La revue 100 Numero 13 - Page 1 - Numéro 13 de La revue 100% Auteurs du 15 février 2012 2 Sommaire - Couverture : Michèle SEBAL - Billet du mois : Clément CHATAIN, page 3 - Nouvelle : L’inconnue de Nina VIVIEN, page 5 - Portrait : Mélina HOFFMANN, par Clément CHATAIN, page 11 - Entretien : Mélina HOFFMANN, par Clément CHATAIN, page 16 - Poésie : C’est en partant d’Alain ALLMENDINGER, page 23 - Chronique : Virage dangereux de Marc MASSE, par Marie BARRILLON, page 25 - Poésie : Une promesse d’amour qu’on chasse de Samuële CECCARINI, page 28 - Interview : Marc MASSE, par Marie BARRILLON, page 29 - Information : Concours, page 33 - My Major Compagny Books : Présentation d’auteurs, page 39 - Réponse à la question FB, page 44 - Participation, page 45 - Livre du mois, Les auteurs du noir face à la différence, collectif, page 46 - Partenaires : page 48 3 Billet du mois : Plus aucun intérêt pour la littérature ! Une certaine forme d’antinomie entre politique et culture Nous nous approchons d’une échéance électorale importante. C’est étrange de commencer ce billet par cette phrase car elle semble sonner faux dans une revue consacrée à la littérature. Nous touchons peut être un problème important. Les médias évoquent les candidats et nous notons à côté des poids lourds de la politique des inconnus qui se présentent pour défendre des idées originales ou parfois une minorité mais la littérature et la culture semblent briller par leur absence. Les fameux poids lourds préfèrent se déchirer autour de petites phrases au lieu de se concentrer sur l’essentiel. Mais qu’est ce que l’essentiel ? L’économisme triomphant occupe les unes des journaux. Le capitalisme sauvage avec ses destructions d’emplois, ses produits dérivés, son commerce extérieur déséquilibré préoccupe nos politiques et les médias. En un mot, nous préférons mettre en avant la destruction de richesses économiques au lieu d’évoquer la création littéraire et l’émancipation par la culture. Finalement, les médias continuent leur rôle de dramatisation et passent sous silence une autre forme de richesse tout aussi importante. 4 Mais pourtant les éditeurs… Les éditeurs évoquent le profit et exposent leurs chiffres. Ils font tout pour ne pas prendre de risques et préfèrent miser sur les « stars » de l’édition déjà connues. En un mot, ils contribuent à l’économisme triomphant en industrialisant la littérature. Les petits éditeurs valent ils mieux… on peut se le demander chaque jour en voyant les comportements primaires de certains. La littérature n’a pas de prix. C’est dommage par contre de la dévaloriser… La revue 100% Auteurs n’est pas une agence de notation. Elle partage avec vous ses choix et ses goûts au-delà des diktats et tente de faire rayonner un certain idéal littéraire perdu. Cela est rendu possible grâce à votre confiance, vous lecteurs, toujours plus nombreux à nous suivre ! Clément CHATAIN 5 Nouvelle L’inconnue Elle ouvrit la porte. Serra fortement la poignée comme on s’accroche à un rocher pour ne pas glisser. Rajuste son chemisier, passe nerveusement sa main dans ses cheveux. Essaye de remettre de l’ordre. Que s’est-il passé ? Son corps en tremble encore. Son corps en transpire encore. Tout est bousculé de l’intérieur. Pourtant, quelques heures avant, la journée avait commencé comme toutes les autres. La course habituelle du matin. Entre le levé à 6h45, préparer le petit déjeuner pour Manon. Le café coule, le pain saute de son gril. Passage sous la douche, un chemisier, une jupe, des talons. L’été est encore présent en ce mois de septembre. Un été caniculaire. Légendaire. Celui qui secoue la France à l’image de ces centaines de personnes jeunes ou moins jeunes, qui se sont desséchées seules, loin du regard et de l’attention des autres. Un été de prise de conscience ; celui qui ne nous reprendra plus. Un été meurtrier. Elle est déjà épuisée par cette course matinale, mais elle ne se rend plus compte de rien. Chaque geste est enregistré, calculé, chronométré. Aujourd’hui, le pays est paralysé. Tout est à l’arrêt, sauf ces innombrables petits corps qui s’agitent comme des mouches dans un bocal à la recherche d’une solution pour se rendre à leurs obligations. « Un train sur quatre » ils ont dit aux informations du soir. Le peuple d’en bas se révolte, sort dans la rue. Il grogne, s’enflamme face à cette vie de fous, à cette société qui divise, qui classe, qui met dans des cases. C’est la journée de ces oubliés de la vie. 6 Son train est celui qui passe à Châtelet-les-Halles à 7h34. Le troisième wagon de tête, là où il y a une marque incrustée dans ce sol gris, à côté du kiosque à journaux. Elle ne peut rater ce train. Même malade, même à l’agonie, elle serait là à ramper tel un serpent à la recherche de sa proie. Chaque minute, chaque seconde comptent. Cela fait quatre-vingt-quatre matins qu’elle s’engouffre, qu’elle regarde, qu’elle se cache, qu’elle espère et qu’elle désespère. Avant ce premier matin, elle n’était pas aussi précise sur son emploi du temps. Avant ce matin-là, elle n’attachait pas ses cheveux blonds, elle ne portait pas sur ses lèvres ce rouge carmin, ses décolletés n’étaient pas aussi plongeants, son parfum n’était pas le même. Elle se fondait dans la masse. Pourquoi ce matin-là n'a-t-elle pas plongé ses yeux dans un livre qui parle d’amour et de vies sages ? Pourquoi ses yeux ce sont posés sur ce visage ? Ce visage inconnu. Ces lignes d’une jeunesse qu’elle n’a plus. Ce mouvement de corps qui n’est pas sa grâce. Cette audace, cette prestance. Cette féminité qui s’impose parmi tous ces autres corps tournoyant autour d’elle. D’où lui vient cette émotion nouvelle qui prend toute la place, qui fige son regard, qui coupe son souffle, qui pose cette rougeur sur son visage ? Elle n’en sait rien. Elle n’en sait rien et ne veut rien en savoir. Au début, elle prenait cela pour un amusement ; jouer à cache- cache. Scruter l’autre, en dénicher chaque nouveau détail, chercher la faille. Elle aimait s’attarder sur chaque fragment ; sa veste noire, son jean à la mode, ses décolletés laissant apparaitre une perle fine suspendue à un fil d’or, son sac toujours aussi gros, aussi plein de tout. D’une vie, d’une intimité, de mots doux, d’un objet porte bonheur, d’un parfum, d’une photo d’elle aux bras d’un homme. Elle aimerait tellement savoir ! De multiples questions affluent dans sa tête. Est-elle mariée elle aussi ? A-t-elle des enfants ? Elle 7 l’imagine célibataire, passant ses week-ends avec ses amies à faire les boutiques, les restaurants, les bars, cherchant celui avec qui elle fera l’amour le soir même. Celui qui se penchera sur son intimité, ses secrets de femme. Elle s’imagine parfois à la place de ces hommes. Comment font les femmes ensemble ? Quels sont leurs plaisirs ? Quel est leur secret ? Quand deux corps se ressemblent, on ne peut rien en faire, rien à en espérer ! Quelle jouissance peut ressentir une femme qui en touche une autre ? Elles ont les mêmes hanches, les mêmes seins, le même sexe. Rien que d’y penser, son corps en tremble. Elle a honte de ce qu’elle ressent. 7h30. Elle arrive sur le quai de Châtelet-les-Halles. Le RER sort de son tunnel. Il est bondé. Les gens descendent par paquet. Se détachent péniblement les uns des autres pour laisser place à d’autres qui vont aller se coller comme un chewing-gum sur une paroi. Elle monte enfin, bouscule, se fraye un chemin, se pose dans un coin. La porte se referme, le train démarre. Où est l’inconnue ? Elle essaye de relever la tête, de trouver l’angle qui la dirigera vers elle. Elle écarquille ses yeux jusqu’à les perdre, courbe son cou jusqu’à le rompre. Elle se résigne. Un profond vide s’installe en elle. Un sentiment d’abandon inexplicable. Le train suit son chemin trainant péniblement tous ces corps. Trainant sa peine. Il s’arrête ; comme tous les jours, ou presque. Les gens grognent, marmonnent dans leur barbe. La lumière s’éteint. Les voix se lèvent. Elle laisse échapper un long soupir empli de lassitude et d’une profonde tristesse. Elle a envie de crier, de fuir cette foule. Envie de s’échapper, de calmer son corps excité par l’envie mêlée à cette amertume. Doucement, elle sent quelque chose de chaud s’approcher d’elle. Une main vient de rejoindre la sienne. Sa respiration se coupe. Son corps, sa voix ne lui appartiennent plus. Ils sont sous l’emprise de cette chaleur si inattendue. Elle accepte étrangement que cette main caresse sa ligne de vie, sa ligne de chance, sa ligne d’amour. Elle laisse cette main découvrir chaque creux, chaque ride. Sa 8 main d’épouse qui est tombée dans l’oubli depuis bien trop longtemps. Sa main, qui parfois, dans un moment de grande souffrance et de solitude, essaye de redonner vie à son propre corps, à ses sens, à ses émotions de femme. Seules ces deux mains bougent. Elle ferme les yeux et entre dans la danse. La lumière revient. Le train reprend sa course folle. Elle a peur. Elle ne veut pas que cela cesse. Non, pas tout de suite ! Nation. Les portes s’ouvrent. Un souffle court. Un parfum brièvement respiré. «Viens !». Il a suffi de ce mot pour que tout s’écroule autour d’elle. Sa main serrée fortement par celle de l’inconnue. Elles s’envolent. Les autres, les bruits, la chaleur moite de ces corps serrés l’un contre l’autre, la sonnerie stridente annonçant la fermeture des portes. Plus rien de cela n’existe. Le temps ne court plus après ses aiguilles. Le temps fait une pause. Le temps n’appartient qu’à elles ; elles en font leur moment singulier. L’inconnue l’entraine vers des lieux défendus. Son corps ne la porte plus ; il est léger comme une plume. Elles se retrouvent sur la place de la Nation. L’inconnue fait un geste. Un appel. «7, rue Auber ». Elles se retrouvent engoncées dans ce taxi, le souffle haletant, les corps impatients, les mains toujours liées. Elles n’osent se regarder, par peur de se perdre l’une dans l’autre. Elles n’osent se parler, par peur que leurs mots s’entremêlent, s’entrechoquent. Ne rien dire, fermer les yeux et sentir le mouvement intérieur. La voiture file sur les longs boulevards. 7, rue Auber. L’inconnue descend la première entrainant l’autre main avec elle. Un porche, un escalier, un pallier, une clé. L’ouverture de la porte. La main de l’inconnue fait une pause. Elle demande l’approbation de l’autre. Les yeux se croisent, se fixent et se ferment sous un timide baiser. La porte de l’inconnue se referme sur elles. Les clefs tombent au sol. Les sacs, les vestes. Le baiser reste collé à l’autre ; «indéliable». L’inconnue l’entraine doucement vers une pièce et déploie délicatement son corps sur ce drapé rouge. L’inconnue 9 pose sa main sur son visage. Elle parcoure doucement chaque coin, chaque angle, chaque creux. Elle danse comme peuvent le faire les papillons. Comme une plume qui se pose délicatement et qui caresse l’oreiller. L’inconnue retire son tee-shirt exposant la beauté de ses seins, les lignes de ses hanches. L’inconnue déboutonne délicatement le chemisier. Son corps de femme s’offre à la lumière. Son corps oublié s’offre tout entier sous les baisers de l’inconnue. Elle se laisse faire, se laisse guider, tenant ce désir mystérieux à distance. L’inconnue au contraire, accélère la danse. Elle affiche son envie presque exigeante, sûre d’elle-même avec une soif assumée, un appétit emporté. Le désir devient pressant mais les gestes sont délicats. La main de l’inconnue accompagne l’autre main à des caresses. Elle est émue, médusée par le corps de l’inconnue qui se dévoile peu à peu sous ses yeux, par ses courbes, ce grain de peau, son sexe. C’est comme si elle découvrait le plus beau des paysages. Premier frémissement. Première larme qui vient de rouler sur sa joue et qui s’échappe comme cet incontrôlable gémissement. L’inconnue la rassure de ses baisers déposés sur son corps cambré sous le flot des désirs, des jouissances. Elle ne contrôle plus rien. Elle est proche de la folie ; une folie qui n’a d’égal à sa vie. Une douce et tendre folie. Un cri vient de recouvrir tout l’espace. Son corps se pose. Il retrouve son souffle. Il se calme. Il s’apaise. Elle ouvre péniblement ses yeux. La pièce est sombre. Regarde nerveusement sa montre. Se retourne et pose son regard sur le corps de l’inconnue étendue sur ce drap rouge dont elle connait maintenant les secrets les plus intimes. Elle a envie de toucher cette peau si douce. De porter un baiser à sa bouche. Elle en respire son parfum. Elle pense à sa fille, à son mari. A sa vie d’hier qui n’est plus celle d’aujourd’hui. Son corps est différent. Elle se revêt hâtivement. Elle doit partir. Quitter les magnificences de cette inconnue. Elle emporte avec elle les baisers de cette femme. L’odeur de son parfum, de sa sève. Elle emporte avec elle ce 10 nouveau corps qui possède maintenant cette grâce, cette audace, cette beauté. Elle est riche. Milliardaire. Elle quitte la pièce, laissant derrière elle ce corps étendu, suspendu, offrant cette nudité qui en redemande. Ce corps qui respire doucement, apaisé et comblé par toutes ses jouissances de Femmes. Nina VIVIEN 11 Portrait Portrait de Mélina HOFFMANN Nous nous attachons à vous faire découvrir des auteurs talentueux dans la revue et vous avez compris vous qui êtes de plus en plus nombreux à nous suivre et nous vous en remercions, que nous sommes avant tout des amoureux des mots et d’un certain idéal littéraire. C’est ce même idéal qui nous guide dans la conception de la revue et qui rythme nos jours et nos nuits lorsque nous travaillons à sa réalisation. Nous nous sentons parfois seuls au monde dans un milieu littéraire qui devient tous les jours un peu plus indifférent et où les belles valeurs s’effacent pour laisser place aux bassesses de notre société. Mais certains acteurs nous sauvent, nous donnent la force de continuer par leur enthousiasme, leur qualité d’écriture, leur attention et leur réelle passion littéraire. C’est donc aujourd’hui naturellement que je tenais à vous présenter Mélina HOFFMANN car elle fait partie de ces femmes rares et de qualité redonnant des lettres de noblesse à cet idéal littéraire en perdition. Depuis 2007, elle réalise des chroniques, entretiens et reportages. Elle a d’abord collaboré à 1001livres, puis elle a rejoint le BSC NEWS Magazine et Vivat.be. Un tour sur son blog ne peut que retenir notre attention concernant ses écrits personnels dans lesquels se glissent sa sensibilité et la qualité de sa plume.
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