EE 55 Legerete - Page 206 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté étoiles d’encre (204) à livres ouverts L’Ifriqiya, dans ce récit, c’est bien plus que le territoire romanisé débordant un peu l’actuelle Tunisie que lui assignent les historiens : c’est la longue bande du Maghreb, en gros, la zone d’expansion des tribus berbères, numides, l’Afrique du Nord, labourée d’invasions, successivement dominée, avant le colonisateur français, par les Carthaginois, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes musulmans, Abbassides ou Fatimides, les Espagnols, les Ottomans… Une terre où l’histoire s’écrit souvent en lettres de sang, dans le fracas des mêlées et la pourriture des trahisons, une terre hantée des fantômes de ceux qui, de Didon à Barberousse, de Jugurtha à Augustin, de la Kahina à l’inquisiteur espagnol, ont cru la représenter ou la posséder. Portée par un souffle épique, Maïa Alonso les convoque tous en une série de « chants », prosopopées écrites dans une belle prose lyrique qui donnent la parole alternativement aux acteurs éphémères de ces éternelles conquêtes et de ces métissages acceptés ou subis ; mais aussi à des villes, Tipasa ou Ouahran, insolentes ou ruinées ; et encore à d’humbles anonymes, emportés par le courant. Le récit nous bouscule, dans la violence du vent du désert. Les envahisseurs passent, des villes se construisent et disparaissent et seule la terre rouge d’Ifriqiya demeure : à toi l’illusion de la conquête, l’illusion de ta grandeur. Jamais je ne te serai donnée, tu passes, j’efface, ditelle au petit homme vaniteux qui croit s’en emparer. Ne subsistent que Kaos, cette terre, la Vivante… plus impitoyable que le roc, Hitaki, le temps en figure de berger, fugitif et éternel, et l’humble Grain de Bled, témoin de cette histoire, petit grain de sable arraché à cette terre et qui sera emporté par le cataclysme final. Il ne faut pas chercher là (malgré l’érudition qui sous-tend le texte) une histoire argumentée et minutieusement chronologique de cette rive sud de la Méditerranée, mais une fable épique, un poème aux facettes multiples, déroutant, tourbillonnant, envoûtant, comme le flot d’un oued en crue ou le souffle du simoun, de somptueux tableaux aux couleurs et aux cruautés orientalistes, Dinet, Fromentin ou Delacroix, l’étouffement des saveurs et des odeurs trop fortes… Fille de cette terre que nul n’a jamais connue sans en garder la déchirure, Maïa Alonso a écrit là un impétueux poème d’amour, à lire et relire sans se presser, en se laissant emporter par les émotions, les mots et les images. Gil Jouanard L’odyssée de Grain de Bled en terre d’Ifriqya Maïa Alonso éd. l’Harmattan, 2013, 11,50 € 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 204 (205) légèreté La maison d’édition « El Ibriz » nouvellement installée dans la sphère de l’édition algérienne se voudrait avant tout une porte locale ouverte à toutes les belles créations littéraires et une fenêtre internationale donnant sur le monde, dévoilant des talents, mettant en exergue des compétences de l’Algérie d’aujourd’hui… Il convient de saluer l’initiative de Samira Bendris qui se lance dans cette aventure en éditant L’enfant des deux mondes de Karima Berger. Le livre s’ouvre sur un voyage dans l’Algérie coloniale. Nous sommes d’emblée avec la famille dans la voiture qui s’élance vers Médéa et traverse les gorges de la Chiffa. Les grâces formulées pour ne pas tomber dans les précipices transforment tout à la fois la 4 CV familiale « en petite salle de prière ambulante » et en tapis volant surplombant l’enfance et l’Histoire. Nous savons après les regards dissimulés des Moudjahidin, des singes et des hommes, le regard vert de la mère au-dessus de sa voilette d’organza brodée mise pour rentrer dans Médéa. Dans la voiture c’est encore le moment de la cohésion, avant que chacun ne s’éloigne de chacun pour devenir un autre. L’enfant aux aguets, bouton de fleur de sedum, s’apprête sous la force de l’énergie de vie qui l’anime à se joindre à l’épanouissement du monde, malgré l’équivoque fabriquée par deux cultures dont l’une a voulu dominer l’autre. Dans la voiture rien n’est encore construit du devenir, c’est le temps de la douceur des fleurs d’orangers, de la plaine de la Mitidja, du sable des plages et de la prairie des moines de Tibhirine.[...] Quinze ans après ce premier livre de Karima Berger, salué à sa sortie en France par Mohammed Dib, Karima Berger écrira aux éditions du Rocher en 2012, avec Christine Ray: Toi, ma sœur étrangère, Algérie-France sans guerre et sans tabou. Ce dernier livre concrétise le rêve de l’enfant par les regards croisés portés par l’Algérienne et la Française sur une terre en guerre et dit la vigueur de l’amour des deux auteures pour l’Algérie. Marie Malaspina L’enfant des deux mondes de Karima Berger réédition éd. El Briz, Alger, 12 € 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 205 étoiles d’encre (206) à livres ouverts Abysses Fariba Hachtroudi encres de Anne Cotrel Préface de Gil Jouanard éd. Chèvre-feuille étoilée 68 p. 13 x 18 cm - 15, 50 € - octobre 2013 Collection : D’un art, l’autre ISBN: 978-2-36795-006-8 Ce livre n’est pas seulement un livre de poèmes et d’encres. Abysses est dans la continuité du combat mené par Fariba Hachtroudi dans ses romans et essais publiés depuis 1991. Son combat contre l’intégrisme de tous bords. Le corps de la femme est un sujet tabou depuis des millénaires que ce soit sous l’inquisition avec le traitement des femmes considérées comme « sorcières », ou aujourd’hui avec les orthodoxes juifs, les intégristes chrétiens ou islamistes qui prennent pour cible première la femme dans son intégrité. Disposer de son corps, c’est disposer de son être. Voiler une femme, l’exciser ou la dénuder au contraire pour vendre des objets revient au même déni de l’individu Femme. Dans la grande tradition de la poésie persane, la poétesse Forough Farrokhzad a chanté le plaisir et l’amour chevillé au corps dans les années 60. Le combat contre l’intégrisme via l’art est à la pointe dans les pays musulmans. Ce livre avec ses poèmes et encres très sensuelles va dans ce sens. «Fariba Hachtroudi [...] aime comme elle se bat: avec fougue et obstinément. Iranienne jusqu’au bout de la démesure, elle a pris la leçon de Zarathoustra, qui fut en son temps le grand escaladeur de l’absolu. Comme lui, elle a quitté les toits des maisons de sa ville pour aller de par le monde éparpiller sa quête d’un absolu sans concessions. [...] L’accompagne, sous les auspices du Chèvre-feuille étoilée, l’encre noire et acérée d’Anne Cotrel, dont les corps et les visages esquissés crient la souffrance et le désir, enserrés dans la masse nocturne et menaçante qu’il s’agit de vaincre et d’éradiquer ou… de fuir à jamais. Elles disent toutes deux que l’obscurantisme n’est pas une fatalité au pays d’Omar Khayyam… Et que la libération viendra peut-être par les femmes opprimées et niées. » Gil Jouanard 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 206 (207) parutions Tu vois c’que j’veux dire Maïssa Bey Préface de Jocelyne Carmichaël éd. Chèvre-feuille étoilée 44 p. 11 x 17 cm - 5 € - octobre 2013 Collection : D’une fiction, l’autre ISBN: 978-2-36795-009-9 Kamel Même nous, s’ils pouvaient, ils nous rayeraient des listes… sans grande perte pour le pays ! Tu vois c’que j’veux dire ? Depuis toujours on est en instance d’effacement… Alors il vaut mieux qu’on décide nous-mêmes ! C’est bien pour ça qu’on est là, non ? Nous, c’est simple ! on voit d’où vient le vent et on navigue. La galère… un point c’est tout. Tu sais c’que c’est… Sans boussole. Au pif ! Et même si on sait pas où on va, l’essentiel c’est d’y aller, non ? Farid Laisse tomber… mais… je sais pas toi, mais moi, tu vois, avant même de monter sur le bateau, j’ai le mal de mer… j’ai… j’ai comme une boule, là, dans le ventre… ça me fait tout drôle d’être là, avec toi, à attendre de partir pour toujours. J’ai jamais fait de voyage! Sauf… Sauf quand on… tu vois c’que j’veux dire! [...] Deux jeunes gens courent vers le port où les attend le passeur à minuit pile… Mais dans cette nuit, au cours de ce chemin qui les mène vers le bateau dans lequel ils vont embarquer clandestinement, que va-t-il se passer? Que vont-ils se dire? Réussiront-ils à… ? à partir d’un fait divers, Maïssa Bey interroge le pourquoi de l’immigration, le refus et l’espoir des jeunes, et là encore, avec subtilité, avec justesse, elle pointe du doigt – et de sa plume – ce qui lui semble inacceptable dans le monde qui est le nôtre aujourd'hui. Ce texte est joué par la Cie Théâtr’elles de Montpellier en co-production avec nos éditions. Théâtre 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 207 étoiles d’encre (208) à livres ouverts La femme de la mer ionienne Jackeline Van Bruaene roman éd. Chèvre-feuille étoilée 160 p. 14,5 x 21 cm - 15 € - octobre 2013 Collection : D’une fiction, l’autre ISBN: 978-2-36795-007-5 Elle a regardé ses mains, ses mains dont, à la maison, ils attendaient la confection de la purée, lorsqu’elle aurait trouvé le lait. Elle sourit, comme ça, dans le vide. Ses mains qui avaient fait tant de repas, de lessives, de ménages, pas un grain de poussière dans l’appartement, ses mains qui avaient porté, lavé, habillé ses enfants, ses mains qui les avaient tant cajolés, tant consolés, bichonnés, qui les avaient aidés à marcher, ses mains qui avaient dans le noir souvent caressé le corps de l’homme qui était à ses côtés, ses mains qui avaient soigneusement plié chemises, teeshirts, pantalons, caleçons, chaussettes qu’il jetait là, à côté du lit quand il allait se coucher, soir après soir. En Italie, une femme au foyer sort un soir acheter du lait et… ne revient pas. à partir de cette décision prise sans préméditation, Maria Pia prend sa vie en main et la transforme au fur et à mesure de ses rencontres avec un milieu artistique et généreux. La femme de la mer ionienne créatrice de bijoux l’aidera à se réconcilier avec la vie. Avec ses longues phrases entrecoupées de virgules, l’auteure manie, avec jouissance, la langue française comme elle l’entend, pour exprimer autrement ce que Virginia Woolf a si douloureusement ressenti. écris, continue à écrire, j'aime ce que tu écris, ça aide à construire la vie, lui disait Amos Kenan. Elle avait 20 ans, il était son ami. ©Nicole 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 208 Egypte An II Fawzia Asaad essai éd. Chèvre-feuille étoilée 50 p. 11 x 17 cm - 5 € - novembre 2013 Collection : D’un espace, l’autre ISBN: 978-2-36795-010-5 Ce texte porte un éclairage différent de celui de la presse occidentale sur ce qui s'est passé en Égypte de janvier 2011 à juin 2013. Analyses et reportages que je considère comme biaisés, tronqués et ne reflétant ni la réalité des faits eux-mêmes, ni la profondeur politique qu'ils signifient. On lit, on entend, on donne à voir que la culture démocratique des Égyptiens balbutie alors même que la jeunesse du pays orchestre un spectacle grandiose de démocratie. Le peuple avait porté un Président au pouvoir. Le Président s’est montré incompétent et dangereux. Ce même peuple exprime sa volonté de destituer le Président et délègue aux militaires le pouvoir de négocier sa destitution. Tel est le résumé de mon histoire. Trente-trois millions d’actes de rébellion ont été signés pour réclamer le départ du Président, trente-trois millions de rebelles ont envahi les rues, les ponts du Caire et des autres villes du pays. Même si le mot rébellion, tamarrod, est rarement prononcé. L’histoire que je raconte n’échappera pas à la terreur et à la contrerévolution, mais de l’avoir vécue, il en restera une culture populaire de la liberté et de la justice qui ne s'effacera pas de la mémoire collective. Tamarrod a prêté son nom à un parti qui contribuera à la rédaction d’une nouvelle Constitution. Fawzia Asaad ©Doaa Eladl, caricaturiste égyptienne (209) parutions 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 209 Envoyez vos textes avant fin novembre 2013 pour le thème de L’HUMOUR – mars 2014 Pourquoi consacrer un numéro d’Étoiles d’Encre à l’humour? La maison Étoiles d’Encre est la revue de l’accueil et du partage et l’humour n’est-il pas le meilleur moyen de communiquer, d’être avec soi et avec les autres, d’être en complicité, en connivence avec les autres? Au fond, l’humour c’est peut–être le meilleur lieu de partage réactif auquel nous travaillons depuis le début. L’humour est un « faiseur » d’instants de bonheur et… de réflexion et peutêtre même de guérison ou d’apaisement. Il provoque le surgissement du rire, qui libère, qui s’installe comme une fraîcheur après la canicule ou un feu de bois après la neige. L’humour est une dissidence, une manière d’échapper aux conventions rigides et à l’hypocrisie. Il est le plus souvent fascinant parce qu’il est la quintessence de l’intelligence et de… la vérité. L’humour n’est jamais bête car alors ce ne serait pas de l’humour. Il y a en chacun de nous une part d’humour qui sommeille… dans notre part d’enfance et qui nous revient comme un désir qui ne s’est jamais totalement éteint. L’humour est sans doute le meilleur creuset de l’imaginaire. Humour jubilatoire, humour noir, humour puissant, humour feutré, humour exutoire, humour grinçant, humour libérateur… Ce numéro mis en valeur par Doaa Eladl, caricaturiste égyptienne. étoiles d’encre (210) appel à textes 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 210 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 211 Envoyez vos textes avant fin juin 2014 pour le thème de LA MéTAMORpHOSE – octobre 2014 N'est-il pas bien naturel que toutes les métamorphoses dont la terre est couverte, aient fait imaginer dans l'Orient, où on a imaginé tout, que nos âmes passaient d'un corps à un autre ? Voltaire, Dictionnaire philosophique Dans ce numéro nous avons vu comment le désir de légèreté a engendré l’idée de l’âme, une âme qui pourrait sortir de notre corps et nous emporter vers l’éternité. Abandonnant notre envelope terrestre nous nous métamorphoserions en esprit. La métamorphose chez les animaux participe d’une évolution de leur état corporel ver un état plus élaboré et souvent plus esthétique aussi comme la chenille qui devient papillon. Chez les êtres humains aussi, plus symboliquement: les adolescents boutonneux laissent place à de magnifiques jeunes hommes ou jeunes femmes et chaque période de la vie provoque une métamorphose qu’il nous appartient d’embellir ou de rendre laide. Mais les métamorphoses peuvent être plus subtiles, c’est le cas lorsqu’un projet nous porte, et l’on voit le changement dans le regard que l’autre porte sur nous. C’est aussi le cas lorsque le poids des soucis nous fait vieillir avant l’heure… Certains maladies psychiques entraîne des métamorphoses étonnantes ou insupportables pour les proches. Kafka en a fait un conte symbolique où tous les personnages d’une famille se métamorphosent psychiquement à la suite de la métamorphose physique de l’un d’entre eux. À vous de nous confier les vôtres, réels ou oniriques… Laurence Drocourt, artiste plasticienne, sera interrogée par Isabelle Blondie. 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 212 Nous attendons vos textes avec curiosité et amitié. N’attendez pas les délais, faites-le dès à présent ! Ces textes, corrigés le plus possible, d’un maximum de 10 000 signes, doivent nous être adressés uniquement par courriel et accompagnés de vos coordonnées et de quelques lignes bio bibliographiques. comitedelecture@chevre-feuille.fr AVErTIssEMENT Les textes et illustrations sont la propriété entière des auteures. Le comité de rédaction se réserve le droit de changer les titres. Les opinions émises dans les textes n’engagent que leurs auteurs. Les courriers envoyés à la revue peuvent être publiés sans demande préalable. Le contenu de chaque numéro sera numérisé en wobook. Pour continuer de paraître, Étoiles d'encre a besoin de votre soutien. 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