et il fut déjà traité entre autres par Michel de Montaigne en 1580 (Essais ; Livre 1, chapitre XXXI, "des cannibales"). 4 leur alimentation. Mais cette situation d'équilibre écologique sera rapidement brisée avec l'arrivée des blancs et leur pénétration dans l'intérieur du continent. Cette rupture d'équilibre se produira dans toutes les parties du continent américain, avec une rapidité parfois foudroyante. La conquête et l'exploitation du continent américain fut une des plus mortifère de l'histoire, par sa durée, et par l'inégalité des moyens de lutte. Toutes les nations européennes tentèrent, par tous les moyens, d'expulser les autochtones des terres conquises; ceux-ci furent pourchassés, annihilés, ou mis en esclavage. Durant le premier siècle de contact, la population native fut décimée par les maladies apportées par les européens (variole, typhus, grippe, diphtérie, rougeole, entre autres), maladies contre lesquelles les indigènes ne possédaient aucune réponse immune. Très rapidement, les conquistadors constatèrent ce phénomène mortel, alors qu'euxmêmes étaient immunisés contre leurs propres maladies, et n'hésitèrent pas, en particulier les espagnols, à envoyer des chiens contaminés pour favoriser encore plus à propager leurs maladies. Si en Amérique du Nord les guerres contre les indiens prirent fin il y a plus d'un siècle, au Brésil la confrontation se prolongea jusqu'à la fin du XXème siècle, dans un mélange de conflits armés, de "pacifications" et d'évangélisations diverses. Pour ces indigènes brésiliens, la conquête et la colonisation du pays se solda par la décimation de 90% de sa population initiale (basée sur l'année 1500), par la perte de 85% de ses langues, par une acculturation presque totale et par la destruction des biotopes de presque toutes les tribus, induisant fréquemment la dénutrition, la paupérisation et la dépendance envers la Société Civile et l'Etat brésilien. Petite fillette Wayana 3 , avec une peinture faciale faite de génipapo. (ii) Ce sont les destinées de ces divers peuples indigènes du Brésil, confrontés aux colonisateurs lusitaniens, que j'ai tenté de décrire dans la Partie VI. Et c'est justement pour cette partie de mon travail que j'ai rencontré le plus de difficultés, car, à ce qu'il semble, les "misères" infligées à ces natifs durant cinq siècles n'ont apparemment jamais intéressé personne. J'ai eu en effet passablement de difficulté à trouver sur internet une documentation sérieuse et impartiale en langue portugaise (et presque rien dans les autres langues) sur les divers épisodes de l'histoire des indiens du Brésil durant ces cinq siècles de colonisation. 3 La tribu Wayana est localisée dans l'État de l'Amapa et dans l'extrême nord de l'État du Pará, près de la frontière avec le Suriname et la Guyane française. La population Wayana est estimée à 300 membres au Brésil, 800 en Guyane française et 500 au Suriname. 5 Il y a bien longtemps, quelqu'un a dit, parlant du Brésil, qu'il était l'enfer du nègre, le purgatoire du blanc, et le paradis du mulâtre 4 .Si cette phrase péremptoire comportait à l'époque une bonne dose de vérité, on peut relever qu'elle ne mentionne pas l'indien; il semble bien alors que celuici n'ait jamais eu sa place dans la société brésilienne, aussi bien hier comme aujourd'hui. Pourtant, à partir des années 1950 le gouvernement brésilien a fait certains efforts pour améliorer la condition de ses natifs et premiers habitants de son pays. Mais dans certaines couches de la Société Civile subsiste une vision négative de "l'indien", faite de préjugés et de rejets. L'indien est, aujourd'hui comme il y a cinq cents ans une entrave au commerce, à la déforestation, à l'exploitation planifiée du sol et du sous-sol, ou simplement à la civilisation. Mais les indiens du Brésil ont appris à défendre leurs droits. Ils ont aquis ou reçu des terres réservées et théoriquement protégées nommées les "Terres Indigènes" (TI). Ils ont également reçu aide et assistance de certains organes gouvernementaux crées à cet effet, comme la FUNAI (Fundação Nacional do Indio) et la FUNASA (Fundação Nacional de Saude) ; divers textes législatifs protègent, certains ajouteront "en thèse", les indiens, chose qui, il faut tout de même le relever, n'existe dans aucun autre pays d'Amérique du Sud (3). Durant les cinquante dernières années la courbe démographique de la plupart des peuples indigènes est finalement redevenue positive : ils n'étaient plus que 80 à 90 milles individus en 1910, à l'époque de la création du SPI (Serviço de Proteção ao Indio), tout près de la disparition totale et définitive ; en 1950, ils étaient environ cent milles, perdus dans une multitude de 55 millions d'habitants. En 2010, la population indigène s'approche des quatre cent mille individus, chiffre qui n'inclus pas quatre cent mille autres individus qui, selon le recensement de 2010 (IBGE: Instituto Brasileiro de Geografia e Estatísticas) se déclarèrent "indiens", totalement acculturés et vivants à la mode des blancs ou "caboclos" des classes inférieures. Cidessous, quelques brèves informations relatives au document lui-même : Sources et références Pour rédiger le présent texte, les principales sources consultées sont tirées de l'internet et de ma propre bibliothèque. Les références, parfois accompagnées d'un court commentaire, se trouvent rassemblées à la fin du document (pages 319-337). Il y a près de 400 références, desquelles environ 50 sont tirées du site "PIB Socioambiental" et 30 du site "Wikipédia" (en diverses langues). Des 320 références restantes, environ 240 sont des thèses de doctorat ou de maitrise, des études et communications académiques, des études sur sites, ou des rapports ou relations d'historiens, scientifiques, ou personnages historiques, ainsi que les livres, monographies ou catalogues d'exposition consultés. Pour réaliser ce travail, j'ai lu environ dix-huit-mille pages de livres et documents divers. Certaines références que j'ai considérées comme particulièrement intéressantes sont signalées dans le texte par un chiffre en gras avec double parenthèse, par exemple : ((25)). Les ouvrages ainsi référenciés sont de haute qualité et représentent une riche source d'information sur le sujet en question. Une brève liste bibliographie se trouve également à la fin du présent document. Indiens Pour dénommer les indigènes, j'ai utilisé plusieurs substantifs, plus ou moins synonymes, tels que: natifs, amérindiens, indiens, autochtones, peuples, indigènes; ceci principalement pour ne 4 Padre Antonil, jésuite italien, (1649-1716). Le Padre Antonil était un contemporain du Padre Antonio Vieira; il est l'auteur d'un livre publié en 1711: “Cultura e opulência do Brasil”, livre considéré comme le meilleur qui fut écrit sur les conditions sociales et économiques du Brésil au début du XVIIIème siècle. Cet ouvrage décrit en détails les aspects sociaux, économiques et techniques de la production du sucre et du tabac, de l'organisation et de l'exploitation des mines d'or, de la formation des grands pâturages et de l'élevage du bétail dans l'Etat de Bahia, mentionnant entre autres la famille des Garcia d'Avila et leur Casa da Torre, la seule maison-forteresse du XVIIème siècle qui ait subsisté jusqu'à aujourd'hui dans toute l'Amérique du Sud ((4)). 6 pass être trop répétitif. Le terme "índio" fut d'abord introduit par l'Espagne, lorsque Christophe Colomb, qui croyait fermement avoir atteint les Indes, nomma ainsi les habitants de ce Nouveau Monde qu'il venait de découvrir sans le savoir ni le comprendre. Au début de la colonisation et jusqu'au XVIIIème siècle les portugais usèrent du terme de "gentios" ("gentils"), c’est-à-dire païens. Aujourd'hui les brésiliens désignent leurs natifs, ceux du passé comme ceux du présent, du terme de índio. De la même manière, pour désigner les colonisateurs, j'ai utilisé divers termes, comme colons, portugais, colonisateurs, blancs, européens, parfois pour ne pas me répéter, mais aussi pour être plus précis. Indiens de la tribu Bororo 5 . Dessin d'Hercules Florence (1827), peintre français qui accompagna la tragique expédition du comte Langsdorff entre 1825 et 1828. (iii) 5 Les informations historiques disponibles indiquent que dans la dernière décennie du XIXème siècle, la tribu Bororo comprenait environ dix-mille individus, chiffre plutôt élevé pour une tribu brésilienne. Pourtant, en peu d'années un grand nombre d'entre eux succombèrent en conséquence du contact avec les blancs (guerres, épidémies, famines). La situation des Bororo était si désastreuse que l'anthropologue brésilien Darcy Ribeiro ("Os Índios e a Civilização", Ed. Vozes, Petrópolis, 1970), analysant le recensement de 1932, affirma que ceux-ci se trouvaient dans les ultimes étapes menant à l'extinction totale de la tribu. Cependant, à partir de la fin des années 70 on a observé un lent mais régulier accroissement de la population Bororo, passant de 625 individus enregistrés par le Padre Uchoa en 1979 à environ 1'200 personnes aujourd'hui. Les Bororo sont tous localisés dans le Planalto Central de l'État du Mato Grosso, répartis en quelques aldeias (*). Ils pratiquent un splendide art plumaire et sont également connus pour leur rite funéraire très complexe qui peut parfois se prolonger sur deux, trois, voire 6 mois (voir page 151). Actuellement, la langue Bororo est toujours encore parlée par presque toute la population, malgré le fait que jusqu'à la fin des années 1970 diverses Missões Indigenas aient imposé un régime scolaire interdisant aux enfants de parler leur langue native. A partir de cette date, un processus de revalorisation de la langue native Bororo a été mis en place et les missionnaires salésiens ont fait leur autocritique sur ce point ; la langue Bororo a été sauvée de justesse, ce qui est plutôt une exception pour l'ensemble de la société indigène du Brésil, et l'enseignement scolaire est maintenant bilingue. Ainsi, dans toutes les aldeias Bororo, presque tout le monde parle la langue native, ainsi que le portugais ; au quotidien, la langue utilisée est le bororo, additionné de néologismes du portugais régional, qui lui n'est utilisé que lors de contacts inter-ethniques (5). (*) Aldeia signifie petit village, agroupement de cases ou de petites maisons ; mais ce peut aussi être une unique et très grande case communautaire. Une aldeia est souvent construite dans une clairière au milieu de la forêt qui circonscrira donc ce village. Une aldeia inclus non seulement l'habitation mais aussi les potagers et toutes surface destinée aux plantations, ainsi que les cases ou huttes aux fonctions diverses. Très souvent je préfèrerai utiliser ce terme brésilien d'aldeia. 7 Noms des tribus J'ai utilisé la majuscule initiale pour le nom des tribus indigènes 6 , alors que la norme, à ce qu'il semble, dit qu'il faut utiliser la minuscule ; n'ayant trouvé aucune explication ou justification de cette pratique j'ai choisi d'utiliser la majuscule. J'ai par contre suivi la norme qui dicte de ne pas placer de "s" final pour le pluriel des noms de tribus (avec l'exception de Tupiniquins, Tupiniquim au singulier). Images La majeure partie des images présentées ici ont généralement une relation directe avec le texte ; mais j'ai parfois inséré des images qui n'en ont pas, à l'instar des quatre portraits insérés dans cette introduction. Il y a près de 240 images incluses dans le corps de ce document, numérotées par des chiffres romains en minuscules (par exemple, xix, xxvii). Le crédit photographique se trouve également en fin de document (pages 337-345). Une mère et sa fille, de la tribu Yawanawá. La mère applique les peintures corporelles sur le visage de sa fille pour la préparer à la fête rituelle du mariri. Cet art pictural, appliqué sur le corps, et entre autres sur le visage, est particulièrement raffiné chez les Yawanawá 7. (iv) 6 Le terme indigène vient du latin indigěna, dérivé du grec endogenés qui signifie "né dans la demeure". 7 Les Yawanawá habitent sur leur propre TI (Territoire Indigène) dans l'Etat du Acre, à la frontière avec la Bolivie et le Pérou; il existe d'ailleurs une petite communauté Yawanawá de l'autre coté de la frontière, soit environ 140 membres en Bolivie et 350 au Pérou. Comme la plupart des tribus voisines, leur langue appartient au tronc linguistique Pano. Le nom de la tribu signifie "peuple du pécari". Au début des années 1980, ce sont les Yawanawá eux-mêmes (et non la FUNAI, comme cela s'est produit plusieurs fois) qui expulsèrent de leur TI les missionnaires de la secte des "Novas Tribos do Brasil" qui y étaient implantés depuis de nombreuses années. Ceux-ci avaient en effet créés à plusieurs reprises des conflits, considérant que certaines pratiques des indigènes étaient incompatibles avec la doctrine qu'ils voulaient implanter dans la communauté; ces "missionnaires" voulaient interdire par exemple la consommation du ayahuasca (que les Yawanawá nomment uni) , la pratique de danses rituelles, et la consomation de la caiçuma de manioc, une boisson légèrement alcoolisée, dont la fermentation est accélérée par la salive des femmes (dans pratiquement toutes les tribus indigènes du Brésil, la préparation des boissons, fermentées ou non, et une occupation strictement féminine). Pour quelques informations sur les Yawanawá, voir la réf. (6). 8 I L'Amérique du Sud précolombienne L'écriture est apparue à des dates bien différentes dans les diverses régions du monde, entre 3'000 et 1'000 ans av. J.-C principalement. Si l'on veut considérer que la préhistoire d'un peuple est la période qui précède l'apparition de sa propre écriture, alors nous pourrions convenir que la préhistoire des peuples amérindiens s'est prolongée pour bien plus longtemps que dans les autres parties du monde, sachant qu'aucun peuple de ce continent ne possédait un quelconque système d'écriture, avec la marquante exception du peuple Maya. On pourrait ainsi considérer que la préhistoire des Amériques s'est terminée avec l'arrivée des européens, car ce sont eux qui dorénavant vont écrire, à leur manière, l'histoire des vaincus. Ceci peut expliquer aussi les difficultés rencontrées par les chercheurs à décrire une "histoire" des peuples amérindiens des derniers millénaires précolombiens. 1 Les migrations vers le continent américain La majorité des archéologues et anthropologues défendent l'hypothèse d'une migration vers le continent américain de peuplades venues d'Asie par le détroit de Béring. Cette migration aurait eu lieu durant l'ultime grande glaciation qui a débuté il y a environ 80'000 ans pour se terminer vers l'an 10'000 av. J.-C. Durant ces 70'000 ans de glaciation, le niveau des océans s'est graduellement abaissé; cette période a connu deux pics de glaciation maximale, entre les années 48'000 et 38'000 av. J.-C. et le second pic entre 23'000 et 12'000 ans av. J.-C., les froids maximums ayant été atteints il y environ 19'000 ans. Extension de la Béringie: L'aire la plus sombre correspond aux nouvelles terres apparues entre la Sibérie et l'Alaska au cours de la dernière glaciation. L'aire plus claire indique les territoires actuels entourant le détroit de Béring. (i) 9 Durant ces deux périodes de 10'000 ans chacune, le niveau des océans s'est abaissé de 120 à 150 mètres selon diverses estimations. Cet abaissement a été provoqué par la rétention de gigantesques quantités d'eau sous forme de glace, formant deux immenses calottes polaires et une expansion considérable des glaciers continentaux. La diminution du niveau des océans a fait apparaitre d'énormes surfaces de terres nouvelles, entre les continents asiatique et américain. Cette nouvelle basse plaine a été nommée Béringie par les chercheurs; elle s'est couverte d'une riche végétation de graminées et arbustes, aliment idéal pour divers animaux de moyenne et grande taille, comme les mammouths, les cervidés, les bisons, les tigres-dents-de-sabre (smilodons) et des chevaux sauvages, entres autres espèces. Les hommes qui chassaient ces animaux les suivirent sur ces nouvelles terres émergées et s'aventurèrent progressivement jusqu'à atteindre l'autre "rive", le continent américain. Il n'y a pas de véritable consensus parmi les scientifiques pour dater les diverses ondes migratoires à travers la Béringie. Il se pourrait qu'une première onde migratoire ait eu lieu il y a environ 40'000 ans déjà, et que d'autres suivirent entre 23'000 et 1' 000 ans av. J.-C. À cette époque, l'humanité vivait encore au Paléolithique. Sur cette carte, la route de migration 1 est considérée comme la plus probable, et la route 2 comme une alternative possible. La carte ne montre pas une troisième hypothèse : une route qui serait partie d'Europe, passant par l'Angleterre, l'Ecosse, puis l'Islande, le Groenland, pour arriver au nord du Canada actuel. Pour les paléontologues et d'autres chercheurs, les diverses hypothèses ne s'excluent pas l'une l'autre. (ii) Des datations furent réalisées sur de nombreux sites sur tout le continent américain ; elles sont encore aujourd'hui sujettes à controverses et interprétations. Pour cette raison, je n'entrerai pas dans les détails au sujet de dates de peuplement des diverses parties de ce continent en général et du Brésil en particulier. Cependant, en m'appuyant sur divers ouvrages consultés, j'arrive à la conclusion que les tout premiers peuplements au Brésil seraient apparus entre le 14ème et le 10ème millénaire avant notre ère, les plus anciens étant localisés au Nord et les plus récents au sud du Brésil. Des études ont aussi démontré la possibilité d'une seconde route de migration qui serait venue d'Australie ou du Sud de l'Asie, impliquant une supposée traversée de l'océan pacifique (on peut en effet imaginer que cet océan devait, à cette époque, être couvert de nombreuses iles aujourd'hui disparues sous les flots). Cette hypothétique seconde route migratoire aurait été postérieure à celle qui aurait passé par la Béringie (1) 10 Enfin, on considère aussi comme possible une migration venue de la France ou de l'Espagne, passant par le nord de l'Europe, suivant les contours de la calotte polaire, passant ensuite par le Groenland pour arriver au nord du continent américain (Canada actuel) (2). 2 La préhistoire des peuples indigènes du Brésil De manière très simplifiée on peut diviser la préhistoire du Brésil en deux périodes: la période précéramique, appelée aussi période archaïque, et la période des diverses "cultures de la céramique". Mentionnons encore le cas particulier de diverses "cultures amazoniennes". 2.1 La période archaïque La période archaïque s'étend du 11ème millénaire jusqu'à l'an 2'500 avant notre ère. Les diverses populations paléo-indiennes dispersées sur ce qui est le Brésil actuel, étaient des chasseurscueilleurs qui ne connaissaient pas la céramique et pratiquaient une agriculture rudimentaire. Sur ce vaste territoire, les hommes s'adaptèrent de manières très différentes en fonction des caractéristiques géologiques et hydrographiques où ils se trouvaient. Sud du Brésil: Au sud du Brésil se développèrent deux Traditions, nommées Umbu et Humaitá. Ces peuples étaient des chasseurs-cueilleurs pratiquant peut-être une agriculture de subsistance appelée coivara (agriculture sur brûlis). Ils travaillaient les os et la pierre pour en obtenir des outils. Planalto Central: Sur le Planalto Central et une partie de la région Nordeste, caractérisé par des savanes semi-arides, se développèrent diverses Traditions de peintures rupestres, entre 7'000 et 4000 ans av. J.-C. Parmi elles on peut citer la Tradition Planalto, dont la caractéristique principale est une peinture monochrome représentant des animaux (zoomorphisme); ces peintures rupestres ont été exécutées dans plus de cent lieux différents, généralement des abris ou des cavernes, aujourd'hui préservés et protégés. De son côté, la Tradition Nordeste, aux caractéristique assez semblables, comprenant une peinture monochrome et zoomorphe, incluait pourtant déjà des représentations anthropomorphes (figures humaines). Signalons une troisième Tradition, la Tradition São Francisco, datée de la fin de la période archaïque (2'500 av. J.-C), qui s'est développée au long du fleuve São Francisco, caractérisée par des motifs et symboles géométriques monochromes et polychromes (3). Littoral méridional: Sur le littoral méridional du Brésil actuel s'est développé la surprenante et intrigante Tradition des sambaquis. Un sambaqui (terme d'origine Tupi qui signifie "montagne ou dépôt de coquillages") est un amoncellement de coquillages vidés et os (ou cartilages) de poissons. Commençons peut-être par le début: Aux alentours du 12ème millénaire av. J.-C., la longue période glaciaire s'arrête, et une inversion de température se produit. Commence alors une lente fonte des glaces, provoquant ainsi une tout aussi lente remontée du niveau des océans; petit à petit, les bords de mer redeviennent "praticables"; des peuplades s'en approchent. Il y a environ huit mille ans, le littoral brésilien, depuis l'État de Espirito Santo jusqu'à l'État de Rio Grande do Sul qui fait frontière avec l'Uruguay, se peuple de gens qui jusque-là se nourrissaient principalement du produit de leur chasse (surtout des petits animaux: singes, tortues, tapirs, opossums, etc.) et qui vont commencer à s'alimenter de poissons, crustacés et fruits de mer, principalement des mollusques (huitres, moules, coques, etc.). Comme cette source d'alimentation ne tarissait jamais, ces peuples sont
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