Premieres pages de MARIE DE MONTPELLIER de Sylvie Leonard - Page 9 - Premieres pages de MARIE DE MONTPELLIER de Sylvie Léonard Sylvie Léonard Marie de Montpelhièr la terre, la chair, le sang © Éditions Chèvre-feuille étoilée Montpellier contact@chevre-feuille.fr http://www.chevre-feuille.fr/ mars 2017 isbn : 978-2-36795-114-0 « Et moi, privée de mes amis et de mes conseillers, je restais dans la plus grande angoisse, ignorant ce que je devais faire. Je n’avais avec moi que Cécile, ma dame de compagnie, et mon secrétaire. Et j’ai dit : j’approuve par force. Et de plus, je l’ai juré, mais, contrainte et violentée. » Marie de Montpellier, Lettre aux Hommes de Montpellier, 1206 Première partie LA TERRE 11 i Le port de Lattes Automne 1180 La galère impériale s’engagea majestueusement dans la rade de Lattes, dominant de toute sa hauteur la nuée scintillante des barques et la masse sombre des navires marchands. Le soleil se levait sur le port, baignant dans une même lumière dorée le château, les églises et les petites maisons des pêcheurs. Sur un signal du timonier, les lourdes rames qui raclaient l’écume s’immobilisèrent, et les galériens s’écroulèrent sur leurs chevilles, endolories par les fers. Esclaves africains, prisonniers sarrasins, ou condamnés chrétiens, ils avaient tous le même teint, cuivré par le soleil, noirci par les embruns. 12 L’arrivée inattendue de cette galère byzantine avait figé sur place les habitués du port, car jamais on n’avait vu à Lattes un si glorieux appareillage. Marins, marchands, pêcheurs et débardeurs s’étaient immobilisés dans un geste en suspens, regardant sans comprendre les gabiers descendre la grand voile et lesmatelotsabaisser lapasserelle. Luigi mit pied à terre avec les premiers portefaix. Sa mission était simple : préparer l’arrivée de la princesse Eudoxie au château de Lattes pour une courte escale. Demain, ils repartiraient de bon matin pour Barcelone. En posant le pied au sol, Luigi éprouva un léger vertige, comme si le quai se mettait lui aussi à tanguer. Depuis qu’il avait embarqué à Gênes, il y avait de cela deux semaines, le navire avait été ballotté d’un bord à l’autre par les bourrasques de l’automne, et ils n’avaient fait escale qu’une seule fois, à Marseille. Cela faisait maintenant plus de six mois que la galère impériale avait quitté Constantinople, les flancs gonflés de son précieux chargement. Des étoffes brodées d’or, des épices rares, des aiguières d’argent rehaussées de pierreries, et une jeune princesse, la princesse Eudoxie, sur laquelle deux grands dignitaires et un évêque veillaient attentivement. C’était la fille de Manuel Comnène, le puissant empereur de l’Empire romain d’Orient. Le voyage avait été difficile. Ils avaient dû longer les côtes du Péloponnèse, et traverser l’Adriatique avant de rejoindre la Sicile, Palerme, puis Naples, puis Gènes… 13 Tourmenté par les tempêtes, menacé par les pirates, le bateau avait essuyé plusieurs avaries et avait dû s’abriter dans des ports mal protégés quand la mer n’était pas libre. L’expédition, heureusement, touchait à sa fin. Ils allaient bientôt pouvoir présenter la princesse au roi d’Aragon, à qui elle était fiancée. Soudain, fendant la foule, un cavalier espagnol s’avança vers Luigi, sauta de son cheval et demanda à voir de toute urgence le commandant du bord. Luigi le conduisit auprès du comte de Trébizonde, dans le gaillard d’avant. Le messager s’agenouilla au plus bas qu’il put et s’exprima d’une voix blanche. – Monseigneur, je suis porteur de bien mauvaises nouvelles. – Parle, mais parle donc ! – Pardon, Monseigneur. Le seigneur Alfonso, mon maître, le roi d’Aragon, m’a mandé pour vous dire qu’il n’était plus temps de lui envoyer la princesse de Constantinople pour ses épousailles, car il est déjà marié. – Marié ? Comment cela ? La princesse Eudoxie ne lui était-elle pas promise ? – Pardon, Monseigneur, mais mon maître, le roi Alfonso, a épousé en justes noces la princesse Sancha, la fille du roi de Castille, et il me charge de vous dire, sauf votre respect, Monseigneur, qu’il ne saurait que faire de la fille de l’empereur. Le messager se releva d’un bond et recula d’un pas, comme s’il craignait d’être battu. Ses craintes n’étaient d’ailleurs pas infondées car la première idée qui traversa l’esprit du comte fut de trancher la tête du malheureux messager. Mais il se retint par charité chrétienne. Trébizonde abattit ses deux poings sur la table en soufflant comme un buffle. Le choc était rude. Arc-bouté sur sa colère, il essayait de mettre un peu d’ordre dans ses pensées. Puis il se redressa, respira une grande bolée d’air et se fouilla la barbe. – Nous ne pouvons pas repartir demain, dit-il. Viens avec moi, Luigi. Nous allons demander l’hospitalité au seigneur de Montpellier. Toi qui parles bien la langue d’oc, tu me serviras d’interprète. Le comte deTrébizonde envoya le messager se restaurer avec les contre-maîtres et fit préparer deux coursiers. 15 ii La cité Luigi et Trébizonde remontèrent la rive gauche du Lez jusqu’aux premiers moulins puis obliquèrent vers la butte où se dressait la haute silhouette de la cité. Le dôme de la basilique éclatait de lumière aux rayons du matin. À leur passage, des groupes de flamants roses s’enfuyaient brusquement, zébrant le ciel de taches rouges et noires. Ils apercevaient, dans la plaine, les grandes barges lourdement chargées qui descendaient lentement vers le port, au milieu des roseaux, suivies par les goélands. C’était le temps des vendanges et les manouvriers s’activaient comme des abeilles autour des vignes, venant tout à tour verser le contenu de leur hotte dans de grands tonneaux de bois tirés par des attelages de bœufs. Certains avaient déjà fait grimper les enfants, pieds nus, dans les pressoirs, qui riaient et piaillaient en piétinant les grappes pour en extraire les rafles.
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