EE 55 Legerete - Page 120 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté Il s’active à sa cueillette depuis quelques minutes déjà. Elle a attendu sagement mais maintenant elle n’en peut plus, elle se précipite, fonce à travers les herbes qui ont déjà repoussé, se plante sous le cerisier et lui lance un bonjour joyeux, la tête renversée vers ce sourire bouleversant qu’il lui envoie. – Tiens pitchoune, deux doubles pour te faire des boucles d’oreilles! Elle enfile aussitôt les queues de cerise autour de ses oreilles et lui débite, sans reprendre son souffle: – Bientôt on va aller à la mer. Je t’invite. Tu peux venir toutes les vacances si tu veux, avec ta femme et aussi avec tes enfants. Mais surtout, viens! Brusquement la grand-mère surgit à côté du cerisier. Elle prend une grosse voix exagérée, dans laquelle perce un soupçon de rire: – Voyons Lilou, tu es encore en train d’importuner monsieur Puech ! Déjà qu’à son âge c’est extraordinaire qu’il escalade les arbres ! Et à quatre ans et demi, toi tu devrais savoir qu’on met un chapeau pour aller galoper en plein soleil! Et vous monsieur Puech, comment allez-vous? z étoiles d’encre (118) variations 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 118 Écrire en corps Écrire en corps pour mieux voir la balade en soi Point. Est-ce écrire ? Autrefois, je m’y jetais corps et âme liées, Et j’attendais, espérant, le miracle des mots. L’encre coulait et joignait quelques surprises rêches, Après des heures de silence. Aujourd’hui, cela est tracer-cracher Attendu d’amalgame, ceux que quelques mots, pas les mêmes, ficheront dans le glissé mortueux Qui reliera le monde! Libre de soi? Pas si simple ! Je m’y emploie. J’écris pour tisser dans la langue, avant qu’un continent soit perdu! Effroyable espoir qui nie et qui saigne, J’enfile les vocables au-dessus de la brèche! L’air sur la peau, tout se fend du dehors, du dedans, Mon corps est une petite fille qui déprime, Ferme et tendre. La réchauffer au poêle du cœur! Je finis en écrivant un temps de césure et de pliure, ce n’est pas le même mouvement, se complète et ressource Du nouveau par la colère ou la vigueur autre sang plus fort qui bat sous les tempes, brutal énergique… J’ai écrit en acte de séparation, pour nourrir cet autre bougon de raté, de neutré pour qu’il existe ailleurs Pleinement hors de moi, pour l’entendre dire sur un autre écran, sorti de ma mémoire, Tout ce qu’il a ruminé sans comprendre l’externalité de la difficulté, Le voir sous les yeux de l’imaginaire pour mieux le retirer du plan de la réalité, Dans cette distance attendrissante et intelligible Qui me le fera perdre comme un serpent sa peau à la mue. Pour qu’il réponde aux questions si longtemps remâchées, Pour le faire avouer qu’il m’a quitté pour que je devienne: Une retirée du monde, Suivie d’autres peaux de mots tannés Quand cela deviendra évident. MORINET Xristiane 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 119 À l’onde légère Une fine pluie caresse Le béton encore chaud Et se dépose sans bruit. Gouttes après gouttes Une flaque se dessine. Et toujours ce ciel lourd Qui décharge son trop-plein De manière indécente. La flaque prend vie, Elle a même le tournis. L’onde silencieuse A rebroussé chemin, L’air de rien… 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 120 Le caressier Nicole Buresi Il m’attendait au détour du chemin, planté là depuis toujours. C’était un caressier. Des caressiers, il n’y en a pas partout, alors je le soignais. Lui aussi prenait bien soin de moi. Ses caresses avaient une incomparable légèreté et savaient alléger le poids des jours et des chagrins. Donc, il m’attendait toujours, me voyait arriver après le second tournant, me faisait signe. Je l’entourais de mes bras, me blottissais dans ses branches, et je restais là quelques instants, sous la caresse de son feuillage. Il y eut des instants plus longs que d’autres. C’était ainsi depuis l’enfance. Il savait souffler ses caresses avec le plus grand tact, chantonner des airs inédits, murmurer dans une langue faite pour mon cœur des mots d’amour venus de très loin, à travers ses rameaux. Je l’écoutais en silence. Il ne donnait aucun signe d’ennui ou d’impatience quand je lui confiais mes joies et mes chagrins, forcément un peu répétitifs, sauf, parfois, une agitation presque imperceptible. 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 121 Son souci à lui, c’est qu’il vivait à la frontière de deux propriétés. La frontière, c’est ténu, invisible, presque inexistant, mais très inconfortable quand les familles limitrophes veulent vous annexer, vous accaparer ou profiter de vos richesses: de vos fruits, de votre parfum, ou simplement de votre ombre. Les crêpages de chignon succédaient aux insultes lancées comme des pierres, sans grand avantage pour personne, mais au péril du bel arbre. Les uns disaient : « il est à nous, parce que son ombre s’étend davantage chez nous. Voyez comme il tend les bras vers nous ! » Les autres répondaient: « il est à nous parce que le grand-père de la belle-sœur de notre cousin l’avait planté. Ses racines sont de notre côté, c’est indiscutable. Il est d’ailleurs facile de mesurer leur profondeur et de vérifier qu’elle est plus importante que la longueur des branches qui passent chez vous ». Il ne faut pas trancher à la légère une question aussi grave! Parfois ils disaient des choses encore plus subtiles: « il y a un trésor caché dessous, un rêve l’a clairement indiqué à l’un de nos sages ». Ou encore qu’un parking serait plus utile qu’un arbre à cet endroit, parce qu’on ne savait plus où ranger les carcasses de voitures qui s’accumulaient… Un jour, au détour du chemin, je ne le vis plus. J’étais atterrée. Je compris tout de suite qu’on lui avait fait du mal : un caressier, c’est fragile, sa tête légère que le moindre vent fait tourner, ses branches qui frémissent au plus faible mouvement de l’air, il faut les ménager, mais quelle délicatesse attendre de deux camps rivaux? Je cherchai en vain son feuillage semblable aux plumes roses des tamaris… Je n’en croyais pas mes yeux. Plus rien ne tamisait le bleu du ciel. On avait eu la sottise de l’abattre, de convertir en étoiles d’encre (122) variations 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 122 bois de chauffage un arbre à caresses, de lui faire la peau, pour empêcher d’autres d’en jouir! Il fallait se rendre à l’évidence: c’était ainsi. Son tronc avait été sectionné à ras, coupé net pour qu’il n’appartînt à personne. Je revins souvent m’asseoir à la place qu’il occupait naguère, et pleurer, assise sur un rocher. Il ne repoussa pas. Mais je lui parlais comme avant et j’eus la surprise d’entendre un jour comme un chuchotement que je ne saurais traduire, quelque chose comme: « va en paix ». Je sus alors que je ne l’avais pas perdu. Il était mon ami à jamais et partout. Je m’éloignai des frontières et vécus plus tard au pied d’un olivier que j’apprivoisai peu à peu. Nous échangions nos secrets, il m’offrait son ombre argentée, ses murmures et ses caresses. Ainsi va la vie… Les années passèrent. Avant de mourir, je voulus revenir au pays. Les frontières avaient changé. Du moins n’étaient-elles plus visibles à l’œil nu. Je ne reconnus plus les lieux. Au lieu d’une colline aride et pierreuse, je trouvai des prairies coiffées d’un plumage rose ondulant sous la brise et des enfants multicolores dansant la farandole. Lorsque j’entendis dans le vent les échos de l’Hymne à la joie, je sus que le caressier avait repoussé, je sus que l’heure venue, je pourrais m’étendre ici et trouver enfin le repos. z (123) légèreté 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 123 Chèvre-feuille étoilée C’est un endroit de femme, et non d’écrits de meC Hommes, nous les aimons, en criant EvoéH ! Etoilé chèvrefeuille est ouvert au poèmE Vers, prose, nouvelle, y verseront leur sèV Rêv’ nous liant, femmes, en l’envie de créeR Envie de multitude, et de rire et de rêvE Feu dans la cheminée, dans un monde sans cheF Energie de copine en la joie………… partagéE Une à une ajoutée, le pas est bienvenU Îlot à Montpellier dans un monde…… infinI La page est avancée où tracer l’arc-encieL La rime s’élabore en un sillon de mieL Et le bonheur jaillit : le texte est éditÉ ! Envie d’écrire encore, et encore et…… encorE Toujours recomposer et chapitre, et verseT Organiser les mots, surfer via l’ OulipO Inventant la contrainte et jouant grafittI Levant des scénarios et riant de GuignoL Épanouie la parole, univers ………… solidairE Et troupe femmes-fées, chèvre-feuille étoiléE! Nic Sirkis, À ma chère maison d’éditions! [à la manière du double-acrostiche Ce repère de Perec, même si ici… le titre n’est pas un palindrome !] 55 p 69 a 130 variations_Mise en page 1 24/09/2013 18:30 Page 124 mémoire et histoire ©Elene Usdin, Georges d’après Charpentier, 2010 5 ee 55 mémoire et histoire_Mise en page 1 24/09/2013 18:07 Page 125 ©Elene Usdin, Valise 5, 2008. 5 ee 55 mémoire et histoire_Mise en page 1 24/09/2013 18:07 Page 126 Les valises Rachel Cohen La voix dit: La légèreté et moi je vois: Les valises. Alors Claudel entre en scène et je marche dans ses godasses, dans son enjambée en arrière. Je me souviens. Nous sommes près de Dharamsala, le Petit Lhassa indien de l’Himachal Pradesh, à un kilomètre et demi environ de Mac Leod Ganj, au Tushita Meditation Center, il y a une dizaine d’années. Le lieu est un lieu de retraite pour étudier le bouddhisme tibétain. Nous, nous organisons, un ami auriculothérapeuthe et moi, un stage sur les émotions, notamment rires et émotions et donc pleurs et émotions. Partout ailleurs dans le lieu c’est la vacuité que l’on étudie. J’ai choisi de travailler les émotions à partir du théâtre. Les stagiaires ne sont pas du théâtre et il ne s’agit pas de faire du théâtre. Je donne les consignes de jeu. « Vous avez un chemin, environ deux mètres. Vous êtes à l’entrée. Vous avez une valise. Et vous la tirez. Vous tirez la valise derrière vous. Le chemin c’est un temps donné, le temps de l’enfance. Donc ces deux mètres représentent la période de vie de la naissance 5 ee 55 mémoire et histoire_Mise en page 1 24/09/2013 18:07 Page 127
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