EE 55 Legerete - Page 53 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté ma hom ges ©Peggy Inès Sultan, photo réalisée pour ce numéro, octobre 2013 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 51 étoiles d’encre (52) hommages Chimères Vivons comme vole le vent À bourrasques Bonaces et ouragans Déclavons notre cage Partons dans les feuillages Lapons l’écume de l’océan Effleurons la joue des loupiots Levons nos rires de marmots Et partons… Vivons comme se vit le vent En tourbillons Sans retenue se baladant Avec pour seul abri Une tour à huit pans Où s’évente le soleil Là-bas, Au pays des Hellènes Au pays du Meltem ♫»Milisse mou, Milisse mou, parle-moi de cette terre Milisse mou, Milisse mou, où le ciel prend sa lumière»♫ ♫ Là-bas, Au pays des sirènes Où rêvent les baleines Partons comme s’en va le vent… Rose-Marie Naime 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 52 Hommage à Henri Alleg disparu le 17 juillet 2013 Ton exemple Tu as dit un mot plus percutant qu’une balle Tu as dit un mot plus vivant que nous Tu as limé l’outil pour éviter la rouille Je t’ai appelé et l’amande m’a livré Trois lettres et comme toi j’ai dit NON Et comme toi j’ai vaincu les monstres Bachir Hadj Ali 1 Dans un entretien accordé à L’Humanité en 2012: De nombreux Algériens estiment, cinquante ans après, que les promesses de l’indépendance se sont envolées. Partagez-vous cet avis ? Henri Alleg: Je crois qu’il est dangereux de penser ainsi. C’est le refus total de voir ce que l’indépendance a apporté à l’Algérie. On ne peut pas dire que les choses n’ont pas changé. On ne peut pas dire que l’indépendance n’a rien apporté aux Algériens. Bien sûr, la jeunesse rencontre de graves difficultés, des choses doivent êtres changées, des luttes devront encore être menées. Mais l’indépendance reste pour l’Algérie une conquête historique inestimable. 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 53 étoiles d’encre (54) hommages L’honnête homme Dans un texte sur mes souvenirs des années soixante et la fin de la guerre d’Algérie, j’ai reproduit la quatrième de couverture de « La Question », le livre longtemps interdit d’Henri Alleg. Il y citait un texte du philosophe allemand Karl Jasper (La culpabilité allemande) datant de 1946: « Celui qui est resté passif sait qu’il s’est rendu moralement coupable… faute d’avoir saisi n’importe quelle occasion d’agir pour protéger ceux qui se trouvaient menacés, pour diminuer l’injustice, pour résister ». Nous étions en 1960 et ce qui était valable pour la culpabilité allemande du lendemain de la guerre, l’était encore et toujours pour la guerre d’Algérie. À l’époque je n’avais jamais rencontré Henri Alleg. Il représentait pour moi l’image même de l’honnête homme. Quelques années plus tard j’ai eu l’occasion de le voir, de l’écouter: au Café du croissant, sous la plaque commémorant l’assassinat de Jaurès, dans des réunions du parti communiste, dans des manifestations. Dès qu’il s’agissait de diminuer l’injustice, de résister, il était là. Ce grand homme était petit, souriant, tendre, toujours à l’écoute de ce qui se passait dans le monde et à ses côtés. La dernière fois que nous nous sommes parlé c’était au salon du livre Porte de Versailles. Il était avec Pierre VidalNaquet, toujours aussi aimable, attentif et continuant sa lutte pour la justice et la vérité. Merci Monsieur Alleg. Anita Fernandez 1. Chants pour les nuits de septembre 1965, in L’Arbitraire, Éd. de Minuit, 1965. Ces quelques mots de Bachir Hadj Ali nous ont été transmis par Christiane Chaulet – Achour ainsi que l’extrait de l’entretien du journal l’Humanité. 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 54 À Christiane disparue en mars 2013 Chères Christiane et Dominique, Cette missive quelques années après la parution de votre échange épistolaire dans « Vous vieillissez ? Nous aussi ». J’ai aimé la fraîcheur de votre livre. Son actualité vivante dans une France vieillissante qui s’interroge étrangement sur ses vieux. Étrangement, car la « question des seniors » est souvent abordée de façon économique, contrainte ou désincarnée. La vieillesse, on la pense et on la panse à coup de mesures correctrices sur la prise en charge de la dépendance, les nécessités de transmission du savoir dans les organisations de travail vieillissantes, l’urgence de renouveler les équilibres économiques pour la survie des régimes de retraite. Au fond, la vieillesse reste une question qui tient du mystère lorsqu’on la tient à distance. Cette question ressemble à ce que vous évoquez dans votre livre : un kaléidoscope qui nous concerne tous! La vieillesse c’est nous tous chaque jour. C’est nous tous un jour. J’ai aimé les fils que vous avez tirés dans la pelote de laine de l’entrée en âge. Vos regards en ombre et lumière. « Côté lune, côté soleil » comme dirait notre amie du Chèvre-feuille Nic Sirkis! Côté lune, il y a les technologies parfois mais pas tout le temps, la maladie, le noir qui dit la dépression, la solitude imposée, le corps qui se fait entendre, le vide des fêtes obligées. 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 55 étoiles d’encre (56) hommages Côté soleil, il y a les enfants, les mots, l’amour à facettes et ce versant dont vous donnez une image espiègle, l’amitié. À mes yeux la vieillesse ne peut être limitée, individuellement ou collectivement, à un poids. Ou alors elle est un poids plume! J’aime ce titre d’un livre de Marie de Hennezel et Christian Vergely: « Une vie pour se mettre au monde » qui dit que la vieillesse n’est pas un état mais un chemin et, sans naïveté, les branches et fruits de la vie qui font l’arbre de l’âge. Cet arbre, il me parle tellement que j’en ai fait le sujet de mon dernier livre dont la couverture est illustrée par un tableau de Najia Mehadji: un arbre plume pouvant suggérer l’âge venu. Vous savez, un peu, comme lorsqu’on raconte une histoire en commençant par « il y a belle lurette… » J’aime bien imaginer ces heures de vivant engrangées dans le corps et le cœur jusqu’à notre fin. Heures fragiles, belles, difficiles. Mystérieuses, lasses et partagées comme si bien vous l’écrivez. La vieillesse est, il me semble, une source. Source d’eau vive hydratant tous les âges, source de sens uniques à chacun, insolente et sage. Source de légèreté en prise à la gravité: celle des limites de la vie, l’éphémère et la mort que vous évoquez sans vous appesantir. Merci de votre livre de légèreté profonde. Douce joie, réalités de l’âge, citronnées, acidulées, au fil des pages. Hélène Pradas Billaud éd. Chèvre-feuille étoilée 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 56 Cette belle lecture d’Hélène Pradas-Billaud, du livre de Dominique Godfard et Christiane Aguiar, inattendue, est d’autant bienvenue qu’elle nous permet de rendre un dernier hommage à cette grande dame qu’était Christiane, disparue au mois de mars 2013. Dominique nous écrit à son propos: Mon regret, aujourd’hui, c’est de n’avoir pas pu lire à Christiane la belle lettre d’Hélène : elle aurait poussé ses petites exclamations joyeuses, des Oh ! et des Ah ! que l’on retrouve dans son écriture enlevée, au style soutenu par une sacrée joie de vivre. Car Christiane, malgré la maladie et les épreuves, aimait la vie et savait faire partager cet amour-là. Durant la rédaction de « Vous vieillissez ? Nous aussi… », nous avons vécu ensemble une grande parenthèse de bonheur que je n’oublierai jamais. Comme j’ai aimé ce temps-là ! Une fois, je me souviens lui avoir proposé la mort comme thème. Elle avait refusé et sans doute avait-elle raison : vieillir, ce n’est pas attendre la Grande Faucheuse, mais rester curieux, ouvert aux autres, conserver ses passions ou en découvrir d’autres… (57) légèreté 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 57 © Med Amine Benaziza/Reuters 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 58 Amina Tu es vivante, Amina, bien vivante, plus vivante que la plupart d’entre nous. Mais pourquoi ne devrait-on rendre hommages qu’aux disparus? Notre revue, étoiles d’encre, est née pour donner la parole à celles qui ne l’avaient pas, pour donner la parole aux étoiles qui brillent dans le ciel de l’obscurantisme. Dans ce ciel où les femmes n’ont pas encore les mêmes droits que l’homme. Étoile, tu l’es et ces derniers mois, ta frimousse blonde a brillé plus que toute autre dans le firmament des réseaux intersidéraux. Ton courage n’a d’équivalent que ta jeunesse! Ton intelligence en a épaté plus d’un lorsqu’ils ont compris ta démarche. Ton père, ton oncle… et beaucoup d’autres à travers le monde. Après Aliaa, la jeune Égyptenne, tu fais partie de cette nouvelle génération de jeunes filles qui utilise leur corps pour protester contre l’aliénation des femmes par les hommes. En 1968 des femmes à Paris ont créé un mouvement et écrit un livre de référence pour beaucoup de femmes de ma génération : « Notre corps, nous-mêmes ». Il nous a appris à connaître ce corps que les mères nous apprenaient à cacher dans des pays comme le tien et à rendre le plus discret possible en Occident. 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 59 étoiles d’encre (60) hommages Toi tu t’es servi, au risque de ta vie, de la seule chose qui t’appartienne complètement et que, pourtant, les hommes veulent diriger et s’approprier. Tu as tout compris! Les paroles des femmes, les actes revendiquant leur liberté, leur égalité peuvent leur faire peur mais montrer ses seins, le symbole par excellence de la féminité les a terrorisés. Quel courage dans un pays où bien des femmes se voilent encore traditionnellement et bien d’autres se cachent sous des oripeaux venus d’un autre monde et bien d’autres encore tremblent à l’idée que cette tenue ne leur soit imposée. Ils ont voulu te faire passer pour folle, ils t’ont accusé de profanation, ils t’ont enfermée dans des conditions inhumaines, mais tu as tenu et avec le sourire. Montrer ses seins… est habituellement acte de femmes « légères » pour attirer les hommes, acte de femmes légères qui aiment sentir le soleil sur leur corps, acte de femme aimée, aimante dans la sphère privée, acte de mère qui allaitent dans la sphère publique… Toi, tu as fait acte de révolte, acte de revendication pour toutes les femmes dont tout le Maghreb enviait la liberté, les droits et que vos nouveaux dirigeants veulent renvoyer aux moyen âge. Tu vis au XXIe siècle, un siècle où les réseaux sociaux relaient les actes comme les tiens, un siècle où de milliers de personnes ont pu signer des pétitions pour te soutenir. Tu as répondu avec la légèreté des étoiles à cette aliénation imposée. Reste légère Amina, cette légèreté aidera toutes les femmes de ton pays et des autres à mieux respirer. Ton sourire à la porte de la prison est entré dans nos cœurs à tout jamais. Longue vie Amina et qu’elle soit celle dont tu rêves. Liberté de paroles, d’expression culturelle, droits égaux poux tous… et donc pour toutes. Marie-Noël Arras 55 p 51 a 60 hommages_Mise en page 1 24/09/2013 18:28 Page 60
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