Devil's Kiss - Sarwat Chadda - Page 2 - Lire un extrait de Devil's Kiss, de Sarwat Chadda Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 4 Titre original : Devil’s Kiss Publié pour la première fois en 2009 par Hyperion, États-Unis Contribution : Constance Joly-Girard Loi no 49 956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : novembre 2011. © 2009, Sarwat Chadda Publié avec l’autorisation de Rights People, London © 2011, éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traduction française et la présente édition. ISBN : 978-2-266-18727-5 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 7 Qui t’a établi chef et juge sur nous ? Penses- tu me tuer, comme tu as tué l’Égyptien ? Exode 2:14 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 9 1 Tuer ce gamin n’aurait pas dû poser de problème ; il n’avait que six ans. Alors pourquoi en avait-elle l’estomac retourné ? Pourquoi ces sueurs froides le long de son dos ? À travers les herbes et les ronces, Billie se dirigea vers le fond du parc. Une brise nocturne de fin d’automne soufflait tandis qu’elle progressait dans La Fosse. Drôle de nom pour une aire de jeux. Plus personne ne jouait ici depuis longtemps. Les planches pourries de la clôture sortaient de terre par endroits, telles de vieilles dents plantées de travers. Les animaux à bascule avaient le regard vide et leurs vieux ressorts grinçaient au gré du vent. Le garçon était assis sur la balançoire du milieu. Il n’a que six ans, se répéta Billie. Elle s’approcha. En plus de sa lampe torche, elle avait pour s’éclairer la lumière de la pleine lune et les signaux rouges de l’émetteur du Crystal Palace. La tour se dres- sait au-dessus d’elle, semblable à une lance géante dont la pointe noire transperçait le ciel. 9 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 10 Le va-et-vient du garçon faisait crisser les chaînes rouillées de la balançoire. Ce n’est peut-être pas lui, se dit-elle. Si ça se trouve, c’est un gamin comme un autre. Il avait l’air tout à fait normal, avec ses baskets Nike usées et son jean. Et à en juger par l’emblème du Crystal Palace sur son tee-shirt bleu, c’était peut-être un garçon du quartier. Ce qui n’était pas normal, en revanche, c’était les marques sur son cou. Au niveau de la gorge, sa peau blanche était couverte de bleus violacés. Billie inspira profondément avant de franchir la clô- ture, le cœur battant. Le terrain de jeux en gravier était jonché de détritus : canettes, journaux moisis et feuilles mortes tombées des arbres squelettiques perchés sur la colline. Mais l’ambiance lugubre ne tenait pas qu’au changement de saison. Tout dans cet endroit était sinistre. On y avait versé du sang innocent, on en avait souillé la terre. Billie se dit qu’en tendant l’oreille, elle pourrait encore entendre des cris d’agonie portés par le vent et, parmi le bruis- sement des feuilles, le dernier souffle d’un enfant. Une humidité qui collait à la peau montait de la terre ; au moment où Billie franchit l’entrée, la brume s’épaissit au point qu’elle eut l’impression d’étouffer. Les quelques fleurs et mauvaises herbes qui avaient poussé malgré le gravier étaient grises et tordues. Des cafards à la carapace luisante escaladaient des cailloux et de gros vers phosphorescents se tortillaient à ses pieds. — Bonjour, dit le garçon. — Bonjour, répondit Billie. Il ne la quittait pas des yeux. Il lui manquait une dent de devant sur la rangée du bas, mais le reste de 10 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 11 ses dents de lait formaient un sourire doux et accueil- lant. Comme sur les photos qu’elle avait vues. Et si je me trompais ? songea Billie. Mais plus elle s’approchait de lui, plus elle sentait qu’elle avait raison. Les bleus du gamin le trahissaient. Billie s’arrêta à quelques pas de lui. Même après toutes ces années, on distinguait encore les marques autour de son cou. — Tu veux jouer ? lui demanda-t-il. Je dois le regarder dans les yeux, se dit-elle. C’est l’une des premières leçons qu’on lui avait enseignées à l’ordre : les yeux sont le reflet de l’âme. Souvent, elle avait contemplé la noirceur de ses propres iris, se demandant, en vain, ce qu’ils abritaient. Le garçon descendit de la balançoire, et malgré elle, Billie eut un mouvement de recul. Lorsqu’il leva la tête, le clair de lune inonda son visage rebondi au sourire édenté. Ses yeux brillaient comme des miroirs, ou des pupilles de chat. Billie enleva sa capuche et coinça une mèche brune derrière son oreille. Elle était grande pour quinze ans, et Alex petit pour son âge, alors elle s’accroupit à son niveau dans un crissement de bottes. Elle plongea son regard dans le sien, espérant y trouver une étincelle de vie. Mais elle n’y vit que le néant. Ses yeux étaient dépourvus de toute expression. Il s’agissait donc bien de lui. — Désolée, Alex. Je dois te renvoyer d’ici. — Comment tu connais mon prénom ? Elle savait tout de lui. Pendant une semaine, elle avait lu les journaux de l’époque, épluché les archives de la bibliothèque. Elle avait même visionné un film 11 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 12 de famille en huit millimètres – une illusion de vie sur pellicule jaunâtre, projetée sur un drap blanc. Nom : Alexander Weeks. Âge : six ans. Adresse : 25, rue Barthélemy. Inscrit à l’école primaire Saint- Christophe. Frère de Penny. On l’avait vu pour la dernière fois en 1970. — Mais je viens juste d’arriver. J’ai envie de voir ma maman. C’était le fils de Jennifer et Paul Weeks. Billie se souvenait qu’un jour à l’église, les parents d’Alex s’étaient assis près de son père et lui avaient montré leur album de famille. Ils avaient dit qu’après tout ce temps, ils rêvaient encore d’Alex et que parfois, la nuit, ils voyaient son visage à la fenêtre de leur chambre. — Je sais. Mais tu ne peux pas rester ici. L’heure était venue pour Billie de subir son épreuve. Elle avait pourtant plaidé qu’elle n’avait que quinze ans, un de moins que l’âge requis. Mais son père avait insisté. Il était temps qu’elle franchisse la dernière étape avant d’intégrer l’ordre. Et personne ne discutait les décisions d’Arthur San- Greal. Elle avait toujours cru que son épreuve consisterait en une Rencontre au Sommet, qu’il s’agirait d’un com- bat, un vrai, avec du bruit, de la fureur. Sinon, à quoi rimaient toutes ces années d’entraînement au combat à l’épée avec Percy ? Elle était fin prête pour un duel contre un des innombrables damnés : un possédé, un vampire, ou peut-être même un démon. Elle aurait voulu se battre contre un adversaire digne d’une vraie guerrière. Pas contre un petit garçon. Alex s’avança encore. — Pourquoi ? C’est pas juste ! 12 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 13 Les chaînes des balançoires s’entrechoquèrent dans un bruit de ferraille. Billie se crispa, en proie à la chair de poule malgré son blouson. Le corps d’Alex émettait un froid glacial. — Je sais. Billie se retourna vivement. Son père enjamba la vieille clôture pour les rejoindre. Une brusque colère s’empara d’elle. Il avait promis de ne pas intervenir. Mais peut-être la croyait-il inca- pable de passer à l’acte. Arthur portait un costume bleu marine lustré par l’usure. Dans sa main gauche, il tenait un fourreau ; dans la droite, une épée d’un mètre de long. Elle était dotée d’un épais disque de fer en guise de pommeau, frappé du symbole de l’ordre : deux chevaliers sur un destrier. Au clair de lune, sa lame brillait d’un puissant éclat argenté. C’était une arme au tranchant impitoyable. Recroquevillé sur la balançoire, le garçon leva les yeux vers lui. — Vous aussi, vous êtes venu pour me tuer ? Arthur s’arrêta à mi-chemin de la clôture. Son visage pâle se fendit d’un sourire, à peine discernable sous sa barbe noire. Mais son regard bleu glacial n’exprimait aucune douceur. — Non, mon garçon. Tu sais que c’est impossible. Tu es déjà mort. — C’est pas juste ! Les balançoires, déchaînées à présent, s’agitèrent avec fracas, et le vieux manège rouillé entama une com- plainte lancinante en pivotant sur son axe. — Le monsieur m’a dit de venir pour donner à man- ger aux oiseaux ! Il a dit que… — Il paye pour ce qu’il a fait, dit Arthur. 13 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 14 — Est-ce qu’il est en Enfer ? — Oui, je te le promets. Arthur resserra son poing autour du manche de l’épée. Le garçon se mit à sangloter. — Je veux pas mourir ! Des larmes cristallines roulèrent sur ses joues, sa bou- che pincée, son menton tremblotant. — Il fait noir et je suis tout seul ! Il fait noir et j’ai peur ! Il s’avança davantage, l’air suppliant. Le pauvre, se dit Billie. — Billie ! Non ! cria Arthur. Trop tard. Billie se laissa tomber à genoux et prit Alex dans ses bras. Elle le serra contre elle et… Le froid s’infiltre en elle par tous les pores, sature sa peau d’une pellicule de glace. Un liquide noir coule à flots dans ses veines, c’est le désespoir venimeux d’Alex qui l’envahit, la jalousie, la haine qu’il a ressenties lorsque des mains moites l’ont traîné dans la boue et les feuilles mortes, lui ôtant à jamais cette vie qui lui manque tant et qu’il veut récupérer à tout prix. Alors il prend celle de Billie, et y laisse à la place un froid qui lui gèle les os, lui glace les poumons. Sa chair se couvre de cloques, ses larmes se figent sur ses joues, et elle plonge son regard dans celui d’Alex, noir comme les ténèbres, avec pour seul souvenir l’agonie qu’il ne peut oublier. Elle doit souffrir comme lui a souffert, le froid lui brûle le cœur à mesure qu’il l’infecte, que sa noirceur l’atteint… Deux mains puissantes attrapèrent Billie par les épaules et réussirent à la libérer. Arthur la poussa loin d’Alex et elle tomba sur le gravier, tête la première. 14 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 15 Encore gelée, elle tremblait de tous ses membres. On avait tenté de la posséder. Pas Alex, non, ce n’était plus lui. Elle essaya de se lever, mais ses jambes refusèrent de lui obéir ; elle les sentait aussi fragiles que des stalactites de glace. — Billie ! cria Arthur. Un craquement sonore retentit lorsque les chaînes de la balançoire furent arrachées et projetées violemment contre eux. Billie se pencha juste à temps pour éviter l’une d’elles, qui alla heurter son père en plein front. L’épée voltigea dans les airs, Arthur vacilla puis fut soulevé de terre, étranglé par les anneaux qui serraient son cou. Il se retrouva pendu au portique, potence improvisée dans cette aire de jeux macabre. Il essayait d’agripper le nœud coulant, le visage cramoisi. — Lâche-le ! cria Billie. Mais Alex était devenu une véritable bête féroce. Tandis qu’Arthur oscillait au bout de la chaîne, il lâcha un cri animal terrifiant. L’épée se dressait entre eux tel un crucifix d’acier. — Je t’en prie, Alex ! le supplia Billie. Les bras d’Arthur retombèrent le long de son corps. Mais Alex, ou plutôt le démon qui se faisait passer pour un petit garçon, se contenta de rire. Billie s’élança et saisit l’épée dans un nuage de pous- sière et donna à Alex un coup de pied qui l’envoya à terre. Elle se tenait à présent au-dessus de lui, l’épée pointée vers le bas. — Que Dieu me pardonne, murmura-t-elle en enfon- çant la lame dans le cœur de l’enfant. Un cri perçant déchira le ciel ; Billie frissonna, mais ses doigts empoignèrent l’épée plus fermement encore. 15 Grand format - Pocket - Baiser du diable - 140 x 225 - 17/8/2011 - 16 : 11 - page 16 Une bile noire jaillit de la blessure et gicla sur son visage et ses vêtements. Elle enfouit la lame plus profond, jusqu’à ce que la pointe s’enfonce dans le sol. Puis, prenant appui sur le pommeau, elle plongea une main dans sa poche, en sortit une fiole d’argent et arracha le bouchon avec les dents. Elle s’enduisit les mains d’huile sainte. Les yeux exorbités, Alex l’observa jeter le flacon au loin et s’agenouiller à côté de lui. — Non, Billie ! S’il te plaît ! Je veux rester ! Il cria et se débattit férocement tandis qu’elle tentait de lui maintenir la tête en place afin d’y imprimer le signe de la croix. Il lui tira les cheveux, cracha des jets de sang visqueux et nauséabond. — Exorcizo te, omnis spiritus immunde, in nomine Dei Patris omnipotenti, psalmodia-t-elle. Elle parvint à lui bloquer la tête de la main gauche et à passer l’index et le majeur droits sur son front, son menton et ses joues. — S’il te plaît, Billie. Laisse-moi rester encore un peu, gémit-il. Billie ne prêta pas attention au désespoir qui perçait dans la voix d’Alex. Elle devait aller jusqu’au bout. — Ego to linio oleo salutis in Christo Jesu Domino nostro, ut habeas vitam aeternam ! Le corps d’Alex soudain secoué de spasmes la fit basculer. Un flux de bile s’échappa de ses yeux, de ses narines, de ses oreilles, de sa bouche – un fluide véné- neux qui s’écoulait à gros bouillons et répandait dans l’air une odeur nauséabonde. Les cris d’Alex s’estom- pèrent à mesure que diminuait le flot de sang et que son corps se décomposait sous les yeux de Billie. 16
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