La revue 100 Numero 26 - Page 16 - La revue 100% Auteurs est destinée à présenter au public des auteurs non ou peu connus. 16 avait été bannie par la reine, car elle avait transgressé une règle essentielle. Elle se trouvait dorénavant au fin fond des marais : « Fallait-il que la reine soit vraiment en colère contre la fée Madge pour l’avoir envoyée là-bas ! […] Une odeur nauséabonde […] devait sûrement venir de toute cette vase. […] Derrière l’eau croupie, à moitié cachée par un arbre à demi-mort, apparut une masure qui tombait en ruine. » La fée Madge ressemblait plus à présent à une sorcière plutôt qu’à une fée, car, « les fées bannies perdaient leur beauté ». Etheline le savait, mais jusqu’à ce jour, elle n’en avait pas mesuré l’ampleur. Cela dit, d’elle devait venir la « guérison », Etheline devait don lui accorder sa confiance. De plus, sans autre solution possible, le choix n’était donc pas permis. Etheline écouta la fée Madge pour ensuite respecter scrupuleusement ses demandes, car il lui fallait des éléments permettant de rompre le maléfice. Eléments qu’Etheline devait trouver par tous les moyens : « Une écaille de triton, […] une mèche de cheveux de cyclope ». A la recherche de triton et cyclope… À charge pour Etheline de se débrouiller puisque la fée Madge, alors que la jeune muse demandait où trouver un cyclope, avait été claire : « Ah, ça ma petite, je n’en sais fichtrement rien ! C’est à toi de le découvrir ! Je ne vais tout de même pas te mâcher le travail ! » Ce ne serait effectivement pas si simple, tel que l’avait déclaré la fée Anna à la jeune muse. Néanmoins, jusqu’ici elle n’en avait pas vraiment cerné les difficultés : « Ça allait être plus compliqué que prévu. Et où pouvaient bien se cacher les cyclopes ? Les terres du 17 Milieu dans les quelles on les rencontrait habituellement étaient loin d’être accessibles ». En outre, ils n’aimaient pas beaucoup les fées au dire de la fée Madge. En route pour Etheline, à la recherche de triton et cyclope. L’aventure pouvait commencer pour la jeune muse. Une aventure qui allait lui faire découvrir des êtres tant exceptionnels qu’adorables, et d’autres beaucoup moins agréables. Tandis que l’une des épreuves ne fut pas trop difficile, la seconde allait être bien plus complexe, voire même dangereuse. Etheline, courageuse petit fée, parviendra-t-elle à retrouver ses pouvoirs ? Et à quel prix ? Nous avons là une jolie petite histoire qui nous transporte avec facilité dans un monde féérique, mais pas que… Ce petit roman jeunesse nous montre également qu’avec de la solidarité, on parvient à combattre le mal pour y gagner en amour, amitié, confiance… Il suffit parfois de si peu pour trouver les solutions nécessaires à la résolution d’un problème. Un joli roman jeunesse à lire et à relire ! Informations sur le livre : Titre : Etheline ou le secret des muses Auteur : Angel Editions : Angel Publications ISBN : 9781471735493 Prix : 13€ 18 Biographie de l’auteur : Angel est un écrivain dont la sensibilité à fleur de peau est omniprésente dans ses écrits. Entière et sans compromis, elle se donne à son art avec passion et intransigeance. Son écriture est légère, toute en douceur. D’ailleurs, les enfants ne s’y trompent pas : « Etheline ou le secret des Muses », conte pour enfants, est déjà un joli succès. Mais qu’on ne s’y fie pas. Derrière le sourire rassurant d’Angel se cache un caractère décidé et volontaire. D’ailleurs, cela transparaît dans les autres publications de cette romancière inépuisable : fantastique, policier, nouvelles, poésie… où l’atmosphère, tout à coup, n’est plus si légère. On y rencontre des destins hors du commun, des vies hachées menu, des solitudes et des passions dévorantes. Traversant les épreuves de la vie avec détermination, Angel n’a pas lâché son stylo depuis ses neuf ans et nous promet encore de belles surprises... Dont la création d’une maison d’édition, excusez du peu ! Qu’est-ce qui pourrait arrêter Angel ? Rien… Marie BARRILLON 19 Nouvelle Le Bal Populaire Nicolas pressa le pas. Il voulait arriver dès l’ouverture du bal populaire prévue à la tombée de la nuit. Or il faisait sombre depuis peu. Plus vite, Nicolas ! Tout en marchant dans la rue principale du village, il releva la tête pour observer le ciel obscur : pas de trace de nuage. C’était déjà ça ! Un bal en plein air sous la pluie n’aurait pas attiré les foules. Or Nicolas avait faim de foule. Faim de musique. Faim de fête. Et surtout faim d’amour. Ce genre de faim qui faisait sortir du bois le loup solitaire qu’il était. Il n’avait pas dévoré cette chair apaisante depuis si longtemps. Allez, même un petit croûton rassis, il ne cracherait pas dessus. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de l’amour… Ombre furtive dans la nuit, il poursuivait son chemin, rasant les arbres de la grande place déserte du village. Ici s’était tenu le bal populaire l’an dernier. Mais les riverains s’étaient plaints du bruit. Comment pouvait-on déplorer la fête ? Une seule fois par an, en plus. On écoutait trop les vieux grincheux dans ce village. Du coup, cette année, le bal se tenait à la sortie de la ville, dans un champ en jachère. Quand il arriva, les festivités étaient commencées. Le flonflon ringard mais pittoresque de l’accordéon entraînait quelques couples sur la piste matérialisée par une estrade en bois. Autour, des bancs, des tables et une buvette. Quelques projecteurs décorés de lampions multicolores tentaient de suppléer sans conviction la lune absente. La nuit naissante ne parvenait pas à dissiper la chaleur estivale. Cette chaleur lourde l’inquiétait. Il craignait un orage d’été. Il jeta un nouveau coup d’œil au ciel : toujours dégagé. 20 Les gens discutaient par groupes, assis sur les bancs, ou debout près de la buvette. Ils regardèrent le nouveau venu. Nicolas les toisa du haut de sa taille de nabot. On aurait pu penser que sa petite taille aurait entamé sa confiance en lui, dans un tel lieu. Il n’en était rien. Il y avait longtemps que Nicolas avait compris que la grandeur ne se mesure pas à la taille. Et que l’apparence physique n’est qu’une… apparence sans importance, surtout pour les hommes. Même pour les femmes, d’ailleurs. La beauté est une illusion, un piège grossier des sens. Mais Nicolas aimait tomber dans ce piège-là. Il déambulait avec aisance parmi la foule. Il ne connaissait personne. Tout le monde se tenait au sein d’un groupe, sauf lui qui était en marge. Il alla à la buvette prendre un verre de vin, non pas pour se donner une contenance, mais simplement parce qu’il avait soif, avec cette chaleur torride. L’alcool ne désaltère pas, au contraire, mais il l’ignorait. Il avait soif. Et faim. Alors il but son verre d’un trait en grimaçant. Le vin était exécrable. Il faisait honte à la culture viticole ancestrale de notre beau pays. Nicolas espérait que l’apéritif ne présageait pas de ce qu’il allait se mettre sous la dent ce soir. Il balaya du regard les proies potentielles, un sourire carnassier aux lèvres : elles étaient nombreuses, leurs sens probablement émoustillés par la chaleur estivale. Finalement, elles se trouvaient là pour le même motif que lui : l’impérieuse raison de la Nature. Il allait faire le maximum pour ventiler une de ces malheureuses victimes de la chaleur, en quête de refroidissement. Il pensa au refroidissement par liquide mais chassa aussitôt cette idée graveleuse, indigne de sa faible alcoolémie. Il se souvint d’un article lu dans un magazine. La chaleur excitait les femmes et pouvait même les rendre entreprenantes. Voilà qui aurait bien arrangé ses affaires ! Hélas, aucune femme ne l’avait jamais entrepris. C’était 21 toujours à lui de faire l’effort d’aller vers l’autre. On lit tant de bêtises dans les magazines… Il n’était pas là pour penser. — Voulez-vous danser, mademoiselle ? demanda-t-il à une jeune femme blonde, grande, mince, magnifique. La soirée commençait à peine. Autant viser haut en termes d’esthétisme. Il serait toujours temps de se rabattre sur une proie d’envergure plus modeste si nécessaire. — Oui, j’aime cet air ! Les voilà à tournoyer sur la piste, collés l’un à l’autre. Le tourbillon de la danse, la musique joyeuse, le corps féminin si proche : un sentiment de béatitude euphorique gagne Nicolas. Elle est plus grande que lui, peu importe. Elle danse mal, un détail. Elle sent la sueur, ce n’est pas grave. Et même tant mieux : son odeur de femelle l’excite, l’émeut, l’aiguillonne. Il ne sait pas quoi lui dire. Alors il lui sourit. Elle aussi, juste un tout petit peu. Le morceau s’achève. — J’ai soif, dit-elle. C’est normal, avec tout ce qu’elle transpire, se dit-il. Ils vont à la buvette. C’est le seul endroit du bal bien éclairé. Il peut mieux l’observer à présent. Bon sang ! Quelle bombe ! Un visage d’ange ! Des seins énormes ! De longues jambes fines ! Il a ferré du gros ! Peut-être n’aurait-il pas osé l’aborder en pleine lumière, intimidé par sa beauté. Qui, cependant, est un leurre. Mais ce mirage, il n’arrive pas à voir au travers, pauvre victime de ses sens grossiers et de sa faim aussi. L’homme rêve d’élévation de l’âme et de grandeur, de gloire et de spiritualité, mais il n’est qu’un pitoyable animal enchaîné à ses besoins frustes. — Qu’est-ce qu’il fait chaud… se plaint-elle. Je transpire trop. — Ah ? Je n’avais pas remarqué. Pourvu que l’orage n’éclate pas. 22 Nicolas, se tance-t-il intérieurement, il va falloir trouver un sujet plus percutant que la pluie et le beau temps, bon sang ! Il demande : — Que prenez-vous ? — Du vin. — Je ne vous le conseille pas. Bière ? — D’accord. — Deux bières, crie-t-il au barman. Ils boivent en silence. Nicolas soupire intérieurement. Il faut absolument qu’il enchaîne. Sinon le gros poisson va casser la ligne. Et ce n’est pas un thon. — J’aime bien votre robe. — Merci. Si on allait s’asseoir sur un banc ? Elle paraît bien disposée. Pourtant, il n’a pas dit grand-chose, que des banalités. Bah, de toute façon, on ne convainc que les gens qui veulent bien être convaincus. Comme si tout était joué d’avance. Comme si le destin était déjà tracé. Tracé ou pas, tout l’être de Nicolas est tendu vers l’objectif de la séduction. Ne serait-ce pas la pire stratégie ? Le détachement bienveillant n’aurait-il pas de meilleures chances de succès ? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Il n’arrive plus à raisonner clairement, comme s’il n’était plus maître de son esprit. Est-ce cette fille qui lui fait tourner la tête à ce point ? Reprends-toi, Nicolas ! Elle n’est qu’un être humain comme toi… Peu à peu, la conversation s’engage sur des platitudes affligeantes. Elle se met à parler avec volubilité, peut-être grâce à la bière. Habilement, il lui fait parler d’elle, le sujet préféré de tous les humains. — Tu viens danser, Amélie ? Nicolas fusille du regard l’importun. Celui-ci l’appelle par son prénom, donc il la connaît. Amélie appartient à un groupe, forcément. Et l’un des membres lui demande de regagner le sérail. Il 23 se prend pour le berger, ma parole ! se dit Nicolas, qui cependant n’ose intervenir. — Non, il fait trop chaud. À plus tard… À plus tard ! Ça, c’est bien envoyé ! Ouf, l’apprenti-berger repart la queue basse. Il craint à juste titre pour sa brebis égarée qui risque de se faire déchiqueter par le loup solitaire. Amélie embraye la conversation sur ses amis, sa meute. Elle ne transpire plus. Nicolas, lui, bout intérieurement. Il a beaucoup de peine à se concentrer sur la discussion. En fait, il n’arrive pas à enregistrer les paroles de sa désormais loquace interlocutrice. Si elle s’en aperçoit, ce sera la catastrophe. Mais rien à faire ! Son esprit échappe à son contrôle. Il ne parvient pas à décoller son regard des jambes interminables. Bon sang ! Voilà que son corps devient incontrôlable à son tour ! Malgré lui, il avance la main pour toucher la cuisse nue. Il est en train de craquer. Il va tout faire foirer ! Non, retiens-toi, Nicolas, arrête ! Mais sa main, mue d’une vie propre, continue à avancer subrepticement… À ce moment, la femme se lève. Sauvé par le gong ! Tel un boxeur dans les cordes à la fin de la reprise, il tente de reprendre ses esprits. Il a une minute pour refaire surface avant le prochain round. — Je vais chercher deux autres bières, annonce-t-elle. C’est ma tournée, cette fois. Et elle disparaît dans la foule. Holà, faut pas laisser échapper ce gros poisson, Nicolas ! songe-t-il. Va falloir écourter la minute de repos. Sinon, il n’y aura même pas de prochain round… Il la suit à distance, prenant bien soin de garder les mains dans le dos. Il se méfie de ses pulsions pitoyables. S’il lui met la main au panier, c’est le KO direct… 24 Exactement ce qu’il craignait ! Son intuition avait vu juste : un individu aborde son Amélie. Dans la pénombre propice à l’amour, il paraît grand et bel homme, avec des moustaches pointues, style XIXe. Amélie hésite. Nicolas espère. Amélie reste discuter avec le bellâtre. Nicolas soupire et s’approche. Non seulement il doit lutter contre ses pulsions irrépressibles, mais aussi contre les bergers et les autres loups ! Tant d’efforts pour assouvir sa faim… — Je suis là, ma chère Amélie ! On va se prendre notre bière ? — Tu vois pas que la demoiselle est occupée ? Le loup rival fait son mâle dominant. Nicolas secoue la tête et esquisse un rictus. Il tente de maîtriser la nouvelle émotion qui l’envahit : la colère, aiguillonnée par la frustration et l’orgueil. Tout à l’heure, il n’a pas été fichu de maîtriser sa main baladeuse. Saurat-il se contrôler sous la pression de ce nouveau stress ? Il n’est pas optimiste. Il jette un œil implorant à Amélie, espérant son arbitrage favorable. Elle reste neutre, la bougresse ! Elle n’est pas assez ferrée. Ou peutêtre se délecte-t-elle de la rivalité dont elle est l’objet ? Serait-elle une garce ? Décidément, il faut la mériter son Amélie ! — Monsieur, la demoiselle est avec moi. Nous… — Elle est plus avec toi ! aboie (comme un loup) le malotru. Pigé ? Les yeux de Nicolas deviennent étroits comme des meurtrières. Il joint ses mains devant lui, esquisse improbable d’une prière énigmatique. Reste bien calme, Nicolas, s’exhorte-t-il. Peine perdue. Il sent une goutte de sueur perler à son front, comme dans les mangas. Moustaches Grotesques le fait suer. Nicolas sait maintenant que l’affrontement est inévitable. Amélie veut intervenir, mais trop tard. Le bellâtre ne fera pas machine arrière. Et lui non plus, bon sang ! 25 Courroux et orgueil noient son esprit. Il tente désespérément de lancer une ultime bouée : — Vous êtes dans l’erreur, monsieur… — Dégage, nabot ! Nicolas ne fait pas de complexe sur sa petite taille. Mais nabot est l’étincelle qui met le feu aux poudres. L’alcool, la chaleur, la frustration sexuelle, la rivalité, l’insulte et le regard témoin d’Amélie, tout explose dans sa tête. Il fait un bond en avant et donne un grand coup de genou dans les parties du bellâtre qui hurle et s’effondre. Il empoigne sa belle et s’éloigne prestement. En arrivant à la buvette, elle lui chuchote à l’oreille, comme pour marquer une complicité nouvelle : — Vous alors, vous êtes un dur ! Maintenant ! C’est le moment, Nicolas, rue-toi dans la brèche de l’admiration. Dévore ta proie à pleines dents pour rassasier ta faim d’amour. Tu es en nage, mais qu’importe ! L’émotion d’Amélie lui permet de transcender les apparences. Elle est subjuguée par la puissance du mâle dominant qui vient de terrasser son rival. Alors, il se met sur la pointe des pieds et l’embrasse goulûment sur la bouche, tandis que l’orage éclate. Lordius
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