EE 55 Legerete - Page 7 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté rituel, il était maître des Maisons de Vie où se réglait le gouvernement du monde. Le croissant de lune éclaire le monde quand le soleil entre dans la nuit, comme la parole dit le soleil quand le soleil n’est pas là et fait exister le soleil. Lune parce que messager et remplaçant. Belle métaphore: Thot était représenté par un oiseau ibis parce que le bec de l’ibis est courbé comme le croissant de lune. Les anciens Égyptiens se sont fiés à la beauté des mots et des images pour s’assurer l’éternel rajeunissement. Un croissant de lune a de multiples rôles. Non seulement il représente le soleil en l’absence du soleil, mais encore, son bec d’oiseau ibis devient barque pour porter le soleil et le conduire à travers la nuit. Voici donc le voyage du soleil vieillissant porté par le bec du dieu Thot qui l’accompagne tout au long du voyage, et le guide par les paroles divines qu’il prononce. Plus tard, quand le monde deviendra chrétien le Verbe guidera les vies des hommes, de jour et de nuit, comme autrefois, la barque du dieu Thot. La barque solaire, image du dieu Thot: le ba du soleil défunt l’emprunte pour traverser la nuit. Une cour de passagers divins l’accompagne. Ils affronteront, au fil des heures de la nuit, de grands dangers, car le méchant frère Seth a pris la forme du serpent. Il dessèche l’eau d’un fleuve Nil souterrain pour que la barque s’enlise. Les déesses s’activent pour aider l’oiseau caqueteur: Thot. Des génies désensablent le lit du fleuve, halent la barque, quand par un coup de théâtre, ce même Seth prête ses forces pour tirer le convoi. Comme si toute la pesanteur du Mal disparaissait avec le poids des ans. À ce moment décisif, le soleil monte à l’horizon, jeune enfant, l’index dans la bouche. Le désir de légèreté serait-il le désir d’âme? La Pyramide est un tombeau d’où l’on sort vivant. Comment, si l’on ne vole pas à l’oiseau sa légèreté? Comment, quand la vie passe ailleurs, on ne sait où, on se demande comment et dans quoi, (5) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 5 quand ne restent que les images d’un monde miroir sans autre garantie de réalité que le pouvoir des mots? L’Égyptien des temps anciens s’exprimait en hiéroglyphes pour penser et dire l’âme, et faisait la part grande à la légèreté de l’oiseau. Le mot âme en français est opaque, ne vole pas assez haut, ne vole tout simplement pas. Tandis que ce mot qui dit l’âme, les anciens égyptiens l’ont doté de magie, de sagesse, et peuplé d’oiseaux. Des hiéroglyphes écrits en images empruntent à ceux-ci le pouvoir de voler. L’ibis à aigrette, ou la huppe dit la force de transfiguration lumineuse qui apparente le défunt aux astres. L’âme se nomme alors le akh, la brillance. Une autre âme, l’oiseau ba sert de lien entre ciel et terre; elle est ce pouvoir de voyager vers la nouvelle naissance, son signe hiéroglyphique est une tête d’homme portant barbe postiche de pharaon couronné sur corps d’oiseau. Léger est l’oiseau ba pour donner pouvoir aux mots de voler vers la lumière, ou tout simplement vers le jardin que le défunt arrosait de son vivant. Les mots qui accordent à l’âme le pouvoir de voler expriment sa nature divine: les textes des Pyramides se remplissent d’oiseaux pour dire ce pouvoir d’éternité que possède l’âme de Pharaon. Car le soleil défunt renaît enfant et tête le sein de sa mère. étoiles d’encre (6) Il va au ciel comme les faucons et ses plumes sont celles des oies 1, Il s’élance au ciel comme la grue, il baise le ciel comme le faucon, il saute au ciel comme la sauterelle, c’est ainsi qu’il s’envole loin de vous, ô hommes; il n’est plus sur terre, il est au ciel 2 . Auprès de ses frères, les dieux, où la déesse du ciel lui tend le sein 3. 1. Texte des Pyramides, formule 573, §1484 2. ibid. 3. formule 302, § 459. 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 6 Pharaon est un mythe. Semblable aux astres qui s’allument au firmament, il partage la vie de la lumière. Il venait de quitter la terre où il régnait du règne du bon roi, celui d’un autre ancêtre: l’Osiris tué par le méchant frère Seth. Deux fois tué. Une première fois lors d’un banquet: Seth avait commandé un sarcophage aux dimensions d’Osiris et l’offrait à quiconque se trouverait à sa mesure. Sitôt qu’Osiris s’y étala Seth et ses compagnons en rabattirent le couvercle, le scellèrent et le jetèrent dans le Nil. Le courant du fleuve emporta le sarcophage jusqu’à Byblos où la reine des lieux en fit une belle colonne pour son palais. Isis, sœurépouse d’Osiris se transforma en milan pour rôder autour de la colonne. Légère, comme le sont les créatures du mythe, elle traversait toutes les frontières, jusqu’à celles qui séparent la mort de la vie. Car elle parvint à obtenir le sarcophage, puis à le cacher dans les marais du delta et de ce corps mort de l’époux, donner naissance à l’enfant Horus. Mais voilà que le méchant frère Seth s’empare du corps mort d’Osiris, le coupe en morceaux qu’il éparpille tout au long du fleuve Nil… Et tente de tuer l’enfant. Encore une fois, Isis rend vie à Osiris. Elle rassemble les morceaux épars de son époux pour les enterrer. Dans chaque lieu où s’en trouvait un, elle publiait qu’elle y ensevelissait le corps entier d’Osiris. Jusqu’à ce jour, de nombreuses villes d’Égypte portent le nom d’Abousir, Ab wsir, tombeau d’Osiris. Isis trouva tous les morceaux de ce corps, excepté le membre viril, qu’elle moula avec le limon du Nil, symbole de fécondité. Et toute la vallée du fleuve s’identifia à Osiris. C’est là un mythe fondateur qui accompagnera les hommes de la Terre Noire de longs millénaires. Pharaon, successeur d’Osiris quand il vieillissait, de l’enfant Horus quand il naissait assurait la continuité de la vie dans le cercle des morts et des renaissances. Son âme, l’oiseau ba partira sans cesse sur la barque solaire pour traverser les heures de la nuit. Partira pour ce voyage semé d’em(7) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 7 bûches. Le voyage de la barque solaire jusqu’au bout de la nuit répète la passion d’Osiris. Chaque heure de nuit est une descente vers les ténèbres, dans un paysage où le fleuve Nil se dessèche et la barque s’enlise L’épreuve la plus effrayante se déroule dans le domaine du dieu Sokar, ce lieu qui prête son nom à la pyramide de Sakkarah. Alors se manifeste la force de vaincre la pesanteur. L’âme lumineuse, le akh, rejoindra le soleil qui renaît, enfant. Ce monde d’oiseaux qui peuple les hiéroglyphes possède le pouvoir de l’imaginaire. Faits de légèreté, prononcés par le dieu caqueteur Thot, ils porteront Pharaon sur la barque solaire, de l’obscurité au monde de la lumière, de la descente aux enfers à sa remontée vers les étoiles. L’enfant-roi devient faucon pour monter à l’horizon comme le jeune soleil; les deux plumes du rapace plantées sur sa couronne en sont la garantie. Pharaon répétant le destin de son ancêtre mythique, Osiris, représente l’univers et le contenu de l’univers. Tout ce qui renaît de la mort sera nommé Osiris. Le soleil lui-même sera un Osiris parce que tous les jours il trouve la force de surgir à une vie nouvelle, parce que l’Osiris devenu un être de lumière est monté vers le monde des étoiles, léger comme ces oiseaux que l’homme a tant envié de savoir voler. L’âme appartient au ciel, le corps à la terre dit encore le texte des Pyramides. Dans les temps anciens, quand Pharaon était puissant, il était seul à faire ce voyage qui mène à une vie nouvelle. Il représentait l’âme du monde. Il entraînait dans son voyage l’univers. Il était l’Osiris qui renaissait. Il était le soleil nourricier de l’humanité et de la nature. Il était l’Osiris, le bon roi du mythe. Mais Pharaon épuisa vite sa toute-puissance, les nobles qui nourrissaient les morts parce que plus riches que Pharaon lui-même, désiraient accompagner celui-ci dans son voyage vers les ténèbres et voler vers le soleil, devenir lumière. Le privilège de ce rituel devint alors accessible aux nobles, puis lentement, par un phénomène de étoiles d’encre (8) 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 8 démocratisation, le privilège de chacun. Et la morale se fraya un chemin dans le rituel. Au cœur du voyage, il est désormais une embûche fatale, la pesée des âmes de chacun. Le dieu qui siège à la pesée n’est autre qu’Osiris. Son trône est soutenu par le hiéroglyphe de la Ma’at. Devant lui est la balance. Sur un plateau est placé le cœur du défunt. Sur l’autre, la plume de Ma’at. Si le cœur est plus lourd que la plume, le défunt est condamné. La dévoreuse est dans l’attente du verdict pour dévorer le défunt. Le défunt récite sa confession négative. Je n’ai pas commis l’iniquité entre les hommes. Je n’ai pas commis de péchés dans la Place de Vérité. Je n’ai pas cherché à connaître ce qui n’est pas à connaître. Je n’ai pas fait le mal. Je n’ai pas commencé de journée ayant reçu une commission de la part des gens qui devaient travailler pour moi, et mon nom n’est pas parvenu aux fonctions d’un chef d’esclaves. Je n’ai pas blasphémé Dieu. Je n’ai pas appauvri un pauvre dans ses biens. Je n’ai pas fait ce qui est abominable aux dieux. Je n’ai pas desservi un esclave auprès de son maître. Je n’ai pas affligé. Je n’ai pas affamé. Je n’ai pas fait pleurer. Je n’ai pas tué. Je n’ai pas ordonné de tuer. Je n’ai fait de peine à personne. Je n’ai pas amoindri les offrandes alimentaires dans les temples. Je n’ai pas souillé les pains des dieux. Je n’ai pas volé les galettes des bienheureux. Je n’ai pas été pédéraste. Je n’ai pas forniqué dans les lieux saints du dieu de ma ville. Je n’ai pas retranché au boisseau. Je n’ai pas amoindri l’aroure, Je n’ai pas triché sur les terrains. Je n’ai pas ajouté au poids de la balance. Je n’ai pas faussé le poids de la balance. Je n’ai pas ôté le lait de la bouche des petits enfants. Je n’ai pas privé le petit bétail de ses herbages. Je n’ai pas piégé d’oiseaux des roselières des dieux. Je n’ai pas pêché des poissons de leurs lagunes. Je n’ai pas retenu l’eau dans sa maison. Je n’ai pas opposé une digue à une eau courante. Je n’ai pas éteint un feu dans son ardeur. Je n’ai pas omis les jours à offrandes de viande. Je n’ai pas détourné le bétail du repas du (9) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 9 dieu. Je ne me suis pas opposé à un dieu dans ses sorties en procession. Je suis pur, je suis pur, je suis pur… Ma pureté est la pureté de ce grand phénix qui est à Héracléopolis… 4 La destruction du défunt qui n’a pas réussi la pesée du cœur est totale. Il n’est pas de purgatoire. La dévoreuse est dans l’attente pour le détruire, corps et âme, âmes au pluriel. A-t-il menti, celui qui a réussi au tribunal des dieux? Sans doute. On en a la preuve sur les ostracas qui s’adressent au cœur. Cœur cher cœur. Je t’en prie, ne me contredis pas. Ne me découvre pas. On dirait le cambrioleur de nos jours qui commet son larcin disant au bon dieu, Dieu, couvre-moi. L’histoire ne dit pas si le cœur a pris à la légère le jugement d’Osiris ou s’il a découvert une autre voie, plus ouverte. Si plutôt que de s’embarquer dans le négatif, ce négatif qui plombe toute créativité, il cherchait des valeurs de vie nouvelle. C’est que les mots justice et vérité ne traduisent pas la Ma’at, seule juge dans le tribunal d’Osiris. La Ma’at est l’équilibre du monde, un équilibre sans doute instable, mais efficace. Il faut s’alléger, pour que du fond des ténèbres surgisse à la lumière, vers un nouveau jour, une nouvelle vie, pour que la vie passe, à travers la mort, malgré la mort. L’âme vise les étoiles, la Ma’at la délestera de toute la pesanteur du péché. Elle sait que les Frères Ennemis n’existent que l’un par l’autre. Et pour maintenir cet équilibre elle dépasse la justice et la vérité. Les philosophes d’hier et d’aujourd’hui ont formulé, autrement, les mêmes questions existentielles. Heidegger a suggéré la dike elle aussi déesse, comme la Ma’at; elle fait converger tous les chemins qui mènent à l’Être. étoiles d’encre (10) 4. Chapitre 125 du livre de la Sortie au jour. Traduction Paul Barguet , 1967, pp. 158-60 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 10 On la traduirait aussi par Surjustice, Survérité, rassemblement de toutes les forces vives. Le langage philosophique se lit en filigrane à travers l’imagerie mythique. La Ma’at est légère, comme la plume qui la représente, elle ne s’encombre pas du péché. Elle rassemble la vie et la mort qui est l’autre face de la vie, l’autre chemin qui mène à la vie. Elle rassemble les frères jumeaux. Elle unit les deux pays, la Haute et la Basse Égypte, est-il écrit sur le socle du trône pharaonique. Elle est démocrate, diraient les Mexicains qui ont sanctifié Santa Muerte, malgré l’interdiction de l’Église. Parce que la mort, pour l’Église est une créature du diable. Mais pour le peuple mexicain, la Muerte est démocrate, elle accepte tout le monde, le riche et le pauvre. Et pour l’Égyptien des temps anciens, la Ma’at unit dans l’égalité la vie et la mort, le bien et le mal, comme elle unit la Haute et la Basse Égypte. Les Frères Ennemis ont comparu au tribunal des dieux et les dieux assemblés n’ont jamais pu formuler un jugement définitif. Pour trancher entre Seth et Osiris ils ont siégé cent ans sans aboutir à une quelconque condamnation. La lutte continuait, les adversaires changeaient de visage, de nom, mais restaient ennemis et contradictoires, comme la mort et la vie. Quand Seth arracha l’œil d’Horus et Horus blessa les testicules de Seth, la déesse guérit Seth et rassembla les morceaux de l’œil d’Horus. Et le dieu Thot s’est fait messager tantôt de l’un, tantôt de l’autre et parfois de l’un et de l’autre. Aucun des Frères Ennemis ne l’emporta pour de bon. Les peuples d’aujourd’hui ont tremblé quand les savants ont découvert dans le ciel les trous noirs. L’antimatière dévorant la matière. Ils ont craint de ne plus voir le jour. Leur crainte n’était pas personnelle, mais cosmique. L’antimatière aurait-elle pris les traits de la grande dévoreuse du jugement d’Osiris? Le monde risquait-il d’être dévoré. Seule une toute petite différence, un reste, aussi léger qu’une plume d’oiseau les sauverait du grand dévoreur qu’est le trou noir. Combien de défunts dévoraient la grande (11) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 11 dévoreuse du jugement d’Osiris; combien de défunts écartait-elle du trou noir qu’elle représentait? Juste ce qu’il faut pour recréer un monde? Peut-être estimait-elle que son œuvre devait serait nécessairement inachevée. L’inachevé est comme une fenêtre ouverte au vol d’oiseau, l’oiseau d’après le déluge qui a vu, quelque part, une petite terre ferme prometteuse d’une plus grande terre ferme, une victoire sur l’eau envahissante. L’inachevé est une des caractéristiques de la pensée égyptienne. Un tombeau n’est jamais achevé, On le construit du vivant de son destinataire. On le scelle quand le corps momifié, glorieux, entre dans sa belle demeure. À l’œil recomposé d’Horus manquait un morceau, un tout petit morceau qui fait appel à la magie de la vie. Les hiéroglyphes vont s’accompagner de peintures qui rendront encore plus magiques les mots. Un art noble qui laissera une trace dans l’imaginaire du peuple. Des paysannes égyptiennes en mal d’enfant ont cru à la légèreté de l’âme; elles épiaient la huppe, l’attrapaient, et cuisinaient, avec leur crête, un mets qui devait assurer la conception de l’enfant. Et la guerre des Frères Ennemis se perpétue quand les paysans dansent le tahtib, une lutte de bâtons, expression populaire d’une dialectique sans faille, où les deux ennemis se battent, puis s’étreignent, un bref instant, pour laisser passer la vie; – sans doute avec une légère différence dans la mise en scène, – puis recommencent la guerre. Au milieu de la nuit, entre lumière et obscurité passe le défunt sur la balance de la Ma’ât. Sombrera-t-il dans le gouffre de la dévoreuse, ou jaillira-t-il à la lumière. Une balance pèse son cœur qui doit être plus léger qu’une plume, car sur l’autre plateau est la plume de la Ma’at, invoquant la légèreté dans tous ses sens. En 332 av. J.-C. l’Égypte, conquise par Alexandre le Grand, adopte le grec comme langue administrative exclusive du pays. L’écriture hiéroglyphique comptait plus de 700 signes. Désormais il n’y en aura que 24 augmentés de 6 à 10 selon les dialectes, pour étoiles d’encre (12) 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 12 transcrire des sons inconnus en grec. L’image qui accompagne les mots disparaîtra. L’image donnait libre cours à la liberté de l’interprétation, elle est désormais privée de ses images. S’introduit alors le dogme dans le langage. La plume de Ma’at sera traduite par ces deux mots responsables des guerres de religion: Justice et Vérité. Le poète voudra revenir à la légèreté des oiseaux Un oiseau palpite dans ma poitrine J’ai reçu du ciel et de la terre Une très solennelle légèreté Gilles de Obaldia (13) légèreté La poésie est la langue des oiseaux, légère, insouciante, amoureuse, elle enveloppe de beauté son objet, elle le pare d’imaginaire, le protège de l’esprit de pesanteur. Il y a un dieu pour les poètes. Le dieu de la parole et de l’écriture s’est revêtu d’un corps d’oiseau. Pour mieux voler vers les hauteurs, pour solliciter la vie. Solliciter la vie légère et changeante, ce sera aussi avec de la danse. La vie, en ancienne Égypte, était l’enfant d’un mariage. Celui de l’eau et de la lumière. Un cadeau du fleuve et du soleil. Tous les ans, on attendait la première goutte qui annonçait l’inondation. La vie dépendait de l’inondation. Trop forte, elle était meurtrière. Il la fallait abondante mais douce pour irriguer les terres. D’elle dépendait la vie. Légère et changeante, elle se cache sous le masque de l’imprévisible déesse. Nourricière, on la nommait, en ancienne Égypte, Hathor. On lui prêtait les traits d’une belle femme au corps ou aux oreilles de vache. Elle était porteuse de joie et d’amour. Destructrice, on lui prêtait les traits d’une terrible lionne; on la nommait alors Sekhmet. Il lui arrivait d’abandonner les hommes et leur pays et de s’en aller vers les lointains de la Nubie, laissant la vallée mourir et le soleil vieillir. Là-bas, elle se nourrissait de viande fraîche et de sang. On disait que la terrible Sekhmet projetait de détruire toute l’humanité. Alors on lui 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 13 envoyait une délégation pour la séduire et la ramener. Thot se trouvait à la tête de la délégation. Thot était amoureux de la déesse. Et les autres dieux le savaient. Pour elle, il inventait les mots qui pouvaient séduire. Il vantait les beautés du pays. Si seulement elle revenait, on lui construirait des temples, on lui organiserait des fêtes, un rituel. Thot dansait devant la terrible lionne, l’entraînant vers le pays dont il chantait les louanges. Arrivée aux frontières de la Nubie et de l’Égypte, à Philae, la terrible déesse se baigne dans les eaux du Nil et change de visage. Elle était Sekhmet, lionne cruelle, elle devient Hathor, déesse de joie et d’amour, ramenée. Le peuple applaudit, chante, la Belle est revenue, Neferetiiti. Arrivée à Denderah elle monte sur le toit du temple à l’heure du lever du soleil. Le soleil la caresse de ses premiers rayons. Le mariage de la lumière et de l’eau est consommé. Le soleil renaissait, jeune et fort, renaissait de lui-même et de la déesse. Tous les ans, quand venait la saison de l’inondation, Pharaon dansait pour la déesse Inondation afin de la ramener. Ceci était l’essentiel de son programme politique. La légèreté avec laquelle on se déplace de métaphore en métaphore pour cerner un destin qui dépasse l’entendement viendrait s’opposer à la pesanteur du péché tel que l’a vécu Sören Kierkegaard. Sören Kierkegaard était ce philosophe danois qui initia l’existentialisme. Pèsent sur sa vie et sa pensée ce péché que commit son père. Celui-ci aurait maudit Dieu. Sören est fiancé à Régine. Ils s’aiment d’un grand amour. Soudain, Sören rompt ses fiançailles. Le poids du péché est trop lourd. Sa relation à Dieu est d’angoisse et de désespoir, de soumission et de quête religieuse. Crainte et Tremblement est le titre du livre qu’il écrivit après la rupture. Il y est question de la relation d’Abraham à Dieu et du sacrifice d’Isaac. Prends ton Unique, ton fils bien-aimé, Isaac, dit Dieu à Abraham ; va-t’en au pays de Morija et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai. Et Abraham de prendre du étoiles d’encre (14) 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 14
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