La revue 100 Numero 9 octobre 2011 - Page 2 - La revue 100% Auteurs Numero 9 octobre 2011 p. 2 Sommaire - Couverture : Michèle SEBAL - Edito : Fanny LEBEZ, page 3 - Nouvelle : Le champ du rêve, Raymond JACQ, page 6 - Poésie : Viens, JODELLE, page 10 - Chronique : La Casati, par Clément CHATAIN, page 12 - Interview : Camille DE PERETTI, page 15 - Poésie : Poudre de magie, Monia BOUSSELMI, page 22 - Chronique : Marie-Betty et le livre des contes, page 24 - Information : Salon du livre de Somain, page 27 - Auteurs en dédicace : page 29 - Nouvelle parution, page 30 - Jeu des charades littéraires, page 33 - Réponse à la question proposée sur la page FB, page 36 - Participation, page 37 - Livre du mois, Le fabuleux destin d’un cahier d’écolier, Robert AVEILLAN, page 38 p. 3 La revue 100% Auteurs Edito : Autour de la littérature La littérature est une femme. Tantôt sensible, tantôt forte, elle est celle qui donne la vie. C’est un fil d’humeurs continu qui agace, séduit ou indigne. Elle tisse sa toile entre celui qui écrit et celui qui lit. Elle est celle qui rassure, qui distrait ou qui fait réfléchir. Elle est multiple et passionnée cette littérature, elle est magique et harmonieuse, elle est toxique et éphémère. Nombre d’adjectifs pour une métaphore qui n’en finit plus de se filer. Il est difficile de donner une définition puisque cela reste tellement subjectif. Les théoriciens de tous temps ont tenté de l’expliquer. Nous pensons à Sartre qui pose la question du « Qu’est ce qu’écrire ? » « Pourquoi écrire ? » « Pour qui ? » Ou encore Barthes avec « qu’est ce que l’écriture ? » La littérature comme lieu politique Continuons avec Sartre où la littérature passe forcément par l’engagement : « Par la littérature, je l’ai montré, la collectivité passe à la réflexion et à la médiation, elle acquiert une conscience malheureuse, une image sans équilibre d’elle-même qu’elle cherche sans cesse à améliorer et à modifier. » (1) Dans la continuité de cette réflexion publiée en 1948, on trouve les directeurs de L’Ecole des loisirs qui ont édité très récemment un petit collectif ayant pour idée majeure le lien étroit entre « l’enfant lecteur et le libre électeur ». Oui, la littérature aide à prendre conscience de certaines réalités. Elle se remet en question constamment puisqu’elle évolue en fonction de la société. Du livre en papier nous passons au livre p. 4 numérique ; des mémoires nous passons au témoignage ; de lecteur nous passons à citoyen. La littérature c’est aussi une entreprise qui lutte contre l’illettrisme. Elle ouvre son univers aux petits comme aux plus grands. La littérature n’a pas d’âge et il n’y a pas d’âge pour la côtoyer. La littérature comme lieu d’échange Barthes en 1965 donne sa définition de la littérature(2), qui se résume à un ensemble de signes, de langages et de styles. Elle s’inspire grandement de l’Histoire jusqu’à la fin du XVIIIe, où elle commence alors à prendre une toute autre forme : celle du divertissement et de la fascination. Elle prend forme humaine en tant que langage identificatoire. La littérature est vue à travers le processus de création qu’est l’écriture et qui traverserait tous les états, c’est une réalité presque palpable. Ainsi, elle est en mesure de créer du lien social, elle permet l’échange et le partage d’émotions. Que l’on soit d’accord ou pas sur la qualité de l’ouvrage, il n’en reste pas moins la discussion. La littérature comme lieu du soi On ne peut discuter littérature sans passer par le stade de l’écriture. La littérature est un domaine artistique et les mots deviennent son matériau. Nous sommes presque tous amenés à côtoyer l’écriture à un moment ou un autre de notre vie. Par nécessité ou par désir, l’écriture s’inscrit dans une dimension affective et singulière. D’une certaine manière, écrire c’est se dire, se dévoiler. p. 5 Qu’est ce que la littérature ? C’est un tout. Ou plutôt, c’est une énigme, une boîte de Pandore. Que ferions-nous si le mystère de la littérature était dévoilé ? Nous dirons simplement que c’est une archive de souvenirs qui sublime notre quotidien. 1. Sartre, Qu’est ce que la littérature, Gallimard, p294 2. Barthes, le degré zéro de l’écriture La Revue 100% auteurs comporte tous ces « lieux », celui de l’engagement conscient pour une littérature libre, celui du partage et de l’échange et celui du soi. Les mots se succèdent pour vous proposer une littérature contemporaine sous toutes ses formes : de la nouvelle, à la poésie en passant par la chronique, tout est réuni pour une expérience singulière de la lecture. Fanny LEBEZ p. 6 Nouvelle Le champ du rêve Oui, c’est ainsi que cela s’est passé. Ceux qui ne l’ont pas vécu ont de la peine à le croire. Mais ce fut ainsi. Un matin, en cours de philosophie, le professeur a dit « Eh bien, nous allons parler des rêves. Et, pour commencer, chacun va raconter un rêve qu’il a fait. Nous aurons ainsi, je pense, des bases de travail intéressantes. » Nous étions bouche bée. Nous ne savions pas que raconter ses rêves c’est un peu comme de se mettre tout nu derrière un voile que le regard soulève, ou de se pencher au- dessus d’un puits profond comme un miroir, ou d’écouter le frémissement des lignes de la main, mais nous sentions que quelque chose allait se passer, qui nous changerait de Théodule Ribot et de Kierkegaard. Par la fenêtre montaient les premières rumeurs du printemps. Des chars allemands passaient sur la route, celle qui longe les jardins du collège, nous entendions très bien le grondement des chenilles. L’abbé Lebarz s’était assis. Les bras posés à plat sur son bureau, il a commencé le récit de son rêve. Ce n’était pas un rêve long et embrouillé comme ils le sont parfois, non, une histoire très courte, mais brutale. « J’étais », dit-il, de sa voix calme, « dans ma chambre. Soudain. Les Allemands sont arrivés dans le collège. Ils ont dit qu’ils voulaient me voir. Et puis ils m’ont arrêté. Plus tard ils m’ont conduit sur la route de Port-Blanc, et là, ils m’ont fusillé. Je me souviens très bien, c’était dans un champ de pommes de terre, au croisement avec la route du Cap Beuzec. » Chacun était figé. Quelques uns, dès l’annonce du sujet, s’étaient mis à chercher, parmi des rêves récents dont il leur p. 7 restait des souvenirs ou seulement des bribes, celui qu’ils pourraient raconter ainsi à tout le monde. Et mentalement ils en éliminaient plusieurs, effrayés par l’impudeur, ou le grotesque, de certains détails. Maintenant, plus personne ne cherchait, le rêve de l’abbé Lebarz avait saisi tous les esprits, on ne pensait plus qu’à ce petit récit. Nous ne savions rien de précis sur les activités de notre professeur, mais nous savions qu’il était un ardent patriote. Nous regardions son visage, il était calme, l’émotion était en-dessous sans doute. Il dit seulement « Allez, j’ai plongé le premier, l’eau n’est pas trop froide, à votre tour maintenant ». Et nous avons dû plonger, nous aussi, et raconter nos petites histoires nocturnes. Au long des semaines suivantes, il nous est arrivé plusieurs fois de repenser au rêve de l’abbé Lebarz. Surtout quand nous entendions passer un convoi allemand sur la route. Ou, plus encore, quand un side-car ou un camion s’engageait dans la rue du collège. Parfois pendant les cours, parfois la nuit, allongés dans l’ombre des dortoirs, nous écoutions, le cœur battant, pensant à chaque instant les entendre s’arrêter devant la porterie. Et puis, le temps a passé. D’autres cours se sont succédé, les sensations, ou la conscience, ont pris la place des rêves. Le printemps s’est écoulé tout entier. Il y a eu les petites vacances de Pâques. Et encore des dimanches. Des championnats de football ou de cross-country. De longs moments à rêver, assis dans la cour à la chaleur des murs, un livre sur les genoux. Et des rumeurs, des nouvelles de la guerre, apportées par quelqu’un qui avait écouté la radio à travers la porte de la chambre d’un professeur. Des rires aussi, des sourires, des amitiés, des rêves. Une nuit, les Allemands sont venus dans le collège. Et nous ne les avons même pas entendus arriver. Nous dormions p. 8 lourdement sans doute, nous avions eu une longue après-midi d’entraînement sportif. Nous avons été sortis brutalement du sommeil. Ça a éclaté d’un seul coup, comme des vitres qui tomberaient toutes ensembles. Nous avons entendu des bruits de bottes dans les couloirs, et une cavalcade dans le grand escalier. Aussi des voix, des cris, des ordres, même ceux d’entre nous qui étudiaient l’allemand étaient bien en peine, dans la terreur, de les comprendre. Nous étions assis sur nos lits, la gorge serrée. Nous avons reconnu la voix de l’abbé Aubuy, et celle du Supérieur, ils protestaient, ils disaient « Mais il n’a rien fait, vous n’avez pas la droit ». À ce moment le groupe se bousculait dans le passage sous le bâtiment, qui conduit du cloître à la petite cour de la porterie. Nous nous sommes précipités aux fenêtres. Nous les avons vus, ils étaient une douzaine, ils poussaient l’abbé Lebarz vers la rue, des soldats tenaient leur mitraillette dans son dos. En franchissant la porte, il a essayé de lever la tête vers nos fenêtres. L’officier est resté le dernier, il a salué le Supérieur et l’abbé Aubuy, il a dit « Au revoir, Messieurs ». La porte s’est refermée. Nous avons entendu démarrer le camion. Nous sommes restés longtemps sans dire un mot ou murmurant des phrases en désordre, assis sur les lits les plus proches des fenêtres. Et puis nous nous sommes couchés. Une torpeur, comme une sorte de paralysie, avait alourdi la nuit. Nous avons dormi, mais ce ne fut pas un sommeil très léger. Au matin, chacun a cherché des nouvelles. Tout le collège était dans l’émotion, et la désolation. Dans la journée, le Supérieur a téléphoné plusieurs fois à la Kommandantur, mais sans succès, ils refusaient de répondre à ses questions. Au soir, nous n’en savions pas plus. Le lendemain était un dimanche. Vers dix heures, nous étions quelques-uns, traînant sans goût, dans le cloître. Nous avons vu p. 9 arriver le père d’un élève de Première, Jean Trebuen. Il était endimanché, mais son visage était gris. L’abbé Aubuy, au même moment, descendait l’escalier. Monsieur Trebuen s’est précipité vers lui, il était très ému, il bafouillait presque, il a dit « Monsieur l’abbé, monsieur l’abbé, j’ai trouvé l’abbé Lebarz, dans mon champ, près du talus, ils l’ont tué, les salauds.. », il s’est mis à pleurer. Nous étions assommés, nous ne ressentions encore rien, nous avions seulement un peu honte d’être là à regarder cet homme qui pleurait. L’abbé Aubuy lui a touché le bras un instant. Monsieur Trebuen a repris « C’est dans mon champ qui est sur la route de Port-Blanc, au croisement avec la route du Cap Beuzec, je l’ai trouvé ce matin, je passais juste ». Sans réfléchir, l’un de nous, je ne sais même plus qui, a demandé « C’est un champ de quoi, votre champ, monsieur Trebuen ? ». Monsieur Trebuen l’a fixé, bouche ouverte, et l’abbé Aubuy aussi, comme on regarde quelqu’un qui pose une question déplacée, stupide même, mais il a répondu, machinalement, « C’est un champ de pommes de terre, oui, des pommes de terre ». Tout autour, le dimanche était sombre et violent. Raymond JACQ p. 10 Poésie Viens… Viens, Laisse là ce printemps que tu maudis toujours Car je maudis autant le bruit du temps qui court, L’été que l’on endure à la force du deuil Et qui te claquemure au fond de ton fauteuil. Viens, Laisse là ta cuisine et l’ouvrage du mois, La pensée qui marine et le fiel en émoi… Vendémiaire est regain, ses relents plus songeurs, Même si l’incertain vendange nos humeurs. Viens, Laisse les faux débats, l’injure et les non-dits, Le brame est un combat pour l’amour, pour la vie. Je veux chasser l’ennui à brides abattues, Que tu oublies ces nuits gisantes et têtues. Viens, Si ton corps se raidit, le mien fera violence Aux roues qui prêtent vie à tes pas en absence Et nous irons à deux où l’érable en partance Allume de ses feux un lac en nonchalance. Viens, Brumaire est à la porte et diminue les jours, Les fruits de sa compote embaument le séjour ; Si la feuille s’y meurt, elle danse l’instant D’une ronde aux couleurs de soleils éclatants. Viens, p. 11 Nous laverons nos yeux aux ramées qui s’envolent Et bousculent par jeu les nuées qui s’affolent, Nous piquerons nos doigts aux bogues des châtaignes Et tu riras de moi bien que je ne m’en plaigne. Viens, Je me fous de l’hiver, il me semble si loin, N’aie crainte de Frimaire, on verra bien demain… Au plus fort du glacis, le vent souffle une histoire Et Saint Martin fleurit les berges de la Loire… Jodelle
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