Une Breve Histoire des Indigenes du Bresil - Page 10 - la vie et les coutumes des indigènes du Brésil, leur destinée, leur histoire; le contact entre indigènes et colonisateurs 5 Il y a bien longtemps, quelqu'un a dit, parlant du Brésil, qu'il était l'enfer du nègre, le purgatoire du blanc, et le paradis du mulâtre 4 .Si cette phrase péremptoire comportait à l'époque une bonne dose de vérité, on peut relever qu'elle ne mentionne pas l'indien; il semble bien alors que celuici n'ait jamais eu sa place dans la société brésilienne, aussi bien hier comme aujourd'hui. Pourtant, à partir des années 1950 le gouvernement brésilien a fait certains efforts pour améliorer la condition de ses natifs et premiers habitants de son pays. Mais dans certaines couches de la Société Civile subsiste une vision négative de "l'indien", faite de préjugés et de rejets. L'indien est, aujourd'hui comme il y a cinq cents ans une entrave au commerce, à la déforestation, à l'exploitation planifiée du sol et du sous-sol, ou simplement à la civilisation. Mais les indiens du Brésil ont appris à défendre leurs droits. Ils ont aquis ou reçu des terres réservées et théoriquement protégées nommées les "Terres Indigènes" (TI). Ils ont également reçu aide et assistance de certains organes gouvernementaux crées à cet effet, comme la FUNAI (Fundação Nacional do Indio) et la FUNASA (Fundação Nacional de Saude) ; divers textes législatifs protègent, certains ajouteront "en thèse", les indiens, chose qui, il faut tout de même le relever, n'existe dans aucun autre pays d'Amérique du Sud (3). Durant les cinquante dernières années la courbe démographique de la plupart des peuples indigènes est finalement redevenue positive : ils n'étaient plus que 80 à 90 milles individus en 1910, à l'époque de la création du SPI (Serviço de Proteção ao Indio), tout près de la disparition totale et définitive ; en 1950, ils étaient environ cent milles, perdus dans une multitude de 55 millions d'habitants. En 2010, la population indigène s'approche des quatre cent mille individus, chiffre qui n'inclus pas quatre cent mille autres individus qui, selon le recensement de 2010 (IBGE: Instituto Brasileiro de Geografia e Estatísticas) se déclarèrent "indiens", totalement acculturés et vivants à la mode des blancs ou "caboclos" des classes inférieures. Cidessous, quelques brèves informations relatives au document lui-même : Sources et références Pour rédiger le présent texte, les principales sources consultées sont tirées de l'internet et de ma propre bibliothèque. Les références, parfois accompagnées d'un court commentaire, se trouvent rassemblées à la fin du document (pages 319-337). Il y a près de 400 références, desquelles environ 50 sont tirées du site "PIB Socioambiental" et 30 du site "Wikipédia" (en diverses langues). Des 320 références restantes, environ 240 sont des thèses de doctorat ou de maitrise, des études et communications académiques, des études sur sites, ou des rapports ou relations d'historiens, scientifiques, ou personnages historiques, ainsi que les livres, monographies ou catalogues d'exposition consultés. Pour réaliser ce travail, j'ai lu environ dix-huit-mille pages de livres et documents divers. Certaines références que j'ai considérées comme particulièrement intéressantes sont signalées dans le texte par un chiffre en gras avec double parenthèse, par exemple : ((25)). Les ouvrages ainsi référenciés sont de haute qualité et représentent une riche source d'information sur le sujet en question. Une brève liste bibliographie se trouve également à la fin du présent document. Indiens Pour dénommer les indigènes, j'ai utilisé plusieurs substantifs, plus ou moins synonymes, tels que: natifs, amérindiens, indiens, autochtones, peuples, indigènes; ceci principalement pour ne 4 Padre Antonil, jésuite italien, (1649-1716). Le Padre Antonil était un contemporain du Padre Antonio Vieira; il est l'auteur d'un livre publié en 1711: “Cultura e opulência do Brasil”, livre considéré comme le meilleur qui fut écrit sur les conditions sociales et économiques du Brésil au début du XVIIIème siècle. Cet ouvrage décrit en détails les aspects sociaux, économiques et techniques de la production du sucre et du tabac, de l'organisation et de l'exploitation des mines d'or, de la formation des grands pâturages et de l'élevage du bétail dans l'Etat de Bahia, mentionnant entre autres la famille des Garcia d'Avila et leur Casa da Torre, la seule maison-forteresse du XVIIème siècle qui ait subsisté jusqu'à aujourd'hui dans toute l'Amérique du Sud ((4)). 6 pass être trop répétitif. Le terme "índio" fut d'abord introduit par l'Espagne, lorsque Christophe Colomb, qui croyait fermement avoir atteint les Indes, nomma ainsi les habitants de ce Nouveau Monde qu'il venait de découvrir sans le savoir ni le comprendre. Au début de la colonisation et jusqu'au XVIIIème siècle les portugais usèrent du terme de "gentios" ("gentils"), c’est-à-dire païens. Aujourd'hui les brésiliens désignent leurs natifs, ceux du passé comme ceux du présent, du terme de índio. De la même manière, pour désigner les colonisateurs, j'ai utilisé divers termes, comme colons, portugais, colonisateurs, blancs, européens, parfois pour ne pas me répéter, mais aussi pour être plus précis. Indiens de la tribu Bororo 5 . Dessin d'Hercules Florence (1827), peintre français qui accompagna la tragique expédition du comte Langsdorff entre 1825 et 1828. (iii) 5 Les informations historiques disponibles indiquent que dans la dernière décennie du XIXème siècle, la tribu Bororo comprenait environ dix-mille individus, chiffre plutôt élevé pour une tribu brésilienne. Pourtant, en peu d'années un grand nombre d'entre eux succombèrent en conséquence du contact avec les blancs (guerres, épidémies, famines). La situation des Bororo était si désastreuse que l'anthropologue brésilien Darcy Ribeiro ("Os Índios e a Civilização", Ed. Vozes, Petrópolis, 1970), analysant le recensement de 1932, affirma que ceux-ci se trouvaient dans les ultimes étapes menant à l'extinction totale de la tribu. Cependant, à partir de la fin des années 70 on a observé un lent mais régulier accroissement de la population Bororo, passant de 625 individus enregistrés par le Padre Uchoa en 1979 à environ 1'200 personnes aujourd'hui. Les Bororo sont tous localisés dans le Planalto Central de l'État du Mato Grosso, répartis en quelques aldeias (*). Ils pratiquent un splendide art plumaire et sont également connus pour leur rite funéraire très complexe qui peut parfois se prolonger sur deux, trois, voire 6 mois (voir page 151). Actuellement, la langue Bororo est toujours encore parlée par presque toute la population, malgré le fait que jusqu'à la fin des années 1970 diverses Missões Indigenas aient imposé un régime scolaire interdisant aux enfants de parler leur langue native. A partir de cette date, un processus de revalorisation de la langue native Bororo a été mis en place et les missionnaires salésiens ont fait leur autocritique sur ce point ; la langue Bororo a été sauvée de justesse, ce qui est plutôt une exception pour l'ensemble de la société indigène du Brésil, et l'enseignement scolaire est maintenant bilingue. Ainsi, dans toutes les aldeias Bororo, presque tout le monde parle la langue native, ainsi que le portugais ; au quotidien, la langue utilisée est le bororo, additionné de néologismes du portugais régional, qui lui n'est utilisé que lors de contacts inter-ethniques (5). (*) Aldeia signifie petit village, agroupement de cases ou de petites maisons ; mais ce peut aussi être une unique et très grande case communautaire. Une aldeia est souvent construite dans une clairière au milieu de la forêt qui circonscrira donc ce village. Une aldeia inclus non seulement l'habitation mais aussi les potagers et toutes surface destinée aux plantations, ainsi que les cases ou huttes aux fonctions diverses. Très souvent je préfèrerai utiliser ce terme brésilien d'aldeia. 7 Noms des tribus J'ai utilisé la majuscule initiale pour le nom des tribus indigènes 6 , alors que la norme, à ce qu'il semble, dit qu'il faut utiliser la minuscule ; n'ayant trouvé aucune explication ou justification de cette pratique j'ai choisi d'utiliser la majuscule. J'ai par contre suivi la norme qui dicte de ne pas placer de "s" final pour le pluriel des noms de tribus (avec l'exception de Tupiniquins, Tupiniquim au singulier). Images La majeure partie des images présentées ici ont généralement une relation directe avec le texte ; mais j'ai parfois inséré des images qui n'en ont pas, à l'instar des quatre portraits insérés dans cette introduction. Il y a près de 240 images incluses dans le corps de ce document, numérotées par des chiffres romains en minuscules (par exemple, xix, xxvii). Le crédit photographique se trouve également en fin de document (pages 337-345). Une mère et sa fille, de la tribu Yawanawá. La mère applique les peintures corporelles sur le visage de sa fille pour la préparer à la fête rituelle du mariri. Cet art pictural, appliqué sur le corps, et entre autres sur le visage, est particulièrement raffiné chez les Yawanawá 7. (iv) 6 Le terme indigène vient du latin indigěna, dérivé du grec endogenés qui signifie "né dans la demeure". 7 Les Yawanawá habitent sur leur propre TI (Territoire Indigène) dans l'Etat du Acre, à la frontière avec la Bolivie et le Pérou; il existe d'ailleurs une petite communauté Yawanawá de l'autre coté de la frontière, soit environ 140 membres en Bolivie et 350 au Pérou. Comme la plupart des tribus voisines, leur langue appartient au tronc linguistique Pano. Le nom de la tribu signifie "peuple du pécari". Au début des années 1980, ce sont les Yawanawá eux-mêmes (et non la FUNAI, comme cela s'est produit plusieurs fois) qui expulsèrent de leur TI les missionnaires de la secte des "Novas Tribos do Brasil" qui y étaient implantés depuis de nombreuses années. Ceux-ci avaient en effet créés à plusieurs reprises des conflits, considérant que certaines pratiques des indigènes étaient incompatibles avec la doctrine qu'ils voulaient implanter dans la communauté; ces "missionnaires" voulaient interdire par exemple la consommation du ayahuasca (que les Yawanawá nomment uni) , la pratique de danses rituelles, et la consomation de la caiçuma de manioc, une boisson légèrement alcoolisée, dont la fermentation est accélérée par la salive des femmes (dans pratiquement toutes les tribus indigènes du Brésil, la préparation des boissons, fermentées ou non, et une occupation strictement féminine). Pour quelques informations sur les Yawanawá, voir la réf. (6). 8 I L'Amérique du Sud précolombienne L'écriture est apparue à des dates bien différentes dans les diverses régions du monde, entre 3'000 et 1'000 ans av. J.-C principalement. Si l'on veut considérer que la préhistoire d'un peuple est la période qui précède l'apparition de sa propre écriture, alors nous pourrions convenir que la préhistoire des peuples amérindiens s'est prolongée pour bien plus longtemps que dans les autres parties du monde, sachant qu'aucun peuple de ce continent ne possédait un quelconque système d'écriture, avec la marquante exception du peuple Maya. On pourrait ainsi considérer que la préhistoire des Amériques s'est terminée avec l'arrivée des européens, car ce sont eux qui dorénavant vont écrire, à leur manière, l'histoire des vaincus. Ceci peut expliquer aussi les difficultés rencontrées par les chercheurs à décrire une "histoire" des peuples amérindiens des derniers millénaires précolombiens. 1 Les migrations vers le continent américain La majorité des archéologues et anthropologues défendent l'hypothèse d'une migration vers le continent américain de peuplades venues d'Asie par le détroit de Béring. Cette migration aurait eu lieu durant l'ultime grande glaciation qui a débuté il y a environ 80'000 ans pour se terminer vers l'an 10'000 av. J.-C. Durant ces 70'000 ans de glaciation, le niveau des océans s'est graduellement abaissé; cette période a connu deux pics de glaciation maximale, entre les années 48'000 et 38'000 av. J.-C. et le second pic entre 23'000 et 12'000 ans av. J.-C., les froids maximums ayant été atteints il y environ 19'000 ans. Extension de la Béringie: L'aire la plus sombre correspond aux nouvelles terres apparues entre la Sibérie et l'Alaska au cours de la dernière glaciation. L'aire plus claire indique les territoires actuels entourant le détroit de Béring. (i) 9 Durant ces deux périodes de 10'000 ans chacune, le niveau des océans s'est abaissé de 120 à 150 mètres selon diverses estimations. Cet abaissement a été provoqué par la rétention de gigantesques quantités d'eau sous forme de glace, formant deux immenses calottes polaires et une expansion considérable des glaciers continentaux. La diminution du niveau des océans a fait apparaitre d'énormes surfaces de terres nouvelles, entre les continents asiatique et américain. Cette nouvelle basse plaine a été nommée Béringie par les chercheurs; elle s'est couverte d'une riche végétation de graminées et arbustes, aliment idéal pour divers animaux de moyenne et grande taille, comme les mammouths, les cervidés, les bisons, les tigres-dents-de-sabre (smilodons) et des chevaux sauvages, entres autres espèces. Les hommes qui chassaient ces animaux les suivirent sur ces nouvelles terres émergées et s'aventurèrent progressivement jusqu'à atteindre l'autre "rive", le continent américain. Il n'y a pas de véritable consensus parmi les scientifiques pour dater les diverses ondes migratoires à travers la Béringie. Il se pourrait qu'une première onde migratoire ait eu lieu il y a environ 40'000 ans déjà, et que d'autres suivirent entre 23'000 et 1' 000 ans av. J.-C. À cette époque, l'humanité vivait encore au Paléolithique. Sur cette carte, la route de migration 1 est considérée comme la plus probable, et la route 2 comme une alternative possible. La carte ne montre pas une troisième hypothèse : une route qui serait partie d'Europe, passant par l'Angleterre, l'Ecosse, puis l'Islande, le Groenland, pour arriver au nord du Canada actuel. Pour les paléontologues et d'autres chercheurs, les diverses hypothèses ne s'excluent pas l'une l'autre. (ii) Des datations furent réalisées sur de nombreux sites sur tout le continent américain ; elles sont encore aujourd'hui sujettes à controverses et interprétations. Pour cette raison, je n'entrerai pas dans les détails au sujet de dates de peuplement des diverses parties de ce continent en général et du Brésil en particulier. Cependant, en m'appuyant sur divers ouvrages consultés, j'arrive à la conclusion que les tout premiers peuplements au Brésil seraient apparus entre le 14ème et le 10ème millénaire avant notre ère, les plus anciens étant localisés au Nord et les plus récents au sud du Brésil. Des études ont aussi démontré la possibilité d'une seconde route de migration qui serait venue d'Australie ou du Sud de l'Asie, impliquant une supposée traversée de l'océan pacifique (on peut en effet imaginer que cet océan devait, à cette époque, être couvert de nombreuses iles aujourd'hui disparues sous les flots). Cette hypothétique seconde route migratoire aurait été postérieure à celle qui aurait passé par la Béringie (1) 10 Enfin, on considère aussi comme possible une migration venue de la France ou de l'Espagne, passant par le nord de l'Europe, suivant les contours de la calotte polaire, passant ensuite par le Groenland pour arriver au nord du continent américain (Canada actuel) (2). 2 La préhistoire des peuples indigènes du Brésil De manière très simplifiée on peut diviser la préhistoire du Brésil en deux périodes: la période précéramique, appelée aussi période archaïque, et la période des diverses "cultures de la céramique". Mentionnons encore le cas particulier de diverses "cultures amazoniennes". 2.1 La période archaïque La période archaïque s'étend du 11ème millénaire jusqu'à l'an 2'500 avant notre ère. Les diverses populations paléo-indiennes dispersées sur ce qui est le Brésil actuel, étaient des chasseurscueilleurs qui ne connaissaient pas la céramique et pratiquaient une agriculture rudimentaire. Sur ce vaste territoire, les hommes s'adaptèrent de manières très différentes en fonction des caractéristiques géologiques et hydrographiques où ils se trouvaient. Sud du Brésil: Au sud du Brésil se développèrent deux Traditions, nommées Umbu et Humaitá. Ces peuples étaient des chasseurs-cueilleurs pratiquant peut-être une agriculture de subsistance appelée coivara (agriculture sur brûlis). Ils travaillaient les os et la pierre pour en obtenir des outils. Planalto Central: Sur le Planalto Central et une partie de la région Nordeste, caractérisé par des savanes semi-arides, se développèrent diverses Traditions de peintures rupestres, entre 7'000 et 4000 ans av. J.-C. Parmi elles on peut citer la Tradition Planalto, dont la caractéristique principale est une peinture monochrome représentant des animaux (zoomorphisme); ces peintures rupestres ont été exécutées dans plus de cent lieux différents, généralement des abris ou des cavernes, aujourd'hui préservés et protégés. De son côté, la Tradition Nordeste, aux caractéristique assez semblables, comprenant une peinture monochrome et zoomorphe, incluait pourtant déjà des représentations anthropomorphes (figures humaines). Signalons une troisième Tradition, la Tradition São Francisco, datée de la fin de la période archaïque (2'500 av. J.-C), qui s'est développée au long du fleuve São Francisco, caractérisée par des motifs et symboles géométriques monochromes et polychromes (3). Littoral méridional: Sur le littoral méridional du Brésil actuel s'est développé la surprenante et intrigante Tradition des sambaquis. Un sambaqui (terme d'origine Tupi qui signifie "montagne ou dépôt de coquillages") est un amoncellement de coquillages vidés et os (ou cartilages) de poissons. Commençons peut-être par le début: Aux alentours du 12ème millénaire av. J.-C., la longue période glaciaire s'arrête, et une inversion de température se produit. Commence alors une lente fonte des glaces, provoquant ainsi une tout aussi lente remontée du niveau des océans; petit à petit, les bords de mer redeviennent "praticables"; des peuplades s'en approchent. Il y a environ huit mille ans, le littoral brésilien, depuis l'État de Espirito Santo jusqu'à l'État de Rio Grande do Sul qui fait frontière avec l'Uruguay, se peuple de gens qui jusque-là se nourrissaient principalement du produit de leur chasse (surtout des petits animaux: singes, tortues, tapirs, opossums, etc.) et qui vont commencer à s'alimenter de poissons, crustacés et fruits de mer, principalement des mollusques (huitres, moules, coques, etc.). Comme cette source d'alimentation ne tarissait jamais, ces peuples sont 11 restés sur place durant plusieurs milliers d'années, agroupés près de plages, de marigots ou de mangroves. Les mollusques étaient ouverts au feu et les coquillages abandonnés sur place, s'accumulant au cours du temps. La consommation de mollusques fut si grande que l'amoncellement des coquillages fini par se transformer en petites collines. La hauteur moyenne de ces sambaquis allait de 5 à 10 mètres environ, mais certains sambaquis atteignaient plus de 25 mètres de hauteur, soit l'équivalent d'un immeuble de 9 étages! Ces collines de coquillages avaient généralement une forme allongée, avec une longueur variant de cinquante à deux cents mètre et une largeur allant de vingt à soixante mètres. Le volume moyen des sambaquis se situait aux alentours de cinq-mille m³, mais certains d'entre eux atteignaient plusieurs centaines de milliers de m³! La formation des sambaquis aurait donc débuté il y a sept à huit mille ans environ, et se serait poursuivie jusqu'à l'arrivée des Tupi-Guarani au tout début de l'ère chrétienne. On ne sait pas grand-chose sur la durée moyenne "d'exploitation" d'un sambaqui depuis le début de sa formation jusqu'à son abandon. Cependant, des excavations conduites par des archéologues suggèrent que les grands sambaquis comme le Jabuticabeira-II, situé près de la ville de Jaguaruna (État de Santa Catarina) étaient actifs durant mille ans au moins. Le Jabuticabeira-II est l'un des plus récents, la formation du site ayant débuté il y a 2'900 ans; il fut abandonné en l'an cent-cinquante de notre ère, au IIème siècle. Sambaqui sur la plage d'Ypuã (Laguna, Etat de Santa Catarina) (iii). Durant longtemps les chercheurs ont imaginés que les habitants de ces collines de coquillages (nommés "sambaquieiros" dans les travaux, principalement en langue portugaise, consacrés à l'étude des sambaquis) vivaient dans des cabanes situées au sommet de ces collines, sur leurs propres détritus, hypothèse défendue par de nombreux archéologues. Coquillages, os de poissons, éclats divers, outils, squelettes humains, trous formés par des piquets: tous ces éléments mélangés seraient des indices démontrant qu'ils ne séparaient pas en des lieux différents des actions telles que manger, déposer les détritus, ensevelir les morts. Récemment pourtant, ces chercheurs firent de nouvelles recherches, changèrent d'idée et proposèrent d'autres scénarios. Selon l'un de ceux-ci, les sambaquieiros pourraient bien avoir habité en un endroit spécifique de la colline et déposé les restes de leur alimentation (os et coquillages) en un autre. D'autres études plus récentes tendent à démontrer que les sambaquis 8 ne sont pas seulement une accumulation de déchets alimentaires, mais qu'ils représentaient surtout un marquage intentionnel, chargé d'une signification symbolique par le fait de leur importante visibilité dans 8 Aujourd'hui, le terme sambaqui n'est plus que rarement utilisé; les brésiliens, dans le langage courant, parlent de "casqueiros" (amas de coquillages). 12 le paysage environnant. Ces nouvelles études montrent que les sambaquis servaient aussi à divers rituels, en particulier aux rites de sépulture. Les excavations conduites par l'archéologue brésilienne Maria Dulce Gaspar sur le grand sambaqui Jabuticabeira-II cité plus haut suggèrent qu'il était en fait utilisé uniquement comme lieu de sépulture. M. D. Gaspar et ses collaborateurs ont calculé que ce sambaqui contenait près de 43'800 corps, soit 1575 "enterrements" par génération de 25 ans durant 700 ans, période estimée durant laquelle ce rituel d'ensevelissement aurait été pratiqué sur ce sambaqui. Avec une hauteur variant de 5 à 9 mètres, une longueur de 350 mètre et une largeur de 150 mètres, le Jabuticabeira-II a donc un volume calculé de 320 mille m³. Les excavations réalisées sur le site ont montré une densité d'ensevelissement d'un corps pour chaque 1,4 m³, d'où a été estimé le chiffre de 43'800 sépultures ((4)) Aujourd'hui il n'existe plus guère de sambaquis intacts au Brésil, ceci pour plusieurs motifs: les sambaquis les plus anciens, ceux qui ont été constitués il y a plus de six mille ans ont été submergés par la mer au cours de la remontée du niveau des océans. D'autre part, lorsque les colonisateurs portugais et espagnols occupèrent les régions méridionales du Brésil, ils se servirent de ces montagnes de coquillages (et de squelettes !) pour les transformer en calcaire (et donc en chaux) avec lequel la presque totalité des maisons de colons furent chaulées. Cet abondant matériel fut aussi utilisé tel quel pour paver les rues des villages et petites villes qui furent crées à cette époque coloniale dans la région. Encore aujourd'hui existent des petites "fabriques" de calcaire installées aux pieds de certains grands sambaquis. Les rares sambaquis encore plus ou moins intacts se trouvent sur le littoral des États de Rio Grande do Sul, Paraná, Santa Catarina et São Paulo (5), ((6)), ((7)). Deux vues d'un même sambaqui, le Figueirinha-I, près de la ville de Jaguaruna (Etat de Santa Catarina). L'image de gauche montre le sambaqui dans sa longueur, face à la mer. L'image de droite le montre dans sa largeur. La hauteur maximale est de 18 mètres; on peut en déduire une largeur d'environ 50-60 mètres et une longueur d'environ 70-80 mètres, ce qui résulterait en un volume d'environ 25 à 30'000 m³. (iv) 2.2 Les Cultures de la céramique La céramique est apparue au Brésil aux alentours de 2'500 av. J.-C., pratiquement simultanément sur tout le territoire brésilien. L'homme des premiers temps de la céramique devint nonseulement un chasseur-cueilleur, mais aussi un agriculteur. Cependant, le manioc et le maïs n'apparaitront que plus tard, apportés par les puissantes ondes migratoires des Tupi-Guarani. À nouveau, des cultures et Traditions différenciées apparurent sur ce vaste territoire. Planaltos du Sud : Sur les hautes-plaines du sud du Brésil et de l'Uruguay s'est développée la Tradition TaquaraItararé. Les potières de cette Tradition fabriquaient des petits vases aux formes simples, de vingt à trente centimètres de diamètre, certains peu profonds et au col ouvert, d'autres profonds 13 d'environ quarante centimètres, aux parois verticales. Le fond des vases était toujours légèrement arrondi et le haut des parois comportait des trous pour la suspension ou de petites anses. Ces vases étaient généralement de couleur sombre, et rarement décorés dans le nord (depuis Santa Catarina jusqu'à Itararé, État de São Paulo). Cependant, les céramiques des régions méridionales de cette Tradition, comme celles trouvées dans l'État du Rio Grande do Sul ou dans les Missions d'Argentine, présentaient souvent une surface délicatement décorée avec des "ponctuations", des incises ou des "pincés" (8). Vase de céramique de la Tradition Taquara-Itararé (Museu Paranaense, Curitiba, Etat du Paraná) (v). Ces peuples de Tradition Taquara-Itararé étaient les ancêtres des actuelles tribus Kaingang et Xokleng, connues comme les peuples des maisons souterraines. Ces peuples, pour se protéger des hivers rigoureux qui sévissaient sur les plateaux élevés du sud du Brésil, construisaient leurs maisons "enterrées", c'est-à-dire qu'ils creusaient de grandes fosses, parfois rectangulaires, le plus souvent circulaires, qui leurs servaient d'habitation, et qui les protégeaient des bourrasques de neige et des vents violents et froids qui balayaient ces plateaux. Le toit de ces "maisons" suivait la forme de la fosse et s'appuyait sur des étais de bois: un poteau central appuyé sur le fond de la fosse soutenait le faîte et de longues perches appuyées d'une part au poteau central et d'autre part aux bords supérieurs de la fosse formaient l'ossature de cette toiture. Ce toit se terminait légèrement au-dessus de la surface naturelle du sol, garantissant ventilation, luminosité et passage pour les habitants. Maison souterraine (vi) 14 Les dimensions de ces maisons circulaires enterrées étaient très variables, le diamètre allant de 2 à 13 mètres, avec une profondeur variant de 2,5 jusqu'à 6 mètres. La terre retirée était disposée en anneau à quelque distance du bord de la fosse, dans le but de dévier l'eau des pluies et protéger ainsi la maison d'une inondation. De nombreux sites archéologiques ne comportent qu'une seule maison souterraine, isolée; mais de nombreux autres sites contenaient des ensembles de maisons, formant de véritables petits villages formés de cinq, dix, voire jusqu'à vingt maisons (9). L'habitation en maisons souterraine perdura pour plusieurs siècles, peut-être même pour un millénaire entier. Certaines de ces maisons existaient encore et étaient même occupées lors de l'arrivée des colonisateurs portugais et espagnols, qui les nommaient "casas de bugres", maisons de bougres 9. Brésil central et côte du Sud-Est: La céramique est aussi apparue dans le centre du Brésil et sur la côte centrale, il y a environ quatre à cinq mille ans. Un exemple de cette époque est la Tradition Una, dont la poterie n'était pas décorée; cependant, les peuplades de cette tradition ont laissé de très belles peintures rupestres. Les analyses de ces peintures laissent à penser que ces peuples possédaient déjà une agriculture relativement organisée. 2.3 Cultures et peuplement de l'Amazonie Le vaste bassin amazonien fut le lieu de cultures indigènes parmi les plus avancées d'Amérique du Sud avant la conquête portugaise, et peut être considéré comme le berceau de la céramique du Brésil. De plus, c'est grâce aux peuples de l'Amazonie que s'est propagées une agriculture efficace et organisée. L'immense territoire amazonien se compose de deux topographies distinctes : d'une part les terres hautes, couvertes de forêts, aux sols généralement pauvres en éléments nutritifs, d'autre part les terres basses bordant les fleuves, régulièrement inondées et fertiles. La densité de population était plus élevée en Amazonie que dans les autres régions du Brésil, ce qui parait aujourd'hui paradoxal. C'est sur ces basses terres amazoniennes, ainsi que sur le littoral, près de l'embouchure du grand fleuve, que s'est développé un grand groupe céramiste, formé de deux Traditions appelées Polychrome et Incisé-Ponctué. L'expression culturelle la plus importante des indigènes du Brésil est représentée par, d'une part, la céramique produite sur l'ile fluviale de Marajó, où l'Amazone se déverse dans l'Atlantique, et d'autre part par les objets de céramiques produits dans les alentours de l'actuelle ville de Santarém, à l'embouchure du fleuve Tapajós dans le fleuve Amazone. Les artefacts crées par ces sociétés indigènes témoignent d'une évidente avancée culturelle. Sur la vaste ile de Marajó, de 48'000 km² (superficie de la Suisse : 41'000 km²), se sont succédées diverses cultures et Traditions ; la première a débuté vers 1'600 av. J.-C., et la plus récente s'est développée entre les ans 410 et 1320 de notre ère. Cette ultime Tradition, nommée Marajoara, représente certainement l'apogée du développement culturel de la région, faite de céramiques polychromes splendides, décorées de motifs géométriques, zoomorphes, et anthropomorphes ((10)). La production des céramiques Marajoara était entièrement organisée par les femmes des tribus; elles étaient responsables de tout le processus, de la sélection des argiles au modelage, de 9 Le terme "bugre", aussi bien en portugais qu'en espagnol, est très péjoratif. Le Grand Dictionnaire Aurelio dit : terme utilisé pour désigner l'indien dangereux, sournois, rétif à la soumission, mais aussi inculte, dans le sens de barbare, sans lois, trompeur. Le substantif provient, au travers du français "bougre", du latin médiéval bulgarus (bulgare), c’est-à-dire hérétique, non-chrétien. Au XIXème et au début du XXème siècle on nommait bugreiros les colons qui s'adonnaient à la chasse aux indiens Kaingang et Xokleng du sud du Brésil.
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