Une Breve Histoire des Indigenes du Bresil - Page 18 - la vie et les coutumes des indigènes du Brésil, leur destinée, leur histoire; le contact entre indigènes et colonisateurs 13 d'environ quarante centimètres, aux parois verticales. Le fond des vases était toujours légèrement arrondi et le haut des parois comportait des trous pour la suspension ou de petites anses. Ces vases étaient généralement de couleur sombre, et rarement décorés dans le nord (depuis Santa Catarina jusqu'à Itararé, État de São Paulo). Cependant, les céramiques des régions méridionales de cette Tradition, comme celles trouvées dans l'État du Rio Grande do Sul ou dans les Missions d'Argentine, présentaient souvent une surface délicatement décorée avec des "ponctuations", des incises ou des "pincés" (8). Vase de céramique de la Tradition Taquara-Itararé (Museu Paranaense, Curitiba, Etat du Paraná) (v). Ces peuples de Tradition Taquara-Itararé étaient les ancêtres des actuelles tribus Kaingang et Xokleng, connues comme les peuples des maisons souterraines. Ces peuples, pour se protéger des hivers rigoureux qui sévissaient sur les plateaux élevés du sud du Brésil, construisaient leurs maisons "enterrées", c'est-à-dire qu'ils creusaient de grandes fosses, parfois rectangulaires, le plus souvent circulaires, qui leurs servaient d'habitation, et qui les protégeaient des bourrasques de neige et des vents violents et froids qui balayaient ces plateaux. Le toit de ces "maisons" suivait la forme de la fosse et s'appuyait sur des étais de bois: un poteau central appuyé sur le fond de la fosse soutenait le faîte et de longues perches appuyées d'une part au poteau central et d'autre part aux bords supérieurs de la fosse formaient l'ossature de cette toiture. Ce toit se terminait légèrement au-dessus de la surface naturelle du sol, garantissant ventilation, luminosité et passage pour les habitants. Maison souterraine (vi) 14 Les dimensions de ces maisons circulaires enterrées étaient très variables, le diamètre allant de 2 à 13 mètres, avec une profondeur variant de 2,5 jusqu'à 6 mètres. La terre retirée était disposée en anneau à quelque distance du bord de la fosse, dans le but de dévier l'eau des pluies et protéger ainsi la maison d'une inondation. De nombreux sites archéologiques ne comportent qu'une seule maison souterraine, isolée; mais de nombreux autres sites contenaient des ensembles de maisons, formant de véritables petits villages formés de cinq, dix, voire jusqu'à vingt maisons (9). L'habitation en maisons souterraine perdura pour plusieurs siècles, peut-être même pour un millénaire entier. Certaines de ces maisons existaient encore et étaient même occupées lors de l'arrivée des colonisateurs portugais et espagnols, qui les nommaient "casas de bugres", maisons de bougres 9. Brésil central et côte du Sud-Est: La céramique est aussi apparue dans le centre du Brésil et sur la côte centrale, il y a environ quatre à cinq mille ans. Un exemple de cette époque est la Tradition Una, dont la poterie n'était pas décorée; cependant, les peuplades de cette tradition ont laissé de très belles peintures rupestres. Les analyses de ces peintures laissent à penser que ces peuples possédaient déjà une agriculture relativement organisée. 2.3 Cultures et peuplement de l'Amazonie Le vaste bassin amazonien fut le lieu de cultures indigènes parmi les plus avancées d'Amérique du Sud avant la conquête portugaise, et peut être considéré comme le berceau de la céramique du Brésil. De plus, c'est grâce aux peuples de l'Amazonie que s'est propagées une agriculture efficace et organisée. L'immense territoire amazonien se compose de deux topographies distinctes : d'une part les terres hautes, couvertes de forêts, aux sols généralement pauvres en éléments nutritifs, d'autre part les terres basses bordant les fleuves, régulièrement inondées et fertiles. La densité de population était plus élevée en Amazonie que dans les autres régions du Brésil, ce qui parait aujourd'hui paradoxal. C'est sur ces basses terres amazoniennes, ainsi que sur le littoral, près de l'embouchure du grand fleuve, que s'est développé un grand groupe céramiste, formé de deux Traditions appelées Polychrome et Incisé-Ponctué. L'expression culturelle la plus importante des indigènes du Brésil est représentée par, d'une part, la céramique produite sur l'ile fluviale de Marajó, où l'Amazone se déverse dans l'Atlantique, et d'autre part par les objets de céramiques produits dans les alentours de l'actuelle ville de Santarém, à l'embouchure du fleuve Tapajós dans le fleuve Amazone. Les artefacts crées par ces sociétés indigènes témoignent d'une évidente avancée culturelle. Sur la vaste ile de Marajó, de 48'000 km² (superficie de la Suisse : 41'000 km²), se sont succédées diverses cultures et Traditions ; la première a débuté vers 1'600 av. J.-C., et la plus récente s'est développée entre les ans 410 et 1320 de notre ère. Cette ultime Tradition, nommée Marajoara, représente certainement l'apogée du développement culturel de la région, faite de céramiques polychromes splendides, décorées de motifs géométriques, zoomorphes, et anthropomorphes ((10)). La production des céramiques Marajoara était entièrement organisée par les femmes des tribus; elles étaient responsables de tout le processus, de la sélection des argiles au modelage, de 9 Le terme "bugre", aussi bien en portugais qu'en espagnol, est très péjoratif. Le Grand Dictionnaire Aurelio dit : terme utilisé pour désigner l'indien dangereux, sournois, rétif à la soumission, mais aussi inculte, dans le sens de barbare, sans lois, trompeur. Le substantif provient, au travers du français "bougre", du latin médiéval bulgarus (bulgare), c’est-à-dire hérétique, non-chrétien. Au XIXème et au début du XXème siècle on nommait bugreiros les colons qui s'adonnaient à la chasse aux indiens Kaingang et Xokleng du sud du Brésil. 15 la cuisson à la décoration des objets. Les peuples de la Tradition Marajoara possédaient un vaste répertoire d'objets: statuettes, objets utilisés par les pajés au cours des rituels tels que les maracás, une vaste gamme de récipients pour l'usage domestique, ainsi que des tangas (une forme de cache-sexe en céramique), utilisés par les femmes et jeunes filles lors de cérémonies et rites de passage. Plus en amont du fleuve Amazone, où le fleuve Tapajós se déverse dans l'Amazone, vivaient les Tapajó, principal groupe indigène de la région. Le groupement le plus important de cette tribu était localisé près de l'actuelle ville de Santarém. La céramique Tapajó se caractérisait par la représentation de figures humaines ou animales, tels que l'urubu (un type de vautour), des petits batraciens, des tapirs, des singes. Les objets les plus significatifs de la céramique de Santarém sont les vases de cariatides 10, les vases à goulots, ainsi que les statuettes et les pipes (11). Une igaçaba, urne destinée à recevoir les os des défunts lors de cérémonies funéraires. Tradition marajoara. (Museu do Encontro, Forte do Presépio, Belém, Etat du Pará). (vii) Selon les anthropologues, ces sociétés étaient hiérarchisées; certaines étaient organisées en grandes villages (aldeias) comprenant de larges zones agricoles et un cimetière; tout cet ensemble était disposé sur de vastes espaces de terres artificiellement surélevées, avec comme finalité de les protéger des inondations annuelles. De tels travaux devaient nécessiter une énorme main d'œuvre, et donc une agriculture efficace. D'ailleurs, des recherches récentes ont démontré que la partie inférieure du fleuve Amazone était très peuplée, ce qui a obligé à une drastique révision sur les chiffres de population de toute l'Amérique du Sud. On estime aujourd'hui à 7-8 millions d'individus la population du seul bassin amazonien de cette époque, chiffre infiniment plus élevé que celui qui était estimé jusqu'alors. 10 Les cariatides (sculpture de la Grèce antique) sont des figures humaines, généralement des femmes drapées d'une longue tunique, soutenant sur leur tête un élément architectonique ou un objet. 16 Vase de cariatides. Céramique Tapajó; (Museu Paraense Emilio Goeldi, Belém, Pará). (viii) 2.4 La culture Tupiguarani À la fin des années 1960, des chercheurs du Programa Nacional de Pesquisas Archeológicas (PRONAPA), dirigé par des archéologues nord-américains, découvrirent de nombreux sites archéologiques sur lesquels apparaissaient des fragments de céramique décorée, certains comportant des traces de peinture rouge ou noire sur un fond blanc. Ces vestiges furent classifiés et réunis sous le terme de Tradition Tupiguarani (sans trait d'union), indiquant par là qu'il s'agissait d'une unité culturelle primitive liée aux peuples parlant les langues Tupi-Guarani (avec trait d'union). Les datations effectuées par le C14 montrèrent que ces artefacts avaient été fabriqués au long d'une période allant du Vème au XVème siècle de notre ère. Vase tupiguarani (Musée d'archéologie et ethnologie; São Paulo) (ix). 17 La dispersion des groupes formant le tronc linguistique Tupi-Guarani a eu lieu à une époque antérieure au développement de la céramique tupiguarani. Prenant en compte la grande dispersion géographie de ces peuples pourtant liés par un même tronc linguistique, les archéologues créèrent des subdivisions de cette Tradition tupiguarani, en Tradition Guarani au sud (fleuves Paraguay-Paraná et fleuve Uruguay), et Tradition Tupinambá au nord (fleuves Guaporé, Madeira, rive sud du fleuve Amazone, Nordeste). La Tradition tupiguarani dans son ensemble a pour caractéristique principale une céramique polychrome et une forme demisphérique des vases, pots, récipients pour la cuisson; en effet le fond de tous ces récipients n'était jamais plat, mais toujours en forme de calotte sphérique. Les parois étaient généralement enflées et les bords ouvrant vers l'extérieur; les dimensions étaient très variables et le volume allait de 1 à 5 litres. Rares étaient les pièces (vases, urnes, ou autres artefacts) comportant des éléments décoratifs. Sur plusieurs sites furent découvertes des urnes funéraires, généralement utilisées comme sépulture secondaire 11, bien que l'on ait aussi trouvé des restes humains dans des urnes de grande dimension, ce qui laisserait à penser que celles-ci servaient également à des inhumations primaires. Il est possible que ces inhumations primaires dans des urnes n'aient eu lieu qu'en des circonstances particulières ou pour des personnages importants du groupe. Les peuples Tupi-Guarani introduisirent des profonds changements dans les régions qu'ils envahirent lors de leur expansion, tels qu'une nouvelle agriculture, basée sur le manioc amer dans le Nord, et sur le maïs12 et le manioc doux (aipim) dans le Sud ((12)), ((13)), ((14)). 2.5 L'expansion des Tupi-Guarani À partir de ce point il n'est plus question d'une culture ou Tradition tupiguarani, mais bien de deux peuples qui, dans un passé lointain, ont partagé des caractéristiques linguistiques et ethniques communes. Il s'agit ici de peuples Tupi et de peuples Guarani, ou Tupi-Guarani lorsqu'il s'agira de l'histoire commune de ces peuples. Unis par un même système linguistique, les Tupis et les Guarani se différenciaient en certains aspects, par exemple dans l'alimentation: alors que la base alimentaire des Tupis était le manioc, celle des Guarani était le maïs (et cette différence n'est pas que subtile, vous diront les anthropologues). La migration (ou l'expansion) des Tupi-Guarani à travers le Brésil, fascina, et aujourd'hui plus que jamais, les ethnologues, archéologues et autres scientifiques occidentaux, et ces cinquante dernières années les brésiliens tout particulièrement. En vérité, de nombreuses questions demeurent encore sans réponse définitive. Cette migration a été le sujet de nombreuses hypothèses, controverses et discussions entre savants. L'intérêt particulier porté sur les TupiGuarani s'explique surtout par leur grande importance historique, culturelle et démographique ; ce sont eux que les premiers colons portugais rencontrèrent en débarquant sur la côte brésilienne. Dès la fin du XVIIème siècle, les peuples Tupi (en particulier les Tupinambá) avaient déjà presque totalement disparus en raison de la conquête et occupation de leurs territoires par les portugais; au contraire, les peuples Guarani sont toujours présents, malgré leur destin tragique de peuple pourchassé et décimé par les forces conjointes des deux nations ibériques, l'Espagne et le Portugal. 11 Pour une description des rites funéraires secondaires (ou "doubles"), voir pages 151 et 256. 12 Le maïs a été importé de peuples plus "avancés" localisés à l'ouest des Andes. Notons que la "révolution agricole", selon une hypothèse largement acceptée par les archéologues s'est répandue à partir du Mexique en direction de l'Amérique Centrale, ensuite vers les régions andines. À partir des Andes, cette nouvelle agriculture s'est répandue en direction du bassin amazonien, plus tard vers le littoral atlantique, et finalement vers le Sud en direction du Rio de la Plata jusqu'aux plaines de la Patagonie. 18 D'où est partie la migration des Tupi-Guarani ? Et quelle fut sa direction ? De nombreuses hypothèses furent avancées et étudiées par les scientifiques; parmi eux je voudrais mentionner Alfred Métraux 13. Il n'existe pas, aujourd'hui encore, de consensus entre eux pour localiser l'aire de départ de cette migration. Il existe encore actuellement au moins cinq hypothèses principales et environ dix autres hypothèses secondaires sur le centre originel des peuples Tupi-Guarani: Auteurs Date Région d'origine de la migration Karl Ph. Von Martius 1838 Entre le Paraguay et le sud de la Bolivie Rodolfo Garcia 1922 Les sources des fleuves Paraguay et Paraná Alfred Métraux José P. Brochado 1928 1973 Limitée au nord par le fleuve Amazone, au sud par le fleuve Paraguay, à l'est par le fleuve Tocantins e à l'ouest par le fleuve Madeira. Betty Megger 1972 Pieds des Andes en Bolivie Betty Megger & Clifford Evans Pedro L. Schmitz 1973 1985 À l'est du fleuve Madeira À l'est du fleuve Madeira José P. Brochado Francisco Noelli 1984 1996 Amazonie centrale Amazonie centrale Résumé de quelques hypothèses sur le centre d'origine de l'expansion Tupi-Guarani (15) Il n'existe pas non plus d'accord entre les savants sur la "route d'expansion" suivie par les TupiGuarani. Il y a actuellement deux théories qui tentent de décrire cette migration à partir du versant sud de l'Amazonie. L'idée dominante, proposée par Alfred Métraux en 1927, est que les TupiGuarani, ensemble, migrèrent vers le sud jusqu'à atteindre le fleuve Paraguay, il y a 2'000 ans. Arrivés là, dans une région qui pourrait se situer entre les plaines du Chaco paraguayen et le sud du Brésil, ces peuples se seraient séparés en deux grands groupes. Un de ces groupes se serait dirigé vers le sud, pour former la branche Guarani. L'autre groupe, formant la branche Tupinambá se serait dirigée vers l'est, et arrivé sur le littoral du Sud-Est brésilien, se serait dirigé vers le nord, occupant toute la côte jusqu'au Nordeste brésilien. La seconde théorie, appelée "théorie du grand jacaré amazonien", ou aussi "modèle des pinces", de l'anthropologue brésilien José Proenza Brochado, défend l'idée qu'il y aurait eu deux fronts d'expansion : les protoguarani seraient sorti de la forêt amazonienne en direction du sud, atteignant le fleuve Paraguay, et de là auraient occupé le bassin du rio de la Plata, au début de l'ère chrétienne. Le second courant migratoire, celui des prototupinambá, se serait dirigé vers l'est, descendant peu à peu le fleuve Amazone; arrivés à son embouchure, ces Tupinambá se seraient répandu en direction du sud, entre les années 700 et 1'200 de notre ère. La théorie de la double expansion est moins acceptée car elle n'expliquerait pas la proximité linguistique des deux groupes, et n'expliquerait pas non plus le fait que l'on n'aurait jamais trouvé de vestiges Tupi sur le littoral amazonien (16). 13 Alfred Metraux (1902-1963) était un anthropologue suisse, né à Lausanne et formé à Paris. Il se spécialisa dans l'étude des peuples d'Amérique du Sud et des Caraïbes. Alfred Métraux resta dans la mémoire de ses collègues comme un homme de science respecté et d'une éthique exemplaire; il a mis son travail au service des droits de l'homme. À l'époque où il travaillait pour l'UNESCO, il a mis en place plusieurs programmes d'anthropologie appliquée, en particulier en Amazonie, dans les Andes et en Haïti. Il a lutté activement contre le racisme. En plus de l'anthropologie, son travail touchait encore d'autres domaines connexes, comme l'histoire, l'archéologie et l'ethnographie. J'ai rencontré des citations de ses travaux dans de nombreuses études scientifiques. Sa bibliographie comprend plus de 200 articles et livres, parmi lesquels je mentionne ici celui qui me parait le plus proche du sujet de ce chapitre: "La civilisation des tribus Tupi-Guarani", Ed. P. Geuthner, Paris (1928) (17). 19 De quelle époque datent les migrations Tupi-Guarani ? Pour les spécialistes, principalement les anthropologues et les linguistes, la grande dispersion des langues du tronc tupi-guarani indique que les ancêtres des peuples de ces langues entreprirent de nombreuses et longues migrations, s'étendant sur des milliers de kilomètres; elles auraient commencé il y a deux ou trois mille ans, et se seraient poursuivies jusqu'à récemment ((18)). Carte montrant la théorie élaborée par Alfred Métraux: couleur grise (4), montre la probable aire de départ de la migration Tupi-Guarani; couleur verte (5), désigne les aires d'occupation et de peuplement des Tupinambá et autres ethnies Tupi telles que rencontrées par les colons portugais au XVIème siècle; couleur rose, indique les zones d'occupation et de peuplement des peuples guarani, également telles que rencontrées au XVIème siècle. Les aires 1, 2 et 3 sont respectivement les régions de cultures Marajó, Tapajó et Guarita. (x) Les Tupi atteignirent probablement la côte de l'océan Atlantique au tout début de l'ère chrétienne. Mille-cinq-cents ans plus tard, à l'époque de la découverte du Brésil, les Tupi étaient encore en plein processus d'expansion et domination des tribus locales du littoral. Les portugais ne tardèrent pas à observer ce "remue-ménage", et très rapidement perçurent tout l'intérêt qu'il y avait à utiliser les tribus les unes contre les autres, d'une part pour les dominer elles-mêmes, mais aussi pour les utiliser à combattre les autres nations européennes, France, Hollande, Espagne, qui tentaient de leur contester ces nouvelles terres conquises. Pourquoi les Tupi-Guarani abandonnèrent-ils leurs aires de peuplement originelles ? Les chercheurs relatent en premier lieu un important accroissement populationnel, peut-être dû à une agriculture devenue efficace, induisant une semi-sédentarisation. D'autres documents 20 relatent au contraire de longues périodes de sécheresse qui se seraient produites il y a environ 3 mille ans, ce qui aurait modifié considérablement les conditions d'existence de tous les humains de la forêt tropicale. Existe aussi l'hypothèse d'un fractionnement de certains de ces peuples, créant de nouvelles tribus, ce qui aurait induit des hostilités, des conflits, puis des guerres. Il y a enfin l'hypothèse de la recherche pour de nouvelles ressources alimentaires, principalement en protéines animales, au long des plaines fertiles des grands fleuves et sur la côte atlantique. Ce qui manquait le plus, et qui a toujours manqué dans le bassin amazonien, c'était le sel (même si les natifs trouvèrent un substitut végétal, encore que de manière précaire, au sel minéral). 3 Les peuples indigènes au XVIème siècle (avant la découverte du Brésil) Durant les cent premières années qui suivirent la découverte du Brésil, les européens ne s'aventurèrent jamais à plus de 50 à 80 km de la côte; à peine 5% du territoire brésilien actuel furent occupés et exploités par les européens (portugais, mais aussi, français et hollandais). Ce n'est donc qu'un siècle plus tard que les portugais, graduellement, entrèrent en contact avec les tribus de l'intérieur. Enfants Kayapó 14 accompagnant leurs parents lors des XIèmes Jeux des Peuples Indigènes, réalisés dans la cité de Porto Nacional, à 60 km de Palmas, capitale du Tocantins (décembre 2011). (xi) Ces premiers contacts avec les tribus de l'intérieur ne se passèrent presque jamais de manière amicale ou pacifique, au contraire de ce qui s'était produit auparavant avec les peuples Tupi du littoral. L'exploitation du territoire et la nécessité d'étendre toujours plus les surfaces de pâture pour le bétail exigèrent l'usage de la force et de la violence. C'est ainsi que les colons 14 La tribu Kayapó comprend environ 6'500 personnes. Le territoire Kayapó est situé dans le Brésil central, en partie dans l'État du Mato Grosso, en partie dans l'État du Pará. Les Kayapó vivent dans des aldeias dispersées au long des cours supérieurs de divers affluents du fleuve Xingu. Actuellement, la majeure partie des Kayapó maintiens des contacts plus ou moins réguliers avec la société blanche. Les relations entre les Kayapó, principalement leurs leaders, avec la société blanche brésilienne et des ONG de divers pays sont intenses et ambivalentes, pour ne pas dire ambigües. En effet, les Kayapó sont devenus les indiens les plus riches du Brésil; ils ont signé des contrats commerciaux inspirés du système capitaliste occidental avec des entreprises de sciage de bois ou d'exploitation minière, ainsi qu'avec des entreprises du secteur agroalimentaire (19). 21 commencèrent à pratiquer la chasse et l'expulsion des natifs de leurs terres; ceux-ci étaient capturés et mis au travail dans les plantations, ou furent petit à petits éliminés au court des "guerras justas", les guerres justes décrétées par le royaume de Portugal; commença alors une lente et inexorable annihilation des natifs, qui aujourd'hui pourrait être qualifiée d'ethnocide. Cette décimation des indigènes n'était ni planifiée ni organisée, elle s'est plutôt déroulée de manière chaotique et désordonnée. Durant le premier siècle d'occupation, la population portugaise se chiffrait à environ 3 mille personnes, uniquement des hommes: des soldats, des travailleurs qualifiés dans la construction des premiers moulins à sucre, les engenhos, des maçons et charpentiers, des condamnés déportés, ainsi que quelques propriétaires terriens qui, en de rares occasions, venaient s'établir avec leurs familles, car dans les premiers temps, ces propriétaires venaient seuls. 3.1 Les ethnies et groupes linguistiques aux XVème et au XVIème siècle La population indigène de l'époque des premiers contacts a été estimée entre 5 et 6 millions d'individus, divisée en 1'000 à 1'300 tribus distinctes et parlant environ 800 langues différentes. Ces données s'appuient principalement sur les diverses recherches effectuées par les pères Jésuites au long des nombreuses années de contact qu'ils maintinrent avec les autochtones. La carte ci-dessous montre la répartition de quelques groupes ethniques au tout début du XVIème siècle. La majorité de ces groupes faisait partie du tronc linguistique Tupi-Guarani; quelques groupes ne faisant pas partie de ce tronc linguistique sont aussi mentionnés. Ces derniers étaient dénommés du terme général de Tapuias par les Jésuites, les colons, et par les Tupi eux-mêmes; dans la langue Tupi, ce terme désignait un ennemi, un barbare, un homme de la forêt profonde. Cette dénomination a été utilisées au cours des siècles, par les portugais comme par les indiens pour désigner toutes les ethnies non-Tupi, principalement tous les groupes du tronc linguistique Macro-Jê. Carte montrant la localisation approximative de certains groupes indigènes parmi les plus importants à l'époque des premiers contacts, entre l'embouchure du fleuve Amazone au nord, et le rio de la Plata au sud. (xii) 22 3.2 La démographie indigène au XVème siècle et aujourd'hui On estime généralement que le continent américain dans son ensemble était peuplé de 80 à 100 millions d'habitants, desquels 30 millions vivaient en Amérique du Sud, la plupart localisés dans les plaines côtières du versant occidental (océan Pacifique) et sur les hauts-plateaux des Andes. Sur ce qui est le Brésil d'aujourd'hui le nombre de natifs à l'arrivée des portugais a été estimé entre 5 à 7 millions d'habitants. Mais des études récentes ont démontré que ces chiffres pourraient être bien supérieurs, soit de 12 à 13 millions lorsqu'on y inclut les importantes populations du Moyen et Bas Amazone, bien plus élevées donc que ce que l'on estimait jusqu'au milieu du XXème siècle, mais que Claude Lévi-Strauss estimait déjà entre 7 et 8 millions d'individus. Deux femmes de la tribu Kayapó-Xikrin 15 se peignant mutuellement le corps de motifs très élaborés à l'aide de teinture de génipapo (voir: genipa americana). (xiii) 15 Les Kayapó-Xikrin sont l'un des sept sous-groupes du peuple Kayapó; ils sont groupés en deux aldeias localisées dans le centre-est de l'État du Pará. L'utilisation des ressources naturelles est chez eux extrêmement diversifiée. Les Xikrin connaissent et distinguent en détails la faune et la flore. Ils reconnaissent nonseulement la diversité biologique (variété des espèces de la faune et de la flore) mais aussi la diversité écologique (variété des écosystèmes). Pour eux, la préservation de la diversité biologique et écologique est d'une extrême importance en vue de la perpétuation de leurs connaissances (signification symboliques, classifications, usage de leur bio-environnement). Les Xikrin sont essentiellement des chasseurs, mais ils sont aussi très dépendants de la production de leurs cultures (jardins, plantations). Les produits de leurs chasses les plus appréciés sont le tapir, le pécari, le cerf, le pécari à collier (plus petit que le précédent), le paca (cuniculus paca), et l'agouti (dasyproctia). Ils prennent également quantité de tortues diverses, en particulier l'espèce Chelonoidis carbonaria, et retirent de leurs terriers les tatous (dasypodidae). Malgré les fortes influences extérieures et les changements drastiques et rapides auxquels ils sont soumis, les Xikrin continuent à pratiquer leur agriculture sur brulis (coivara), plantant de nombreuses variétés de patate-douce, d'inhame, de manioc, de maïs, de courges, de papayes, de bananes et de coton. Durant les dernières décennies, alors même que leurs terres étaient dûment démarquées, les Xikrin ont été la cible constante d'invasions de castanheiros (collecteurs de châtaignes du Para), de garimpeiros (chercheurs d'or), de fazendeiros (les très grands propriétaires de terres) et les madereiros (les coupeurs de bois pour les grandes scieries). La tribu Kayapó-Xikrin donne une très grande importance à la parole et à l'écoute. Pour eux, l'écoute est directement liée au savoir, à la connaissance. Quant à la parole, elle est un art, pratiqué par toutes les tribus de la famille des Kayapó, famille connue pour être kaben mei, c'est-à-dire "ceux-qui-parlent-bien". La tribu Xikrin comprend mille huit-cents membres (20).
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