Premieres pages de LA CAVALIERE - Page 3 - premières pages de la cavalière de Jeanne Galzy LA CAVALIÈRE de la même auteure L’Ensevelie, Calmann-Levy, 1912 La Femme chez les garçons, Payot, 1919 Les Allongés, Payot, 1919 ; rééd. F. Rieder et cie, 1924 ; rééd. Gallimard, 1975 (Prix Femina) La Grand’rue, Éditions F. Rieder et cie, 1925 Le Retour dans la vie, Éditions F. Rieder et cie, 1926 Sainte Thérèse D’Avila, Éditions F. Rieder et cie, 1927 (Prix d’académie) L’Initiatrice aux mains vides, Éditions F. Rieder et cie, 1929 (Prix Brentano) Jeunes Filles en serre chaude, Gallimard, 1934 Le Village rêve, Gallimard, 1935 Catherine de Médicis, Gallimard, 1936 Les Démons de la solitude, Éditions F. Rieder et cie, 1936 Margot, reine sans royaume, Gallimard, 1939 Les Oiseaux des îles, Gallimard, 1941 Pays perdu, Gallimard, 1943 La Cage de fer, Gallimard, 1946 Vie intime d’André Chénier, Éditions de la Nouvelle France, 1947 Le Dieu Terrible, S.E.P.E., 1949 La Femme étrangère, Gallimard, 1950 La Jeunesse déchirée, Gallimard, 1952 L’Image, Gallimard, 1953 Le Parfum de l’œillet, Gallimard, 1956 Celle qui vint d’ailleurs, Gallimard, 1958 La Fille, Gallimard, 1961 Georce Sand, Julliard, 1964 Agrippa d’Aubigné, Gallimard, 1965 La Surprise de vivre, Gallimard, 1969 Les Sources vives (La Surprise de vivre, ii), Gallimard, 1971 Le Rossignol aveugle, Gallimard, 1976 Jeanne Galzy La Cavalière © Éditions Gallimard, collection Blanche, 1974 © Éditions Chèvre-feuille étoilée Montpellier contact@chevre-feuille.fr http://www.chevre-feuille.fr/ mai 2017 isbn : 978-2-36795-120-1 Note de l’éditeur Nous republions ce livre, paru aux éditions Gallimard en 1974, à l’occasion du 40ème anniversaire de la mort de Jeanne Galzy, l’auteure native de Montpellier. Sa ville de naissance célèbre, au cours de la 32ème Comédie du Livre, la mémoire de cette grande écrivaine et nous a confié, à travers cette « cavalière » le soin de faire revivre une littérature dont les thèmes et l’écriture sont toujours très actuels. PREMIÈRE PARTIE 11 Elle se redressa sur le coude et la regarda dormir. La respiration soulevait cet étroit espace qui séparait les seins, un menton ferme s’incrustait dans le rond de l’épaule et le visage était tourné vers l’espace de la chambre à peine éclairée. Encore contre elle par la douceur de sa peau, elle sentait sa vie jumelée à cette autre vie proche. Elle n’osa pas bouger pour ne pas troubler ce sommeil. Des délices fondaient encore en elle, comme s’il suffisait de leurs jambes mêlées et du parfum sous lequel stagnait l’autre odeur plus profonde. Une odeur amère comme celle des hautes herbes près de l’étang. Et soudain le vent de là-bas lui fut perceptible un appel la traversa de lumière, d’espace, de course, ses cheveux brandis comme des flammes. Elle échappait au lit, aux draps saccagés, à la tiédeur savoureuse d’un corps encore mêlé au sien. Mais d’un mouvement de cils elle chassa les images, appuya sa joue à cette épaule offerte, referma les yeux. De fines fougères s’étiraient encore en elle, vibraient avec des battements délicieux, s’écrasaient aux hanches, s’évasaient en gaine : elle pensa aux sirènes, à leur prolongement marin, puis écouta encore près d’elle le souffle un peu rauque du sommeil épuisé, sourit avec une jeune fierté, referma les yeux. En bas, dans la large avenue roulaient les voitures. Une ville énorme l’enserrait. Lointainement venu, un air plus frais passait par une fenêtre entrouverte. Elle pensa, en la sentant nue, 12 « pourvu qu’elle ne prenne pas froid ! » et fut sans force pour tirer le drap. Après tout, c’était l’été. Cette voix, dont tant de critiques avaient célébré la beauté, ne courait pas de risque. Elle adhéra un peu plus fort à l’épaule, se sentit s’engourdir, lutta contre le sommeil. Trop d’interrogations la pressaient. Pourquoi venait-elle d’éprouver ce que nulle autre ne lui avait jamais donné ? Cela venait-il d’elle-même ou de l’autre ? Elle essayait de se remémorer l’étrange aventure. Cette fois elle n’avait rien appelé, rien décidé. Dans ce Paris inconnu, elle était entrée dans un théâtre. Le spectacle était quelconque ; mais une voix avait chanté. Et elle qui n’avait jamais frémi qu’au bruit du vent ou de la vague, avait été précipitée dans l’enchantement d’un monde ignoré. Et maintenant la voix demandait : — Que fais-tu ? — Je pensais. Le beau visage vint sur elle. Elle vit dans les yeux lourdement cernés de longs cils, un étonnement. — Quel âge as-tu ? — Dix-neuf ans. L’actrice rit de son rire un peu guttural, se redressa en s’appuyant sur la mince poitrine, regarda l’heure à sa montre-bracelet encerclée de diamants : — Pas possible ! Dix heures ! Lève-toi vite ! J’aime autant qu’on ne sache pas… La parole était impérieuse. Amédée sauta du lit comme si elle descendait de cheval, rassembla les vêtements rejetés. — Dépêche-toi ! Tu traverses l’antichambre. Ouvre doucement la porte. Ne fais pas de bruit. 13 Elle la chassait allègrement. Et Amédée eut la sensation que c’était fini et de cette tiédeur parfumée et de ce corps et de ses caprices et de ses exigences. Elle agrafa sa robe, chercha son sac, embrassa d’un regard l’espace, le tapis, les rideaux épais, la blancheur du lit que tachait de noir une chevelure défaite. — Élina ! — File vite ! — On se reverra ? — Bien sûr ! Elle eut envie de revenir, mais se retint tant elle sentit cette volonté qui la repoussait avec hâte. Elle avait déjà la main sur la poignée dorée de la porte. — Chou, dit la voix, fais doucement. L’antichambre était prise entre des portes fermées ; mais celle de l’entrée ne faisait aucun doute, elle en poussa le verrou, ne songea pas à appeler l’ascenseur, prit l’escalier dans son élan de fuite et l’incertitude de tout malgré les mots prononcés. Tout s’agitait confusément en elle dans un tourbillon de vertige : la nuit inespérée, l’emprise soudaine, l’image d’un corps accompli et parfait, son asservissement à des mains expertes. En bas il y eut un bruit. Une porte battit. L’ascenseur montait, huilé, sifflant à peine. Un gros homme pâle la regardait, s’élevant comme vers les cintres d’un théâtre, à travers des reflets de vitres. Et pendant qu’elle était frappée par les plis impeccables de son pantalon, ses souliers de daim, son air de richesse, il lui vint à la pensée :« Maisellenesaitpasoùj’habite !Commentmerappelleraitelle ? » L’ascenseur montait encore ; puis s’arrêta. Elle songea : « Serait-ce à son étage ? », ne put vérifier à cause de la hauteur. Déjà elle était arrivée devant la loge de la concierge, ouvrit son sac, tira un papier, écrivit son nom : « Amédée Parazol », renonçant une fois de plus à son nom véritable, inscrivit son numéro de téléphone et celui de sa chambre dans son hôtel, remit le papier au concierge, sortit dans l’air du matin, étonnée de tant de soleil. 14 Une foule pressée la frôlait. Elle héla un taxi, se coula sur la banquette. Avec peine elle s’y maintint droite, luttant contre la fatigue à travers le dédale des rues inconnues. Enfin il y eut la façade de l’hôtel. Elle paya, l’ascenseur la happa, une femme de chambre accourue ouvrir sa porte dont elle avait oublié de prendre la clé, elle se jeta sur le lit sans se dévêtir, et sombra dans le sommeil.
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