BSC NEWS MAI 2015 - Page 101 - BSC NEWS MAGAZINE - MAi 2015 - N°80 - Avec : Sarah messa, Ilhan Ersahin, Maly Siri, Noemie Waysfeld, Antonio Altaribba, Yana Bibb Dossier Spécial Comédie du livre de Montpellier 2015 ... 102 Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le saxophone ? La rencontre a eu lieu il y a maintenant un certain temps… Il faut retourner à Stockholm où je suis né et où j’ai vécu jusqu’à ce que j’ai 20 ans. Il y a eu quelques « incidents » qui m’ont fait commencer à jouer du saxophone. Une de ces raisons est que j’adore les Rolling Stones et j’adore le joueur de sax qui les accompagnait sur plusieurs de leurs albums dans les années 70, Bobby Keys. Simultanément durant la même période, j’ai beaucoup aussi écouté de musique « ska », et le groupe the English Beat avait un grand saxophoniste, ainsi que Ian Dury et les Blockheads qui comptait sur un saxophoniste de talent. Certains de mes amis ont monter un groupe de style « ska » et ils m’ont demandé, « Hey ! Tu veux jouer du sax dans le groupe? ». J’ai accepté et je suis sorti pour louer un saxophone. Deux mois plus tard, j’ai fait mon premier concert . Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’histoire du projet « Istanbul Session» ? On m’a demandé de jouer à une fête privée, il y a 7 ans, à Istanbul. Alors j’ai eu cette idée de demander à des amis de monter sur scène et d’improviser avec moi. Mais d’improviser sur une musique dansante. Nous nous sommes tellement amusés que nous l’avons ensuite refait à plusieurs reprises, puis nous avons décidé de monter un groupe et j’ai commencé à écrire dans cet esprit. C’est ainsi que le groupe est né... Que représente pour vous le projet Wonderland qui regroupe des personnalités musicales de premier plan ? Mon projet Wonderland de Ilhan Ersahin apporte des saveurs et des sentiments tziganes arabesques et turc. Il est très différent de Sessions Istanbul à cause de cela. Husnu Senlendirici and clarinet est une grande voix pour ce 103 groupe. C’est mon hommage profond à cegenre de musique. Quel est le lien entre ces deux albums ? Eh bien, le lien est se trouve avec Istanbul, ainsi qu’avec la musique turque. Depuis quelques années, j’ai l’habitude d’amener des musiciens et des projets que j’ai ici à New York pour jouer à Istanbul. Alors, bien sûr, en sortant de plus en plus à Istanbul, j’ai commencé à rencontrer de nombreux musiciens. Il était donc naturel de lancer ces deux groupes et ces deux projets différents. Mais le but et la musique sont deux choses très différentes. Istanbul Sessions est devenu un gros son de scène pour lequel nous jouons avec beaucoup de matériel. Wonderland, quant à lui, est un projet élégant et délicat. On a lu que vous viviez entre Istanbul et New York où vous avez dans ces deux capitales une activité musicale très dense. Que vous apportent musicalement ces deux villes ? Est-ce que le club de Jazz le Nublu est l’une des pistes de réponses ? Je vis à New York en fait, mais oui, je vais beaucoup à Istanbul, mais pour ne pas vous embrouiller plus je suis aussi souvent à Sao Paulo qu’à Istanbul. Ces trois villes sont pour moi incroyables, très similaires mais culturellement très différentes. Dans les grandes villes, il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup de gens à rencontrer et énormément de gens créatifs . En quelque sorte l’idée de Nublu 104 prend tout son sens dans ces villes, et peut-être que cela serait même possible partout ? J’aime vraiment ces trois villes ... c’est très excitant dans tous les sens. Quel regard portez-vous sur la scène du Jazz en Turquie ? C’est une scène en pleine expansion à coup sûr. Je me souviens dans le milieu des années 90, quand j’ai commencé à jouer là-bas, il y avait seulement une poignée de musiciens jazz. Maintenant, il y en a beaucoup. Pendant longtemps, tout le monde a été influencé par le jazz fusion, qui est peut être quelque chose de très effrayant, je pense. Mais, pendant ces dernières années, les musiciens ont commencé à chercher leur propre style pour exprimer des sentiments et des histoires d’une manière plus personnelle, plus intime. Je pense que c’est le bon chemin. C’est en fait la seule façon de faire de la musique jazz et de la musique créative. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la création de votre label Nublu Records ? Pourquoi avoir eu envie de lancer un album et de créer un club de jazz à New York ? Eh bien le nom du label est venu très naturellement. J’ai commencé Nublu en 2002. En 2005, nous avons eu tant de grands et passionnants groupe que l’idée de « obviosuly » (évidemment) est venu. Surtout depuis que la création de label est difficile et étrange maintenant, et dans un sens, 105 il c’était encore plus étrange en 2005, lorsque le numérique a commencé. Je pense que c’est amusant et est excitant parce que bon ou mauvais avec le format numérique, vous pouvez atteindre le monde très facile. Ce qui est passionnant. Vous avez fait paraître de très nombreux albums et parfois jusqu’à plusieurs par an. D’ou vous vient cette activité intense et cette production impressionnante ? Un besoin de jouer permanent ? L’envie de s’associer à de nouveaux artistes ? Eh bien ... je fais de la musique à peu près tous les jours, et il y a 365 jours par an ... si vous êtes créatif je pense que c’est facile d’avoir ce rythme. Je pense aussi que le fait d’avoir choisi d’avoir de nombreux projets au lieu de me limiter à un seul groupe, c’est un choix qui est plus difficile qu’un autre. Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi de faire ça, mais je l’ai fait. En quelque sorte ma façon de faire de la musique est un très bon un moyen de partage et de collaboration. Je pense que j’ai choisi le jazz pour ces raisons. Et bien sûr, le saxophone vous permet de jouer avec beaucoup de différents musiciens, de groupes ainsi que de styles. Si vous deviez recommander à nos lecteurs un album de jazz, lequel choisiriez-vous ? Oh mon dieu, il y a beaucoup de grands albums. Ils sont tellement nombreux. Il est vraiment impossible d’en choisir un particulier. Cela dépend des jours. Aujourd’hui, je dirais Bitches Brew de Miles Davis. Istanbul Sessions Ilhan Ersahin’S Nublu Records Wonderland Ilhan Ersahin’S Nublu Records www.ilhanersahin.net 107 TOUTE L’ACTUALITÉ DU JAZZ CONCENTRÉE SUR UN SEUL SITE LE JAZZ-CLUB.COM 108 Propos recueillis par Florence Gopikian Yérémian Photos Stéphane Audran, Charles François et Michel Cabrera. Orianne Moretti CLASSIQUE © Charles François 109 Orianne Moretti est un être multiple: derrière sa voix de soprano et son joli minois corse d’origine polonaise, elle décline une vaste palette de talents. Danseuse classique, metteur en scène, mais aussi historienne, cette intellectuelle romantique est passionnée par tout ce qu’elle entreprend et refuse de se laisser cataloguer. Du haut de ses 34 ans, elle a déjà réalisé trois opéras de chambre et travaille actuellement sur une nouvelle oeuvre lyrique autour des amours entre Alma Mahler et Oskar Kokoschka. En attendant les répétitions de ce spectacle à l’Opéra de Reims, Orianne Moretti vient de sortir un CD dédié aux Lieder de Clara Schumann. Le BSC News l’a rencontrée autour d’un sirop d’orgeat… Vous êtes issue de l’école de Ballet de Marseille, comment êtes-vous passée des pointes au chant lyrique? J’ai commencé par faire du violon jusqu’à l’âge de 14 ans avant d’intégrer le Ballet Roland Petit de Marseille. A l’époque de Zizi Jeanmaire, c’était un lieu pluridisciplinaire où l’art du mime côtoyait en permanence la danse et la musique. Le sort a voulu que je me blesse au pied et que j’abandonne à regret mon rêve d’étoile. Comme je possédais une voix naturelle, mon professeur de chorale m’a confiée à une soliste de l’opéra de Marseille qui m’a patiemment initiée au chant. C’était très difficile car j’ai progressivement du déconstruire mon corps de danseuse pour entrer dans l’enveloppe corporelle d’une soprano. Pour cela j’ai fait appel à la Technique Alexander et j’ai participé à des Master Class qui m’ont appris à poser ma voix, doser mon souffle et améliorer mes postures. Vous avez débuté dans une opérette d’Offenbach? Tout à fait, en 2007, Jérôme Savary remontait la mise en scène de La Belle Hélène au Capitole de Toulouse. J’y ai décroché mon premier rôle : Partoenis. A l’époque je découvrais le monde lyrique avec l’insouciance du débutant mais j’ai très vite compris que le répertoire léger et agréable de l’opérette ne correspondait pas à ma personnalité. J’ai donc naturellement évolué vers d’autres univers, bien loin des froufrous et des paillettes de cette première expérience. Quelles sont les caractéristiques de votre voix? J’ai la chance de posséder une voix naturelle mais j’ai du énormément travailler pour atteindre une maturité vocale qui puisse correspondre à mon physique sans rien avoir à «trafiquer». Les critiques qualifient ma voix de corsée et lumineuse car j’ai une palette de couleurs extrêmement large avec beaucoup d’harmoniques. Je dirais que j’appartiens au répertoire mozartien ou donizettien. De toute évidence, je ne suis pas faite pour chanter du Wagner car je ne possède pas de tessiture grave puissante. Lorsque l’on fait du chant lyrique, il est important de ne pas se mentir, il ne faut jamais tenter de changer sa voix pour chanter coûte que coûte dans des répertoires qui ne correspondent pas à son corps. Comment travaillez vous ? Le chant lyrique est un métier très contraignant: d’une part il faut en acquérir la technique et s’entrainer quotidiennement; d’autre part, il faut sans cesse 110 © Michel Cabrera 111 se préserver: ne pas fumer, ne pas prendre froid, dormir suffisamment… Personnellement, je pratique aussi la relaxation. En plus d’une hygiène de vie drastique, l’opéra implique également la maitrise de beaucoup de langues étrangères et de leurs accents respectifs car l’on peut être emmené à chanter en allemand, en russe ou en Italien, j’ai même déjà du chanter en polonais et en arabe ! Est-ce difficile pour une femme de s’imposer dans l’arène masculine de l’univers lyrique ? La dictature du physique a fait, qu’à mes débuts, on allait me cataloguer dans le registre de «jolie petite chanteuse». Je n’ai pas voulu me laisser enfermer dans ce type de cases et j’ai donc décidé dès 2008 de créer ma propre compagnie: Correspondances Compagnie. J’y mène de front ma carrière de soprano et de metteur en scène. A ce jour, j’ai déjà créé trois opéras de chambre: A travers Clara sur Clara Schumann, Les amants fous d’après Hamlet, et enfin Memoriae qui met en scène un voyage à travers l’exil et l’enfance. Qu’appelez-vous un opéra de chambre? Ce sont des oeuvres en petit comité qui combinent de la musique de chambre instrumentale et vocale (comme des lieder) interprétée par des chanteurs lyriques. J’aime le côté intimiste de ces petits opéras car ils permettent d’avoir non seulement un échange avec le public mais également une totale interaction entre les chanteurs et les musiciens. Lorsque je monte ce type de pièces, je fais en sorte de placer tous les interprètes sur la scène afin que chacun puisse avoir un rôle dramatique propre. L’absence de fosse et de césure avec les spectateurs permet d’atteindre une véritable continuité mélodique et émotionnelle qui se diffusent à travers toute la salle. C’est très agréable. Dans l’ensemble de vos spectacles l’on ressent un attachement particulier envers l’Histoire du XXe siècle, pourquoi? Il faut savoir que parallèlement à mes passions artistiques, j’ai mené une formation d’historienne. Après avoir fait une Khâgne et une Hypokhâgne, j’ai enseigné en ZEP et à Saint Denis durant 5 ans. Je suis particulièrement attachée à la période allant de 1914 à 1945 et à l’Entre-deux-guerres. On peut ressentir cela dans Memoriae que j’ai mis en scène avec un chorégraphe de l’Opéra de Paris. En m’appuyant sur le thème de l’exil et du voyage, j’y ai décrit le parcours détaillé de deux adolescents traversant la Seconde guerre mondiale. Parlez-nous de votre oeuvre phare « A travers Clara »... A travers Clara est un spectacle avant d’être un disque. J’en ai conçu le livret en 2008 après avoir découvert des lieder de Clara Schumann. Son oeuvre m’a tant séduite que j’ai souhaité lui dédier un voyage musical pouvant faire ressortir son talent ainsi que le fabuleux couple qu’elle formait avec Robert Schumann. Pour ce faire, je me suis basée sur leurs compositions ainsi que sur l’impressionnante correspondance amoureuse de ces deux musiciens. Durant mes représentations, je chante donc les lieder de Clara tout en lisant les lettres qui lui ont été écrites par son époux. Je ne peux m’inspirer que de la prose de Robert Schumann car Clara a détruit l’ensemble de sa correspondance avant sa mort. A l’exemple de la musicienne Alma Mahler - l’épouse de Gustav -, elle a tout brulé afin de ne laisser aucune trace de sa sensibilité personnelle. A mon avis, c’était une façon de préserver à jamais l’image de femme forte que l’on avait d’elle de son vivant. Comment qualifieriez-vous la musicalité de Clara Schumann? Elle est entièrement à son image: à la fois douce et puissante, sombre et poétique. A l’inverse de Fanny Mendelssohn qui tire plutôt vers la mièvrerie romantique, Clara Schumann possédait une part de masculinité dans ses compositions. C’était un petit prodige pour son époque, elle était concertiste dès l’âge de neuf ans et son époux lui-même l’encourageait à se produire. Hélas pour elle, Clara a eu huit grossesses, ce qui, de toute évidence, a freiné sa carrière et sa production artistique. Elle ne s’est cependant jamais arrêté de jouer car con mari ne la contraignait pas à l’infernal KKK (Kinder, Küche, Kirche) comme ce fut le cas de Gustav Mahler à l’égard de sa femme musicienne. Clara a donc écrit près de quarante lieder ainsi qu’une trentaine d’oeuvres pour piano, duo, trio, des romances, des valses et même un concerto avec accompagnement d’orchestre. C’était vraiment une femme exceptionnelle pour son époque. 112 Quelle est la réaction du public lors de vos récitals? Très peu de gens connaissent l’oeuvre de Clara Schumann, ils viennent en curieux et ressortent enthousiasmés. J’ai reçu beaucoup de mails très spontanés, de la part de spectateurs jeunes ou moins jeunes, tous ont été conquis par l’émotion musicale et l’amour qui liait Clara à Robert Schumann. Il faut dire que c’était un couple fusionnel : tandis que Robert inventait des gématries pour faire apparaître le prénom de sa femme dans ses partitions, Clara lui offrait des lieder à chacun de ses anniversaires. Ensemble, ils piochaient des poèmes dans un carnet commun, les mettaient en musique et s’inspiraient continuellement l’un l’autre. C’était une relation très profonde, d’ailleurs lorsque Robert est mort, Clara s’est définitivement arrêtée de composer… Pourquoi avoir transposé la musique de votre spectacle sur CD? Clara Schumann demeure une compositrice encore méconnue, elle est restée trop longtemps dans l’ombre de son époux. Le fait de graver mon récital sur disque est une façon de réactualiser son oeuvre tout en pérennisant l’hommage que je lui ai rendu. Ce CD a été réalisé grâce à la collaboration du pianiste russe Ilya Rashkovskiy. Ilya est un musicien à la palette flamboyante qui possède une main gauche d’une puissance exceptionnelle. Il a d’ailleurs à son actif plusieurs opus dont l’intégrale des Etudes de Chopin, les Saisons de Tchaïkovski et il vient juste d’enregistrer un disque consacré à la musique de Stravinski, Ravel et Lutoslawski. Votre boulimie artistique vous entraine déjà vers un grand projet d’Opéra qui devrait voir le jour à Reims en 2016? Tout à fait. Je viens d’achever le livret d’AMOK, une oeuvre lyrique mettant en avant la relation passionnelle entre le peintre Oskar Kokoschka et sa muse, Alma Mahler. Pour cette création, je ne chanterai pas et m’occuperai essentiellement de la mise en scène. AMOKsesitue danslecontextedela Première guerre mondiale et je me suis inspirée des Fleurs du Mal de Baudelaire pour en concevoir les textes. En ce qui concerne l’adaptation musicale, j’ai fait appel à François Cattin qui va entièrement composer la partition de cet opéra. Parmi les treize chanteurs et les treize musiciens prévus, les deux rôles titres ont déjà été trouvés: ils reviennent au baryton basse Till Fechner (Kokoschka) et à la mezzo soprano Maria Riccarda Wesseling (Alma Mahler). En toute logique, AMOK devrait voir le jour à l’Opéra de Reims le 6 février 2016! Apres Clara & Robert Schumann, Hamlet & Ophélie dans Les Amants fous, vous voici de nouveau en train d’explorer les arcanes d’une relation amoureuse, vous êtes donc une romantique inconditionnelle? L’amour entre deux personnes est une intarissable source de création… Pourquoi s’en priver? Connaissez-vous les compositions de Clara Schumann, femme de… ? Ce CD est un voyage musical évoquant les étapes de la relation fusionnelle entre Clara et Robert Schumann. Au fil des Lieder et des pièces pianistiques, on partage la rencontre de ces deux musiciens de génie, leur mariage difficile, la folie de Robert dépressif jusqu’à sa mort et le veuvage prématuré de Clara entourée de ses huit enfants. L’ensemble des oeuvres sélectionnées et interprétées par Orianne Moretti nous transporte dans l’univers sonoreetintellectueldel’EuropeRomantique.Chacun des lieder est, en effet, la transposition d’un poème de Rückert, d’Heinrich Heine ou de Johann Peter Lyser qui étaient des contemporains du couple Schumann. Grace à sa voix souple et lumineuse, Orianne Moretti confère à ces chants d’amour beaucoup d’émotion et une diction pleine d’élégance : il en va ainsi de la première Valse évoquant les caresses, de L’Etoile du soir où elle languis calmement après son amant ou du dernier opus Ich stand in dunklen Traümen dont
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