EE 55 Legerete - Page 76 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté ©Elene Usdin, Garance d’après Raphaël, 2010 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 74 La répudiation Marie Malaspina S’arrimer à l’écriture pour ne pas sombrer, écrire pour rester là, à exister, suivre la légèreté des lettres, les pleins les déliés qui volent sur la page, emportant la pensée. Rebus, bois tordus, tôles, veilles boîtes de conserve rouillées. Décharge, Orage d’un tonnerre déversant sur mon esprit défait le récit de l’amant. Il frappe avec la foudre des images, reconstruit notre histoire comme un charnier où rien ne vaut des voies ensanglantées de l’amour. Son cri, ni l’oreille, ni l’œil ne le perçoivent, il m’enterre vivante dans notre vie perdue. Du passé antérieur reviennent les pays de nos désespoirs qui arrêtent le rire de nos ventres. La plage blonde se rétracte, se calcine, implose dans le silence des bêtes immobiles. Un galet poli, brillant… je le porte à mes lèvres, je tète le sel accumulé dans son cœur par les pluies acides du déluge. Il me brûle la langue. 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 75 Bien au-delà de l’aube, le sable gicle, sous les bombes chimiques parcourant mon cerveau. Vagues d’agressions déferlantes, je tangue légèrement sous l’amoncellement des mots tueurs. Il dit qu’il ne m’aime plus. Je veux disparaître sur le champ mais je sens que je ne meurs pas. La barque souterraine traverse l’effroi, les pages se voilent. Nulle rive dans l’obscur tenace du noir. Le monde se clôt sur lui-même m’y enferme, statufiée dans la raideur du corps, je ne respire plus. Voilà la pesanteur… comme un scaphandre de plombs sans hublot. Imperceptible filet d’air, voilà la légèreté qui veut gagner le large. Retour au chaos premier, rien ne sépare les eaux des terres. Le sang ne coule pas dans les veines, seules des taches opaques tracent au sol une géographie funeste. Répudiée, suspendue en l’air, perdue à moi-même, dans cet instant, je ne suis plus qui je suis. Le ciel a disparu. Restent des brumes mordorées à l’endroit du dernier crépuscule. Alors surgit, hoquetant, l’enfant abandonnée par sa mère. Je suis un sanglot qui va au fond des âmes. L’homme comprend enfin, les effets de son désamour, demain il ne se souviendra de rien, d’un embrassement il me console de ses coups. Mon corps empierré frissonne d’une pulsation d’espoir. Un autre amour en apesanteur, attend de prendre place dans la chambre secrète. Par les failles subtiles, Par l’échancrure des yeux dans les arbres, étoiles d’encre (76) variations 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 76 Par le vol des rapaces au dessus des cimes, il roule sur nos indifférences, fait un feu de joie de nos haines. La flamme monte, sursaut toujours plus haut emporte les blessures et les mots de la discorde. Il arrête un moment le roulis qui fait de l’enfant, le culbuto de l’histoire, comme d’une main, il immobiliserait un berceau. La tête la première, mon cœur lourd qui fait contre poids, la verticalité me revient, déchire les traces noires de la plage brûlée, sort de l’aridité stérile de la guerre qui m’emportait sans fin dans le vide. Devenue opale l’obsidienne noire qui enserrait mon corps, depuis l’orage, s’effrite dans l’azur. glisse le long des cyprès, les habille de reflets translucides. La silice des tombeaux longuement gardera souvenir des chairs dilacérées. Le sang ne sèche pas si vite que ça… aux bords des gravats, en surplomb du vide, un chemin inconnu ouvre la légèreté au souffle. Aujourd’hui dans la paix retrouvée, les bruits de la ville et ceux des jeux d’enfants montent de la plaine, caressent ma fenêtre. Les oiseaux tiennent conciliabule d’arbre en arbre. Les branches d’acacias ployées par de lourdes fleurs blanches se distinguent dans la touffeur verte. J’entends la mélodie des merles faire trace dans le ciel. Les sorbiers sont en fleurs il faudra attendre pour le délice des fruits (77) légèreté 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 77 dont ils raffolent. Au jardin, ils percent les coquilles d’escargots, fouillent la terre, sautillent et se disputent, personne ne demeure exclusivement dans la légèreté de l’être. Un vieux conte français raconte comment à la recherche d’un trésor un merle blanc pénétra dans une première grotte magique puis une deuxième et trouva un tas de poudre d’or dans lequel il plongea son bec. Chassé par le démon gardien du trésor, il réussit à s’envoler sans dommage. En sortant des grottes il était devenu noir et son bec avait gardé un lumineux jaune d’or. J’irai danser sur les plages blondes. z étoiles d’encre (78) variations 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 78 I : ṙih Pourrait-il y avoir un vent, pas forcément un mistral, juste une brise qui sorte de nos gorges? Après la guerre après avoir donné aux vers les bribes de nos c(h)œurs après avoir plâtré de larmes nos visages tronqués de fleurs truqués de leurres Pourrait-il encore y avoir ce vent, pas forcément un cyclone, juste ce zéphyr qui chatouille le silence qui vautre l'abstinence? Juste ce zéphyr Troqué Brodé qui colore nos corps? III sans étrangler le sein de l'amour pourrions-nous sans grésiller dans le grincement des mots pourrions-nous sans s'acharner pour la création des traces pourrions-nous élever l'inébranlable liberté Mon corps, ton oriflamme Sagia Iaznam 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 79 © Danièle Mafray, Harmonie bleu 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 80 Confidences à 16 ans – Tu sais, je suis amoureuse… Je l’aime! – Moi aussi, j’ai rencontré, Je l’aime… – Pourquoi tu l’aimes toi? – Il est beau, – Elle est belle – Il est fort et fragile, – Elle est fragile et forte – Il m’enroule et fleure bon la terre offerte et le sous-bois, – Je nage libre et légère en ses essences marines – J’aime ses rugosités, la souplesse de ses muscles, – J’aime la finesse de sa peau la douceur de ses rondeurs – J’aime son intelligence, – J’aime la tendresse de son intelligence – J’aime sa vitalité, le monde entre ses deux bras – J’aime sa joie à nous regarder être dans le Jardin de la Terre – Il est si grand et si petit! – Elle est si petite et si grande! – Nous nous complétons et fusionnons si bien – Nos semblances, nos dissemblances nous sont émerveillances Dis-moi, comment s'appelle-t-il? – Je l'appelle IL et toi comment l’appelles-tu…? – Je l'appelle ELLE comme moi. Rose-Marie Naime 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 81 Veine Chaque vers avancé Est toujours le dernier Mais c’est l’avant-dernier Car il traîne avec lui L’avant-avant-dernier Et voilà que s’enchaîne La vacuité perdue L’éveil alimenté. Alimenté de mots Se construit ligne à ligne Un curieux phénomène Qui saoule éperdument Qui talonne la langue Et allume des signes Au sommet de la tête Et au fond du dedans. J’amoureuse la prose Qui berce les paupières Dans un tourment sacré De rêve éblouissant Je vénère respecte Révérence lointaine Référence glacée J’attends, j’attends ma veine. Nic Sirkis 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 82 De l’autre rive Sylvette Dupuy Un diamant noir. Voilà ce qu’ils écrivent d’elle dans leurs journaux et cela lui plaît de penser au tranchant de la pierre. C’est comme la haine. Elle défile sur le podium en rêvant aux glaciers d’un ancien reportage. Les blocs se détachaient du Perito Moreno dans de grands craquements et tombaient comme des étoiles dans la mer bleu turquoise, tandis qu’elle frissonnait sous la mousseline rouge qui lui couvrait le corps. Écoute la terre pleurer, Princesse Katoll, souris, oui, comme ça. Ses escarpins dorés lui font comme des vagues de souffrance, mais depuis l’Afrique, elle sait marcher dans la douleur et le sable brûlant, avec la gorge qui pique, les mouches qui s’entêtent autour de son voile. Loin derrière les dunes, le petit frère est mort, avec des yeux grands comme des lunes, sa petite main sèche de lézard, tendue vers l’horizon de fumées et de chars. Plus tard, c’est la forêt et elle se souvient du goût des mangues coupées en tranches fines. Là, il faut apprendre à se cacher des enfants-soldats qui sont encore plus terribles que les hommes, lui avait dit sa grand-mère. Mais comment savoir si c’est bien eux qu’elle a rencontrés finalement avec leur mauvaise sueur et leurs mauvais rires? Elle voudrait s’arracher l’Afrique du cœur. 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 83
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