Premie res pages de Canimonde Janine Teisson chevre feuille etoilee - Page 2 - Premieres pages de Canimonde de Janine Teisson au chevre feuille etoilee Collection D’une fiction, l’autre Illustration de couverture : ©Mat Let, 2016 Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page2 CANIMONDE 2184 Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page3 du même auteur LITTÉRATURE GÉNÉRALE La Métamorphose du Rossignol, policier, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2014 Non !, théâtre, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2014 L’Enfant plume, récit, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2012 et 2015 Thalasso-crime, policier, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2014 Cher Azad, contes érotiques, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2011 La Salle de bain d’Hortense, roman, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2011 et 2015 ( poche) Liens de sang, roman, éd. Chèvre-feuille étoilée, 2010 La Petite Cinglée, éd. Climats, 1993, Prix du premier roman de Chambéry, 1994, Prix Antigone. éd. Le Seuil, 2000 Le Règne animal, nouvelles, éd. HB, 1997 LITTÉRATURE JEUNESSE : L'Envers du tableau, éd. Oskar, 2015 Des diamants dans le foie gras, éd. Oskar, 2013 L’Ogre bouquiniste, éd. Gallimard, 2012 Mia des nuages, éd. Oskar, 2012 Pesticides, pizzas et petit bébé, éd. Oskar, 2011 Un chat de château, éd. Folio Cadet, Gallimard, 2010 Germaine Tillion, un long combat pour la paix, éd. Oskar, 2010 Les Rois de l'horizon, éd. Syros, 2011, 2002, Prix France Télévisions, Prix Sésame Les Enfants d’Ici bas, roman S.F., éd. Oskar, 2009 Au clair de la nuit, Poésie, éd. Motus, 2009 La Pantoufle écossaise, éd. Gallimard jeunesse, 2009 Un amour sous les bombes, éd. Oskar, 2008 et autres titres parus depuis 2007 Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page4 Janine Teisson Canimonde 2184 roman Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page5 © Éditions Chèvre-feuille étoilée Montpellier bureau@chevre-feuille.fr http://www.chevre-feuille.fr/ mai 2016 ISBn : 978-2-36795-105-8 Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page6 Marion travaillait tard ce 24 décembre. J’ai emmené Blanche chez le coiffeur. Je l’ai laissée dans le salon parfumé et suis allé récupérer le cadeau que je lui destinais : une petite baignoire translucide à double parois, entre lesquelles nagent de véritables poissons rouges. Cet objet m’a coûté une fortune, mais imaginer le plaisir de Blanche et la joie de Marion, surtout, me donnait des ailes. Je sifflotais. J’étais sûr que cette nuit se terminerait bien. D’avance j’en poussais des soupirs de volupté. Je me suis confondu en compliments lorsque la coiffeuse m’a remis Blanche teinte en blond orangé, bouclée comme un chou thaï, un ruban rose planté entre les deux oreilles. Je n’ai pas fait de remarque sur la fadeur du parfum dont elle était inondée. Mon gros carton, heureusement léger, à la main droite, Blanche sur mon bras gauche, j’allais d’un bon pas. C’était une belle fin d’après-midi de 24 décembre. Froid, lumières, vent aux chevilles, hommes et femmes courant tête baissée, ployant sous les paquets, chiens émerveillés devant les étalages d’os en chocolat, grondés, tiraillés par des humains épuisés, rien ne manquait. Devant le magasin Chic’Os se tenait un photographe et son compagnon Pernoël, comme chaque année à cette époque-là. Depuis belle lurette je ne m’intéresse plus à ces personnages conventionnels mais j’ai pensé que pour Blanche, vu son âge, ce serait peut-être bien, une photo avec un Pernoël. Ça mettrait Marion en joie, j’en étais sûr. Elle Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page7 8 m’embrasserait derrière l’oreille en disant de sa voix frissonnante : « Que tu es mignon d’avoir eu cette pensée ». Et évidemment je me couvrirais de chair de poule de haut en bas. Je m’arrêtai, posai mon paquet. À partir de cette seconde-là, exactement, j’ai eu le sentiment que le monde, moi y compris, devenait insolite, comme hors du réel. Et à présent que je suis dans mes murs, assis sur mon carton, je ne peux me défaire de cette impression d’avoir pénétré dans une autre réalité. J’ai posé Blanche sur le trottoir non sans lui avoir auparavant lacé ses bottines et expliqué pourquoi je pensais qu’une photo de noël ferait plaisir à Marion. La petite frétillait sous les yeux du Pernoël, un escogriffe un peu raide, prognathe, de race indéfinissable, le bonnet rouge à pompon blanc de guingois sur le crâne. Je n’ai pas regardé le photographe. Pourtant à présent je me demande si ce qui a déclenché toute l’étrangeté de la situation n’était pas contenu dans le sourire de cet individu. Mais comment cela serait-ce puisque je ne l’ai pas regardé ? Je me suis éloigné pour laisser le photographe opérer. Au moment où l’homme descendait du trottoir pour prendre du recul, le Pernoël, langue pendante, robe écarlate retroussée, s’est jeté sur Blanche et s’est accouplé furieusement avec elle. En une seconde la rue ne fut qu’une clameur. Glapissements suraigus de la petite chienne, aboiements des clients de Chic’Os sortis sur le trottoir, hurlements de la foule qui se précipitait sur le criminel, parapluies dressés, grondements du violeur, crocs menaçants et enfin, au loin, hululements des sirènes de la polichienne. Et moi, où étais-je ? Que faisais-je ? Ai-je appelé la police ? Le chiopital ? Ai-je tiré de toutes mes forces sur le Pernoël soudé à sa victime ? non, Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page8 9 les yeux exorbités je regardais le scélérat frénétique se prendre les pattes avant dans ses manches fourrées et baver sur la mise en boucles de Blanche. Je voyais les muscles tendus de ses cuisses qui sortaient, noires, de ses bottes rouges. Le bonnet à pompon retenu sous le cou du voyou par un élastique glissait sur son œil ahuri de quelques millimètres à chaque coup de rein. Le nœud en lamé rose de Blanche, arraché, tressautait en cadence dans la fausse barbe en acrylique du Pernoël. Le violeur s’activait, indifférent à la kermesse d’épouvante qu’il avait déclenchée. Devant cette scène hallucinante, inexplicablement, je n’ai été envahi ni par la fureur, ni par la pitié, mais par une hilarité irrépressible. J’ai eu le sentiment que le rire qui me traversait n’était pas mon rire, qu’il venait de très loin, d’au-delà de moi. Je me suis senti possédé par une force venue du fond des âges. Presque dévasté par cette force. Du fond des âges, oui, qui croira cela ? J’en ai le pressentiment sans pouvoir, d’aucune façon, me l’expliquer. Littéralement secoué de la tête aux pieds j’ai quand même eu la présence d’esprit de me cacher entre deux autovites arrêtées contre le trottoir. Je n’ai rien perdu de la suite des événements dont chaque péripétie faisait gonfler mon rire, le prolongeait, le ressuscitait. Malgré la violence de ces accès, ma lucidité me revint. Mon être en cet instant était scindé en deux. Écartelé jusqu’à la douleur. Une part de moi, ma conscience, était révoltée par la barbarie de l’acte qui se perpétrait sous mes yeux autant que par ma propre attitude et l’autre, inconnue jusqu’à ce jour, revendiquait le soulagement démoniaque d’éprouver des sentiments en tous points contraires à mes convictions, à mon éducation, à la simple morale. Plié de rire je me haïssais, car enfin, il n’y avait rien de drôle dans cette horreur ! Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page9 10 J’avais cru jusqu’à ce jour que ce genre de crime préhistorique ne pouvait avoir lieu qu’à Chicago ou dans les basfonds de Barcelone, mais à Montpillier devant le Chic’Os ! Que certains jeunes humains de classe S, à peine sortis des futureries n’y tiennent plus et s’accouplent subitement en public était concevable, mais des chiens ! Depuis des années, des siècles, ils sont programmés pour que ce genre d’acte leur soit impossible. Les chiens sont produits in vitro comme les humains, mais à l’unanimité les psycanins les ont dispensés de l’accouplement jugé par trop disturbeur et inesthétique. Le Grand Ordinateur, devant les troubles violents causés par le parti des Libertistes dans tout le pays, à l’annonce de la consultation nationale sur la suppression des activités sexuelles, a conservé aux humains ce passe-temps corporel qui, bien que civilisé à l’extrême, est jugé sauvage et inutile par les gens du parti de la Vertroite qui préfèrent le téléorgasmeur mural à écran ondulant aux fatigues des manipulations érotiques. Quant à moi, je suis loin de partager les idées de la Vertroite et je ne manque pas de remercier le parti des Libertistes chaque fois que Marion peut me rejoindre. Trop peu souvent à mon goût, à cause de son travail. La futurerie dans laquelle elle est employée fait éclore et développe les futurs humains, les programme, les place professionnellement et assure le service après placement durant deux ans à partir du moment où le jeune humain est lancé dans la vie. C’est une des futureries les plus réputées de France. Elle couvre un territoire énorme. Les employés ne travaillent jamais plus de trois mois au même poste pour éviter les interférences affectives. Cela exige d’eux une souplesse adaptative peu commune. Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page10 11 Moi aussi je travaille pour la futurerie du Langsillon mais mon poste est de tout repos. Je crée, adapte, améliore les cours de français pour les classes terminales. Je n’ai qu’un contact virtuel avec mes élèves. Jamais, depuis que j’en suis sorti, je n’ai visité de futurerie. Ma note de téléprof est excellente. Les élèves m’envoient des messages extrêmement valorisants du genre : « Je vous remercie, vous avez parfaitement répondu à ma question. » Bien sûr les messages sont anonymes et calibrés, mais je ne peux m’empêcher de rechercher des similitudes dans le style des missives ou quelque détail dévoilant le sexe de l’élève ou son caractère. Ces spéculations se basent sur des indices si ténus, si soumis à la subjectivité et si… interdits par la déontologie enseignante que je ne m’y adonne que très rarement. Travailler à la futurerie est très pénible pour une jeune et fragile personne comme Marion. À cause des gardes de nuits et des interférences psychologiques. Elle aurait préféré être employée à la chiennerie mais la liste des gens qui y attendent un poste est si longue ! Enfin, elle non plus n’est pas à la Vertroite, et c’est le principal, vu mon goût prononcé pour les jeux érotiques. De toute façon, après ce qui vient d’arriver, c’en est fini de la chair de Marion. Si encore j’avais secouru Blanche, si je l’avais accompagnée dans l’ambuchien, si je lui avais tenu la patte au canopital, mais non, je n’ai pas hurlé en m’arrachant les cheveux : « Je suis son parrain ! Je vous en supplie, je veux rester à ses côtés ! » Rien. J’ai laissé les autres s’affairer autour des deux chiens. Je ne me suis pas manifesté. Je ne sais même pas dans quel canopital elle a été transportée. Cela, elle ne me le pardonnera jamais, Marion. Et elle aura raison. Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé. Comment ai-je pu ? Canimonde JTeisson©chevre-feuille etoilee_Mise en page 1 20/04/16 23:30 Page11
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