EE 55 Legerete - Page 63 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté rum f0 ©Elene Usdin, Châtières 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 61 étoiles d’encre (62) forum Mes ancêtres mille-feuille Françoise Martin-Marie Mes ancêtres les Gaulois avaient des habits colorés, des bijoux, des charrues, un druide guérisseur en arbitrage, des dieux arbres, des dieux pierres et aussi une langue bien pendue pour discuter de tout et une cuisine gourmande pour mettre tout le monde d’accord. Mes ancêtres les Romains avaient des toges à plis et des hommes aux spécialités prolifiques : hommes d’état, penseurs, constructeurs, commerçants, artisans, conquérants, beaux parleurs, hommes esclaves et assez de dieux dans leur ciel pour accepter tous les dieux du voyage. Mes ancêtres les Wisigoths avaient du goût pour les grandes épopées, des chevaux pour galoper, des armes pour mettre en scène leur honneur, des lois et des lettres gothiques flexibles pour tout arrondir, des légendes magiques de la mer Noire et aussi ce dieu unique aryen représentant de tous les dieux possibles. 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 62 Mes ancêtres les Francs avaient le sang bleu venu des plaines nordiques du Rhin, le goût de l’héroïsme, des tournois, des alliances, des mésalliances, des lois œil pour œil et dent pour dent, un dieu chrétien partenaire en crucifix et de la noblesse aux ambitions européenne. Mes ancêtres les Normands avaient des bateaux à voile, des yeux clairs des horizons polaires, des dieux querelleurs, du goût pour les voyages, les festivités, les pillages au fil de l’eau et le coeur aventurier aux aguets des cœurs à prendre. Mes ancêtres les Berbères avaient des dessins et des lettres en arabesques sensuelles, un dieu sans forme, la peau dorée de la Méditerranée, des médecins philosophes, la terre pour leurs prières, des fontaines dans leurs jardins et un goût prononcé pour les épouses. Mes ancêtres les Ladins venaient des Dolomites d’Italie, ils avaient la langue chantante, le corps joyeux, aucun dieu dans leurs bagages, le chauffage central au bois, travaillaient comme des forcenés pour devenir Français et mangeaient de la polenta. et moi je suis la France riche comme un millefeuille, remplie d’une crème battue aux œufs de toutes ces volailles qui avaient des ailes et s’envolaient là ou le vent soufflait riche en promesses. (63) légèreté 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 63 étoiles d’encre (64) forum Manifeste pour la légèreté Françoise Bezombes Nous le jurons, sur ton visage, frère, la dynastie du saccage n’aura pas de postérité Jean Senac, Matinale de mon peuple liberté La légèreté c’est le rire radieux d’un enfant heureux quand tant d’autres de par le monde souffrent et rêvent de pouvoir seulement sourire. elan La légèreté c’est une bande d’enfants turbulents d’un quartier défavorisé jouant avec un ballon de foot artisanal confectionné de bric et de broc tapant vigoureusement cette balle de leurs pieds nus quand de jeunes nantis s’enfoncent dans la solitude de leur ordinateur dans une chambre tout confort chaussés de baskets de marque qui jamais ne frapperont joyeusement un ballon. grâce La légèreté c’est une jeune fille cheveux au vent marchant librement dans une rue ensoleillée, faisant virevolter sa jupe et 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 64 éclatant d’un rire cristallin, image de liberté et de bonheur alors que bien des femmes n’ont que le droit de se cacher sous des prisons vestimentaires et dont la gaieté est assimilée à une insulte, leur seule légitimité étant de se taire et d’être invisibles. échange La légèreté c’est un jeune couple marchant main dans la main, se lançant de longs regards d’où jaillit tout leur amour quand en certains endroits une épouse effacée suit docilement son mari quelques pas en arrière. résignation La légèreté c’est flâner sur l’avenue d’un pays en paix sans crainte des bombes et de la folie humaine quand certains courent, la peur au ventre, d’une rue à une autre au péril de leur vie. érrance La légèreté c’est se promener sereinement par un beau soir d’été sous un ciel où dansent les étoiles, foulant une herbe moelleuse comme un tapis alors que des êtres doivent se calfeutrer au fond d’immeubles criblés de balles accroupis sur un sol de béton victimes d’un couvre-feu imposé par une guerre qui leur est infligée. témoignage La légèreté c’est simplement d’avoir commis ce petit texte avec le désir de souffler dessus comme sur une plume dans l’espoir que son envol soit un partage. espoir La légèreté devrait être un hymne à la vie pour chaque homme et chaque femme et une lueur d’espoir face aux forces obscurantistes… (65) légèreté 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 65 étoiles d’encre (66) forum Lettre au siècle 21 Le siècle 20 a redessiné la tribu en cocon pépinière de l’individu plus de fabrication de clones une envie d’être chacun un mais dans l’intérieur des corps toujours ces compartiments d’avant ces usages construits en neurones partout ou l’homme mutant de ce siècle a voulu offrir son modèle idéal il a contaminé l’humanité de sa discorde entre sa pensée nouvelle et son corps ancien dans son sillage est montée la colère de ceux qui ont perdu leur tribu et gagné un corps en désaccord. Que ce siècle 21 qui tâtonne libère les corps remette du sens dans chaque geste du plaisir dans chaque mot du cœur dans chaque échange que les cellules et les os s’accordent en chant personnel de l’individu qu’il pense et aime de concert cet humain apprenti magicien nouveau-né sur la planète. Françoise Martin-Marie ondelavie@free.fr 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 66 ria va tions ©Elene Usdin, Readdream, 2008. 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 67 La plume Hélène Pradas-Billaud Je prends ma plume pour dire le grave. C’est un peu mon langage. Ma musique compagne. Le repère au fragile qui n’a plus tout son sang, tout son corps, toute sa tête. Un triangle de l’être qui n’est plus isocèle. Un père tronc sur lequel je ne peux m’appuyer. Sa folie qui m’est si familière, sa fêlure approchant le mystère. Pour trouver la surface parcourir le profond. Au profond de l’histoire et des vies partagées. Le souffle de mon père que souvent j’approchais. Sa présence aux failles étrangères. Cette envie d’assurance qu’en ses bras je cherchais. ©Marie-NoëlArras,2013 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 68 Mon père, un jour noir, un jour fou, un jour mort, un jour vie. Côté froid, côté chaud, inventer l’enveloppe guidant mon contenu. L’armature à construire au profond de moi-même. Ma colonne en fissure quand mon père est séisme. L’ossature qui dévie quand s’enrhume la vie. Recomposer les liens qui distendent les maux. Des mots doux. Et aimants. Des mots tendres. Bienveillants. Des mots plume parent. Mots frontière donnant place au grand vide qui engloutit la vie. Je connais le pays où la folie survit, où le noyau s’affole, les limites s’estompent. Quand il n’y a plus d’espace entre un moi un lui. Je suis l’épure soustraite à ce qui envahit. L’épaisseur de la peau, la distance passerelle pour comprendre, s’éloigner, s’approcher et ne pas s’effondrer. Je suis le soleil franc à l’entre-deux des ombres. Je suis la vigilante au tremblement du monde. Revenir vers le doux. Réapprendre les flous qui ne sont pas danger. Se surprendre à danser. Déjouer les revers, découvrir les puissances au vivant des fêlures. Nager malgré les vagues et plonger si léger, si léger. Fortifier l’armature donnant vie à l’aimé. Je dépose ma plume qui déploie ses racines. Je respire l’air des pages à la reliure du livre. Le recueil transparent aux couleurs du touchant. z (69) légèreté 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 69 ©Miki Nakamura, Abysses, 2013 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 70
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