EE 55 Legerete - Page 58 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté étoiles d’encre (56) hommages Côté soleil, il y a les enfants, les mots, l’amour à facettes et ce versant dont vous donnez une image espiègle, l’amitié. À mes yeux la vieillesse ne peut être limitée, individuellement ou collectivement, à un poids. Ou alors elle est un poids plume! J’aime ce titre d’un livre de Marie de Hennezel et Christian Vergely: « Une vie pour se mettre au monde » qui dit que la vieillesse n’est pas un état mais un chemin et, sans naïveté, les branches et fruits de la vie qui font l’arbre de l’âge. Cet arbre, il me parle tellement que j’en ai fait le sujet de mon dernier livre dont la couverture est illustrée par un tableau de Najia Mehadji: un arbre plume pouvant suggérer l’âge venu. Vous savez, un peu, comme lorsqu’on raconte une histoire en commençant par « il y a belle lurette… » J’aime bien imaginer ces heures de vivant engrangées dans le corps et le cœur jusqu’à notre fin. Heures fragiles, belles, difficiles. Mystérieuses, lasses et partagées comme si bien vous l’écrivez. La vieillesse est, il me semble, une source. Source d’eau vive hydratant tous les âges, source de sens uniques à chacun, insolente et sage. Source de légèreté en prise à la gravité: celle des limites de la vie, l’éphémère et la mort que vous évoquez sans vous appesantir. Merci de votre livre de légèreté profonde. Douce joie, réalités de l’âge, citronnées, acidulées, au fil des pages. Hélène Pradas Billaud éd. Chèvre-feuille étoilée 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 56 Cette belle lecture d’Hélène Pradas-Billaud, du livre de Dominique Godfard et Christiane Aguiar, inattendue, est d’autant bienvenue qu’elle nous permet de rendre un dernier hommage à cette grande dame qu’était Christiane, disparue au mois de mars 2013. Dominique nous écrit à son propos: Mon regret, aujourd’hui, c’est de n’avoir pas pu lire à Christiane la belle lettre d’Hélène : elle aurait poussé ses petites exclamations joyeuses, des Oh ! et des Ah ! que l’on retrouve dans son écriture enlevée, au style soutenu par une sacrée joie de vivre. Car Christiane, malgré la maladie et les épreuves, aimait la vie et savait faire partager cet amour-là. Durant la rédaction de « Vous vieillissez ? Nous aussi… », nous avons vécu ensemble une grande parenthèse de bonheur que je n’oublierai jamais. Comme j’ai aimé ce temps-là ! Une fois, je me souviens lui avoir proposé la mort comme thème. Elle avait refusé et sans doute avait-elle raison : vieillir, ce n’est pas attendre la Grande Faucheuse, mais rester curieux, ouvert aux autres, conserver ses passions ou en découvrir d’autres… (57) légèreté 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 57 © Med Amine Benaziza/Reuters 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 58 Amina Tu es vivante, Amina, bien vivante, plus vivante que la plupart d’entre nous. Mais pourquoi ne devrait-on rendre hommages qu’aux disparus? Notre revue, étoiles d’encre, est née pour donner la parole à celles qui ne l’avaient pas, pour donner la parole aux étoiles qui brillent dans le ciel de l’obscurantisme. Dans ce ciel où les femmes n’ont pas encore les mêmes droits que l’homme. Étoile, tu l’es et ces derniers mois, ta frimousse blonde a brillé plus que toute autre dans le firmament des réseaux intersidéraux. Ton courage n’a d’équivalent que ta jeunesse! Ton intelligence en a épaté plus d’un lorsqu’ils ont compris ta démarche. Ton père, ton oncle… et beaucoup d’autres à travers le monde. Après Aliaa, la jeune Égyptenne, tu fais partie de cette nouvelle génération de jeunes filles qui utilise leur corps pour protester contre l’aliénation des femmes par les hommes. En 1968 des femmes à Paris ont créé un mouvement et écrit un livre de référence pour beaucoup de femmes de ma génération : « Notre corps, nous-mêmes ». Il nous a appris à connaître ce corps que les mères nous apprenaient à cacher dans des pays comme le tien et à rendre le plus discret possible en Occident. 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 59 étoiles d’encre (60) hommages Toi tu t’es servi, au risque de ta vie, de la seule chose qui t’appartienne complètement et que, pourtant, les hommes veulent diriger et s’approprier. Tu as tout compris! Les paroles des femmes, les actes revendiquant leur liberté, leur égalité peuvent leur faire peur mais montrer ses seins, le symbole par excellence de la féminité les a terrorisés. Quel courage dans un pays où bien des femmes se voilent encore traditionnellement et bien d’autres se cachent sous des oripeaux venus d’un autre monde et bien d’autres encore tremblent à l’idée que cette tenue ne leur soit imposée. Ils ont voulu te faire passer pour folle, ils t’ont accusé de profanation, ils t’ont enfermée dans des conditions inhumaines, mais tu as tenu et avec le sourire. Montrer ses seins… est habituellement acte de femmes « légères » pour attirer les hommes, acte de femmes légères qui aiment sentir le soleil sur leur corps, acte de femme aimée, aimante dans la sphère privée, acte de mère qui allaitent dans la sphère publique… Toi, tu as fait acte de révolte, acte de revendication pour toutes les femmes dont tout le Maghreb enviait la liberté, les droits et que vos nouveaux dirigeants veulent renvoyer aux moyen âge. Tu vis au XXIe siècle, un siècle où les réseaux sociaux relaient les actes comme les tiens, un siècle où de milliers de personnes ont pu signer des pétitions pour te soutenir. Tu as répondu avec la légèreté des étoiles à cette aliénation imposée. Reste légère Amina, cette légèreté aidera toutes les femmes de ton pays et des autres à mieux respirer. Ton sourire à la porte de la prison est entré dans nos cœurs à tout jamais. Longue vie Amina et qu’elle soit celle dont tu rêves. Liberté de paroles, d’expression culturelle, droits égaux poux tous… et donc pour toutes. Marie-Noël Arras 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 60 rum f0 ©Elene Usdin, Châtières 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 61 étoiles d’encre (62) forum Mes ancêtres mille-feuille Françoise Martin-Marie Mes ancêtres les Gaulois avaient des habits colorés, des bijoux, des charrues, un druide guérisseur en arbitrage, des dieux arbres, des dieux pierres et aussi une langue bien pendue pour discuter de tout et une cuisine gourmande pour mettre tout le monde d’accord. Mes ancêtres les Romains avaient des toges à plis et des hommes aux spécialités prolifiques : hommes d’état, penseurs, constructeurs, commerçants, artisans, conquérants, beaux parleurs, hommes esclaves et assez de dieux dans leur ciel pour accepter tous les dieux du voyage. Mes ancêtres les Wisigoths avaient du goût pour les grandes épopées, des chevaux pour galoper, des armes pour mettre en scène leur honneur, des lois et des lettres gothiques flexibles pour tout arrondir, des légendes magiques de la mer Noire et aussi ce dieu unique aryen représentant de tous les dieux possibles. 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 62 Mes ancêtres les Francs avaient le sang bleu venu des plaines nordiques du Rhin, le goût de l’héroïsme, des tournois, des alliances, des mésalliances, des lois œil pour œil et dent pour dent, un dieu chrétien partenaire en crucifix et de la noblesse aux ambitions européenne. Mes ancêtres les Normands avaient des bateaux à voile, des yeux clairs des horizons polaires, des dieux querelleurs, du goût pour les voyages, les festivités, les pillages au fil de l’eau et le coeur aventurier aux aguets des cœurs à prendre. Mes ancêtres les Berbères avaient des dessins et des lettres en arabesques sensuelles, un dieu sans forme, la peau dorée de la Méditerranée, des médecins philosophes, la terre pour leurs prières, des fontaines dans leurs jardins et un goût prononcé pour les épouses. Mes ancêtres les Ladins venaient des Dolomites d’Italie, ils avaient la langue chantante, le corps joyeux, aucun dieu dans leurs bagages, le chauffage central au bois, travaillaient comme des forcenés pour devenir Français et mangeaient de la polenta. et moi je suis la France riche comme un millefeuille, remplie d’une crème battue aux œufs de toutes ces volailles qui avaient des ailes et s’envolaient là ou le vent soufflait riche en promesses. (63) légèreté 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 63 étoiles d’encre (64) forum Manifeste pour la légèreté Françoise Bezombes Nous le jurons, sur ton visage, frère, la dynastie du saccage n’aura pas de postérité Jean Senac, Matinale de mon peuple liberté La légèreté c’est le rire radieux d’un enfant heureux quand tant d’autres de par le monde souffrent et rêvent de pouvoir seulement sourire. elan La légèreté c’est une bande d’enfants turbulents d’un quartier défavorisé jouant avec un ballon de foot artisanal confectionné de bric et de broc tapant vigoureusement cette balle de leurs pieds nus quand de jeunes nantis s’enfoncent dans la solitude de leur ordinateur dans une chambre tout confort chaussés de baskets de marque qui jamais ne frapperont joyeusement un ballon. grâce La légèreté c’est une jeune fille cheveux au vent marchant librement dans une rue ensoleillée, faisant virevolter sa jupe et 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 64 éclatant d’un rire cristallin, image de liberté et de bonheur alors que bien des femmes n’ont que le droit de se cacher sous des prisons vestimentaires et dont la gaieté est assimilée à une insulte, leur seule légitimité étant de se taire et d’être invisibles. échange La légèreté c’est un jeune couple marchant main dans la main, se lançant de longs regards d’où jaillit tout leur amour quand en certains endroits une épouse effacée suit docilement son mari quelques pas en arrière. résignation La légèreté c’est flâner sur l’avenue d’un pays en paix sans crainte des bombes et de la folie humaine quand certains courent, la peur au ventre, d’une rue à une autre au péril de leur vie. érrance La légèreté c’est se promener sereinement par un beau soir d’été sous un ciel où dansent les étoiles, foulant une herbe moelleuse comme un tapis alors que des êtres doivent se calfeutrer au fond d’immeubles criblés de balles accroupis sur un sol de béton victimes d’un couvre-feu imposé par une guerre qui leur est infligée. témoignage La légèreté c’est simplement d’avoir commis ce petit texte avec le désir de souffler dessus comme sur une plume dans l’espoir que son envol soit un partage. espoir La légèreté devrait être un hymne à la vie pour chaque homme et chaque femme et une lueur d’espoir face aux forces obscurantistes… (65) légèreté 55 p 61 a 67Forum_Mise en page 1 24/09/2013 18:29 Page 65
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